Chroniques de J. Froissart, tome 01/13, 2ème partie : $b 1307-1340 (Depuis l'avénement d'Édouard II jusqu'au siége de Tournay)
§ 33. A tel meschief, mesaise et povreté demorèrent
il entre ces montaignes et le ditte rivière, sans oïr ne
savoir nouvelles des Escos qu'i[l] cuidoient qu'il
deuissent par là passer ou assés priès, pour retourner
en leur pays. De quoi grant murmurations commença 5
entre les Englès. Car li aucun voloient amettre
as autres qui avoient donnet ce conseil de là
venir en tel point, que il l'avoient fait, pour le roy
trahir et toutes ses gens: si ques pour çou fu ordonné
entre les signeurs que on se mouveroit de là, 10
et rapasseroit on la ditte rivière sept liewes par deseure,
là où elle estoit plus aisieule à passer. Et fist
on criier que cescuns se apparillast, pour deslogier
l'endemain, et siewist les banières. Et si fist on
adonc criier que, qui se vorroit tant travillier qu'il 15
peuist raporter certainnes nouvelles au roy là où on
poroit trouver les Escos, li premiers qui ce li aporteroit,
il aroit cent livrées de terre à hiretage à l'estrelin,
et le feroit li rois chevalier.
Quant ces nouvelles furent esparses par l'ost, toutes 20
gens en furent grandement resjoy. Adonc se departirent
de l'host aucun chevalier et escuier englès
jusques à quinze ou seize, pour le convoitise de gaegnier
celle prommesse, et passèrent le rivière en
grant peril, et montèrent sus les montagnes; et puis 25
si se departirent li uns chà et li aultres là; et se mist
cescuns à l'enventure par lui. L'endemain, tous li
hos se desloga. Et chevaucièrent ce jour assés bellement,
car li cheval estoient foulet, et mal livret et
mal fieret, et quoissiet as çaingles et sour le dos. Et 30
fisent tant qu'il rapassèrent le rivière en grant malaise
car elle estoit grosse pour le plouviage, par
quoi il en y eut assés de bagniés et des Englès noiiés.
Quant tout furent rapasset, il se logièrent là endroit,
car il trouvèrent fourages ès prés et as camps, pour
le nuit passer, dalés un petit village que li Escot
avoient ars à leur passer. Si leur sambla droitement 5
qu'il fuissent cheu à Paris. L'endemain, il se partirent
de là et chevaucièrent par montagnes et par
vallées toute jour jusques priès de nonne que on
trouva aucuns hamelés ars, et aucunes petites campagnes
où il y avoit blés et prés; si ques toute li hos 10
se loga là endroit celle nuit. Et le tierch jour, chevaucièrent
il en tel manière, et ne savoient li plus
où on les menoit, et le quart jour ossi jusques à
heure de tierce.
Adonc vint uns escuiers devers le roi et dist: 15
«Sire, je vous aporte nouvelles. Li Escot sont à trois
liewes priès de ci, logiet sus une montagne, et vous
attendent là; et y ont bien esté ja huit jours; et ne
savoient nouvelles de vous, non plus que vous ne
saviés nouvelles de yaus. Che vous fai je ferme et 20
vrai. Car je m'embati si priès de yaus, que je fui pris
et menés en leur host, devant les signeurs, pour prison.
Si leur di nouvelles de vous, et comment vous
les queriés, pour combatre à yaus. Et tantost li signeur
me quittèrent me prison, quand je leur euch 25
dit que vous donriés cent livrées de terre à l'estrelin
à celui qui premiers vous raporteroit certainnes nouvelles
d'yaus, par tèle condition que je leur creantai
que je n'aroie repos, jusques à tant que je vous aroie
dit ces nouvelles. Et dient, ce sachiés, que ossi grant 30
desir ont il de combatre à vous, que vous avés à
yaus; et les trouverés là endroit sans faute.»