Étude sur la Franc-Maçonnerie
II
LA QUESTION DU DROIT DES MAÇONS A S’OCCUPER DE POLITIQUE
DISCUTÉE ET AFFIRMATIVEMENT RÉSOLUE DANS LES LOGES
Mais ce qu’il faut bien remarquer ici, et les aveux si catégoriques que nous venons d’entendre ne permettent pas d’en douter, c’est que ce ne sont pas là des excès isolés ou démentis, dans la Maçonnerie ; il y a plus : la question a été officiellement agitée et résolue par les autorités maçonniques ; et des solutions données il résulte que la Maçonnerie n’entend pas être confinée dans ses loges, que son but est de s’emparer politiquement de la Société tout entière, et que ses loges ne lui servent qu’à former des hommes pour lutter dans l’arène politique.
C’est ce que notamment le grand Orient de Belgique, « les colonnes consultées et le F∴ orateur entendu dans ses conclusions », a répondu :
« La Maçonnerie n’a point pour but d’établir des principes à respecter, seulement dans l’étroite enceinte de ses assemblées : C’EST LA SOCIÉTÉ TOUT ENTIÈRE QU’ELLE A POUR OBJET ; les loges sont DES ÉCOLES, où l’on doit former des hommes aux convictions raisonnées, afin qu’ils luttent ensuite avec vigueur dans le monde profane, ET SURTOUT DANS L’ARÈNE POLITIQUE[127]. »
[127] M. Neut, t. I, p. 267.
Je trouve dans la Maçonnerie italienne les mêmes déclarations ; j’ai en effet sous les yeux les procès-verbaux de l’Assemblée maçonnique constituante, réunie à Rome du 28 avril au 2 mai 1872 ; là aussi dans la séance du 2 mai, la même question a été posée, et il a été décidé, « à une grande majorité », que « les Loges ont la faculté de discuter les questions d’ordre religieux et politique, et que la Maçonnerie étudie les questions sociales, SANS RESTRICTION D’ESPÈCE OU DE DEGRÉ[128]… »
[128] Le Monde Maçonnique, t. XIV, p. 250.
Mais d’ailleurs, est-ce que Garibaldi — complice, et agent peut-être en ce moment à Rome du grand persécuteur de l’Église en Allemagne — n’a pas été grand-maître de la Maçonnerie italienne ? Et quand mourut le grand conspirateur Joseph Mazzini, que se passa-t-il ? Les Loges italiennes prirent le deuil ; quelques-unes envoyèrent des députations à ses funérailles ; et le Grand-Orient d’Italie invita tous les Franc-Maçons, à quelque nation qu’ils appartinssent, qui se trouvaient alors dans la vallée du Tibre, à se rassembler sur la place du Peuple : « A l’heure indiquée, une foule de Frères entouraient la bannière maçonnique qui, pour la première fois, se montrait dans Rome, la suivirent, et accompagnèrent jusqu’au Capitole le buste de Mazzini[129]. »
[129] Ibid., p. 30.
Telle est donc, sans contestation possible, la Maçonnerie : et M. Félix Pyat avait raison de le dire, c’est l’ÉGLISE DE LA RÉVOLUTION, et le vestibule, ou comme disait ce révolutionnaire italien cité plus haut, l’antichambre des sociétés secrètes.
Je le veux bien, elle n’est pas précisément un de ces clubs où l’on discute chaque soir avec violence les questions politiques et sociales à l’ordre du jour. Elle n’est pas une de ces sociétés secrètes directement organisées pour préparer le triomphe de telle ou telle conspiration, à l’aide du poignard ou de la bombe. Elle se soumet même, quand il le faut, à voir nommer ses Grands-Maîtres par les gouvernements, ou à accepter dans son sein des personnages officiels. Elle l’a fait sous le premier et le second empires, elle l’a fait sous le roi Louis-Philippe[130]. Mais elle n’en est pas moins une conspiration permanente contre le fondement même, non pas tant de tel ou tel état, de tel ou tel culte, que de toute religion et de la société tout entière : selon la déclaration expresse des francs-maçons belges, C’EST LA SOCIÉTÉ TOUT ENTIÈRE QU’ELLE A POUR OBJET. Elle pose les principes dont les révolutions sont les conséquences ; elle élabore les idées qui ensuite arment les bras. C’est ainsi que les Loges sont DES ÉCOLES où l’on doit FORMER DES HOMMES qui luttent ensuite avec vigueur dans le monde profane, ET SURTOUT DANS L’ARÈNE POLITIQUE ; ou, comme le dit le Monde Maçonnique, « c’est ainsi que la Maçonnerie façonne les hommes ; elle les élève et les rend propres AUX LUTTES DU DEHORS. C’est aux Maçons qu’il appartient ensuite de réaliser à l’extérieur ses conceptions[131] ».
[130] Néanmoins le roi Louis-Philippe eut la sagesse de refuser pour son fils aîné la grande maîtrise de l’Ordre, qui lui avait été offerte. — La Franc-Maçonnerie et la Révolution, par le P. Gautrelet, p. 444.
[131] Ibid., t. X, p. 49.
Ainsi donc, la Maçonnerie forme et façonne ses adeptes, et les éprouve, avant de leur confier son dernier secret, afin de voir s’ils sont capables de la servir, et de descendre dans les mines que, selon l’expression de M. Louis Blanc, « elle creuse », sous l’édifice social pour le faire sauter.