← Retour

Étude sur la Franc-Maçonnerie

16px
100%

III
JUSQUE DANS QUELS DÉTAILS LA MAÇONNERIE S’OCCUPE DE POLITIQUE

« Toutes les grandes questions de principes politiques, tout ce qui a trait à l’organisation, à l’existence et à la vie d’un État, oh ! cela, oui CELA NOUS APPARTIENT EN PREMIÈRE LIGNE ; tout cela est de notre domaine, pour le disséquer et le faire passer par le creuset de la raison et de l’intelligence. »

Ainsi parlait le F∴ Bourlard, Grand Orateur du Grand-Orient, dans une occasion des plus solennelles, à la grande fête célébrée par le Grand-Orient de Belgique, le 24 juin 1854[132].

[132] M. Neut, t. I, p. 305.

En effet, les questions d’élections, de réforme électorale et de suffrage universel, les pétitionnements et les agitations révolutionnaires, l’envahissement des fonctions publiques, les grands problèmes économiques, les plus redoutables questions sociales, telle que l’organisation du travail, les questions d’enseignement et de charité publique, les questions même de paix et de guerre, tout le détail en un mot de la plus ardente politique, voilà de quoi se mêle la Maçonnerie, et à quelles profondeurs sociales elle travaille.

Donc, quand des élections se présentent, élections nationales, provinciales ou municipales, les Loges, en Belgique, choisissent des candidats, leur donnent un mandat impératif, leur font jurer de le remplir ; cela fait, elles mettent au service du candidat élu et assermenté ces ressources immenses, ces mille têtes, ces cent mille bras, dont parlait tout à l’heure le F∴ Grisar. C’est ce qui est prescrit textuellement dans l’important document maçonnique que voici :

« Un candidat Maçon sera d’abord proposé par la Loge, dans le ressort de laquelle se fera l’élection, à l’adoption du Grand-Orient, pour être ensuite IMPOSÉ aux frères de l’obédience. »

« Dans l’élection, qu’elle soit nationale, provinciale ou municipale, il n’importe, l’élection du Grand-Orient sera également réservée :

« Chaque Maçon JURERA d’employer toute son influence pour faire réussir la candidature adoptée ;

« L’élu de la Maçonnerie SERA ASTREINT à faire en loge une profession de foi dont acte sera dressé.

« Il sera invité à recourir aux lumières de cette Loge ou du Grand-Orient dans les occurrences graves qui peuvent se présenter pendant la durée de son mandat.

« L’inexécution de ses engagements l’exposera à des peines sévères ; même à l’exclusion de l’Ordre.

« Chaque Loge pouvant juger utile de s’aider de la publicité, devra se ménager des moyens d’insertion dans les journaux ; mais le Grand-Orient lui recommande ceux de ces journaux qui auront sa confiance »[133].

[133] Document maçonnique cité par M. Neut, t. I, p. 267.

Ce n’est pas tout, et si le candidat, une fois élu, manque à son mandat et à son serment, voici ce qu’alors a décidé le Grand-Orient, et de quels droits il arme les Loges, quels devoirs il leur intime :

« Le Grand-Orient, sans hésitation, décide que non-seulement les Loges ont LE DROIT de surveiller LES ACTES DE LA VIE PUBLIQUE de ceux de leurs membres QU’ELLES ONT FAIT ENTRER DANS LES FONCTIONS PUBLIQUES, de réprimander, et même de retrancher du corps maçonnique les membres qui ont manqué aux devoirs que leur qualité de Maçon leur impose, SURTOUT DANS LA VIE PUBLIQUE, etc…[134] »

[134] Ibid.

Ainsi, non-seulement les loges s’occupent de politique, mais encore elles poussent leurs membres aux fonctions politiques ; et, les y ayant poussés, elles réclament le droit de les diriger, de surveiller et juger de quelle façon ils s’en acquittent.

Quant au détail même des questions que la Maçonnerie réclame comme lui appartenant en première ligne, écoutons les revendications suivantes :

« Au maçon la question de l’enseignement ; à lui l’examen, à lui la solution !

« Lorsque bientôt des ministres viendront apporter au Parlement l’organisation de la charité… à moi, maçon, la question de la charité publique !

« Le pays se couvre d’établissements qu’on appelle religieux… Il faudra bien que le pays entier finisse par en faire justice, DÛT-IL MÊME EMPLOYER LA FORCE[135] ! »

[135] Discours maçonniques, cité par M. Neut, passim.

Et à ces paroles les émeutes répondaient, à Bruxelles, à Mons, à Anvers, à Liége, à Verviers ! Et il fallut toute la prudence du Roi pour échapper à une révolution.

D’autres questions plus brûlantes encore sont réclamées et agitées par la Maçonnerie, les questions sociales et en première ligne l’organisation de travail.

Nous en trouvons une preuve, entre beaucoup d’autres, dans une importante pièce maçonnique, une circulaire que la Loge la Persévérance d’Anvers, en mars 1846, deux ans avant notre révolution du 24 février 1848, adressait à toutes les Loges belges, pour soumettre à leur sanction un projet développé à la fête de l’ordre par l’Orateur de cette Loge que nous citions tout à l’heure, le F∴ Grisar.

« Il est temps, disait la circulaire, que la Maçonnerie s’occupe activement des grandes questions qui remuent toute la société moderne.

« Travaillons, T∴ C∴ F∴, concluait la circulaire ; étudions les grandes questions sociales, et le triomphe de notre cause est assuré… »

Et en tête du projet, que trouvons-nous ? La question palpitante du travail, L’ORGANISATION DU TRAVAIL ; et en résumé TOUS LES PROBLÈMES DÉMOCRATIQUES.

Aussi, la circulaire, en communiquant ses projets à toutes les Loges, ajoutait-elle :

« IDENTIFIONS-NOUS AVEC LES IDÉES DÉMOCRATIQUES QUI TRIOMPHERONT[136]. »

[136] M. Neut, t. I, p. 288. — Dans un discours prononcé à Liége, à la fête solsticiale de l’ordre, et qui fut reproduit et distribué à cinquante mille exemplaires, le F∴ Goffin développait le programme suivant :

Principes à réserver pour l’avenir.

Suffrage universel direct.

ABOLITION DES ARMÉES PERMANENTES, causes de ruine et d’oppression pour les peuples.

SUPPRESSION DE LA MAGISTRATURE INAMOVIBLE, origine des injustices et des procès scandaleux.

Abolition des traitements du clergé, désormais rétribué par les croyants de chaque culte.

Principes d’application immédiate.

Suffrage universel pour les élections provinciales et communales, comme moyen d’habituer peu à peu la nation à l’exercice de son pouvoir souverain.

Instruction primaire, gratuite et obligatoire.

ABOLITION DE L’OCTROI et de tous les impôts de consommation, remplacé par un impôt unique d’assurances.

Suppression de la Banque nationale et établissement d’un vaste système de crédit foncier, commercial et agricole.

DROIT AU TRAVAIL RÉSULTAT DU DROIT A L’EXISTENCE.

Organisation du travail par la création de grandes associations ouvrières.

Récompenses nationales accordées aux ouvriers laborieux et intelligents.

Réduction de tous les budgets et principalement de celui de la guerre.

Association pour rendre les derniers devoirs aux morts sans le concours du clergé.

Institution de crèches, écoles gardiennes, salles d’asiles, bains, lavoirs et chauffoirs publics, boucheries et boulangeries économiques.

Abolition de la peine de mort en matière politique et CRIMINELLE.

Tel doit être, selon moi, ajoutait l’orateur, l’ordre du jour de la grande réunion M∴ qui aura lieu prochainement… VOULONS-NOUS ÉCRASER L’INFAME ou le subir ? » etc. etc.

On s’étonne quelquefois, au lendemain de certaines révolutions, de voir se poser tout à coup, dans la presse et dans le pays, des questions redoutables dont la masse du public ne se doutait pas la veille ; par exemple l’organisation du travail, après la révolution de février ; question qui fut traitée d’une façon si menaçante au palais du Luxembourg, par l’assemblée des ouvriers, présidée par M. Louis Blanc, et dont les journées de juin furent la suite ; par exemple encore, la séparation de l’école et de la religion, question que la Commune trancha en chassant de partout les frères et les sœurs, en arrachant des écoles les crucifix, etc. ; mais ces questions, qui éclatent ainsi tout à coup, s’agitaient depuis longtemps au sein des sociétés secrètes et des Loges maçonniques ; après s’être produites dans ces laboratoires de révolution et d’idées nouvelles, dès qu’une occasion favorable se présente, elles font explosion au dehors ; l’active propagande des Loges les porte partout ; et puis, le colosse aux mille têtes, aux cent mille bras, pousse aux élections, nationales, provinciales et municipales, les hommes en qui se personnifient ces idées. Ainsi se fait tout à coup cet enlacement et cette étreinte d’un pays, dont nous parlait tout à l’heure un orateur maçonnique. Puis enfin, à un moment donné, les catastrophes éclatent. C’est ainsi que derrière les acteurs immédiats des révolutions, il y en a d’autres, qui voyaient plus loin, et travaillaient à de plus grandes profondeurs : ceux-là étaient les vrais révolutionnaires, invisibles et cachés.

Chargement de la publicité...