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Étude sur la Franc-Maçonnerie

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IV
LA FRANC-MAÇONNERIE ET L’EXISTENCE DE DIEU

Serrons de plus près encore la question, et pour mieux montrer l’incompatibilité absolue du principe fondamental de la maçonnerie avec le Christianisme, voyons comment ils l’entendent, et jusqu’où ils sont, en fin de compte, obligés de le pousser : jusqu’à l’athéisme.

Oui, le principe de la liberté de conscience absolue et illimitée que proclame la Maçonnerie, ne lui permet point de professer, sans inconséquence, je ne dis pas seulement le Christianisme, mais même l’existence de Dieu, ce dogme que certains Maçons ont cru primordial en Maçonnerie. En principe, la Franc-Maçonnerie est une société sans foi d’aucune sorte, sans aucune croyance, même en Dieu.

C’est ce que de récents débats dans son sein ont démontré jusqu’à l’évidence, et ce que l’impérieuse logique proclame encore plus haut.

Disons quelque chose de ces débats.

Un historien, franc-maçon, membre aujourd’hui de l’Assemblée nationale, M. Henri Martin, avait eu le malheur d’écrire, en octobre 1866, dans le Siècle, les lignes suivantes :

« La Franc-Maçonnerie est une société THÉISTE, recevant dans son sein les hommes de toute religion, à condition qu’ils professent le principe de la liberté religieuse. »

« Son but, ajoutait M. Henri Martin, est le bien des hommes et le progrès du monde ; et ses associés sont les ouvriers de Dieu dans cette œuvre. La Franc-Maçonnerie est cela ou n’est rien : effacer du programme maçonnique le grand architecte de l’univers, c’est effacer la Franc-Maçonnerie elle-même. Otez l’architecte, il n’y a plus ni temple ni maçons…

« Les orthodoxes de la Maçonnerie sont dans leur droit en refusant le titre de maçons à ceux qui rejettent l’architecte, et abattent le temple. »

Ces paroles soulevèrent une tempête dans la Maçonnerie ; de tous côtés des maçons se levèrent, indignés qu’on eût pu présenter la Franc-Maçonnerie comme une société théiste, croyant à Dieu, à l’architecte de l’univers, et ils firent entendre les plus énergiques protestations.

Un orateur d’une des Loges parisiennes, le F∴ Henri Brisson, qui est, lui aussi, membre de l’Assemblée nationale, accusa M. Henri Martin d’avoir, en proclamant la Franc-Maçonnerie une société théiste, et croyant en Dieu, parlé « un langage de SECTAIRE INTOLÉRANT ». M. H. Martin n’a pas compris le principe fondamental de la Maçonnerie. « Si la reconnaissance de ce grand architecte était, comme M. H. Martin le dit par erreur, primordiale en maçonnerie, il n’y aurait chez les maçons ni liberté de conscience, ni liberté d’opinions[26]. »

[26] Le Temps, 4 novembre 1866.

Deux autres francs-maçons qui, à cette époque, étaient membres du Conseil de l’ordre, le F∴ Caubet, et le F∴ Massol, élu récemment membre du Conseil municipal de Paris, déclarèrent que si la Franc-Maçonnerie professait la croyance en Dieu, « la Maçonnerie ne serait qu’une secte religieuse, ayant, comme toutes les sectes, ses dogmes, son orthodoxie, sa profession de foi ».

Et ils citèrent à l’appui de leur argumentation « un rapport émanant d’une COMMISSION GÉNÉRALE maçonnique de 1863, dont les CONCLUSIONS furent adoptées ». Ce rapport disait :

« La Maçonnerie est une institution soustraite à tout joug d’Église et de sacerdoce, à tous les caprices des révélations, et à toutes les hypothèses des mystiques[27]. »

[27] Le Monde-Maçonnique, novembre 1866, p. 439-441.

Les hypothèses des mystiques, on sait que cela signifie simplement l’existence de Dieu, déclarée maintes fois par le F∴ Massol, par les partisans de la morale indépendante, par les positivistes et les Francs-Maçons, une hypothèse invérifiable.

Ainsi donc, le rapport adopté par l’ASSEMBLÉE GÉNÉRALE Maçonnique de 1863 le déclare expressément : la Maçonnerie est une institution affranchie du joug non-seulement des croyances révélées, mais même de la simple croyance en Dieu.

M. Henri Martin semblait cependant avoir d’autant plus raison de présenter la Franc-Maçonnerie comme une société théiste, que toutes ses planches, (c’est-à-dire ses pièces officielles,) devaient porter en tête la formule séculaire : A la gloire du grand architecte de l’univers ; et que, de plus, la question semblait avoir été jugée en faveur du théisme l’année précédente même, dans le grand convent maçonnique de 1865.

Ce convent avait pour objet une œuvre capitale, l’élaboration d’une nouvelle constitution pour la Maçonnerie française. C’est à cette occasion que s’agitait avec une nouvelle ardeur la question déjà soulevée au sein de la Maçonnerie, à savoir si elle continuerait à maintenir en tête de ses planches ses vieilles formules. Pendant que les Loges élaboraient la nouvelle constitution, sur 151 projets qui arrivèrent au Grand-Orient de Paris, 60 réclamèrent l’abolition absolue de toutes formules affirmant l’existence de Dieu.

Néanmoins, après les plus vifs débats au sein du convent, la formule fut conservée.

Mais, hélas ! si la vieille formule se trouvait maintenue, la logique était contre elle ; car, logiquement, cette abstraction de toute croyance, proclamée par la constitution maçonnique comme sa base fondamentale, ne lui permet pas, sans inconséquence, de prescrire comme obligatoire une formule où l’existence de Dieu est proclamée.

Aussi de nombreuses protestations se firent-elles entendre au sein des Loges.

Je lis, en effet, dans le Monde-Maçonnique :

« Dans sa séance du 26 octobre, la première section de la grande Loge centrale (rite écossais), composée des députés élus par chacune des Loges de cette obédience, a déclaré que, dans sa pensée, la Maçonnerie n’avait pas à affirmer Dieu[28]. »

[28] Le Monde-Maçonnique, novembre 1866, p. 412.

La question revint donc à l’assemblée générale du Grand-Orient, présidée par le Grand-Maître, général Mellinet, le 13 juin 1867. Le débat fut plus vif encore que la première fois : et en effet : « La question, disait le Monde-Maçonnique, tient à l’existence même de la Maçonnerie, à ce qui constitue sa raison d’être, à ce qui est comme la moelle de ses os[29]. »

[29] Avril 1867, p. 50.

« Ils disent », s’écriait avec indignation le même journal, « ils disent : « Nous sommes déistes. La Franc-Maçonnerie est la fille aînée du déisme. »

« La Maçonnerie souscrira-t-elle à cette proposition ? Nous verrons bien ! Nous verrons si elle est capable de SE COUVRIR DE HONTE, elle qui a proclamé si haut la tolérance UNIVERSELLE[30]. »

[30] Ibid., août 1866, p. 220.

Nous avons sous les yeux les curieux débats qui eurent lieu dans cette assemblée générale maçonnique, à laquelle assistaient « deux cent soixante-neuf délégués représentant cent quatre-vingt-trois ateliers ». Les adversaires de la formule soutinrent : que « la Maçonnerie devait donner une définition de Dieu, ou ne plus en parler, car admettre tous les dieux, c’est une négation » ; que « la morale n’a pas besoin de s’appuyer sur Dieu » ; que la Maçonnerie « en affirmant cette idée de Dieu, passerait à l’état d’église[31] ».

[31] Le Monde-Maçonnique, juillet 1867.

Nonobstant cette logique, la tactique l’emporta. L’enseigne fut maintenue. Mais, au fond, que signifie ce vote ? Et, pour qui entend les choses de la franc-maçonnerie, y a-t-il rien de plus vide ? Annulée par cette tolérance maçonnique, qui admettant tous les dieux, n’est qu’une négation, c’est-à-dire l’athéisme, selon l’expression nette du F∴ Pelletan, l’enseigne peut-elle être prise au sérieux ? « Est-ce que », comme l’expliquait au Convent maçonnique un autre F∴, le F∴ Garisson, « est-ce que Proudhon, un des plus grands esprits de ce siècle, n’a pas été reçu maçon ? Est-ce que les jeunes gens du Congrès de Liége n’ont pas été reçus maçons ? Si, certainement ; nous leur avons tendu la main et nous leur avons dit : Travaillez avec nous ! » (Applaudissement)[32].

[32] Ibid.

Oui, tout cela était vrai : oui, Proudhon fut reçu franc-maçon, l’homme qui a dit : « Dieu, c’est le mal » ; et qui, à cette question : « Que doit-on à Dieu ? » répondit : « La guerre ! »

Et les jeunes gens du Congrès de Liége, qui poussèrent, on s’en souvient, ces cris sauvages : « Haine à Dieu ! Guerre à Dieu ! Il faut crever le ciel comme une voûte de papier ! » ces jeunes gens furent reconnus d’excellents auxiliaires de la Maçonnerie, qui leur a tendu la main.

Au surplus, les Francs-Maçons conséquents n’ont pas cessé de protester contre la formule, et espèrent bien arriver à la faire disparaître des règlements. « Nos contradicteurs », écrivait le Monde-Maçonnique, dans le numéro même où il relatait ce vote, « n’ont acquis que le droit d’être intolérants ». Et la maçonnerie n’en reste pas moins « le temple universel éternellement ouvert AUX ATHÉES aussi bien qu’aux PANTHÉISTES, etc.[33] »

[33] Ibid.

Et si l’on veut savoir d’ailleurs ce qui se cache sous la formule, pour ceux qui l’adoptent, c’est l’anéantissement de tous les cultes : qu’on lise, dans le Rituel de l’apprenti maçon le commentaire qu’en donne le vénérable, à l’Apprenti récipiendaire :

« Le déisme est la croyance en Dieu, sans révélation ni culte, c’est la religion de l’avenir, destinée à remplacer les cultes ; etc.[34] »

[34] Manuel de l’Apprenti maçon, contenant le cérémonial, etc., par J. M. Ragon, p. 45.

Qu’on écoute aussi ces professions de foi péremptoires, faites dans de grandes assemblées maçonniques :

« Je dirai que LE NOM DE DIEU EST UN MOT VIDE DE SENS[35]. »

[35] Loge de Liége, 1865. — A. Neut, II, p. 287.

« Il ne faut pas seulement nous placer au-dessus des différentes religions, Mais AU-DESSUS DE TOUTE CROYANCE EN UN DIEU QUELCONQUE[36]. »

[36] Ibid., p. 223.

« Seuls LES IMBÉCILES PARLENT ET RÊVENT ENCORE D’UN DIEU[37]. »

[37] Ibid.

Ainsi donc, une étiquette déiste, qui n’est au fond qu’une déclaration de guerre ouverte contre toute religion positive ; cette étiquette elle-même répudiée par la partie la plus active et la plus remuante de l’association, comme par la logique du principe ; cette abstraction faite de tout dogme, ce principe de la liberté absolue et illimitée, c’est-à-dire de l’indifférentisme absolu, consacrant toutes les audaces de la négation, et emportant peu à peu les derniers restes d’une formule usée ; les doctrines les plus nihilistes envahissant de plus en plus les Loges ; et l’athéisme se proclamant, s’installant, si j’ose le dire, avec une suprême audace, sur les débris de toute croyance à Dieu : tel est, à l’heure actuelle, le bilan doctrinal de la Maçonnerie.

Faut-il encore après cela poser la question si un chrétien peut être franc-maçon ?

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