Étude sur la Franc-Maçonnerie
II
QUE CONCLURE POUR LA PRATIQUE
Voilà donc quels sont les faits. J’ai simplement exposé ce qui est, ce qui se dit, ce qui se fait, dans la Maçonnerie.
Est-ce à dire cependant que toutes les choses maçonniques sont antichrétiennes, et tous les franc-maçons des impies ?
J’ai fait ici les distinctions et les réserves nécessaires.
Oui, il y a des francs-maçons, qui ne savent pas même que l’Église a condamné la Franc-Maçonnerie ; chez qui, par ignorance, comme le disait le Pape Pie IX, a pu surgir l’opinion fausse que la Franc-Maçonnerie est inoffensive et n’a de but que la bienfaisance, la philanthropie, et la morale ; et qui, n’étant pas initiés aux profondeurs de la société maçonnique, n’aperçoivent pas, sous ces grands mots qui retentissent sans cesse dans les Loges, l’impiété, la guerre faite au Christianisme, l’appoint donné aux révolutions.
Eh bien ! dirai-je à ces francs-maçons non encore désabusés, si c’est la philanthropie qui vous attire, qu’avez-vous besoin d’être maçons ? Soyez chrétiens, il suffit. Est-ce que toute bienfaisance n’est pas dans le Christianisme ? N’est-ce pas lui qui a donné au monde la charité[149] ? La charité, vertu plus féconde, qui apporte à l’homme des lumières et des dévoûments que la simple philanthropie n’égala jamais. Oui, la Charité porte la philanthropie à des sommets, où, d’elle-même, celle-ci ne serait jamais montée, et d’où elle lui découvre des horizons nouveaux et sans limites : en un mot, la Charité appuie le pauvre cœur humain sur le cœur de Dieu, et, sans écarter aucun des motifs purement humains d’aimer les hommes, elle donne à l’amour de l’homme pour l’homme l’idéal pur, fécond, infini, de l’amour même de Dieu pour l’humanité.
[149] Impossible de ne pas redire que les francs-maçons ont déclaré que la Bienfaisance est un des caractères les moins essentiels de la Franc-Maçonnerie ; et au fond rien de moins charitable que la Maçonnerie, témoin les aveux de beaucoup de ses membres : le F∴ Accary père, membre du chapitre de la Persévérante Amitié, disait naguère au Grand-Orient de France près duquel il était délégué : « La Franc-Maçonnerie, d’après l’art. 1er de la constitution, a pour objet la bienfaisance. Cependant, à l’exception de notre Maison de secours (dont les ressources sont si exiguës que je m’étonne qu’elles soient mentionnées dans une fête solsticiable), je ne vois rien qui atteste la manière dont la Franc-Maçonnerie exerce la bienfaisance. » — Voir le Globe, revue maçonnique, t. III, p. 163.
Et la morale ! rendre les hommes plus vertueux ! Certes à cette prétention, si elle est efficace, le Christianisme ne pourrait qu’applaudir ; car c’est ce qu’il veut lui-même, avant la Maçonnerie, et plus que la Maçonnerie. Mais expliquons-nous : comment la morale chez vous est-elle entendue, je ne dis pas par tel ou tel franc-maçon trompé, qui n’a pas franchi tous les degrés de l’initiation et ne les franchira jamais, mais par la Franc-Maçonnerie et par ses chefs, dont j’ai cité les textes ? Il s’agit d’une morale qui dispense de toute religion, d’une morale sans Dieu et sans aucune religion : en d’autre termes, la maçonnerie veut que l’homme vive sans culte, sans prières, sans autels, sans Dieu et sans Christ sur la terre.
Eh bien ! cette doctrine, qu’est-ce autre chose que l’athéisme pratique ?
Point donc de prétextes.
De deux choses l’une : ou vous savez ce qu’est la Maçonnerie, ou retenus dans les grades inférieurs, vous ne le saurez jamais ; et alors ou vous travaillerez efficacement à l’œuvre maçonnique, ou vous n’y travaillerez pas : dans le premier cas, vous trahissez évidemment votre conscience et la foi chrétienne ; dans le second cas, que faites-vous là ?
Il faut vraiment des temps de décadence philosophique comme les nôtres pour passer par dessus de pareilles contradictions, et associer de telles incompatibilités.
Si vous êtes chrétien, n’entrez donc jamais dans les loges, sous aucun prétexte ; ou même si vous êtes simplement homme sérieux, ennemi des fantasmagories ridicules et des mystères suspects, éloignez-vous de là ! ou si, séduit par l’enseigne, et par vos bonnes intentions, vous y avez mis le pied : retirez-vous.
Il se fait là, malgré vous, une œuvre radicalement antichrétienne, lamentable pour le salut des âmes, et combien de fois n’avons-nous pas la douleur d’en voir de près les funestes résultats !
Comment, d’ordinaire, entre-t-on dans les Loges ? Un jeune homme a vingt ans ; il est inexpérimenté, ardent, généreux ; il a des amis, un peu plus âgés, qui déjà ont été recrutés par la propagande maçonnique. « Est-ce que, lui disent-ils, tu ne voudrais pas venir avec nous ? » Le jeune homme d’abord hésite, « Que faites-vous là ? » demande-t-il. On lui vante le but de la société, les amis qu’on y rencontre ; on lui parle de philanthropie et de progrès ; peu à peu on l’attire par ces grands mots ; il consent enfin à se laisser faire ; le voilà pris : et le premier pas une fois fait, l’initiation une fois reçue, peu à peu les liens se resserreront ; et même quand il serait entré là avec quelques principes religieux encore, bientôt, l’esprit qui souffle dans les Loges le pénétrant, toute croyance s’en ira de son intelligence, et toute observance religieuse de sa vie.
Et, en fait, dans la pratique quotidienne de la vie, que voyons-nous ? C’est que, pour l’immense majorité de ses membres, la Maçonnerie tient lieu de toute religion ; c’est que les hommes qui fréquentent les loges ne se rencontrent plus dans les temples chrétiens. La Loge remplace l’Église. C’est fini, plus de foi, plus de prière, plus d’Évangile, plus de sacrements. Pour eux, la religion n’existe plus. Ces vagues aspirations, cette morale sans Dieu, ces cérémonies vaines, ces creux symboles leur suffisent, et peu à peu ils se laissent aller à n’avoir plus d’autre religion, ni d’autre culte. Sont-ils initiés à quelque charge et décorés de quelques insignes maçonniques, c’est bien pire encore ; les liens se resserrent et les enlacent de plus en plus ; l’éloignement pour tout ce qui est religion augmente ; la loge les enchaîne pour jamais ; et quand vient l’heure de la mort, quand la famille, en larmes et en prières, les conjure de songer à leur salut et à leur âme, trop souvent, hélas ! c’est en vain. J’en ai vu, de ces obstinations inexplicables, chez des hommes touchés d’ailleurs du zèle et de l’affection d’un bon prêtre, inclinés par lui au Christianisme, et à qui il ne manquait plus pour être tout à fait chrétiens, que ce dernier pas, cet acte de foi, cette nécessaire adoration de Jésus-Christ ; mais non, et la cause secrète de ces résistances était là ; pas ailleurs : la Maçonnerie avait mis la main sur eux, pesait sur leur âme, et ils n’osaient pas, même à leur lit de mort, se reconnaître et s’affranchir. Combien de familles chrétiennes savent que ce que je dis là n’est que trop vrai, et ont dû à la Maçonnerie cette suprême douleur !
Pour nous, pasteurs des peuples, certes, ce n’en est pas une médiocre que de voir dans ce siècle tant d’âmes, si bien faites pour être chrétiennes, et si près de l’être, s’éloigner ainsi de nous, et chercher ailleurs, dans le vide et dans le faux, sans nous et contre nous, les lumières, les vertus, les progrès, dont la divine religion du Sauveur des hommes est la source féconde, la seule et puissante inspiratrice.
Quel malheur, et quel sujet de larmes amères de voir tant d’hommes, que nous aimons, perdre ainsi leurs forces et leur vie à essayer de bâtir sans Dieu et contre Dieu !
Je termine ici cette étude sur la Franc-Maçonnerie. Je l’ai faite sans amertume contre les personnes, mais non sans une tristesse profonde, en voyant les déplorables dissentiments de tant de nos contemporains, avec la Religion au sein de laquelle ils sont nés, et cette puissante organisation dans le monde de l’incroyance ou de l’indifférentisme religieux ! Ce qui me cause aussi une inconsolable douleur, c’est de voir, par suite, tant de natures généreuses, tant d’efforts égarés ; des bonnes volontés sincères se trompant d’objet ; le progrès du monde pris à rebours, en sens contraire de sa direction véritable ; la division enfin, au lieu de l’union, dans l’humanité. Ah ! ce temple de la Fraternité et de l’Unité, que vous voulez, dites-vous, construire, ô nos frères abusés, il existe, mais c’est une construction faite de la main de Dieu, et non pas de la main des hommes ; il n’a pas pour fondement la négation ruineuse, il repose sur la foi ferme et féconde. C’est la grande Église catholique. Venez-y donc, vous aussi, votre place y est marquée : ce temple de Dieu invite tous les hommes à s’abriter dans son sein. Jésus-Christ est mort pour vous comme pour nous : c’est lui le Sauveur, et l’illuminateur du genre humain. Venez donc à lui, et travaillez avec nous. Car, vous obstiner à bâtir sans Dieu et contre Dieu, je vous le répète, avec la parole divine elle-même, c’est un labeur qui sera éternellement stérile, aussi vain que coupable !
NISI DOMINUS ÆDIFICAVERIT DOMUM, IN VANUM LABORAVERUNT QUI ÆDIFICANT EAM !