Étude sur la Franc-Maçonnerie
ÉTUDE
SUR
LA FRANC-MAÇONNERIE
Tout le monde connaît, au moins de nom, la Franc-Maçonnerie. Je la connaissais comme tout le monde : mais depuis longtemps déjà je désirais l’étudier de plus près ; et je m’y sentais sollicité par diverses causes, depuis surtout la fameuse circulaire de M. de Persigny. Il est incontestable en effet qu’à dater de cette circulaire, la Franc-Maçonnerie, chez nous, est entrée dans une phase nouvelle. Jusque-là, enveloppée de mystère, elle n’agissait guère que dans l’ombre ; mais à la faveur des hauts encouragements qu’elle reçut alors du gouvernement impérial, elle a fait en France, depuis cette époque, acte de vie publique, et son prosélytisme, toujours ardent quoique circonspect, est devenu plus ardent encore ; elle a publié des livres et des organes périodiques, fondé de nouvelles Loges en grand nombre, recruté des adhérents, levé son drapeau ; et naguère, dans une Loge, un franc-maçon signalait « le rapide envahissement du monde par la doctrine maçonnique[1] ».
[1] Le Monde-Maçonnique, mai 1870, p. 118. — D’après un document, probablement exagéré, publié par le même organe, « il existe en ce moment en France 400,000 francs-maçons. Dans ce nombre les femmes ne sont pas comprises ». — Ibid., p. 212. Le Monde-Maçonnique, qui publie ce document, ne le rectifie pas ; et je lis dans la Constitution maçonnique française, art. 5, que la « Franc-Maçonnerie aspire à embrasser tous les membres de l’humanité ».
Il serait d’ailleurs superflu de nier ses progrès, ou de dissimuler son influence chaque jour croissante, et la part cachée, mais réelle, qui lui revient dans les révolutions contemporaines.
Quand on voit le rôle prépondérant qu’elle joue au lendemain de ces catastrophes qui changent tout à coup profondément l’état politique et social d’un peuple ; quand on considère la part qu’elle prend dans ces soudaines victoires de la violence où elle fournit au parti triomphant des chefs et des soldats, il est difficile de penser qu’elle n’y était pour rien, et l’étude que je viens de faire m’a prouvé, avec la dernière évidence, qu’il se rencontre là pour elle, à tout le moins, des solidarités étranges et de graves responsabilités.
Il est donc impossible qu’une telle institution nous trouve inattentifs, ou que nous hésitions à dire nettement ce que nous croyons ici la vérité.
L’heure est venue, où c’est un devoir pour nous, après nous être éclairés sérieusement nous-mêmes, d’éclairer aussi ceux qui ont besoin de l’être.
Car la Franc-Maçonnerie a des déclarations décevantes, au moyen desquelles elle fait illusion, et qui expliquent jusqu’à un certain point l’entraînement singulier qui porte vers elle tant d’hommes trompés. Toujours en effet on a rencontré dans son sein deux sortes d’adeptes, ceux qui n’en connaissent pas le dernier mot, le but suprême, et les francs-maçons véritables, qui savent très-bien, eux, ce qu’ils font et ce qu’ils veulent.
On m’a souvent posé, à l’occasion de la Franc-Maçonnerie, la question suivante :
La Franc-Maçonnerie est-elle une institution hostile à la Religion ? Est-il permis à un chrétien de se faire franc-maçon ? Peut-on être à la fois franc-maçon et chrétien ?
Il y a quelques années, Mgr de Ketteler, évêque de Mayence, un des plus savants Évêques et des plus larges esprits de l’Allemagne, a été amené aussi à s’occuper de cette question, et il a publié un écrit spécial sous ce titre : Un catholique peut-il être Franc-Maçon ?
Sa réponse sera la mienne ; et après l’étude approfondie que j’ai faite, je dirai comme lui : Non, un catholique, un chrétien, ne peut pas être franc-maçon.
Pourquoi ? Parce que la Franc-Maçonnerie est l’ennemie du Christianisme, et, dans ses profondeurs, une inconciliable ennemie.
J’irai plus loin, et je demanderai : Un homme sérieux, un homme de bon sens peut-il être franc-maçon ?
Et je répondrai également : Non.
Puis j’examinerai ce qu’est la Franc-Maçonnerie au point de vue de l’ordre politique et social.
Mais je me hâte de l’ajouter : c’est de la Franc-Maçonnerie véritable que je parlerai, et non pas de ses nombreuses et honnêtes dupes, de ceux dont le Pape Pie IX écrivait, que dans leur erreur, ils pourraient aller jusqu’à croire « que cette société est inoffensive, qu’elle n’a de but que la bienfaisance, et qu’elle ne saurait, par conséquent, être un péril pour l’Église de Dieu ». Laissant donc de côté les surfaces, les accessoires de l’institution, ce qui, sans doute, lui a attiré un certain nombre d’hommes abusés, j’irai au fond, au cœur de la Société, au but même, là où gît entre la Franc-Maçonnerie et la Religion l’antagonisme radical, inaperçu d’un certain nombre, mais non pas de tous.
On a écrit des volumes sur cette institution, on peut en écrire encore. Je dois être plus court et plus simple, et n’étudierai que les points principaux, les grandes lignes qui décident de tout.
Je n’ai donc pas à m’occuper ici des premières origines de la Franc-Maçonnerie, ni des phases successives de son histoire, ni de ses diverses attitudes vis-à-vis des gouvernements, ni de la politique des gouvernements vis-à-vis d’elle. Tout cela peut être objet de controverse, et je ne veux dire ici que des choses en dehors et au-dessus de toute contestation.
Je dois avertir encore que c’est, non pas uniquement, mais principalement de la Franc-Maçonnerie française, et parfois aussi de sa voisine, la Franc-Maçonnerie belge, que je parlerai ;
Et l’Étude dont j’apporte ici le résultat, je l’ai faite aux vraies sources, dans la Franc-Maçonnerie elle-même ;
Dans le texte de sa constitution et de ses statuts ;
Dans les pièces authentiques émanées des Loges ;
Dans les discours tenus au sein des plus célèbres assemblées maçonniques ;
Dans les journaux et revues de la Franc-Maçonnerie ;
Et enfin dans son action extérieure et publique constatée.
Une lumière sortira, je le crois, éclatante et simple, de cette claire exposition[2] :
[2] Beaucoup de ces documents, absolument incontestables, et incontestés, se trouvent dans un très-remarquable ouvrage, publié à Gand par un courageux et éloquent publiciste, M. A. Neut, sous ce titre : La Franc-Maçonnerie soumise au grand jour de la publicité, à l’aide de documents authentiques. 2 vol. in-8o. — J’ai puisé en outre et principalement dans le Monde-Maçonnique, revue mensuelle publiée par les francs-maçons ; puis dans le Rituel de l’Apprenti, par le F∴ Ragon ; dans la Revue-Maçonnique, dans La Franc-Maçonnerie et la Révolution, par le P. Gautrelet, etc.