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Étude sur la Franc-Maçonnerie

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V
LA FRANC-MAÇONNERIE ET L’IMMORTALITÉ DE L’AME

Il en est de la croyance à l’immortalité de l’âme comme de la croyance en Dieu : elle suscita au sein de la Maçonnerie les mêmes débats.

Ainsi, quand mourut le dernier roi de Belgique, Léopold, bien qu’il eût reçu l’assistance du culte protestant, et renié, par conséquent, la Maçonnerie, la Maçonnerie belge voulut s’emparer de sa mémoire, et une grande cérémonie funèbre fut célébrée en son honneur au Grand-Orient de Belgique. Mais la maxime suivante avait été affichée au jubé du temple maçonnique par les ordonnateurs de la fête :

« L’âme, émanée de Dieu, est immortelle. »

Contre quoi, la loge la Constance, de Louvain, adressa au Grand-Orient la protestation que voici :

« Considérant que la libre pensée a été admise par les loges belges comme principe fondamental ;

« La loge la Constance, Orient de Louvain, proteste énergiquement contre l’atteinte portée par le Grand-Orient aux principes qui sont les bases de la Maçonnerie[38]. »

[38] Protestation de la Loge LA CONSTANCE, de Louvain, en date du 17e jour, 1er mois 5866 (1866). — Citée par M. Neut.

La protestation des francs-maçons de Louvain fut vivement applaudie en Angleterre et en France. Un journal maçonnique, la Chaîne d’Union, de Londres, écrivit :

« Qui donc pourrait affirmer que l’âme émanée de Dieu est immortelle ? Qui en a la preuve ? Il y a des siècles que les Conciles et les Papes la cherchent, et ils ne l’ont pas encore trouvée… ils ne la trouveront jamais au ciel ! Parce que L’AME HUMAINE SE CRÉE ELLE-MÊME

« Nous appuyons donc la protestation des frères de Louvain. C’est avec de pareilles phrases, toujours creuses et incohérentes, qui sont du domaine de la fantaisie et de l’imagination, qu’on arrive tôt ou tard à encapuciner un pays.

« Frères de Louvain, vous avez eu raison de protester[39] ! »

[39] La Chaîne d’Union, Londres, 1er mai 1866. — Citée par le Monde-Maçonnique.

Et, de son côté, le Monde-Maçonnique s’écria :

« Comment le Grand-Orient de Belgique ne comprend-il pas qu’en affirmant publiquement par une devise l’immortalité de l’âme, il porte une atteinte sérieuse à la liberté de conscience[40] ? »

[40] Le Monde-Maçonnique, novembre 1866, p. 421.

Le Grand-Orient repoussa la protestation ; mais comment ? Fut-ce en maintenant l’affirmation de l’immortalité de l’âme ? Non : Il déclara que cette formule n’est pas sérieuse, n’oblige personne, et n’est là, dans la Maçonnerie, que par égard pour de vieilles traditions ; que d’ailleurs ces questions de Dieu et de l’âme ne peuvent recevoir aucune solution ; enfin que l’essence de la Maçonnerie est de ne professer aucune croyance :

« Déjà en 1837, le Grand-Orient de Belgique dégageait la Maçonnerie nationale de tout dogme religieux ou philosophique… Le Grand-Orient ne prescrit aucun dogme. Si le principe de l’immortalité de l’âme apparaît dans les rituels ou dans les formulaires, si l’idée de Dieu s’y produit sous la dénomination du Grand-Architecte de l’univers, c’est que ce sont là les traditions de l’Ordre. Mais cette formule n’enchaîne aucune conscience. De notre temps, il serait puéril de s’attacher à soulever des questions qui ne peuvent conduire à aucune solution[41]. »

[41] Ibid.

Et pour mieux voir ce que cette incroyance permet de dire dans les Loges maçonniques, il suffit de citer encore quelques fragments des discours qui se débitent à l’enterrement des frères qui ont repoussé à leur lit de mort la religion :

« Dans le recueillement suprême de sa conscience, il s’est avancé vers l’infini avec un calme antique. » Voilà ce qui est dit d’un franc-maçon mort comme il avait vécu, sans Christ et sans Dieu.

« Un vrai Maçon doit mourir comme il a vécu, en libre penseur, et loin de considérer une telle mort comme une honte, c’est un titre qu’il faut franchement revendiquer…[42] »

[42] Discours du F∴ Ranwet, souv∴ Gr∴ Command., Neut, t. I, p. 155.

Nous avons sous les yeux nombre de discours maçonniques, où fut tenu le même langage.

Pour le F∴ Ragon, le fondateur de la Loge des Trinosophes à Paris, l’auteur du rituel que nous citions tout à l’heure, qu’est-ce que la mort et l’immortalité ? La mort n’est autre chose que « la DÉPERSONNIFICATION de l’individu, dont les éléments matériels — poursuit le F∴ Ragon, et ceci est l’immortalité telle qu’il l’entend — se décomposent, s’unissent à des éléments analogues, et concourent aux transformations infinies de la matière toujours animée ».

Certes, il est impossible de professer plus crûment un plus grossier matérialisme, et un athéisme plus éhonté.

Et que dire de ce singulier éloge funèbre prononcé sur la tombe du F∴ Bourdet, de la R. L. La Persévérance, de l’O∴ d’Arles, par le F∴ Coindre : « Frère Bourdet, chacune des parties de ton corps va disparaître pour nous, et retourner au creuset universel d’où elles étaient sorties, pour concourir à la formation d’une myriade d’autres corps[43]. »

[43] Le Monde-Maçonnique, juillet 1867, p. 173.

Voilà le F∴ Bourdet bien avancé. Et son âme ! où va-t-elle ? — De son âme, bien entendu, pas un mot.

L’immortalité maçonnique, dans les théories que nous venons de voir, ce n’est donc pas l’immortalité de l’âme ni de la personne, puisque tout au contraire l’individu est DÉPERSONNIFIÉ par la mort ; mais celle des éléments matériels non anéantis. C’est aussi celle de l’idée ! L’idée que le mort servait ne meurt pas avec lui ; elle passe dans l’esprit de ceux qui demeurent ; et ils ajoutent gravement : EN SORTE QUE RIEN NE SE PERD

N’est-ce pas cacher sous de risibles et menteuses formules les plus misérables espérances ?

Ailleurs, sur la tombe du chef du Grand-Orient de Belgique, le F∴ Verhagen :

« Il ne fit pas précéder ses derniers instants par de superstitieuses expiations. »

Voilà comment les francs-maçons traitent les consolations que la religion donne, et peut seule donner aux mourants, à ce moment redoutable où le monde s’évanouit à leurs regards pour les laisser seuls en face de l’avenir éternel. L’orateur continue :

« Nos regrets ne sont pas troublés par de vaines terreurs ; nos espérances ne reposent pas sur les idées d’une vaine crédulité

« Des purifications emblématiques nous avertissent que le feu créateur est l’unique purificateur dans la nature[44]. »

[44] M. Neut, t. I, p. 149.

L’orateur, en effet, exposait cette belle théorie sur le feu créateur et unique purificateur, devant un monument « au pied duquel s’élevait un cyprès ; en avant de l’estrade, sur un autel de forme cubique, se trouvaient des vases d’argent et de cristal, renfermant le feu, les parfums, et l’eau lustrale, etc. »

Le feu, les parfums, l’eau lustrale, on le voit, c’est un culte complet : rien n’y manque. Et dans tous les récits de ces cérémonies funèbres, que les francs-maçons célèbrent entre eux, dans leurs temples, quel bizarre appareil ! et au fond toujours quelle inanité ! Des mots sonores recouvrant des idées creuses ; de la pompe dans le vide.

Je transcris textuellement ici un tracé maçonnique, c’est-à-dire un récit officiel ; il s’agit des honneurs rendus au F∴ Fontainas, bourgmestre de Bruxelles :

« Lorsque le Suprême Conseil a pris la place qui lui est réservée, le Vénérable-Maître, en chaire, se recueille et dit :

« Frère premier Surveillant, quelle heure est-il ?

« LE F∴ PREMIER SURVEILLANT : L’heure où la fin est devenue le commencement.

« LE VÉNÉRABLE-MAITRE, en chaire : C’est la loi de la nature. » Grande vérité, en effet ! « Mes frères, faisons notre devoir.

« Il se dirige, suivi du Suprême Conseil, des députés des loges, et des frères qui décorent les colonnes à la suite du tombeau.

« LE VÉNÉRABLE-MAITRE, en chaire : Frère André Fontainas, réponds-nous !

« Vainement, les frères premier et deuxième Surveillants répètent-ils ce lugubre appel. La tombe reste muette. Le Vénérable dit alors : Le Maître reste sourd à la voix de ses frères. »

Je le crois bien ; depuis plusieurs jours déjà il était enterré.

« A ces paroles, succèdent les sons lugubres du tam-tam, dont la vibration expire lentement sous la voûte du temple.

« Le frère orateur prononce alors un morceau d’architecture. » (Un discours.) Nous en avons cité plus haut quelques paroles : « Un vrai Maçon doit mourir comme il a vécu, etc. »

Puis, après les cérémonies, que j’abrége, on se rend au temple de l’immortalité, tout rempli de flambeaux allumés. C’est là qu’un autre frère orateur explique quelles sont les espérances maçonniques, délivrées, bien entendu, « des prisons du dogme catholique et de toutes les sectes particulières ».

Le Monde-Maçonnique a donc parfaitement raison de caractériser ainsi les deux pompeuses formules de la Franc-Maçonnerie :

« DIEU, le GRAND-ARCHITECTE DE L’UNIVERS, dénomination générique que tout le monde peut accepter, MÊME CEUX QUI NE CROIENT PAS A UN DIEU ;

« L’immortalité de l’âme, ou la perpétuité de l’être, SINON INDIVIDUEL, DU MOINS COLLECTIF[45] » : c’est-à-dire non pas l’immortalité de l’âme et de l’individu, mais la perpétuité de l’espèce.

[45] Le Monde-Maçonnique, t. IV, 657.

Aussi le F∴ docteur Guépin a-t-il pu dire sans être démenti :

« La majorité, qui a inscrit sur notre sanctuaire Dieu et l’immortalité de l’âme, a été intolérante. »

Et le pasteur Zille, que nous citions tout à l’heure, ajoutait : « Seuls LES IMBÉCILES, ignorants et faibles d’esprit, rêvent encore d’un Dieu, ET DE L’IMMORTALITÉ. »

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