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Il faut marier Jean!

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IX

« Chère madame, allez de ma part voir le professeur Barcane. Il cherche un secrétaire et, incidemment, m’a demandé si je n’avais personne à lui recommander. Tout de suite, j’ai pensé à vous et répondu par l’affirmative, promettant que, dès demain, si possible, vous iriez causer avec lui. Sur la carte ci-jointe, l’adresse exacte et quelques lignes d’introduction. J’ai le sentiment que vous seriez pour mon vieil ami, absolument l’aide qu’il réclame ; vous avez l’intelligence vive et compréhensive, vous vous assimilerez aisément son mode de travail. Il prépare en ce moment, sous une forme originale, un ouvrage sur l’Art et les littératures comparées, en Orient.

« Ne vous laissez pas troubler par son accueil, peut-être revêche. Sous des dehors de porc-épic, il enferme un excellent homme. En terminant, j’ajoute qu’il est le père de notre grand auteur dramatique, Raymond Barcane, dont vous avez certainement entendu parler, sans doute vu ou lu les pièces dont le pessimisme — ceci entre nous, — vient, j’imagine, de ses déboires conjugaux.

« Si vous pouvez vous arranger avec mon ami Barcane, vous entrerez tout naturellement dans un monde lettré qui vous plaira, j’en suis sûr… »

Hélène, assise devant sa table à écrire, relit encore cette lettre qu’elle a trouvée en rentrant de promener Bobby.

La fenêtre est ouverte sur la tiède nuit de mai dont le souffle frôle ses cheveux. Aucun bruit. De temps en temps, au loin, la sirène d’une auto qui file dans la nuit. Bobby, qu’elle vient de coucher, dort déjà, pelotonné sous ses draps, las de ses courses dans les allées de la Muette. Elle est allée voir si son sommeil était bien paisible, et elle s’est, un instant, attardée à contempler la tête brune dont bien incertaine, est la ressemblance avec le père disparu. A coup sûr, il n’a rien de son aspect délicat. C’est un superbe garçonnet, encore d’une rondeur de bébé, dont la chair est ferme et rosée et les yeux étincelants de vie sous les cils qui ombrent la joue veloutée. Et chaque fois qu’Hélène le constate, son cœur en tressaille de joie… Car elle est mère, passionnément… Ce petit être est son univers.

Laissant relevée la portière qui sépare la chambre de l’atelier, elle est revenue à la table où s’empilent des livres sous sa lampe de travailleuse ; et devant la lettre du professeur Bourgeot, elle songe, son regard enfui vers le ciel sombre, clouté d’étoiles.

Elle songe, sans tristesse, ni regret, ni désir. Elle sait bien que ce sont là choses vaines. La vie lui a donné une philosophie résignée et fière ; le secret de se créer des joies avec les menues faveurs que la destinée daigne lui octroyer ; un courage très simple pour regarder toujours en face cette destinée qu’elle est prête à façonner autant qu’il dépendra d’elle — s’il le faut.

Certes, comme toutes les créatures humaines, elle peut faiblir sous l’épreuve, mais pour se redresser tout de suite, pénétrée du sentiment qu’il est bien inutile de se plaindre. Quand elle était jeune fille, elle pratiquait sa devise : « Agir et accepter… » Et elle continue.

La solitude morale ?… Elle y est habituée. Sans mère, ni frère, ni sœur, elle a vécu sa jeunesse auprès d’un homme bon et distrait, absorbé par son culte pour les lettres ; à qui elle était d’autant plus chère qu’elle ne le troublait jamais dans ses études, lui aplanissant toutes les difficultés matérielles ; puis, peu à peu, partageant ses travaux littéraires avec une intelligence qui le ravissait… Mais ce que cette raisonnable petite compagne pouvait éprouver, penser, souhaiter, en dehors des questions de littérature ou d’art, naïvement, il n’y pensait pas.

Aussi, lui disparu soudain, elle ne s’est sentie ni plus ni moins protégée.

Seule ?… Elle l’était aussi pendant ses quelques mois de mariage, auprès d’un homme épousé par raison dans la certitude que le bonheur qu’elle aurait rêvé était impossible…

Seule ?… Elle l’a été durant ses quatre années d’exil en Amérique, parmi des étrangers très accueillants, certes ; mais enfin des étrangers !

Donc, à l’isolement, elle est habituée. Pourquoi, parfois, est-elle effleurée par la sensation que cet isolement est un poids que portent ses jeunes épaules ?

Pourtant, elle aime ardemment son indépendance. Pour ne pas s’enliser dans une calme vie de province, elle a quitté la vieille femme qui l’aimait, en Alsace.

Et voici qu’à Paris, sa vie lui paraît ressembler à un frêle esquif lancé en pleine mer, et qu’avec ses propres forces, elle doit diriger. Quelques personnes s’intéressent un peu à elle, oui… Mais toutes, et c’est bien naturel, ont d’autres préoccupations que le sort d’une jeune femme étrangère en quête de travail.

Quelqu’un ferait volontiers tout ce qui est en son pouvoir pour l’aider, elle en est sûre. C’est Jean. Mais, justement, il ne peut rien du tout. D’ailleurs, il est tout à ses plaisirs. Bientôt, il sera marié ; et sa confidente lui deviendra si inutile qu’il aura vite fait de l’oublier…

Mme Dautheray ? Tantôt elle a eu sa visite et elle ne l’a entendue parler que du mariage de Jean qu’Hélène a été priée de vivement encourager ; de ses menus soucis, exigences des domestiques et difficulté d’en trouver, charges de plus en plus nombreuses pesant sur les grandes fortunes, révolution menaçante dont elle a peur.

Tout cela, exprimé sans un retour sur la jeune femme qui l’écoutait, une ombre d’ironie dans les yeux, se sentant inexistante, oh ! combien — en dehors de son influence sur Jean — pour cette femme, généreuse certes, égoïste inconsciemment, qui exige, affectueuse, qu’elle l’appelle encore « marraine ».

Et ce soir, songeant à cette visite, elle se prend à murmurer :

— Il ne faut compter que sur soi-même. Je le savais très bien. Pourquoi suis-je triste parce que la visite de marraine me l’a rappelé ?

Mais presque aussitôt, secouant sa petite tête résolue, elle pense :

— Je suis ingrate de trouver cela juste le jour où je reçois cette lettre qui est une preuve de sympathie. Hélène, ma chère, songez seulement à faire des vœux pour être au gré du professeur Barcane et travaillez afin de ne plus faire de stupides réflexions qui vous découragent !

....... .......... ...

Le lendemain matin, pour l’heure dite, elle s’achemine vers le quai Bourbon où loge le professeur Barcane. Vive, elle marche, l’esprit tout occupé par l’inconnu de cette visite. Sa démarche va-t-elle aboutir ? Il y a dans son cerveau un peu d’appréhension, de la curiosité, un ardent désir de réussite ; et, à l’avance, la sage acceptation d’un insuccès bien possible.

Au quai Bourbon, un vieil hôtel pittoresque et vétuste qui la ravit. Elle monte un large escalier de pierre, bordé d’une rampe de fer ouvragé, et sonne. Un instant d’attente. Puis la porte s’ouvre devant un domestique chenu que sa vue semble stupéfier.

— M. le professeur Barcane ?

— C’est ici, madame.

— Bien. Je viens de la part de son ami, M. Bourgeot. Voulez-vous lui remettre cette carte ?

De toute évidence, le domestique n’a pas l’habitude de semblables visites et sa mine demeure rébarbative et ahurie.

— C’est que M. le professeur est occupé. Il a du monde…

Hélène insiste :

— Je lui suis annoncée… Il doit m’attendre. Passez-lui ma carte. Il vous dira si, oui ou non, il peut me recevoir.

Le domestique subit, malgré lui sans doute, la volonté charmeuse d’Hélène ; et, sans plus lutter, il ouvre devant elle, un vaste salon, froid et banal, remarquablement épousseté, dont le parquet luit comme un parloir de couvent. La pièce donne sur le quai. A travers les vitres d’une impeccable limpidité, elle aperçoit la Seine qui coule, paisible ; son eau laiteuse apparue sous la dentelle des branches.

Mais, à peine, elle a le temps de la regarder ; le domestique reparaît.

— Si madame veut bien me suivre.

Il traverse le salon, ouvre une porte ; et Hélène se trouve dans une grande pièce dont les murs disparaissent sous les rayons pressés des bibliothèques. Deux fenêtres regardent le quai ; une autre contemple quelque jardinet parisien dont les arbres balancent des rameaux grêles sous la brise.

Auprès, est un large bureau surchargé de livres et de paperasses ; et, devant le bureau, un vieillard est assis. Il est grand, sec et râblé, avec un profil d’oiseau de proie, par suite du nez fortement aquilin, des yeux ronds et vifs derrière les lunettes aux verres cerclés d’or.

Non loin de lui, dans un fauteuil, un homme qui a sûrement dépassé la quarantaine, fume, l’attitude nonchalante.

A la vue de la jeune femme, tous deux se lèvent. Dans les yeux que le vieil homme pose sur elle, Hélène lit la même surprise qui a paru dans le regard du domestique. Une seconde de silence, pendant l’emprise. Puis, le « vieil oiseau » indique un fauteuil à Hélène, qui explique rapidement :

— Je suis envoyée par M. le professeur Bourgeot pour un poste de secrétaire que, m’a-t-il écrit, vous avez à offrir.

Les yeux ronds et froids s’arrêtent sur elle.

— J’ai, en effet, demandé à mon ami Bourgeot s’il connaissait un secrétaire à me recommander…

Il appuie sur le mot un.

— … Et non pas une secrétaire.

Hélène a un léger sourire, charmant.

— Et il vous a adressé une secrétaire parce qu’il a jugé, sans doute, que je pourrais peut-être remplir l’office requis… Et, aussi, je suis sûre, parce qu’il est bon, et en même temps qu’à vous, monsieur, il a voulu me rendre service…

— C’est-à-dire qu’il a songé à vous plus qu’à moi… Autrement, il n’aurait pas eu l’idée saugrenue de vous envoyer ici… Quelle invention ! Vous dites qu’il voulait vous rendre service ?… Pourquoi ?…

— Parce qu’il sait que j’ai besoin d’occuper mon temps pour élever mon petit garçon.

— Votre mari ?…

— Est mort pendant la guerre.

— Tué ?

— Victime des torpilles, en revenant d’Amérique… pour aller se battre…

— Bon, bon… c’est-à-dire que c’est très malheureux. Mon exclamation est idiote. Alors vous êtes sans fortune et vous voulez travailler ?

— Oui. Il me faut augmenter mes maigres ressources.

— Et vous avez fait choix de moi à cet effet, pensant de toute évidence : « Ce que griffonne ce vieux bonhomme ne doit pas être très malin et même une jeunesse inexpérimentée sera toujours une aide suffisante. » C’était sagement raisonné. Les femmes, d’ailleurs, ne doutent de rien !

Hélène se souvient de la phrase de M. Bourgeot : « Sous des dehors de porc-épic, il enferme un excellent homme » et elle ne se laisse pas désarçonner par les propos et le ton grincheux du vieillard. Avec un sourire où s’est glissé un soupçon d’ironie, elle riposte :

— Ne pensez-vous pas, monsieur, qu’avant de me dérober, il me fallait voir si je serais ou non tout à fait incompétente ?

— Évidemment. Vous avez raison. Il faut toujours se rendre compte. Bourgeot vous a dit ce que je puis offrir… comme émoluments ? Cela ne vous enrichira guère.

— Cela, tout au moins, m’aiderait… Et s’il vous semblait que je puisse vous rendre les services que vous attendez…

— C’est une chose à voir. Nous allons causer en toute franchise, et ensuite nous déciderons. La présence de mon fils ne vous gêne pas, j’imagine…

— Oh ! nullement.

— J’aurais dû déjà vous le présenter. Mais j’avoue que j’étais tout à mon étonnement de m’être vu adresser un secrétaire enjuponné. Donc, mon fils, Raymond Barcane.

— Bien entendu, de réputation, je connais beaucoup monsieur… Et ayant lu, sinon vu jouer, toutes ses pièces, cela m’intéresse très fort de rencontrer leur auteur !

Elle parle avec une simplicité franche, souriant un peu, très peu, car il lui est désagréable de sentir sur elle le regard aigu de Raymond Barcane qui s’incline correctement.

Alors ce monsieur muet, dont elle avait oublié l’existence, c’est le célèbre auteur dramatique, Raymond Barcane ?

A son tour, elle l’enveloppe d’un rapide coup d’œil. Il est plutôt laid, mais a de l’allure. Une tête un peu forte de mulâtre « parisianisé », où luisent, dans la face rasée, des yeux de braise ; très grand, un peu lourd, vêtu avec un raffinement sobre dont la correction est parfaite.

Prenant son cigare posé sur la cheminée, il propose — sa voix a des sonorités mordantes :

— Mon père, je puis vous laisser discuter avec madame. Je repasserai vous voir.

— Tu ne me gênes en rien… et puisque madame Heurtal autorise ta présence…

En elle-même, Hélène trouve ennuyeux de devoir s’expliquer devant cet observateur silencieux par qui, très bien, elle se sent étudiée, avec une curiosité pénétrante. Mais elle ne trahit rien de son impression et, résolument, fait abstraction de sa présence pour ne s’occuper que du vieillard qui, carré dans son fauteuil, interroge, sensiblement humanisé :

— Madame, pardon de la question… mais nous sommes en affaires, n’est-ce pas ?… Vous avez reçu une culture littéraire assez forte, si j’en crois le mot de mon ami Bourgeot.

— Mon père était professeur et j’ai beaucoup travaillé avec lui. Je lui servais de secrétaire, et c’est pourquoi je n’ai pas, en principe, repoussé la proposition de M. Bourgeot.

— Il vous a dit, je pense, que je travaille en ce moment à une « Étude des littératures et arts de l’Orient comparés ». Il y a donc beaucoup d’ouvrages à consulter, des notes à prendre, à rédiger, des copies à faire, des épreuves à revoir et à corriger. Pour la question des « arts », il faut aller dans les musées, y étudier les œuvres, quand je ne puis le faire moi-même…

Hélène a écouté avec des prunelles attentives.

— Ces occupations diverses me plairaient beaucoup et ne sont pas, ce me semble, trop au-dessus d’une intelligence moyenne…

— C’est la vôtre que vous qualifiez ainsi ? Vous êtes modeste… si je m’en rapporte au jugement que Bourgeot porte sur vous. Le secrétaire qu’il m’a annoncé, ce matin, par une lettre particulière, a, me dit-il, l’intelligence très ouverte et remarquablement aiguisée, du style, le sens des choses d’art… Je ne puis souhaiter mieux…

Hélène est un peu effrayée de devoir répondre à une si flatteuse réputation, et elle pense tout haut :

— Autrefois, peut-être, j’étais ainsi… Oui, du temps où je travaillais avec M. le professeur Bourgeot, mais aujourd’hui…

Il l’interrompt brusquement.

— Vous avez perdu ?… Pourquoi ?… Est-ce que votre intellect a souffert du choc des événements ? Ce serait bien regrettable ! Les événements !… Vous savez bien qu’il faut toujours les dominer… vous, le « roseau pensant »… Et pour y arriver, vous avez le travail… le viatique qui ne manque jamais !

— Oh ! je le sais ! fait-elle spontanément.

Tout de suite, elle regrette ce semblant de confidence, car elle sent sur elle l’attention observatrice de Raymond Barcane enfoui dans son silence, dont brusquement il sort, jetant de sa voix mordante :

— En vérité, madame, vous pensez comme mon père ! Un passionné du labeur ! Vous vous imaginez que le travail console ? Quelle illusion, c’est là !… Dites que, pour nous autres, intellectuels, il est un anesthésique, propre à distraire un moment la pensée, de notre peine… Mais la guérir ! Interrogez vos souvenirs, madame, et reconnaissez la vérité !… Dès que vous échappez au joug de l’effort, imposé par votre volonté, l’obsession de votre mal vous ressaisit…

Elle secoue sa jeune tête, résolue. Et, encore une fois, emportée par sa conviction, elle précise :

— L’obsession revient, soit… mais de moins en moins cruelle… Et un jour, nous nous apercevons que nous ne souffrons plus de ce qui nous était une torture… Ce qui, selon les cas, est très bon — une délivrance !… — ou triste infiniment…

— Triste !… Pourquoi ?

— Parce que rien n’est plus douloureux, parfois, que de se sentir consolé.

— Vous êtes de la race des sentimentales, madame ! riposte-t-il avec une ironie âpre, où il y a de l’amertume.

— Oh ! non… J’ai été élevée à bien trop sévère école pour avoir le loisir de cultiver la petite fleur bleue… Et puis, j’ai vécu cinq années en Amérique, dans une atmosphère de sagesse pratique…

— Excellent pour le développement de l’activité et de l’énergie ! marmotte le professeur, dont les yeux perçants n’ont pas cessé d’étudier Hélène… Mais déplorable pour l’affinement du goût littéraire.

Elle réplique alertement :

— Je ne crois pas que ce séjour aux États-Unis m’ait été mauvais au point de vue intellectuel… J’ai même, au contraire, l’impression qu’il a dû m’être favorable. J’ai vu, observé ; pris contact avec des mentalités différentes de la mienne, de ma cervelle de Latine, qui ont, il me semble, élargi mon horizon…; qui, tout au moins, m’ont révélé le plaisir d’étudier des êtres autres que moi… autres que ceux de mon pays…

— Et vous en êtes ravie, n’est-il pas vrai ? interroge la voix sarcastique de Raymond Barcane.

Elle le regarde en face avec un léger sourire.

— Bien entendu !… Et je suppose que vous particulièrement, monsieur, vous ne pouvez vous en étonner !

Il hausse les épaules.

— Moi, surtout ?… Parce que c’est mon métier, pensez-vous ?… Quand j’étais jeune comme vous, madame, en effet, j’entrais dans le monde des cerveaux et des âmes, en conquérant, un peu en aventurier, avide et curieux. Aujourd’hui…, sans doute parce que je demandais trop aux êtres, je trouve qu’ils ne valent guère l’intérêt que je leur accordais naïvement… Et je n’ai plus le goût d’être conquérant, ni aventurier, ni pillard… Les gens ne sont plus pour moi que des pantins que je m’amuse à faire agir, en vertu de l’expérience acquise, pour occuper les mornes heures de la vie… Vous ne me croyez pas ? madame.

— Non, pas du tout !… Je suis certaine que vous êtes resté curieux et ne pourriez être autrement…

— Parce que ?…

Elle rit.

— Parce que le mal est inguérissable chez les observateurs… La curiosité ? C’est le sel de la vie !

Ici, le professeur intervient, bourru un peu. Il a écouté le dialogue engagé subitement entre son fils et la visiteuse. Et, de minute en minute, s’infiltre davantage en lui la pensée que, après tout, cette jeune femme pourrait peut-être lui fournir une aide précieuse et agréable.

— Tout ceci, Raymond, est sans doute très passionnant à discuter. Mais ce n’est pas, aujourd’hui, la matière qui nous occupe. En une autre occasion, tu échangeras avec madame des aperçus psychologiques, si elle veut bien s’y prêter. Madame, mon ami Bourgeot me paraît avoir été clairvoyant. Vraiment, vous m’avez l’air capable de m’apporter l’assistance que je souhaiterais recevoir de vous. Consentiriez-vous à me donner quelques heures chaque jour, pour essayer, du moins, si nous nous entendons ? Je ne suis pas précisément aimable ; même, souvent, je suis assez grognon… Mais vous vous montrerez indulgente, comme c’est une charité de l’être avec les vieilles gens… Et ainsi, j’imagine que nous arriverons à travailler ensemble avec profit… si mon genre de travail ne vous paraît pas trop fastidieux.

Les yeux bleu pastel luisent de plaisir.

— Oh ! je ne pouvais désirer une occupation qui fût plus complètement dans mes goûts !

La figure revêche du professeur Barcane a, durant un éclair, une expression enchantée.

— Alors, tout est bien !… Venez dès demain, que nous commencions l’épreuve, sans retard. Mon fils ne nous dérangera plus, par exemple. Tu entends, Raymond, ma maison sera close quand je travaillerai avec Mme Heurtal.

Raymond Barcane s’incline, sans répondre. Mais une flamme ironique se joue dans la braise de ses prunelles.

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