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Il faut marier Jean!

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III

Dans l’après-midi, Jean est, en effet, repassé à la Société pour y faire acte de présence. Et cette présence a, d’ailleurs, été aussi brève qu’il le pouvait souhaiter. Après avoir un peu écrivassé, paperassé, s’interrompant pour faire, de mémoire, les croquis de silhouettes séduisantes entrevues le matin au Bois, il a pris congé, pour ce jour-là, du somptueux cabinet d’où, jadis, son père surveillait la prospérité du Val d’Or, dont il était l’admirable cerveau dirigeant.

Jean est rentré chez lui pour s’habiller, à cette fin d’accompagner au « Dancing-Palace » — le plus select de Paris ! — la jeune femme de son excellent ami, Henry de Lacroix, lequel déteste les plaisirs frivoles, et une amie de celle-ci, avec laquelle il est sur le pied d’un flirt savoureux, la belle Sabine de Champtereux.

Il est probable que si Mme Dautheray connaissait l’existence de ce flirt, elle en serait quelque peu inquiète ; car Sabine de Champtereux est une jeune personne infiniment moderne à tous égards et ne constituerait guère la bru de ses rêves… Seulement, elle n’en sait à peu près rien, Jean ayant pour principe de ne jamais se raconter ; et Mme Dautheray n’ayant que des relations mondaines, assez espacées, avec Marise de Lacroix — chez qui elle pourrait rencontrer Sabine — vu leur différence d’âge.

Donc, Jean peut, avec une entière quiétude, s’offrir l’agrément d’un flirt qui le conduira… Où ?… Il ne s’en préoccupe guère, ayant la sagesse de vivre dans le présent et d’en savoir profiter, s’il est bon… Et il le fait avec un juvénile appétit. En attendant d’aborder au port du mariage, il s’accorde généreusement tout le plaisir, sans consistance et sans conséquence, que peuvent lui fournir le monde qui s’amuse et le monde tout court, le vrai monde ; fréquentant l’un avec discrétion, car il déteste s’afficher, l’autre avec une franche ardeur. Dans l’un comme dans l’autre, il reçoit l’accueil que ne manque pas de rencontrer un beau garçon millionnaire ; nimbé, de plus, par la réputation d’avoir montré « beaucoup de cran », lors de la guerre.

De son pas vif, il a franchi la distance qui sépare l’hôtel Dautheray du logis de Marise de Lacroix, avenue Marceau.

Le domestique l’introduit dans le hall où Marise se tient volontiers, après s’y être organisé un coin particulier bien confortable : paravents, bergères, divans chargés de coussins, table portant les bibelots familiers et objets à écrire, livres nouveaux, fleurs…

Au bruit des pas, elle relève la tête, du coussin où elle l’appuyait, nonchalamment allongée sur le divan, et pose la revue qu’elle parcourait tout en fumant une cigarette.

— C’est vous ? Sabine. Arrivez vite, chère, Dautheray va nous emmener ! Tiens ! non, ce n’est pas Sabine. Jean, vous venez nous chercher pour le Dancing ? Sabine n’est pas encore arrivée. Mais, comme elle est plutôt exacte, elle ne peut tarder. Aussitôt qu’elle sera là, nous partirons, je suis habillée.

Plus justement, elle pourrait dire « déshabillée », car elle montre vraiment tout ce qu’impose la mode actuelle : cou cerné de perles, gorge naissante, bras fins et ronds, jambes moulées par le bas de soie transparent.

Le tout étant fort agréable à voir, Jean approuve Marise d’être si docile aux exigences de la mode.

Il s’est incliné sur la main qu’elle lui tendait et s’apprête à approcher une chaise du divan où elle s’est, de nouveau, allongée, tapotant les coussins autour d’elle.

Mais elle l’arrête avec un sourire joyeux de petite fille :

— Vous savez, Dautheray, si le cœur vous en dit, allongez-vous aussi. Le divan, frère du mien, est à votre disposition.

— Merci ; du moment que l’allongement n’est pas sur votre propre divan, je préfère la verticale.

— Quel drôle de goût !… Eh bien ! tous ne sont pas comme vous. Tantôt, j’avais ici Dubelles, vous savez, le plus jeune des académiciens, qu’Henry avait amené déjeuner. Il s’est installé aussi confortablement que moi, pour fumer, sur le divan que vous dédaignez. Les enfants sont venus se rouler sur le tapis. Seul Henry, qui nous contemplait d’un œil discrètement courroucé, est resté campé dans son fauteuil. Et puis, là-dessus, patatras ! est arrivé le correct et savant François de Laisan… Si vous aviez vu sa mine, en nous trouvant ainsi affalés… C’était d’un comique !

Elle rit avec une gaieté moqueuse qui lui va délicieusement. Qui étudierait les seules lignes du visage, déclarerait sans hésitation que Mme de Lacroix n’est pas jolie, presque laide. Et pourtant, elle est charmante : d’une fraîcheur d’enfant, une bouche rieuse ; des yeux gamins, étonnés et câlins, sous les cheveux clairs, de soie floconneuse, relevés avec un artistique laisser-aller, qui lui va si bien !

A l’égard de Jean, elle est sur le pied d’une camaraderie, mâtinée de coquetterie chez elle et de galante courtoisie chez lui. Cette jeune Marise, mère de trois mioches, dont l’aîné a sept ans, est, tout ensemble, dix-huitième d’aspect et vingtième de mentalité.

Jean regarde avec plaisir le corps charmant, moulé par la soie qui l’enroule et il confesse, sincère, sous le badinage du ton :

— Ah ! Marise, pourquoi faut-il que vous soyez l’épouse sacrée de mon excellent ami Henry !

— Parce que…

— Parce que je crois, nous pourrions connaître des minutes infiniment plus délicieuses encore que celles qui nous sont accordées… par nos relations mondaines et amicales !

— Vous croyez cela ?… Homme fat et insolent ! Pour quelle espèce de femme me prenez-vous donc ?

— Pour une femme adorable ! Marise.

— Bien, mon ami, adorez… Cela n’est pas pour me déplaire !… Mais, une fois de plus, je vous préviens que vous aurez toujours à vous contenter de l’adoration…

— Marise, je me le répète consciencieusement… Mais que vous êtes coupable et imprudente de vous montrer aussi coquette ! Faites-vous relire l’histoire du « Petit Chaperon rouge », par votre fille Miette !

Elle rit et hausse un peu les épaules. Puis, la mine naïve, elle interroge :

— Suis-je vraiment si coquette ?… Je ne le fais pas exprès. J’aime qu’on m’aime. Alors, je suis gentille d’instinct avec les personnes pour qu’elles me donnent l’atmosphère qui m’est indispensable !… Voilà !… Mes flirts, imaginez cela, ce sont des petits fours que je croque, parce que je suis gourmande… Mais la manne nourrissante, c’est Henry qui la représente… Vous comprenez ?…

— Je comprends… Alors, moi, je suis « un petit four » ?

Elle incline la tête avec une moue de bébé-femme si séduisante, que Jean a vraiment du mérite à demeurer d’une invincible fidélité à son amitié pour Henry de Lacroix.

— Marise, je suis froissé et vous me donnez la tentation horrible de vous prouver que les « petits fours » ne sont pas tous d’humeur à se laisser croquer… et veulent croquer, eux aussi.

— Dautheray, mon petit, ne soyez pas froissé, mais compatissant, car vous trouvez en moi une femme bien ennuyée.

— Vraiment ? Cela ne se voit pas du tout. Quelle force d’âme ! chère madame. Êtes-vous bien sûre que vous êtes ennuyée ?

— Jean, vous parlez en « petit four » ironique et non en bon ami… Vous ne vous doutez pas que j’ai beaucoup de mérite à demeurer une épouse impeccable !

— Comment ! Henry…

— Henry devient insupportable quant aux questions d’argent. Ce matin, il a entrepris de me chapitrer sous prétexte que, paraît-il, vu les circonstances, je dépense trop. Il m’a ressassé l’antienne de la vie chère, du loyer doublé, des domestiques hors de prix, des rentes que les Russes et autres peuples ne lui payent pas…

— Ce n’est pas une spécialité qu’il a là ! remarque Jean, sympathique toutefois.

— N’est-ce pas ? C’est ce que je lui ai dit ! réplique-t-elle triomphante. Mais il m’a déclaré que les tracas des autres ne changent rien aux siens. Évidemment, tout ce dont il se plaint est très ennuyeux. Mais je n’y peux rien. Il m’est impossible de rien modifier dans notre modeste petit train de vie.

Modeste ! Pour qui connaît la maison luxueusement montée des Lacroix, le mot est imprévu. Mais il est certain que tout est relatif…

— Ma petite amie, ne vous tourmentez pas ! fait Jean, aisément philosophe, mais soucieux de se montrer pitoyable. Tout s’arrangera, soyez-en sûre. C’est un moment de crise à passer.

— Soit, mais un moment très désagréable ! Henry ne veut pas que je donne de bal. Il s’insurge contre le prix de mes robes. Comme si j’étais responsable de ces prix ! Je paye ce qu’on me demande. Si c’est plus cher qu’autrefois, je n’y suis pour rien. Et certes, par le temps qui court, je peux dire que plusieurs de mes costumes sont « donnés ». Mais Henry n’est pas de cet avis. Et avec cela il tient à ce que je sois toujours très élégante. Aussi je ne sais plus comment faire… C’est-à-dire…

— Quoi ? Marise.

— C’est-à-dire que je vais être obligée de prendre une grande résolution…

— Laquelle ? interroge Jean très intrigué et un peu inquiet à l’endroit de son ami Henry.

— Eh bien ! je vais me mettre à travailler.

Jean la regarde ahuri.

— Travailler ? Travailler à quoi ?

— Travailler pour gagner de l’argent. De l’argent qui sera bien à moi… dont je pourrai faire ce que je voudrai, sans qu’Henry ait le droit de se rebiffer si je dépense sans compter.

— Alors, ce sera le tonneau des Danaïdes !

— Le tonneau de qui ? Ah ! oui, un tonneau sans fond, n’est-ce pas ? J’ai entendu Bob, je crois, raconter cela un jour à son prof. Comme vous êtes calé ! Jean. Et quel esprit d’à-propos ! Mais ce n’est pas ce tonneau qui m’intéresse, il faut absolument que je trouve un moyen de gagner de l’argent, comme les autres !

— Les autres ?…

— Oui, les autres femmes de notre monde.

— Marise, je savais qu’elles en dépensent, mais qu’elles en gagnent…

— Ah ! vous n’êtes pas au courant ? L’autre jour, chez la comtesse de Piernes, au thé, on ne parlait que de cela. Alors je me suis souvenue, après les lamentations d’Henry qui en était venu à me déclarer que ses préoccupations financières l’empêchaient de dormir et que nous devions enrayer, si nous ne voulions entamer notre capital… Moi, cela me serait égal. Mais, puisque ça l’ennuie, je cherche une autre solution…

— Et vous avez trouvé ?

— Celle que je vous indique : faire comme les autres. Yolande de Saint-Prix commandite une maison de modes et fabrique elle-même des chapeaux très chics… Mme de Laigle dirige des ateliers où se confectionne de la bonneterie de luxe. La princesse de Jordannes et ses filles font des coussins épatants, paraît-il, et qu’elles vendent très cher… Jeanne de Trayes, vous savez, la si jolie femme de Maurice de Trayes, avec un fort profit, elle lance les modes nouvelles et fait des achats pour ses amies étrangères !

Marise s’arrête, un peu essoufflée de sa fougue.

— Vraiment ?… Eh bien, j’aime mieux n’être pas le mari de ces dames !

— Pourquoi ?… Ce n’est pas déshonorant de gagner de l’argent ! C’est encore mieux que de recourir à un amant ou de végéter comme je suis menacée de le faire, si Henry s’entête dans ses réformes économiques !

Mais Jean est toujours révolté.

— Ce n’est pas moi qui supporterais que ma femme se livre à de pareils trafics !

— Des trafics !… Eh bien, vous êtes poli !… Où prenez-vous que ce soit une tare pour une femme de travailler ?… Les couturières, les blanchisseuses, les… les crémières le font bien ! Et vous les respectez.

— Je pense bien ! Les malheureuses, je les plains et les respecte, parce qu’elles ne peuvent faire autrement que de peiner. Mais vous et vos sœurs, Marise…

— Nous non plus, nous ne pouvons pas faire autrement. Pourquoi prétendez-vous nous condamner à rester des poupées de luxe si nous n’en avons plus les moyens ? Vous parlez de tout cela bien à votre aise, monsieur le propriétaire du Val d’Or !

Elle le regarde mi-fâchée, mi-rieuse.

Jean, une seconde, est vaguement embarrassé de ses millions et il marmotte avec une grâce contrite :

— Si j’osais, Marise, mon amie, je vous dirais : « Tout ce que j’ai est vôtre. »

— Vous faites bien de ne pas oser, car vous m’amèneriez à croire que vous me prenez pour une grue ; et vrai ! je ne le mérite pas. Je grogne mais je ne demande rien à personne et je suis désolée de ne pas savoir comment m’y prendre pour me procurer des capitaux. Que voulez-vous, Jean, jamais Henry ne me faisait d’observations sur mes dépenses… Et puis, tout à coup, le voilà bourré de réflexions désespérantes, hérissé de sévères conseils, de considérations lamentables sur notre avenir, celui de nos mioches, celui du pays ! Du pays !… S’il faut encore qu’il se tourmente pour l’avenir de son pays dont il n’a pas la responsabilité, alors de quoi ne se tourmentera-t-il pas ?

Jean a très envie de rire de cette conclusion : mais il craint de froisser Marise toute pénétrée de son sujet et qui s’exclame convaincue :

— Les parents sont vraiment coupables de ne pas apprendre toujours un métier à leurs filles ! Aussi, comme je suis instruite par l’expérience, je suis résolue à en donner un à Miette.

La jeune personne a cinq ans et demi.

— Un métier pour Miette ! Lequel ?

— Celui de pharmacienne, déclare Marise très sérieuse. C’est un métier propre, intéressant, minutieux ; et Miette est justement très soigneuse. Ce sera parfait pour elle. Il est dommage que moi je sois trop vieille pour apprendre à être pharmacienne… Jean, il y a une chose que je trouve exaspérante en ce moment…

— Quoi donc ? Marise.

— C’est de penser que nous avons gagné la guerre. Donc ce serait aux Boches d’en supporter les conséquences, pas à nous, les vainqueurs ! Et nous pâtissons autant, peut-être plus qu’eux ! Henry m’a annoncé que nous étions abreuvés d’impôts. Pourquoi est-ce que les Boches ne payent pas les dépenses dont ils ont été cause ? Ce serait la plus élémentaire justice.

Dans son indignation, Marise s’est redressée, quittant ses coussins, et a posé, sur le tapis, de petits pieds volontaires, cambrés dans leurs souliers vernis.

Jean approuve, secrètement très amusé :

— Marise, vous êtes la sagesse même. Hélas ! nos dirigeants ne savent pas, comme vous, simplifier les questions.

Ici, un coup de timbre résonne à travers l’ouate des portières et rejette au loin les préoccupations financières et politiques de Marise de Lacroix.

— Ah ! nous allons pouvoir nous élancer au Dancing. C’est Sabine ! Je suis gentille, n’est-ce pas, de vous réunir ainsi à votre flirt ? C’est que j’espère bien qu’un jour le flirt deviendra une fiancée.

Jean a une exclamation d’horreur :

— Oh ! Marise ! Comment, vous aussi ! Je vous en supplie !…

— Quoi ?

— Se peut-il que, vous aussi, vous trouviez : « Il faut marier Jean » ? Mais ça devient une obsession ! Alors, à l’heure présente, il n’est plus permis d’être célibataire en paix, même en payant l’impôt ?

— Bien sûr que non, mon cher ! Il faut repeupler, songez donc ! Et avec Sabine, avouez que la repopulation serait agréable !

Elle s’interrompt, car Sabine elle-même écarte la portière ; haute, svelte, très élégante, une allure de patricienne. Le visage, d’une éclatante beauté, a les lignes d’un camée qui aurait été dessiné d’après un modèle bien français, voire même parisien, de par l’expression du sourire, des yeux, ombrés par le volant de tulle, la capeline de velours.

Marise la salue d’une exclamation accueillante.

— Bonjour, chère ! Venez vite, que nous partions.

— Je suis en retard, et je m’en excuse. Mais maman m’avait demandé de l’accompagner à son essayage chez Lévain… Et la séance s’est prolongée.

— Eh bien, maintenant, nous allons filer ! Je mets mon chapeau et nous partons. Vous m’excuserez tous les deux de vous laisser un instant.

— Nous excusons !… riposte gaiement Sabine.

Jean ne dit rien. Mais Marise sait très bien que non seulement il excuse, mais apprécie. Et, avec un clignement malicieux à son adresse, elle s’éclipse.

Jean, qui s’était levé à l’arrivée de la jeune fille, se rapproche aussitôt de la bergère où elle s’est assise. Elle le regarde évoluer, une lueur dont l’expression est indéfinissable, au fond des yeux de velours, sombres comme les cheveux.

— Qu’est-ce que vous faites donc ? Dautheray.

— Je viens pécher par gourmandise.

Et il se penche sur la main dégantée qui, ivoirine, longue et parfumée, joue avec les plis de satin du manteau. Ses lèvres la couvrent de baisers doux qui, insensiblement, remontent vers le bras, nu très haut, en obéissance à la mode. Elle a écarté son large col de fourrure et, dans l’échancrure, apparaît le cou parfait qu’enserre un étroit cordon de perles.

Elle n’a pas un mouvement pour se dérober ; mais elle dit, avec un accent d’ironie caressante qui répète l’expression du regard :

— Vous avez raison, vous êtes très gourmand.

— Cela vous contrarie ? interroge-t-il, hardiment.

Elle avoue avec une aisance provocante :

— Non, cela m’amuse.

— Moi aussi, cela m’amuse… Ou plutôt, non, le terme n’est pas juste… Cela m’enivre… et ne me vaut rien ! Je frôle du satin blanc qui embaume, tout tiède de vie ardente… C’est exquis et cruel !

Un fugitif éclair court dans les yeux veloutés. Mais elle riposte, moqueuse :

— Quelle poésie !

— C’est vous qui m’inspirez… D’ordinaire, je ne m’exprime qu’en vulgaire prose.

— Je suis très flattée !… Mais… est-ce que vous voudriez bien me rendre ma main ?… Vous avez une façon d’en faire votre bien !

— Si vous l’exigez absolument… Je n’en ai pas la moindre envie… Au contraire.

L’un après l’autre, il baise les doigts tièdes qui frémissent sous ses lèvres.

— Quel avide garçon, vous êtes parfois ! Jean. Tâchez donc d’être plus raisonnable.

Les paroles prêchent la sagesse, mais l’attitude ne les soutient pas ; l’indéfinissable sourire flotte sur la bouche, un peu railleuse, comme les yeux dont le regard est tout ensemble curieux, amusé — et calme.

Cette fille de race et de mince fortune, pour son milieu et ses goûts, — grâce au dédain de l’argent, absolu chez ses parents, marquis et marquise de Champtereux, — cette vierge avertie et ambitieuse sait fort bien qu’il est nécessaire de faire quelques frais, point désagréables d’ailleurs, pour conquérir les jeunes hommes pouvant leur assurer l’indispensable luxe. Dans ses aïeules, il y a eu des maîtresses de roi…

Cette fois, elle n’a pas le loisir de discuter avec elle-même sur la conduite à tenir. D’un mouvement vif, Jean s’est redressé à la voix de Marise :

— Me voilà, mes petits. Sauvons-nous !

Elle soulève la portière.

Jean est debout devant la cheminée, à une correcte distance de Sabine qui, toujours maîtresse d’elle-même, a tiré de son sac, sa houppette et poudre la roseur plus vive de ses joues.

En même temps, à l’autre extrémité du hall, surgit Henry de Lacroix, un garçon maigre, distingué et sérieux, l’air très bon.

— Comment ! Vous êtes encore ici ? Mademoiselle Sabine, mes hommages ! Bonjour, vieux. Alors, je te confie ces jeunes femmes. Vous allez au Dancing ? J’irai peut-être vous y voir un instant. Amusez-vous bien, les enfants !

— Nous ferons de notre mieux. Au revoir !

Et tous trois disparaissent, laissant Henry de Lacroix retourner dans son cabinet, à ses chères études historiques.

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