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Il faut marier Jean!

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Il est quatre heures. Bobby est dehors avec Odile, et c’est Hélène qui vient ouvrir au coup de sonnette.

— Tiens, Jean !

Il la regarde, suppliant et rieur.

— Hélène, je vous en conjure, n’ajoutez pas : « Bon, le voilà encore ! » Rappelez-vous que je ne vous ai pas encombrée depuis… nombre de jours, me paraît-il. Aujourd’hui, j’avais une envie folle de bavarder avec vous et de vous demander des explications.

— Des explications ?

— Oui, oui, je vais vous raconter. Or, vous le savez, je suis incapable de résister à la tentation.

Elle jette un rire gai :

— Eh bien ! alors, entrez, homme faible devant la tentation ! Aussi bien, c’est l’heure du thé. Donc, récréation. La causerie demandée pourra avoir lieu pendant que nous goûterons.

— Hélène, ma précieuse confidente, vous êtes exquise ! C’est ça, faisons la dînette. Je vais redescendre chercher quelques gâteaux ; j’ai aperçu un superbe pâtissier tout près de chez vous.

— Mais non, Jean, c’est inutile ; je puis vous offrir le pain et le sel, même le beurre. Restez tranquille pendant que je prépare notre thé.

Mais il tient à son idée et, tandis qu’elle allume la lampe du samovar, il s’éclipse ; pour reparaître, cinq minutes plus tard, chargé de tant de richesses, qu’elle s’exclame :

— Mais, Jean… Jean, quel appétit nous supposez-vous donc ?

— Moi, Hélène, j’en ai un formidable. Vous, pas ? Et puis, ce qui restera appartiendra à Bobby. J’espère qu’il n’en sera pas autrement fâché.

— Soyez-en sûr, et merci pour lui. Maintenant, buvez votre thé, il est prêt.

Elle a tout préparé. Sur le napperon brodé, les tasses voisinent, parmi les menus ustensiles dont le métal flambe superbement.

— Hélène, quelle peine vous vous donnez ! Venez donc enfin vous asseoir.

— J’arrive… J’arrive ! Nous avons tout ce qu’il nous faut, je pense… Et maintenant, causons ! Je suis tout oreilles.

Elle s’assied devant lui. Ses larges prunelles, dans l’iris clair, brillent d’un éclat joyeux ; et les dents luisent entre les lèvres, merveilleusement fraîches. Jean la regarde avec un plaisir extrême qu’avive cette curiosité, qu’elle éveille maintenant en lui.

— Hélène, vous êtes une femme étonnante ; vous n’avez jamais l’air ennuyée !…

— Mais c’est que je ne m’ennuie jamais !

— Malgré la tristesse de votre vie ?

— La tristesse ? Mais si je fais abstraction de mon deuil, je ne trouve pas du tout ma vie triste… Elle est très remplie, très variée, absolument indépendante, ce qui est, pour moi, un bien sans prix… Mon « vieil oiseau » et son ouvrage me plaisent. Je cours, pour lui, les bibliothèques, les musées et ensuite nous dissertons ; nous discutons ; quelquefois même, nous nous disputons… quand nos idées respectives sont en radicale opposition. Dans son cabinet, il vient des visiteurs plus ou moins dignes d’attention que, de mon petit coin, à ma table de travail, j’écoute, j’observe, rassemblant ainsi de modestes documents sur mes frères, les hommes… Oh ! non, ma vie n’est pas triste !… D’autant que, dans la colonie américaine, j’ai retrouvé quelques bonnes relations et, de plus, rencontré aussi des physionomies originales dans la pension de famille où j’ai gîté lors de mon arrivée à Paris.

Jean sent bien que la jeune femme est absolument sincère. Mais, malgré lui, il laisse échapper :

— Toutes ces distractions, Hélène, c’est pour votre cerveau… Mais, aussi, vous avez un cœur.

Il n’oserait ajouter :

— Et un corps de vingt ans.

Elle mordille à belles dents une galette et réplique :

— Pour le cœur, j’ai Bobby qui est pour moi l’univers et le remplit… En ce moment, je suis heureuse… Autant que je puis l’être…

— Vous êtes une femme d’espèce peu commune ; et je comprends… c’était cela dont je voulais vous parler, que vous intriguiez un monsieur qui, apprenant, par l’effet d’un hasard, que je vous connaissais, m’a beaucoup parlé de vous… Beaucoup ! Même plus que je ne l’aurais désiré.

Elle a cessé de boire son thé et le regarde stupéfaite :

— Un monsieur ?… Que j’intrigue ?… Qu’est-ce que cette histoire ?

— J’ajoute que ce monsieur est un homme célèbre…

— Mon humilité ne connaît que de loin les personnes célèbres ! Jean, où donc ai-je pu voir votre célébrité ?

— Tout simplement chez votre « vieil oiseau ».

Elle a une exclamation rieuse…

— Oh ! alors, je crois que je devine. Vous voulez parler de son fils, Raymond Barcane ?

— Oui… justement. J’ai dîné avec lui chez des amis qui reçoivent, pêle-mêle, gens du monde, artistes, littérateurs, etc., etc. Et, tout à coup, je l’ai entendu esquisser à sa voisine, à propos des femmes qui travaillent, une silhouette… si ressemblante de la secrétaire de son père que, sans réfléchir, je me suis lancé dans la conversation…

— Et vous avez parlé de moi ? Quelle singulière idée ! fait-elle, avec une imperceptible contraction des sourcils.

— Alors, ayant constaté que je vous connaissais bien…

— Oh ! bien…

— Il m’a questionné, un peu plus tard, dans un coin du fumoir où nous étions, un instant, en tête-à-tête… Vous l’étonnez… et l’occupez fort.

— J’espère que vous n’avez rien trahi de mon intimité ! Vous comprenez que je ne veux pas servir de pâture à sa curiosité d’analyste.

— J’ai dit simplement que je ne connaissais pas de femme qui mérite, plus que vous, d’être estimée… admirée… et respectée !

— Respectée, estimée…, j’accepte. Mais « admirée », non !… Le mot est trop lourd pour moi.

— A son actif, je crois que vous trouverez plutôt « l’admiration » que le respect qui n’est guère dans ses cordes. Sûrement, Hélène, il vous fait la cour… Il la fait à toutes les femmes qui excitent son attention. Et, avec votre petit air fermé, vous êtes un livre clos dont il voudra fatalement forcer la serrure !

— Qu’est-ce que cela fait, ce qu’il souhaite ? Vous devinez bien que je ne me prête pas du tout à la facilité de ses observations ! jette-t-elle de son accent d’indépendance.

Et Jean comprend qu’elle lui dit strictement ce qui est. Mais, au fond de ses prunelles, elle a une petite flamme qu’il ne s’explique pas.

— Certainement, vous causez…

Elle incline la tête.

— Oui, par-ci, par-là, le fait s’est produit. Et même le résultat — Jean, apprêtez-vous à un choc !… — le résultat d’un échange d’opinions sur un cas de conscience qu’il avait émis, a été cette stupéfiante déclaration que je devrais écrire une pièce sur la question qui nous occupait, telle que je la conçois… Lui, le faisant d’autre manière, à son point de vue…

Jean regarde Hélène, tout à fait ahuri.

— Écrire une pièce ?… Vous voulez écrire une pièce avec Barcane ?

Elle corrige gaiement :

— Dites que je voudrais bien en être capable !… mais je ne suis pas du tout à la hauteur, quoi qu’il prétende ; me catéchisant avec une conviction si autoritaire que…

— … Que vous avez essayé !

Elle rougit un peu. Puis, d’un accent de gamine confuse, elle avoue :

— Oui, j’ai essayé : et cela m’amuse follement ! Ce que j’imagine ne vaut sans doute rien du tout ! C’est même sûr… Car, bien entendu, je n’avais jamais tenté d’écrire pour le théâtre…

— Pour le théâtre ?… Mais vous avez fait de la littérature sous une autre forme ?

— Vous savez bien que j’ai toujours griffonné, dit-elle légèrement. En Amérique, en Alsace, j’ai continué, car ce travail me distrayait de moi-même…

Jean est si étonné par cette soudaine révélation des occupations de son amie, qu’il cesse de dévorer les brioches et les babas amoncelés dans l’assiette.

— Je comprends maintenant, Hélène, pourquoi je vous trouve toujours devant votre bureau à écrire… Je suis sûr que vous devez le faire très bien !

— Moi, je suis fort loin d’avoir votre confiance !… Et je voudrais même bien recevoir un avis… très sincère, et surtout compétent, sur la valeur de mes élucubrations… Si je n’ai aucun talent, présent ou à venir, je les brûlerai… et je n’écrirai plus que pour moi toute seule… afin d’oublier…

— Écoutez, Hélène, je n’ose vous demander de me montrer quelques-unes de vos œuvres, car, quoique liseur passionné, je n’ai aucun droit de me transformer en critique… Mais j’ai quelques très bonnes relations littéraires, et je pourrais, je crois, vous avoir l’avis que vous désirez…

— Oh ! que ce serait bien !… Jean, vous êtes délicieux ! Mais vous me garderez le secret, n’est-ce pas ? Il faut avoir pitié de mon chétif amour-propre, qui va peut-être recevoir une formidable punition de mon audace… Pourtant, tout de même, il me faut essayer… Si je pouvais faire quelque chose, dans la carrière des lettres, ce serait une telle chance pour moi. Et puis, quand j’écris, je ne regrette ni ne souhaite plus rien… Je vis avec les enfants de mon cerveau… Vous comprenez pourquoi il m’est impossible de m’« ennuyer » !

Elle l’interroge de ses prunelles lumineuses où la pensée rayonne, irradiant sa délicate figure ; et Jean se dit que si elle a ce visage quand elle cause avec Barcane, il n’y a rien de surprenant à ce qu’il soit si vivement occupé d’elle. Ce qui est bien fâcheux, songe-t-il sagement.

— Je comprends très bien votre impression, Hélène, car ma peinture me fait vivre aussi dans un monde enchanté… Mais, dites-moi, avez-vous parlé au grand homme de vos essais littéraires ?

— Oh ! non… C’eût été bien trop intimidant ! Je ne lui ai même pas avoué que je m’étais amusée à suivre son conseil et à esquisser une pièce de ma façon sur le sujet que nous avons discuté ensemble. Raymond Barcane appartient, en somme, au même genre que son père : c’est une façon de porc-épic courtois. Et extraordinairement mondain, malgré ses phrases de misanthrope… Il intéresse, bien plus qu’il n’attire la confiance !

— Il vous intéresse ? vous, Hélène.

— Oui, beaucoup… Il a une pensée vraiment puissante, un tour d’esprit paradoxal et âpre, pas banal du tout, une psychologie aiguë, tout à fait savoureuse en son espèce… Il me fait penser à un scalpel qui serait manié avec une autorité… éblouissante…

— Quel éloge ! fait Jean, secoué d’une impatience instinctive.

— Pas un éloge, une opinion ! Ne la lui répétez pas… Mais, après tout, je crois la lui avoir révélée… à demi, un jour que je lui avais servi quelques vérités désagréables sur son égoïsme masculin et sa malveillance à l’égard des femmes.

— Ne savez-vous pas qu’il a quelque raison pour ne pas les juger très bien ? Il avait épousé la célèbre Félice Merval, des Français… Et puis, est-ce la faute de son f… caractère, ou l’effet de l’inconstance féminine…

— Eh !… Jean, s’il vous plaît !…

— … De l’inconstance des femmes de théâtre, bref, elle l’a planté là !… Je crois bien que le divorce n’a pas été prononcé… Au fond, je suis enclin à penser qu’il est toujours féru d’elle et veut garder, entre eux, un lien que les circonstances l’amèneront peut-être un jour à resserrer.

Hélène a un haussement d’épaules qui trahit son indifférence sur la question.

— Peut-être… Mais cela m’étonnerait. Il est si orgueilleux !

— Comment pouvez-vous le connaître ainsi ?

— Je vous ai dit que nous avions causé.

— Où ?… Chez votre « vieil oiseau » ?… C’est ainsi que vous vous y occupez des littératures comparées ?

Hélène explique tranquillement, les prunelles moqueuses :

— Nous avons échangé quelques propos, une ou deux fois, chez mon « vieil oiseau » qui recevait des visiteurs imprévus, dans son salon. Êtes-vous satisfait ? « monsieur le juge d’instruction ». Mais le jour où nous avons eu une vraie conversation, — d’où est sortie l’idée d’une « pièce » — c’est quand il est venu m’apporter des documents dont j’avais besoin pour son père et que je n’avais pu aller chercher.

— Il vous les a apportés ici ? Comment ! vous recevez Barcane ? Mais… mais… il ne faut pas…

— Il ne faut pas ! Pourquoi ?

— Hélène, vous arrivez à Paris… Vous ne savez pas. A tort ou à raison, Barcane a la réputation de compromettre toutes les femmes qu’il approche.

De nouveau, Hélène a son geste d’insouciance :

— Que voulez-vous que cela me fasse ? Je suis bien habituée, allez, à me faire respecter. Voilà cinq ans que je vis seule…

— Mais en Amérique, les mœurs ne sont pas les mêmes qu’en France, à Paris. Hélène, ma sage petite amie, ne laissez pas Barcane rôder autour de vous, même forte de votre dédain pour lui et pour le qu’en-dira-t-on. Je vous assure, un jour ou l’autre, vous le regretteriez fatalement.

Les yeux de la jeune femme ont une mystérieuse expression, arrêtés sur Jean ; et un sourire un peu ironique entr’ouvre sa bouche.

— Quelle sollicitude ! Vous n’êtes cependant ni mon mari, ni mon frère, ni…

— Je suis tout bonnement un vieil ami.

— C’est vrai, ça. Écoutez, Jean. Je n’ai pas la moindre envie d’admettre Barcane dans mon intimité ; seulement, sa conversation m’amuse, et si je pouvais un peu travailler avec lui, même tout simplement comme secrétaire ou copiste, j’en serais ravie ! Ne prenez pas pour cela un air désolé ! Vous n’imaginez pourtant pas que, parce que je suis veuve, je vais vivre comme une nonne cloîtrée. Mon cerveau a besoin de se renouveler au contact d’autres cerveaux.

— Et pourtant, vous ne prétendez pas venir chez ma mère. Une fois, de loin en loin, vous y faites une apparition…

— Votre monde est trop beau pour moi !

— Et trop banal pour votre intellectualité !

— Quelle vilaine réflexion ! Dites plutôt que ce n’est pas celui qu’il me faut. J’irai chez vous, mon ami, quand vous serez marié. Sera-ce bientôt ? Où en êtes-vous de votre ascension vers le mariage ?

Il constate, la mine enchantée :

— Elle n’avance guère, vous dirait maman, lamentable.

— Mais vous, que dites-vous ?

— Moi, je ne dis rien, sinon que je me promène toujours agréablement, au pied de la montagne sainte ; regardant les passantes. C’est une étude… pas ennuyeuse du tout, quelquefois.

— Mais l’élue n’est pas encore apparue ?

— Non. Pourtant cette pauvre maman ne se lasse pas de la chercher, à cette fin de me l’envoyer. Elle va aux entrevues proposées pour se rendre compte s’il y a lieu de me mettre en mouvement. Elle pratique, à cette intention, les églises, les musées, voire les réunions dansantes dont elle revient, d’ailleurs, horrifiée de la nudité des danseuses, — c’est elle qui parle ! — de l’inconvenance des danses et de la tenue audacieuse des danseurs. Pauvre moi !

— Et pauvre marraine !

— Au fond de son cœur, elle garde toujours en réserve sa candidate favorite, la jeune Madeleine de Serves, qui l’a tout à fait séduite, à cette matinée où j’ai été faire quelques saluts pour éviter une grosse scène de désolation.

— Et cette petite ne vous tente pas ?

— C’est un bébé candide et sage… Je me fais l’effet de son grand-père. Mais imaginez-vous que mon oncle, lui aussi, a sa favorite… Un produit original, celle-là, et que je suis stupéfié de voir présentée par lui… Sans doute, en vertu de la loi des contrastes…

— Ah !… racontez… Qui est-ce ?

— La fille d’un vieux camarade à lui, le baron de Branzac. Par hasard, mon oncle l’a rencontrée au Bois, faisant du footing avec son père. Et comme lui aussi rumine incessamment cette idée : « Il faut marier Jean ! » incontinent, il a élaboré le projet de me faire connaître cette jeune vierge, qui lui paraissait dans les conditions requises. Voilà l’histoire !

— Et alors, la conclusion ? questionne Hélène, amusée.

— La conclusion a été une rencontre, dite fortuite, en réalité traîtreusement amenée par mon diable d’oncle, au tennis des Mursennes, à Ville-d’Avray… Et là, j’ai pris contact avec la jeune personne le plus vingtième siècle qu’il soit possible de souhaiter… Une jolie gamine garçonnière, piaffante, pas un brin flirt, qui parle argot comme un poilu, avec une drôlerie spirituelle, ne rêve que sport, chevaux, chiens — comme son père, le baron — et se passionne pour les matches de tennis où elle est glorieuse championne… Il y a en elle un débordement de vie, drôle comme tout à observer. On dirait une belle petite pouliche qui s’ébroue en liberté…

— Et elle plaît à votre oncle, si correct ?

— Elle a une charmante figure, grosse comme le poing, avec des cheveux de Vénitienne qui frisent éperdument sur des yeux rieurs… Et alors mon oncle la contemple, plein d’une indulgence ravie.

— Je comprends…

— De plus, il est tout à fait subjugué par la mère, une femme ultra-élégante qui s’habille comme telle, fait de la peinture avec passion et laisse la bride sur le cou à sa fille comme à ses fils. L’aîné, un peu plus âgé que Nicole, en profite largement… Je le rencontre à l’œuvre ! L’autre, seize ans, est, en revanche, une façon de petit savant, très intelligent, qui cause de tout, voit tout, entend tout, comme s’il avait quarante ans. Le père, qui déteste Paris, mais adore sa femme, se partage entre elle et ses propriétés qui lui tiennent au cœur… Ah ! ce n’est pas une famille banale !

— Eh ! Eh ! mon ami Jean, vous m’avez l’air mis en goût…

— Le milieu me divertit fort… Mais quelle figure y ferait maman !… Si vous aviez vu sa mine pendant la première rencontre au tennis… Car elle était du complot et était venue, sous couleur de prendre le thé… Mon oncle lui a présenté Nicole… Laquelle, après un court bonjour, sans la moindre révérence plongeante, lui a servi, en leurs quelques minutes de conversation, des : « C’est moche ! » et autres locutions pittoresques qui l’ont pétrifiée de surprise et animée de l’impérieux désir que je ne sois pas séduit par cette gamine mal élevée… La scène était d’une drôlerie qui m’a consolé de la trahison de ma famille !

— Et avez-vous quelques lueurs sur le moral de cette jeune « vingtième siècle » ?

— Oui, certaines… Comme elle m’a déclaré que la danse la « barbait », nous avons « bavardé » le fox-trott que je lui avais — correctement — demandé, à une matinée chez les Mursennes, où, de nouveau, le monde nous a mis en présence… Et avec une entière franchise, elle m’a fait part de ses goûts et opinions…

— Qui sont ?…

— Un parfait je m’enfichisme et la conviction qu’elle est sur terre pour se passer les mille et une fantaisies qui traversent sa cervelle. Au demeurant, je la crois une honnête petite bonne femme, qui doit être d’âme généreuse. Savez-vous ce qu’elle m’a déclaré, tout de suite, aux sons du fox-trott que nous ne dansions pas ?

— Non, je ne sais pas ! jette Hélène, moqueuse un brin.

— Eh bien ! ceci, tout crûment, avec un délicieux sourire de petite fille : « Monsieur, vous êtes un gros lingot d’or ; moi aussi, paraît-il… Est-ce que vous ne trouvez pas qu’au lieu de nous laisser rapprocher, comme le souhaitent nos « maternelles », nous ferions mieux d’aller vers… qui n’a pas… Cela rétablirait l’équilibre. Ne pensez-vous pas ?… » J’ai répondu, naturellement, que je pensais ainsi… Et aussitôt, nous sommes devenus amis avec la jeune Nicole, dont les opinions subversives sont très savoureuses à entendre tomber de sa bouche fraîche, tandis que ses yeux étincellent de conviction.

Hélène a, aux lèvres, son indéfinissable sourire :

— Jean, je crois que Nicole est bonne première…, toute mal élevée qu’elle est…

— Elle me réjouit. Un point, c’est tout… Du moins, pour le moment. Je me suis accordé de ne prendre aucune décision avant octobre. A Deauville, je retrouverai Nicole… et d’autres encore… Les Champtereux y seront… Je pense que la destinée s’emparera de ma faible volonté. Hélas ! vous ne serez pas là, Hélène, pour m’éclairer !…

— Non, moi je serai en Alsace… Vous m’écrirez…

Ici un violent coup de sonnette. Un bruit de clef dans la serrure. Une voix gronde, doucement :

— Ce n’était pas la peine de sonner, Bobby.

Et Bobby se précipite dans l’atelier, avec une exclamation de reproche :

— Ah ! maman, vous n’êtes pas venue me retrouver au Bois !… Pourtant, vous m’aviez promis…

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