Jean Sbogar
XIII
Ne cherchons pas à débrouiller pourquoi l’innocent gémit, tandis que le crime est revêtu de la robe d’honneur. Le jour des vengeances, le jour de la rétribution éternelle peut seul nous dévoiler le secret du juge et de la victime
HERVEY.
TABLETTES DE LOTHARIO
« Le mont Taurus élevait son front par-dessus toutes les collines ; une d’elles lui dit: Je ne suis qu’une colline, mais je renferme un volcan. »
« LA SOCIÉTÉ, c’est-à-dire une poignée de patriciens, de publicains et d’augures, et de l’autre côté, le genre humain tout entier dans ses langes et dans ses lisières..... »
« Les législateurs du XVIIIe siècle ressemblent aux architectes de Lycérus, qui emportaient dans les airs les matériaux d’un palais, et qui ne s’occupaient pas des fondements. »
« Les peuples usés demandent à être gouvernés. Les peuples dépravés ont besoin d’être soumis. La liberté est un aliment généreux qui ne convient qu’à une saine et robuste adolescence. »
« Quand la politique est devenue une science de mots, tout est perdu. Il y a quelque chose de plus vil au monde que l’esclave d’un tyran: c’est la dupe d’un sophiste. »
« Il est inconcevable que les hommes s’égorgent pour leurs droits, et que ces prétendus droits de l’homme ne soient que des mots mystiques interprétés par des avocats. Pourquoi ne parle-t-on jamais à l’homme du premier des droits de l’homme, de son droit à une part de terre déterminée dans la proportion de l’individu au territoire? »
« Quelle est cette loi qui porte les emblèmes et le nom de l’égalité à son frontispice? Est-ce la loi agraire? — Non, c’est le contrat de vente d’une nation livrée aux riches par des intrigants et des factieux qui veulent devenir riches. »
« Un homme flatte le peuple. Il lui promet de le servir. Il est arrivé au pouvoir. On croit qu’il va demander le partage des biens. Ce n’est pas cela. Il acquiert des biens, et il s’associe avec les tyrans pour le partage du peuple. »
« Le mot sacré des Hébreux, c’est I’or. Il y a une manière de le prononcer à l’oreille des juges de la terre qui fait tomber votre ennemi raide mort. »
« Lycurgue pensa une chose étrange: c’est que le vol était la seule institution qui pût maintenir l’équilibre social. »
« N’est-tu pas las, jeune homme, de moissonner les jardins de Tantale? Ouvre les yeux sur les maux de l’humanité; regarde. Le gouffre de Curtius est encore ouvert et il faut que beaucoup s’y précipitent pour le salut du monde. »
« L’aumône est une restitution partielle, faite à l’amiable. Le mendiant transige; plaidons. »
« Tirez un homme du fond des bois, et montrez-lui la société; il sera bientôt corrompu et méprisable comme vous, mais il ne comprendra jamais l’aréopage impassible qui envoie froidement un mendiant à la potence pour avoir décimé le banquet d’un millionnaire. »
« C’est une question difficile à décider que de savoir ce qu’il y a de plus hideux dans la vie sociale du délit ou de la loi, ce qu’il y a de plus cruel du coupable ou du juge, du crime ou du châtiment. Les opinions sont fort partagées. »
« Tuer un homme dans le paroxysme d’une passion, cela se comprend. « Le faire tuer par un autre en place publique, dans le calme d’une méditation sérieuse et sous le prétexte d’un ministère honorable, cela ne se comprend pas. »
« Une chose effrayante à penser, c’est que l’égalité, qui est l’objet de tous nos vœux et de toutes nos révélations, ne se trouve réellement que dans deux états de l’homme, l’esclavage et la mort. »
« De voir les peuples se débattre autour d’une idée comme des fourmis pour un brin de paille, il y a de quoi mourir de confusion. Un brin de paille, au moins c’est quelque chose, et une idée, ce n’est rien. »
« Le vol du pauvre sur le riche, si on remontait à l’origine des choses, ne serait, en dernière analyse, qu’une réparation, c’est-à-dire le déplacement juste et réciproque d’une pièce de monnaie ou d’un morceau de pain qui retourne des mains du voleur dans les mains du volé. »
« La plus haute portée de liberté à laquelle puisse parvenir une nation qui s’avise de sa souveraineté, c’est le droit de choisir un esclavage à son goût. »
« Il y a un grand obstacle à l’affranchissement des villes: ce sont les villes.
« Montrez-moi une ville, une ruche ou une fourmilière, et je vous montrerai l’esclavage; le lion et l’aigle seuls sont rois, parce qu’ils sont solitaires. »
« La méchanceté est une maladie sociale. L’homme naturel n’est pas plus malfaisant qu’une autre brute. L’homme civilisé fait horreur ou pitié. Comptez les étages d’une maison, et rappelez-vous la parabole de Babel. »
« Si j’avais le pacte social à ma disposition, je n’y changerais rien; je le déchirerais. »
« Le fruit de l’arbre de la science du bien et du mal, c’est la société. La première fois que l’homme s’est enveloppé d’une ceinture de feuillages, il a revêtu l’esclavage et la mort. »
Il y a deux instincts très opposés dans l’homme simple: l’instinct de conservation pour lui et pour ce qui procède de lui; l’instinct de destruction pour tout ce qui lui est appris et commandé. La société est donc fausse. »
« Toutes les œuvres de Dieu sont accomplies dans leur destination et dans leur fin. Si la société était entrée dans le but de la création, l’alouette ne conduirait jamais ses petits dans un champ de blé mûr et prêt pour la moisson. »
« Il y a peu d’hommes dont le cœur ne tressaille d’indignation et de douleur à l’aspect d’un fier lion garrotté dans une cage de fer, et léchant avec humilité la main sanglante du boucher qui le nourrit. Que doit penser l’homme qui regarde l’homme? »
« Pour rendre l’inégalité politique moins outrageante, presque tous les peuples qui ne l’ont pas fait reposer sur des avantages moraux en ont du moins rattaché l’origine à des souvenirs généreux ou à des traditions sacrées. Il ne s’est pas trouvé encore de législation assez dépravée pour avouer dans ses institutions l’aristocratie de l’argent. Quand nous en serons là, il fera beau vivre, car tout finira. »
« Il est bien humiliant pour l’espèce que les esclaves ne soient en minorité nulle part dans une société humaine. Que faut-il donc pour changer une mauvaise place contre une bonne, quand on a la force et le nombre? »
« Rien de plus facile que de persuader à l’homme qu’il dépend de l’homme, en vertu d’un droit mystérieux, fondé sur un titre inconnu. Mais comment lui faire comprendre, ce qui est vrai, que sa dépendance résulte purement et simplement de l’inégalité d’un ancien partage du sol, qui n’a changé ni de forme ni d’étendue, et qui peut tous les jours être remis en litige? »
« La ruche de l’abeille n’appartient pas au frelon, mais les fleurs des champs appartiennent à tous les insectes de l’air. La seule propriété inviolable de l’individu, c’est son industrie. »
« Est-il vrai que la plupart des souverains de l’Europe s’occupent de faire cadastrer la terre? Soit. »
« Instituer des monarchies aujourd’hui, c’est une grande pitié. « Je n’ai pas été surpris de trouver la cellule d’un ermite à demi cachée dans la cendre du cratère; mais qu’un roi pense à bâtir son trône au fond, je ne le lui conseille pas! »
« Tendre pour la dernière fois l’arc de Nemrod, ce n’est pas une rare merveille, Napoléon! dix autres l’ont fait avant vous. — Passe encore pour le briser. »
« Nos feux d’artifice de Venise finissent par une gerbe de feu qui éclipserait le soleil dans son midi.
« La nuit n’en est que plus profonde après cela, la nuit qui appartient aux voleurs.
« Le lendemain d’une GRANDE NATION, c’est la nuit d’un feu d’artifice. »
« Si vous réussissiez dans vos projets, — disent-ils, — ce serait à recommencer demain. »
« Le grand mal que de recommencer demain! nous sommes si bien aujourd’hui! »
« Quand on a cessé de vivre en premier dans le cœur d’un autre, on est très réellement mort. Il n’y manque plus que la façon. »
« Une société qui tue un homme est bien convaincue qu’elle fait justice. — Immense et sublime justice rétributive que celle d’un homme qui tuerait la société! »
« Deux crimes pour lesquels je suis sans pitié: faire du mal à qui ne peut se défendre, et voler qui a besoin.
« Supplices et malédictions sur l’infâme qui a dérobé le chien d’un aveugle! »
« Le sauvage de la mer du Sud qui donne une femme pour une hache ne fait pas un mauvais marché. Quel est le pays où l’on n’aurait pas une femme avec une hache? »
« Il y a au fond de l’homme trois erreurs ou trois mystères qui le décident à vivre: Dieu, l’amour et la liberté. — Et il y a bientôt deux mille ans que la société n’existerait plus, si quelques mendiants de Galilée ne s’étaient avisés de faire une religion avec cela.
« Combien connaissez-vous de spéculateurs qui placeraient sur la durée probable de cette dernière institution du monde politique un sequin en viager? »
« Je voudrais bien qu’on me montrât dans l’histoire une monarchie qui n’ait pas été fondée par un voleur. »
« Quand les nations arrivent à leur dernier période, il n’y a plus entre elles qu’un cri de ralliement: TOUT EST A TOUS. »
« Et le jour où l’étendard qui portera cette devise sera mouillé des pleurs d’un enfant, je l’arracherai pour m’en faire un linceul. »
« L’histoire des peuples anciens n’est pas difficile à raconter; l’histoire des peuples à venir n’est pas difficile à prévoir. — Les pères, les vieillards, les sages, les prêtres, les soldats, les rois. — Et puis après... les peuples peut-être?... »
« Il n’y a que trois manières de lier sa mémoire à celle du temple de Delphes. Il faut le bâtir, le consacrer, ou y mettre le feu. »
« Donnez-moi une force qui ose prendre le nom de loi, et je vous montrerai un vol qui prendra le nom de propriété. »
« La liberté n’est pas un trésor si rare: elle est dans la main de tous les forts, et dans la bourse de tous les riches. »
« Tu es maître de mon argent, et je le suis de ta vie. Cela ne nous appartient, ni à toi, ni à moi. Rends, et je laisse. »
« Mille fortunes pour une pensée! mille pensées pour un sentiment ! mille sentiments pour une action! mille actions sublimes pour un cheveu ! — et le monde, et l’avenir, et l’éternité avec tout cela! »
« Le fondateur d’une secte nouvelle, pauvre homme! l’enlumineur d’une vieille morale, pauvre homme! un législateur, pauvre homme ! — Un conquérant! quelle misère! »
« S’il y a une bonne société au monde, c’est celle où l’on partage tout, en donnant une prime au plus fort. — Quand la ruse et la trahison s’en mêlent, il arrive une législation. »
« Je ne sais plus qu’un métier à décréditer, celui de Dieu. »
« On m’a demandé quelquefois si j’aimais les enfants. Je le crois bien. Ils ne sont pas encore hommes. »
« Toutes les voix de la terre annoncèrent une fois que le grand Pan était mort. Ce fut l’émancipation des esclaves. Quand vous les entendrez une seconde fois, ce sera l’émancipation des pauvres — et alors, l’usurpation du monde recommencera. »
« De tous les gouvernements, celui qui révolte le moins mon cœur, celui qui dégrade le moins l’humanité, c’est le despotisme de l’Orient, où l’abaissement des peuples est au moins expliqué par des superstitions. Je conçois un tyran qui descend des prophètes et qui est allié des astres. Au Tibet, il est invisible, immortel, sacré. Cela est bien, cela ne devrait jamais être indifféremment. La tyrannie et l’esclavage sont deux états qui impliquent deux espèces. Les plus avilis des hommes, ce sont les esclaves qui reconnaissent des tyrans faits à leur image. »
« On a bien des grâces à rendre à son étoile, quand on peut quitter les hommes sans être obligé de leur faire du mal et de se déclarer leur ennemi. »
« Quelle différence y a-t-il entre un crime et une action héroïque, entre un supplice et une apothéose? Le lieu, le temps, la méprisable opinion d’une foule stupide qui ne connaît pas le véritable nom des choses, et qui applique au hasard ceux que l’usage lui a appris. »
« Les fléaux sont dans l’ordre de la nature, et les lois n’y sont pas. »
« C’était une idée moins appropriée à la Divinité, telle que je la conçois, mais qui avait quelque chose de consolant pour l’homme que de donner des infirmités aux dieux. J’aime qu’Apollon soit banni, que Cérès souffre de la faim chez la mère de Stellion, que Vénus soit blessée par Diomède, que le berceau d’Hercule soit entouré de serpents comme celui du génie, et qu’il meure lui-même dévoré par cette robe de Nessus qu’il a léguée à ces successeurs. »
« Si mon cœur pouvait se donner la foi... si j’avais un dieu à inventer, je voudrais qu’il fût né sur la paille d’une étable, qu’il n’eût échappé aux assassins que dans les bras d’un pauvre artisan qui aurait passé pour son père; que son enfance se fût écoulée dans la misère et dans l’exil; qu’il eût été proscrit toute sa vie, méprisé des grands, inconnu des rois, persécuté par les prêtres, renié par ses amis, vendu par un de ses disciples, abandonné par le plus intègre de ses juges, dévoué au supplice de préférence au dernier des scélérats, fouetté de verges, couronné d’épines, outragé par les bourreaux, et qu’il eût péri entre deux voleurs, dont l’un le suivit dans le ciel. »
« Dieu tout-puissant, ayez pitié de moi!