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Jérôme 60° latitude nord

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XXI

Il passa la nuit à récupérer et à réadapter les éléments de sa personnalité dispersés entre la Mer du Nord, Oslo, Lysaker et le Sund.

Comme un archéologue rassemble les débris d’une statue, épars sur un champ de fouilles, ainsi Jérôme faisait d’émouvantes découvertes : il retrouvait sur le pont d’un navire l’inconstance de son cœur ; sous la neige d’une allée son sensualisme ; dans le studio d’une romancière sa vanité d’auteur, dans une chambre de jeune fille son culte de l’indépendance ; sous une armoire à glace son affection pour Jean Sarment ; ici et là, un peu partout, sur les coussins d’un compartiment de chemin de fer, sous diverses tables de banquet, tout ce qu’il avait renié de ses goûts les plus chers.

Après quoi, réajusté aux formes de son moi véritable, décidé à mettre fin à son erreur norvégienne et tout prêt à se jeter dans une aventure dont le folklore danois ferait les frais, il frappa à la porte d’Uni.

— Io !

— Bonjour, Uni.

— Hello, Jérôme !

Il se trouva en face d’une grande fille aux cheveux pâles, aux yeux d’anisette à l’eau, d’un type nordique assez banal, qui fumait un grossier tabac français en se livrant devant la glace à des mouvements de gymnastique.

Elle lui tendit une main franche.

— Comment vous allez, pauvre petit ?

Et elle reprit ses mouvements d’extension latérale des jambes.

Jérôme, intimidé par cette gymnaste qu’il reconnaissait mal, bredouilla qu’il avait peu dormi, qu’il se sentait fatigué, que ces climats du Nord ne lui réussissaient pas…

— Il faut que vous faites beaucoup de la gymnastique, interrompit Uni, vous n’êtes pas un homme fort.

— Moi ? fit Jérôme froissé. Je vous assure bien qu’en France…

Uni s’arrêta dans ses exercices et posa sur lui un regard chargé d’une sorte de pitié.

— Jérôme, vous dites beaucoup des choses, mais vous ne faites pas. Et quand vous devez faire, vous connaissez seulement de pleurer. Vous n’êtes pas un fiancé pour moi. Je vous rends la parole.

— Uni !… s’écria-t-il, comme s’il jouait une scène de troisième acte.

Il avait du dépit. Il espérait des larmes, des supplications, du pathétique. Il obtenait des conseils de culture physique.

Il ne parvenait même pas à s’attendrir sur lui-même, à extérioriser du chagrin, à mettre de la tristesse dans l’air.

Pour tout dire, il aurait bien voulu faire de cette grande fille son amie, lui raconter sa blanche aventure au pays des neiges. « Figurez-vous… Elle s’appelait Uni, comme vous… » De tomber amoureux d’elle, il n’était pas question. On ne saurait aimer une jeune fille qui s’adonne à la gymnique et au tabac caporal. Mais d’avoir une amie forte, bien équilibrée, et dont il ne risquait pas de s’éprendre avait toujours été son rêve.

Quand elle eut fini d’assouplir ses épaules et les ligaments de ses genoux, elle ouvrit l’armoire, en sortit des mouchoirs, des lingeries qu’elle jeta sur la table, des robes qu’elle posa sur le lit.

Elle faisait ses bagages.

— Vous partez ? demanda Jérôme, déçu qu’elle le quittât au moment où il sentait naître ce besoin d’amitié.

— J’irai maintenant à la maison Gude, répondit-elle.

Elle enfouissait dans ses valises, pêle-mêle, dans l’ordre où ils tombaient sous sa main, les souliers, les chapeaux, les gants de crin.

— Ils sont charmants, ces Gude, fit remarquer Jérôme pour dire quelque chose. Et leur fille est ravissante.

Uni interrompit sa besogne, s’assit sur un coin de la table. Une lumière soudaine semblait s’être faite dans son esprit.

— Trouvez-vous Helen ravissante ?

— Oui, enfin… Elle est gentille.

— Je veux bien lui dire cela.

— Pourquoi donc ?

— Je pense parce que vous avez de l’amour pour elle.

— Quelle idée !

— Pourquoi vous n’avez pas dit cette chose à moi hier ?

— Mais, voyons, à quoi pensez-vous ? Je trouve votre amie jolie, voilà tout.

Uni l’observa un long moment.

— Comme les Français ils sont drôles ! fit-elle.

Elle n’en savait pas plus sur cette race déconcertante qu’au jour de sa première sortie à skis avec Jérôme. Les Français, ce sont des hommes qui disent aux jeunes filles qu’elles sont ravissantes et puis… voilà tout.

Elle pressa ses préparatifs de départ. Une à une furent ensevelies dans les valises longues et étroites comme des cercueils, en robe de mousseline bleue l’Uni de la nuit de Noël, en sweater jaune l’Uni du Jupiter, en peignoir éponge l’Uni de Copenhague, sans que Jérôme éprouvât, devant un spectacle aussi cruel, d’autre sentiment que la déception de perdre une camarade qui poussait l’abnégation jusqu’à lui offrir sa meilleure amie en échange d’elle-même.

Quand les bagages furent enlevés, qu’elle eut mis son manteau, son chapeau, qu’elle fut redevenue Mlle Hansen, étudiante en astronomie, elle dit à Jérôme, en lui tendant la main :

— Vraiment, ne voulez-vous pas souper ce soir avec Helen et moi ? Elle aime les garçons du Sud, elle sait de rire avec eux.

Jérôme répondit qu’il partirait le soir même pour Oslo.

— C’est dommage, dit-elle, on s’aurait bien amusé.

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