Jeunesse
PRÉFACE
Ce livre est né des circonstances. En l’écrivant, j’avais constamment présents à mon souvenir une quantité de jeunes hommes, appartenant à des milieux très différents, et à qui me rattache un même lien d’affection. Leur compagnie, leur genre de vie, leurs confidences m’ont inspiré.
J’ai pu me convaincre, en les fréquentant familièrement, que malgré les différences que constituent entre eux les situations sociales, la nature des études, l’inégalité d’éducation et de valeur morale, ils avaient de nombreux traits communs dans le bien et dans le mal.
Ce qui frappe le plus dans la jeunesse d’à présent, c’est qu’elle semble faire à la vie un accueil assez réservé. Je sais qu’il est convenu de le lui reprocher. On établit des comparaisons peu flatteuses entre elle et la jeunesse de certaines époques difficiles, où l’on allait vers l’avenir le cœur plein d’entrain, et comme souriant à la fortune sévère. Mais quelque spécieuses qu’elles soient, ces comparaisons ne sont pas justes. La part de vérité qu’elles renferment disparaît dans l’exagération d’un jugement sommaire. Je ne puis, pour ma part, accuser la nouvelle génération, en bloc, d’ingratitude envers le temps exceptionnel dont elle est l’héritière, ni surtout, comme le font plusieurs, la soupçonner de maladie imaginaire.
Notre jeunesse souffre positivement. Le malaise qui la travaille n’a rien de commun avec l’ingratitude ou la pose puérile ; Il est réel et du plus grave intérêt pour quiconque ne s’est pas habitué à dire : après nous le déluge. L’origine de ce malaise est à chercher dans la crise générale que traverse notre époque. Le scepticisme, le réalisme, la vie factice, résultats transitoires de la civilisation moderne, constituent un triste milieu pédagogique. La plante humaine n’y prospère pas. Elle y est condamnée à des privations matérielles et spirituelles qui l’étiolent, lui font une jeunesse terne et une vieillesse précoce.
L’existence anormale que nous menons a produit un abaissement de la vitalité humaine.
Parmi les formes multiples de ce mal j’ai essayé de décrire celles qui m’ont plus particulièrement frappé. En même temps j’ai signalé les efforts tentés pour les combattre. Tous ces efforts, de quelque nom qu’on les désigne, se résument en ceci : Retour à l’existence normale, à l’équilibre humain, au respect des lois de la vie.
Nous nous sommes écartés des sources, il faut y revenir : voilà l’idée-mère de ce livre. Si je devais le résumer en un seul avis, je dirais aux jeunes hommes : « Soyez jeunes et soyez des hommes ! »
Ce n’est pas sans regret que je me sépare de ces pages. Je les eusse voulues plus dignes de la cause qu’elles sont destinées à servir. Mais le moment me semblait venu de les publier. Tout mon désir est que l’un ou l’autre de mes jeunes contemporains y trouve une de ces paroles qu’il fait bon entendre quand on a vingt ans et qu’on emporte comme viatique pour le reste du voyage.
C. WAGNER
Paris, 15 novembre 1891.