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L'appel de la route

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UN AUTRE RÉPOND

Bien que nous eussions suivi sans l’interrompre le long récit de Pierre Duclos, je n’avais pas tardé à m’apercevoir d’un changement considérable dans la curiosité de Tinant. Condescendante au début, elle était devenue bientôt plus attentive, puis, à mesure qu’on avançait, véritablement passionnée, comme si les faits racontés lui fournissaient un tribut personnel. Je ne fus donc qu’à demi surpris quand, Pierre ayant achevé, j’entendis Tinant demander :

— Est-ce tout ce que tu sais ? Tu en es vraiment resté là ?

— Sans doute : pourquoi aurais-je caché quelque chose ?

Un sourire de triomphe éclaira le visage de Tinant :

— Hé bien ! mon cher, tes curiosités ne resteront pas où elles en sont. J’avais promis, quel que fût l’exemple que tu donnerais, d’en apporter un second où la souffrance produirait des résultats inverses : preuve que ce bienfait divin est pour le moins incohérent dans ses effets. Je ne me doutais pas que l’occasion se présenterait si belle ! C’est ton histoire que je vais recommencer.

— Mon histoire ! s’écria Pierre, stupéfait. Il faudrait pour cela avoir connu Lormier !

— Pourquoi non ? quand je dis recommencer, j’entends reprendre les mêmes faits, mais vus de l’autre bord. Sur la rive où j’étais, on n’apercevait pas mieux Lormier que sur la tienne on n’a vu La Gilardière : n’empêche que, prise ainsi par les deux faces, la tapisserie s’éclaire. Grâce à toi, bien des points qui m’étaient restés inexplicables, viennent de devenir limpides comme une eau de source. Parions qu’après m’avoir entendu à mon tour, sœur Thérèse en personne n’aura plus pour vous aucun mystère !

Il y eut parmi nous une hésitation étonnée. Je partageais l’incrédulité de Pierre. Celui-ci reprit, après une courte réflexion :

— Impossible ! Tu es dupe d’analogies !

— Il n’y a pas deux sœur Thérèse, ni deux La Gilardière !

— Je me suis servi de noms supposés !

— Rassure-toi, je les garderai : simples masques pour sauvegarder un reste d’anonymat que j’ai percé.

— Cependant tu vivais à Paris, ailleurs encore, mais toujours loin de Semur. Si tu avais eu un ami dans ma ville, je l’aurais su !

— Même s’il était La Gilardière ?

Alors, ébranlé, Pierre Duclos se tourna vers moi :

— Que penser d’une telle rencontre ?

Je répondis, railleur, bien qu’à demi convaincu :

— Je pense que, faute de lumière, on ne pouvait tirer du cas Lormier des conclusions raisonnables. Tinant sans doute nous les apporte. Le hasard, qui semble toujours cruel, se montre aussi parfois, bien que plus rarement, assez avisé.

— Permettez, reprit Tinant, que je remonte d’abord le cours du temps. Je suis si étonné moi-même de me retrouver ce soir au milieu d’êtres dont l’aventure m’a intrigué jadis et dont l’un, au moins, m’était très cher !

— Hâte-toi, dit Pierre, car l’heure avance : et compte que je t’arrêterai, si je m’aperçois que tu as fait fausse route.

— Je suis donc très sûr d’arriver au bout ; mais, encore une fois, quelle étrange sensation que de se heurter à du passé que l’on croyait mort et qui, soudain, se remet à vivre !…

Son visage venait de prendre une gravité qu’il devait garder jusqu’à la fin. Certains d’aller par les mêmes chemins, Pierre et moi avions aussi l’air d’attendre le retour d’êtres familiers, après avoir craint leur disparition sans retour…

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