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Le chalet dans la montagne : $b voyages vrais et imaginaires

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VI

Évidemment, elle était parfaitement innocente. C’était une bonne petite épouse désolée de ne pas aimer son mari. Elle aurait bien voulu l’aimer, d’abord parce que, étant honnête, elle croyait qu’elle le devait, ensuite parce que, jeune, tendre et sentimentale, elle avait besoin d’amour. Elle se rendait compte que c’était pour elle un grand malheur de ne point chérir l’homme auquel était liée sa vie. Mais comment faire pour l’aimer ? elle s’y efforçait sans y parvenir, — et si elle ne l’aimait jamais, comment faire pour vivre ?… Elle était triste.

Et elle se trouvait là, toute seule… Et j’étais arrivé. Je l’avais beaucoup regardée, avec tendresse, avec douceur, avec émotion, comme ce mari peut-être n’avait jamais su la regarder ou comme elle ne s’était jamais aperçue qu’il la regardât. Elle avait pensé à moi… — Et je lui avais parlé. J’avais parlé de ce qu’il y avait au fond d’elle-même, de ce qui était toute sa préoccupation… La nuit elle avait repensé à moi, à ce que j’avais dit… — Et le matin à son réveil, j’étais encore là, tout près, je parlais d’une façon caressante, avec une voix aimante.

Alors, l’après-midi, quand elle m’avait vu courir dans la plaine, que je l’avais rejointe, elle s’était sentie contente… Cela ne lui déplaisait pas de m’avoir près d’elle, puisque je savais la regarder, lui exprimer des choses qui la touchaient, et puisqu’elle devinait que j’étais plein de son image. Elle était heureuse de me trouver, moi affectueux, dans cette solitude où elle s’imaginait tristement abandonnée de tous. Et elle était flattée et caressée que je fusse galant, attentif, et n’eusse d’yeux que pour elle.

Elle se disait : « Ça n’a pas d’importance. Il s’en ira bientôt. Cela n’aura aucune suite. — Et puis d’ailleurs je ne fais rien de mal. » Et, avec une ivresse et un désir contenus, elle se penchait sur l’amour possible, et puisqu’elle ne devait point s’en nourrir, elle trompait sa faim en le regardant.

Je distinguais ce sentiment. Mais je comprenais aussi qu’elle était passionnée, qu’au bout de trois jours ou de huit, elle serait prise à son jeu, qu’elle était sans défense, ayant un profond besoin d’aimer, que je lui plaisais et que si je le voulais, elle m’aimerait follement, — que je n’avais qu’à rester ici, à faire miroiter l’amour devant ses yeux, à la courtiser de la même façon dont j’avais commencé, et qu’elle tomberait dans mes bras. Je comprenais qu’au fond d’elle-même, et en le répudiant de toute son honnêteté, de tout son cœur elle appelait un amant, que cette femme admirable, — naturelle, songeuse et mélancolique, — pleine de vie, — avec une chevelure, des yeux et des lèvres d’amoureuse, — en secret demandait à son Dieu celui entre les bras duquel enfin elle se tordrait, elle pleurerait, elle crierait, qu’elle était arrivée à la minute où une âme ardente ne veut plus qu’adorer ou mourir.

Ce soir, je ne l’aurais pas. Si je savais l’émouvoir, je pourrais l’embrasser peut-être, baiser ses lèvres ? Et encore non, elle était farouche, et pour chacun des moindres dons qu’elle pourrait consentir, il faudrait qu’elle eût été apprivoisée par beaucoup de tendresse ; jamais elle n’avait supporté de familiarités que de son mari, j’en étais sûr : il y avait en elle le sens de sa propre dignité et celui de la sainteté de l’amour. L’amour lui paraissait quelque chose de si beau et de si élevé que rien n’eût pu lui faire accepter d’en ternir l’idée en elle-même, et qu’elle ne se fût jamais livrée à une représentation de lui basse et incomplète. Elle ne se fût donnée qu’à un être dont elle se fût crue certaine d’être aimée et qu’elle-même eût entièrement aimé. Elle était trop pure pour vouloir autre chose que tout l’amour, qu’un échange total de cœur et de chair, qu’un don parfait.

Ce soir, je ne l’aurais donc pas. Mais que demain, je continue, que je poursuive, un jour, je la posséderai et ce sera un superbe amour. Je voyais cela… Puis je me disais : « Demain, j’ai rendez-vous à huit heures du soir à Modane avec Lionel mon ami. Notre voyage est décidé depuis un an. Nous l’avons préparé longuement cet hiver. Lionel, hier, s’est mis en route… Il a quitté Paris : c’est comme si j’avais quitté moi-même Le Lautaret. Mon voyage est commencé, je ne puis plus songer à le reculer, à le remettre. Lionel parti, je ne peux pas ne pas le rejoindre. Il faut que demain soir à huit heures je sois avec lui. C’est la fatalité. Quelque chose de supérieur à ma volonté s’oppose à ce que je reste ici, à ce que je me donne à cet amour. »

Et douloureusement je rêvais, car j’avais, moi aussi, enfant sentimental, besoin d’aimer. Et sentir l’Amour là, si près et tout prêt. Et partir ! Et penser :

« Je laisse ici ce que peut-être je ne retrouverai jamais. »

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