Le chalet dans la montagne : $b voyages vrais et imaginaires
IV
Le lendemain, je me levai à six heures. J’avais bien mal dormi. Je poussai les volets : un temps admirable ; ma chambre, située au levant, s’emplit de soleil ; tout clairs les murs, le parquet, le plafond de sapin verni brillèrent. Il faisait frais ; cependant je me mis à la fenêtre et je regardai les montagnes en fumant une cigarette. Que c’était beau, et, si elle voulait, ma voisine, quelle journée nous passerions ! Mais je pensais, aussi, rembruni, que demain soir j’avais rendez-vous à Modane !
Je commençai ma toilette, qui dura une grande heure et que je fis avec une minutie particulière. Qui sait ce qui arrivera aujourd’hui ? pensais-je, et longuement je m’ébrouais dans l’eau froide. Puis je regardais le jeune soleil, et dans le matin le ciel limpide comme du cristal.
Que je m’étais levé tôt ! Je n’entendais rien bouger dans le chalet… Je serais volontiers descendu, ce que je voyais dehors m’attirait, mais je ne m’y résolvais point : ici, j’étais près d’elle, elle était là, étendue dans son lit, derrière cette cloison ; dès qu’elle remuerait, je l’entendrais, elle était là — là ! et cette pensée dans mon imagination s’aiguisait de tous mes désirs, de tout mon espoir, et me donnait un trouble que je préférais au plaisir d’errer dans le plus beau des paysages.
J’avais tiré ma porte de communication qui avait craqué en s’ouvrant, et je tremblais qu’elle n’eût entendu : pourquoi tant de timidité ? j’aimais donc ?… J’écoutais, séparé de sa chambre seulement par l’épaisseur de sa porte à elle. Et je l’entendais respirer, c’était comme si j’eusse été chez elle, j’entendais son souffle ! Elle était là… Couchée !… Elle respirait… Oh ! si j’ouvrais, si j’ouvrais la porte !…
Et je restai, oreille collée, à écouter, les yeux hagards ! Combien de temps ? Je l’ignore. Elle dormait, j’entendais sa respiration régulière. Puis elle fit un grand soupir et elle se remua dans son lit ; je compris qu’elle était éveillée. J’avais envie de lui parler, mais je craignais de lui déplaire en me rappelant tout d’un coup, tout de suite à sa pensée, et aussi que la gênât l’idée que j’étais si près d’elle, que je l’entendais si bien, que j’étais si mêlé à l’intimité de son existence. Je conservai donc mon immobilité et mon silence, et je continuai à épier passionnément sa vie. La femme de chambre entra. J’entendis un dialogue, et la voix encore endormie et comme brisée de la maîtresse qui dit d’ouvrir les volets, puis qui admira le beau soleil et qui commanda de poser sur son lit le plateau du thé. La femme de chambre sortit. Alors je m’enhardis ; maintenant qu’elle avait repris la conscience des choses et que ses rêves de la nuit étaient éloignés, je pouvais me rappeler à elle dans toute mon imparfaite réalité.
— Bonjour ! dis-je. Vous avez bien dormi ?
— Oh ! mais, où êtes-vous donc ?… Vous m’avez fait peur. On dirait que vous parlez dans ma chambre. Vous avez donc ouvert votre porte ?…
— Oui, je l’ai ouverte pour être plus près de vous.
— Et à quoi cela vous avance-t-il ?
— A croire que je suis avec vous, chez vous… Je suis levé depuis deux heures…
— Et que faisiez-vous ? Je ne vous ai pas entendu !
— Je vous écoutais dormir.
— Je ronfle donc ?
— Non. J’écoutais au contraire votre souffle pur comme celui d’un enfant, et je vous adorais comme une enfant.
C’était charmant, ce dialogue à travers la porte. Je me l’imaginais dans son lit, le drap à moitié rejeté, la chemise entr’ouverte, ses beaux cheveux défaits, ses grands yeux regardant l’endroit d’où venait ma voix, et écoutant et me répondant.
Je reprenais :
— Savez-vous qu’il fait un temps miraculeux ?… Il faut vous lever.
— Pour quoi faire ?
— Pour venir vous promener…
— Oh non ! Je suis si bien là, si bien ! murmurait-elle paresseusement.
Et je pensais qu’elle s’étirait, je voyais en moi-même son joli geste, et j’avais encore une furieuse envie d’enfoncer la porte. Mais je me contenais, et je faisais ma parole caressante pour la supplier de se lever.
— Ah ! la paresseuse ! C’est une honte de rester au lit par un aussi beau soleil. Voulez-vous que j’aille chez vous ? Je vous aiderais à vous lever, je vous habillerais, vous verriez quelle femme de chambre empressée je serais. Oh ! mon bonheur à démêler vos cheveux ! Comme je saurais bien vous lacer ! Et qu’humblement je me jetterais à vos pieds, pour vous mettre vos souliers !…
— Vous êtes fou !
— Oui fou, horriblement fou… Si vous croyez que ce n’est pas à rendre fou de passer la nuit si près de vous !
— Voulez-vous vous taire !
— Eh bien ! levez-vous ! levez-vous ! Allons nous promener…
— Ah ! non, par exemple ! Me promener avec vous !… Mon Dieu, cela ferait un beau scandale !…
— Laissez donc dire. Venez.
— D’abord, je ne suis pas levée. Le temps que je me lève, puis que je m’habille, je ne serai pas prête beaucoup avant midi.
— Allons donc… Il suffit d’un peu de courage. Allons, une, deux et trois : debout !… Êtes-vous levée ?
— Non.
— J’entre ! J’entre et je vous tire du lit.
— Oh !
— Cela ne vous émeut donc pas, ce beau ciel bleu que vous voyez de vos draps ? Cela ne vous donne pas envie de sortir, de marcher, de chanter, de vivre ?…
Enfin je l’entendis se lever. Puis elle alla dans sa chambre en chantonnant. Ce qu’elle fredonnait, ah ! que c’était doux et que c’était rêveur ! Je l’écoutais en retenant mon souffle, j’étais attendri. J’aurais voulu la baiser sur la bouche, sur sa bouche d’où jaillissait une âme si limpide.
Cependant elle était inquiète de ne m’entendre pas bouger et de mon silence. Elle s’arrêtait :
— Qu’est-ce que vous faites ? disait-elle tout d’un coup.
— Rien. Je vous écoute.
Mais de me sentir là, tapi dans un coin, invisible et aux aguets, cela lui causait un malaise. Elle n’osait plus remuer, elle n’osait plus chanter, elle n’osait pas faire sa toilette. Elle n’était plus libre. Elle aurait bien voulu que je m’en allasse, et je la compris.
— Écoutez, dis-je, il faut combien de temps pour vous habiller ? Une heure ?
— Oui.
— Eh bien, je serai dans une heure au bas de la route.
— Bien.
— Vous viendrez ?
— Oui.
— Sûrement ?
— Sûrement.
Et j’allai m’allonger dans l’herbe avec un livre. Je comptais peu sur sa venue. C’eût été trop. Notre conversation de ce matin me semblait pouvoir être considérée déjà comme un grand progrès dans mes rapports avec elle. Et raisonnablement je ne devais pas aller plus vite que je n’avais été. Mais aussi je songeais tristement que demain soir j’avais rendez-vous à Modane, que je ne disposais donc plus que d’une après-midi, d’une soirée et d’une nuit, et que ce délai était fort insuffisant pour venir à bout d’une femme qui n’avait encore jamais eu d’amant.
Comme je le prévoyais, elle ne me rejoignit pas, et je la retrouvai seulement à l’heure du déjeuner.