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Le chalet dans la montagne : $b voyages vrais et imaginaires

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III

La nuit nous ramena sur le bateau. Nous nous trouvâmes dans la petite cabine ménagée dans la cale et qui servait à la fois de salle à manger et de chambres. Une table avec des banquettes fixes, quatre couchettes. On y dîna, éclairé par une bougie fumeuse et vacillante, cahoté par le flot brusque de la marée, mal à l’aise. Aussi quel soulagement de reparaître à la surface : sur le pont ! Le temps était beau, la lune montait dans le ciel en faisant sa douce musique de lumière. Les bateaux captifs qui nous entouraient, du même mouvement que le nôtre, se balançaient. On voyait là-bas dans l’île comme des étoiles, les petites lampes des cabanes, et quelques ombres humaines. Nous nous étions assis et nous respirions délicieusement la fraîcheur de la brise en savourant ce calme, notre indépendance, l’éloignement où nous nous sentions de la civilisation, et enfin tout ce que peut éveiller dans l’esprit le chant de la mer par une belle nuit. Nous fumions en silence…

Puis Toussaint parla ; il nous conta sa vie, ce qu’il aimait, ce qu’il n’aimait pas, ce qu’il eût voulu avoir, ce qu’il n’avait pas eu. Et c’était le désir, l’espoir et la mélancolie de toutes les existences. Et que je comprenais cette âme !… La lune ! la lune ! le chant de la mer ! Ah ! c’était une nuit pour se parler et pour s’entendre ! une nuit pour tout se dire ! mais nous écoutions, et nous répondions à peine, étouffant en nous-mêmes les éclats de notre émotion.

Nous devions pêcher à minuit. Il était dix heures. Pour attendre, à côté les uns des autres nous nous allongeâmes sur le pont ; sur nos corps, un homme du bord étendit la grande voile qui nous recouvrit tous ; sa toile est lourde, épaisse, et l’air ne la traverse pas ; nous avions chaud. Ainsi couchés, nous ressemblions sans doute à des morts tous ensevelis dans le même linceul.

Je ne bougeais pas ; j’étais balancé ; en ouvrant les yeux, c’était les étoiles. Vaguement, je songeais que, tout à l’heure, il faudrait se lever, entrer dans l’eau froide. On ronflait près de moi… A minuit un matelot nous éveilla : « La mer est haute. Il est temps ». Nous nous habillons sans entrain, nous grelottions en regardant l’eau et la lune. Enfin nous descendîmes dans la barque. Et nous voilà partis avec, parmi le silence, le seul bruit des avirons claquant régulièrement la mer… Mais l’extraordinaire beauté du paysage nous eut bientôt ranimés tout à fait. Ah ! le rêveur, le pur, le fantastique aspect des rochers sous la lune ! Ah ! la lumière éblouissante sur les criques et sur le mont livide ! Les nappes de clarté glissant sur les îles basses, et l’eau percée de mille pointes d’argent ! Ah ! l’enchanté sommeil, et l’extase des choses !…

Nous abordâmes sur une petite plage. Deux pêcheurs restèrent dans la barque pour placer la seine. C’est un long filet qu’on pose dans la mer en demi-cercle et de façon que l’ouverture regarde le bord ; puis, entrant dans l’eau, cinq ou six hommes s’attellent à chaque bout et tirent à eux en revenant à terre ; on amène ainsi le filet sur la plage, et avec le filet, tout le poisson qui se trouvait devant le bord. Nous enfoncions dans la vase, nous sentions l’eau qui nous baignait le ventre, et nous chantions doucement, doucement, enivrés par la beauté du paysage et de l’action. « Dire que pendant qu’il existe d’aussi divins spectacles, nous dormons ! s’écria l’un de nous. Hélas ! on perd sa vie ! »… La seine, que nous sortions de l’eau, s’égouttait en larmes de clair de lune… Des mailles étendues sur le sable nous dégagions les soles, les raies, les bars verts qui s’y étaient pris, et les jetions dans un panier.

Puis on replia le filet, on remonta dans la barque, on revint au bateau, et de là, à terre, où nous projetions de coucher à l’auberge.

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