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Le chalet dans la montagne : $b voyages vrais et imaginaires

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VIII

Et maître de disposer, du moins à bien des égards, de la plus aimable femme du monde, ne m’avez-vous pas trouvé aussi retenu qu’aujourd’hui je le serais avec cette exécrable Araminte qui m’inspire de si violents dégoûts ? Je veux ne point mériter de récompense, et que vous ne croyiez pas me devoir des faveurs par cette seule raison que je n’ai pas tenté de vous en arracher, mais qu’au moins l’effort que je me suis fait, trop cruel pour n’être pas l’ouvrage de la passion la plus vive qui fût jamais, vous prouve la vérité de mes sentiments.

(Crébillon fils, La Nuit et le Moment).

Ce qui m’était intolérable, c’était la pensée que je lui avais fait mal, que j’avais détruit le rêve qu’elle avait déjà bâti sur moi, que maintenant, derrière ce mur, elle souffrait, elle se lamentait, elle se disait : « Ainsi voilà l’être auquel je songeais ! »

Je ne pouvais supporter l’idée de son mépris. Je l’entendais se remuer, se retourner dans son lit, et j’avais envie de lui crier : « Pardon, pardon ! Non, tu ne t’étais pas trompée, non ! Je suis bien celui que tu croyais, j’ai eu un instant de folie, mais maintenant je te comprends, maintenant je t’aime et je te respecte profondément. Oh ! je t’en supplie : ne crois pas que je sois entré dans ta chambre pour faire ce que j’ai fait. Ne crois pas que j’en avais l’intention, que je t’ai menti, que je t’ai trompée, que j’ai eu cette duplicité et cette malhonnêteté. » J’étais désolé. Je me rappelais sa phrase : « Ah ! je suis dégoûtée de moi ! » Et elle me châtiait cruellement. « Je suis dégoûtée de moi », cela voulait dire : Je suis dégoûtée de moi qui ai pu croire en vous, penser à vous, à vous qui n’êtes qu’un être sale et sans noblesse. Je suis dégoûtée de moi qui ai eu assez peu d’intelligence de cœur pour ne pas vous pénétrer, pour ne pas voir la vilaine âme que vous avez, pour me commettre avec un individu de votre espèce… Ah ! son mépris ! ah ! songer qu’elle me méprisait, que maintenant elle pleurait son aveuglement, qu’elle m’arrachait de son cœur et me considérait avec répulsion !…

Oui, son mépris me perçait l’âme, car à présent, ayant reconnu mon erreur, je comprenais son innocence, sa délicatesse, la confiance qu’elle avait mise en moi, et j’étais infiniment touché. Je l’adorais, elle m’apparaissait une créature rare de blancheur, de naturel, de beauté. Elle m’avait laissé pénétrer dans sa chambre avec innocence ! Elle croyait en ma parole ! Elle n’en doutait pas un moment ! Elle ne pouvait supposer que je la trahirais ! Cette pensée m’émouvait aux larmes. — Ce qu’elle avait désiré de moi, je le comprenais maintenant : c’était que je lui parlasse ainsi que je le lui avais dit. Ce qu’elle voulait, c’était, puisque j’allais partir demain, me revoir une dernière fois, avoir avec moi un entretien suprême : nous dire tout, au moment de nous séparer à jamais. Ce qu’elle attendait, c’était que j’exprimasse ce qui devait se trouver dans mon cœur à la veille de la quitter, ce qui rendait notre situation enivrante et douloureuse, et devait faire notre rencontre inoubliable. Ce qu’elle attendait, c’était de l’émotion, des caresses de paroles, et des consolations tendres, c’était des phrases qu’elle pût se répéter à elle-même plus tard, quand elle serait seule, des phrases dont elle penserait : « Quelqu’un qui m’aimait me les a dites, je n’ai pas été à lui, je ne serai pas à lui ; il est parti, je l’aime, et je ne le verrai plus jamais. » Cela était adorablement enfant, cela était d’un sentiment exquis, et c’est cela, cela, que je n’avais pas compris. Cela que, comme un soldat, comme un butor, j’avais brisé, détruit, foulé aux pieds, sans rien voir ! C’est cette fleur divine que j’avais froissée dans mes gros doigts de sauvage !…

Pauvre petite, pauvre amie ! Je ne pouvais me consoler du mal que je lui avais fait, et je me disais : « Pourtant, non, ce n’est pas possible, je ne puis m’en aller là-dessus, il faut qu’elle me pardonne, il faut qu’elle comprenne, il faut que je lui explique… » et revoyant la scène, démontant tous mes sentiments depuis l’instant où j’avais franchi son seuil, je ne me trouvais pas si coupable. C’est vrai que j’avais été aveuglé, que j’étais devenu fou, que je n’avais plus rien compris, que j’avais perdu la conscience de ce qu’elle était, de tout ce que j’avais justement pensé d’elle. Mais enfin, à ma place, qui ne se fût trompé, qui n’eût commis la même méprise ? Entrer chez une femme de cette façon, à cette heure !… En somme je la connaissais très peu, il était donc naturel de me demander si l’opinion que je m’étais formée d’elle était fondée, et devant un nouveau fait de rectifier mon opinion. Ce fait-là pouvait vraiment déranger le sens si net que jusqu’à présent j’avais eu de ce qui se passait entre nous… Non, je n’étais pas si coupable, et le plus fin, le plus délicat eût sans doute à ma place agi comme moi, une circonstance aussi imprévue déroute, égare, — et le plus galant homme n’est point infaillible.

J’examinais en moi l’instant où je l’avais tenue dans mes bras, et j’y découvrais de la générosité. Dès que je m’étais aperçu que je me trompais, j’avais éprouvé un sentiment complexe, j’avais pensé : « Non, elle ne veut pas. Mais elle est sensuelle. Je puis parvenir à l’affoler, ses sens peuvent la trahir », et je cherchais instinctivement sa bouche pour égarer sa volonté sous mes baisers. Mais j’avais pensé aussi : « Mettons que je l’aie, là, de cette manière, lâchement… Je pars demain. J’abandonne ici une femme humiliée, qui a perdu son bonheur, qui ne s’estime plus, qui aura un secret pour son mari, qui n’osera plus le regarder en face. Je salis toute une vie de femme. Je fais une malheureuse. » Et à cette idée, aussitôt j’avais ouvert mes bras. J’avais vu nettement le crime que j’allais commettre et j’en avais eu horreur. Non, mille fois non ! je n’étais pas coupable comme une petite tête, derrière ce mur, le supposait. J’avais été honnête. Je m’étais arrêté à temps. Et il fallait encore bénir le ciel que ce fut avec moi que cette enfant eût été imprudente. Combien d’autres en effet, n’eussent pas hésité ! Combien d’autres, sans réflexion, ou dans une pensée d’égoïsme ignoble, eussent flétri cette âme innocente !… Je l’avais laissée libre, et elle était à ma merci. Car elle était à ma merci, j’étais dans sa chambre : elle était à moi ; elle ne pouvait me chasser, elle ne pouvait appeler ; qui eût consenti à croire qu’elle m’avait introduit chez elle dans l’intention de se refuser à moi ? A cette heure-là ! Dans ce costume-là ! Toutes les apparences étaient contre elle. Elle s’était mise dans une situation telle qu’elle ne pouvait en sortir que par ma volonté. Et elle le savait que sa situation était affreuse, elle luttait sans bruit, affolée, terrifiée, dans une horrible détresse… Or, dès que je m’étais aperçu de son état, je n’avais songé qu’à la rassurer.

Et je me disais : « Oui, il faut absolument que demain, avant mon départ, elle consente à m’écouter. Il faut que je ne lui laisse pas un mauvais souvenir, il faut qu’elle comprenne ce que j’ai fait, qu’au lieu d’être coupable, je serais louable ; qu’un malentendu de ma part était forcé, et que je me suis arrêté pour des raisons pures et qui prouvent tout mon amour pour elle… »

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