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Le monde de la mer

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CHAPITRE VII
LES ÉPONGES.

Heureux qui, satisfait de son humble fortune,
Vit dans l’état obscur où les dieux l’ont placé.

(Racine.)

I

Le sein de l’Océan est rempli de mystères. Parmi les associations animales qu’il renferme et qu’il nourrit, une des moins connues est peut-être celle qu’on désigne communément sous le nom d’Éponge.

Cette association apparaît comme une masse de tissu léger, résistant, élastique, lacuneux, de forme très-variée, et d’un fauve brun ou blond tirant un peu sur le rougeâtre.

Les opinions les plus diverses ont régné tour à tour dans la science sur la nature des Éponges. Parmi les anciens, les uns les regardaient comme des plantes, les autres comme des animaux; certains faisaient du juste-milieu, ils les prenaient pour une espèce de nid feutré de nature végétale, servant d’habitation à des Polypes. Ces animalcules n’étaient pas attachés à leurs petites loges, ils pouvaient en sortir et y rentrer à volonté. Les Polypes du Corail ne sont pas aussi heureux!...

Pline, Dioscoride et leurs commentateurs ont prétendu que les Éponges étaient sensibles, qu’elles adhéraient aux rochers par une force particulière, et qu’elles fuyaient la main qui voulait les saisir... Ils les ont même distinguées en mâles et en femelles.

Les premiers naturalistes, pour le rappeler en passant, voyaient des mâles et des femelles partout. L’Homme a toujours voulu trouver quelque chose à sa ressemblance, même dans les corps organisés les plus obscurs.

Érasme, critiquant les assertions de Pline, conclut qu’il faut passer l’éponge sur tout ce qu’il a écrit à ce sujet.

Nieremberg, et plus tard Peyssonnel et Trembley, ont soutenu avec raison l’animalité des Éponges. Leur manière de voir a été adoptée par Linné, par Guettard, par Donati, par Ellis et par Lamouroux....

Les Éponges habitent dans presque toutes les mers, principalement dans la Méditerranée, dans la mer Rouge, et dans le golfe du Mexique. Elles aiment les eaux chaudes ou tempérées, et les lieux les moins exposés aux vagues et aux courants.

Ces colonies vivent dans les fonds marins de cinq à vingt-cinq brasses, parmi les excavations et les anfractuosités des rochers, et sont toujours adhérentes. Elles se développent non-seulement sur les corps inorganiques, mais encore sur les végétaux et sur les animaux.

Elles sont étalées, dressées ou pendantes, suivant les endroits où elles croissent, suivant les corps qui les supportent et suivant leur propre forme.

C’est un caractère bien singulier que la fixation de certaines espèces animales. Les personnes du monde s’imaginent que tous les animaux jouissent de la faculté de se transporter d’un endroit dans un autre; en un mot, qu’ils sont locomotiles, pour nous servir d’un mot consacré par la science. Cependant il n’en est pas ainsi; il existe des tribus entières et nombreuses qui sont adhérentes, qui vivent et meurent attachées au même point. Tels sont les Polypiers, telles sont les Éponges.....

ÉPONGE SUR UNE ALGUE.
(Pêchée par soixante brasses de profondeur.—Dessin de Riocreux.)

Il résulte de l’adhérence des corps organisés, qu’ils sont plus soumis à la puissance des agents extérieurs et plus influencés par eux que les animaux locomotiles, lesquels ne manquent pas de se soustraire à ces mêmes agents par leurs fréquents changements de place, quelquefois même par des migrations périodiques. De là de grandes différences dans les fonctions, dans les mœurs, dans les caractères, entre les animaux fixés et les animaux non fixés.

II

On connaît plus de trois cents espèces d’Éponges. Il y en a de pédiculées et de non pédiculées, de foliacées, de globuleuses, de concaves, de fistuleuses, de digitées. Cette variété de formes nous explique les noms plus ou moins singuliers qui leur ont été donnés par les marins: la Plume, l’Éventail, la Cloche, la Corbeille, le Calice, la Lyre, la Trompette, la Quenouille, la Corne d’élan, le Pied de lion, la Patte d’oie, la Queue de paon, le Gant de Neptune....

La Nature a mis autant de soin à organiser les plus humbles habitants des eaux que les êtres qui appartiennent aux ordres les plus élevés de la création.

L’Éponge usuelle est une masse irrégulièrement arrondie, souvent un peu concave en dessus. Quand on examine à la loupe son tissu, on le trouve composé de fibres fines, flexibles, entrelacées, formant un grand nombre d’orifices, les uns très-petits (pores), et répandus en grand nombre sur toute la surface de l’Éponge, les autres beaucoup plus grands (oscules), et généralement situés à la partie supérieure.

Dans l’intérieur, des conduits irréguliers de toutes les dimensions s’abouchent les uns dans les autres, et font communiquer les pores et les ostioles.

Le tissu est comme feutré de corps durs, appelés spicules, calcaires ou siliceux, effilés comme des navettes étroites, simples ou divisées en deux ou trois branches.

A l’état vivant, cette masse est recouverte d’une couche muqueuse, qui coule gluante quand on retire le Polypier de l’eau.

GANT DE NEPTUNE.

Pendant la vie de l’Éponge, on voit sortir de chaque cellule ou de chaque Polype un torrent d’eau impétueux, sorte de fontaine vivante qui semble ne s’arrêter jamais. Pauvres petites bêtes qui reçoivent leur nourriture du flot qui les baigne, qui aspirent et expirent l’onde amère toute leur vie, et qui ne savent pas ce qui se passe à 2 millimètres de leur bouche!

VARIÉTÉS DE SPICULES D’ÉPONGE.

FRAGMENT D’ÉPONGE USUELLE, TRÈS-GROSSI.

Dans les mois d’avril et de mai, ces animalcules engendrent des germes arrondis jaunâtres ou blanchâtres, d’où naissent des embryons ovoïdes, granuleux, munis vers le gros bout de petits cils vibratiles. Ces embryons sont rejetés par le courant qui sort de l’estomac, et forment des essaims de larves autour du Polypier. Ces larves nagent, la partie la plus dilatée en avant, comme les larves du Corail, par des mouvements doux et réguliers qui ressemblent à un glissement onduleux. Quand elles sont restées quelque temps dans l’eau, elles viennent ordinairement à la surface, mais elles sont souvent entraînées par les courants. Pendant deux ou trois jours, elles semblent chercher un endroit convenable pour se fixer. Une fois fixée, la larve perd les cils vibratiles, s’étale, et prend la forme d’un disque gélatineux très-aplati.

Dans l’intérieur s’organisent des cellules contractiles et de nombreux spicules.

On ne sait pas exactement combien de temps les Éponges mettent à se développer. On pense que, dès la troisième année, on peut revenir dans les lieux précédemment épuisés.

III

La pêche des Éponges est principalement exploitée par les Grecs et par les Syriens, depuis Beyrouth jusqu’à Alexandrie. Les Grecs commencent à pêcher en mai et finissent en août; les Syriens continuent jusqu’à la fin de septembre.

Les embarcations portent quatre ou cinq hommes.

Chaque plongeur est armé d’un couteau à forte lame, ou bien d’un trident à branches tranchantes, recourbées et garnies d’une poche faite de filet.

Les bateaux arrivent sur les côtes rocheuses habitées par les Éponges. Lorsque la mer est très-calme, on aperçoit assez distinctement ces Polypiers, et l’on commence à plonger ou à draguer.

Ce dernier genre de récolte offre l’inconvénient de déchirer le tissu; aussi les Éponges obtenues de cette manière se vendent-elles 30 pour 100 de moins que les Éponges dites plongées. (Lamiral.)

Dans le golfe du Mexique, où ces Polypiers croissent à de faibles profondeurs, les marins enfoncent dans l’eau une longue perche amarrée près du bateau, se laissent glisser sur les Éponges et les arrachent avec facilité. (Lamiral.)

Après la pêche, on nettoie les Éponges, on les débarrasse de la matière animale, des spicules et des corps étrangers qu’elles contiennent.

Une fois préparé, le tissu prend une teinte roussâtre plus ou moins dorée. Son élasticité, sa perméabilité et sa résistance à la macération sont connues de tout le monde. Certaines espèces, habituellement très-colorées, perdent leurs nuances en se séchant, et deviennent plus ou moins blanches.

M. Lamiral a publié un excellent mémoire sur les moyens d’acclimater et de multiplier les Éponges dans les eaux françaises de la Méditerranée, et sur la nécessité de réglementer leur pêche. Il insiste sur l’introduction, dans nos parages, de l’Éponge fine de Syrie, appelée chimousse. La Société zoologique d’acclimatation a résolu d’essayer cette introduction; elle a donné (avril 1862) une mission spéciale à M. Lamiral pour aller chercher dans l’Orient des Éponges pleines d’œufs. Le succès n’a pas couronné cette première expérience.

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