Le monde de la mer
CHAPITRE XXXII
LES CRUSTACÉS.
C’est li Loups famillieux qui tout tue et dévore;
Quanque tient devant eulx tout mort, riens n’assavore.
(Girart de Rossillon, 1316.)
I
Les Crustacés sont les Insectes de la mer; mais ils ont plus de taille, plus de force et plus de voracité que les Insectes ordinaires. Au lieu d’une tunique coriace, ils sont revêtus d’une armure calcaire plus ou moins épaisse et plus ou moins dure, souvent hérissée de poils roides, de tubercules épineux, même de pointes acérées.
Partout où dans l’Insecte nous trouvons la corne, dans le Crustacé nous rencontrons la pierre. C’est à peu près la même construction, seulement le Constructeur a changé ses matériaux.
Les Crustacés ont presque tous d’énormes pinces crochues et dentelées, dont ils se servent comme de puissantes tenailles ou comme d’engins de guerre redoutables. On les a comparés à ces lourds chevaliers du moyen âge, audacieux et cruels, bardés d’acier de pied en cap. Visière et corselet, brassards et cuissards, rien n’y manque.....
CRABE EN PLEINE MUE.
Ces chevaliers marins vivent sur la plage, au milieu des rochers, à une faible distance du rivage; ou bien au sein de la mer, à des profondeurs considérables. Quelques-uns se cachent dans le sable; d’autres se tapissent sous les pierres. Certains, comme le Crabe commun ou Crabe enragé[167], aiment l’air du rivage presque autant que l’eau salée, et se tiennent presque toujours sur le bord humide des falaises.
La solidité de leur carapace calcaire l’empêche de s’étendre; ils ne peuvent grandir qu’à condition de muer. A une époque déterminée, la Nature dépouille le guerrier de sa cuirasse. La bête mue; la croûte calcaire tombe, et laisse à découvert une tunique mince, pâle et délicate. Dans cet état, le Crustacé ne mérite plus son nom. Sa peau est devenue presque aussi vulnérable que celle d’un Mollusque. Mais il a l’instinct de sa faiblesse: il se retire prudemment à l’écart; il se cache honteusement dans quelque trou obscur, jusqu’à ce qu’une autre vestiture résistante, appropriée à sa nouvelle taille, lui ait rendu, et son armure de combat, et sa dignité de Crustacé. Malheur à lui si, pendant sa période de faiblesse, il est rencontré par un de ses anciens opprimés. Il est à sa merci, et paye alors chèrement, comme on dit, ses cruautés d’autrefois.
SQUILLE MANTE
(Squilla mantis Rondelet).
Les Crustacés n’ont pas, comme les animaux supérieurs, une colonne vertébrale, c’est-à-dire un axe calcaire intérieur, à la fois dur et mobile, portant des appendices de même nature, avec lesquels il forme une charpente solide ou squelette. Mais ils possèdent, ainsi qu’on vient de le voir, une enveloppe pierreuse. L’élément osseux ne s’est point condensé dans le corps, il s’est accumulé à la périphérie. Leur peau tient donc la place du squelette. Geoffroy Saint-Hilaire disait que les Crustacés vivent, non pas en dehors de leur colonne osseuse, comme les Mammifères, mais en dedans, comme les Mollusques, et qu’ils sont logés dans leurs vertèbres. Il existe donc des animaux à squelette intérieur, à véritable squelette, et des animaux à squelette tégumentaire ou dermato-squelette.
Les Crustacés ont une armure sombre, bronzée ou gris de fer, comme les métaux forgés pour les combats. Quelques-uns sont rouges ou rougeâtres, comme le sang de leurs victimes; quelques autres, d’un jaune terreux ou d’un bleu livide, comme la chair qui se corrompt.
Leur croûte calcaire est épaisse et résistante, surtout dans la région dorsale. Leurs membres ont aussi une dureté très-remarquable.
Cependant, chez les petites espèces, on observe souvent un test fort mince et d’une transparence cristalline, qui permet de suivre au travers les actes de leur digestion et les mouvements de leur circulation.
Plusieurs Crustacés tout à fait microscopiques contribuent parfois à colorer les eaux de la mer en rouge pourpre ou violacé. Telles sont la Grimotée d’Urville[168] et la Grimotée sociale[169].....
Chez les Araignées de mer, où le cou n’existe pas, la tête est fondue dans la poitrine (céphalothorax), mais le ventre reste distinct. Le milieu du corps présente un resserrement, une taille quelquefois étroite et gracieuse. Chez les Crustacés, il n’y a plus ni cou ni taille. La tête, la poitrine et le ventre ne forment plus qu’une seule masse, souvent courte, trapue, athlétique et difficile à entamer.
Plusieurs de ces animaux possèdent une queue puissante, composée d’un certain nombre de palettes ciliées, avec laquelle ils battent l’eau à reculons, et dont ils se servent habilement pour étourdir leurs ennemis. N’oublions pas de dire que la partie appelée queue, par les gens du monde, est la queue plus le ventre[170].
En leur qualité d’animaux aquatiques, les Crustacés respirent par des branchies. Chez les grosses espèces, ces branchies sont des lamelles ou des filaments dont les supports sont parcourus par deux canaux: l’un qui amène le sang dans l’économie; l’autre qui le dirige vers le cœur. Ces organes sont enfermés dans le corps. Chez les petites espèces, les branchies paraissent souvent extérieures et pendent dans l’eau comme des franges. Quelquefois ces mêmes organes servent en même temps à respirer et à nager. Ce sont des branchies-pattes ou des nageoires-branchies. D’autres fois l’animal ne possède pas d’appareil spécial pour la respiration.
ARAIGNÉE DE MER
(Pisa tetraodon Leach).
Presque tous les Crustacés sont robustes, hardis et destructeurs. Ils forment dans la mer une horde de brigands nocturnes, ou de maraudeurs impitoyables, qui ne reculent devant aucun guet-apens. Ils se battent à outrance, non-seulement avec leurs ennemis, mais souvent entre eux, pour une proie ou pour une femelle, quelquefois uniquement pour le plaisir de se battre. Les misérables! Ils luttent audacieusement avec leurs pinces vigoureuses. D’ordinaire la carapace résiste aux coups les plus terribles; mais les pattes, la queue, et surtout les antennes, subissent les plus affreuses mutilations. Heureusement, fort heureusement pour les vaincus, que les membres emportés repoussent après quelques semaines de repos! C’est pour cela qu’on rencontre maintes fois des Crustacés avec des serres de grosseur très-inégale; la plus petite est celle qui renaît pour remplacer une perte éprouvée dans un combat. La Nature n’a pas voulu que les Crustacés restassent longtemps invalides. Ils reviennent bientôt sur le champ de bataille, tout à fait remis de leurs blessures. On a vu des Homards[171] qui, dans une rencontre malheureuse, avaient perdu une jambe malade et débile, reparaître au bout de quelques mois avec une jambe complète, vigoureuse et d’un excellent service.
O Nature! comme tu remplis notre âme d’étonnement et de respect!
Dans les ports d’Espagne, quand on a pris une espèce de Crabe appelée Boccace (singulier nom pour un Crustacé!), on se contente de lui couper les grosses pinces, regardées comme un excellent manger. On jette ensuite dans la mer le pauvre animal mutilé, pour le repêcher plus tard, quand il aura refait des pinces toutes neuves.
Les Crustacés sont carnivores. Ils mangent avec avidité les autres animaux, soit vivants, soit morts, soit frais, soit corrompus. Peu leur importent la qualité et l’état de la victime!
Il est amusant de voir l’adresse et la gravité avec lesquelles le Crabe commun, lorsqu’il s’est emparé d’une malheureuse Moule, tient une valve soulevée avec une pince et détache l’animal avec l’autre, rapidement et proprement, portant chaque morceau à la bouche, comme on le fait avec la main, jusqu’à ce que la coquille soit entièrement vidée! (Rymer Jones.)
Ce Crustacé ne mord pas directement sur sa proie comme l’Écrevisse. Il est aussi goulu, mais mieux appris.
M. Charles Lespés a surpris, sur la plage de Royan, une troupe de Crabes au moment de leur repas. Ce jour-là ils dînaient en commun, et Dieu sait la joie, comme dit le bon la Fontaine. Ils étaient en rang, tous tournés du même côté, et presque debout sur leurs huit pattes. Ils saisissaient à terre de petits objets et les portaient à la bouche prestement et régulièrement. Chaque main avait son tour. Quand la droite arrivait à l’orifice buccal, la gauche prenait à terre; quand celle-ci à son tour donnait l’aliment, la première ramassait. Il n’y avait pas de temps perdu. Figurez-vous une troupe de zouaves disciplinés, mangeant avec ordre à la gamelle. Ce Crustacé, vous le voyez, a le bonheur d’être ambidextre.
Les Corophies à longues cornes[172], si remarquables par la gracilité de leur corps, savent très-bien couper le byssus des Moules, pour faire tomber ces bivalves dans la vase et les avoir à leur portée.
Est-il vrai que d’autres Crustacés, grands mangeurs d’Huîtres, ont assez de ruse ou d’instinct (comme on voudra) pour attaquer ces Mollusques sans s’exposer au danger de leurs battants? Quand le bivalve entr’ouvre sa coquille, espèce de trappe vivante, pour jouir d’un rayon de soleil ou pour prendre son repas, le malin Crustacé y glisse au plus vite une petite pierre. Cela fait, il dévore à son aise le pauvre coquillage, qui ne peut plus se barricader[173].
COROPHIE A LONGUES CORNES
(Corophium longicorne Latreille).
Les Corophies, dont il vient d’être question, sont extrêmement nombreuses sur les bords de l’Océan, surtout à la fin de l’été et dans l’automne. Elles font la guerre, sans relâche, aux Vers marins. On les voit par myriades s’agiter en tous sens, battre la vase avec leurs longues antennes et la pétrir pour y trouver quelque proie. Rencontrent-elles une Néréide ou une Arénicole, souvent cent fois plus grosse que leur corps, elles se réunissent en troupe pour l’attaquer et pour la dévorer.
Les Corophies rendent cependant d’immenses services aux éducateurs de Moules des environs de la Rochelle. Pendant l’hiver, la vase des bouchots où l’on élève ces bivalves est délayée et très-inégalement amoncelée. Lorsque la saison devient chaude, les parties les plus élevées s’égouttent, se durcissent et rendent la récolte des Mollusques tout à fait impraticable. Il faudrait niveler ces plaines de vase en partie desséchée et en partie demi-liquide, ce qui serait très-difficile et très-coûteux. Eh bien! les Corophies, toutes seules, se chargent de ce soin. Elles démolissent et aplanissent plusieurs lieues carrées couvertes de rugosités et de sillons. Elles délayent la vase, qui est emportée hors des bouchots à chaque marée, et la surface de la vasière se trouve aussi unie et aussi praticable qu’à la fin de l’automne précédent. Il faudrait des milliers d’hommes et peut-être tout le cours de l’été pour obtenir ce résultat, exécuté en quelques semaines par un chétif animal.
Nous avons dit que les Crustacés ne se respectaient guère entre eux. Souvent, dans une même espèce, les gros dévorent les petits. Rara concordia fratrum!
Un jour, M. Rymer Jones avait introduit dans un aquarium six Crabes tourteaux[174] de différentes tailles. Un d’eux s’aventura vers le milieu du réservoir, et fut bientôt accosté par un autre un peu plus gros, qui, le prenant avec ses pinces comme il aurait pris un biscuit, se mit à briser sa carapace et à se frayer un chemin jusqu’à sa chair. Il y enfonça ses doigts crochus avec aisance et volupté, paraissant s’inquiéter fort peu des yeux affamés et jaloux d’un autre compagnon, plus fort et tout aussi cruel, qui s’avançait vers lui, contemplant avec délices ce spectacle abominable. Mais, comme l’a dit Horace (et il n’a pas été le premier à le dire), personne n’est heureux de tout point dans ce bas monde[175]. Notre féroce Tourteau continuait paisiblement son repas, lorsque le voisin le saisit exactement comme il avait saisi son frère, le brise et le déchire avec le même sans-façon, pénétrant jusqu’au milieu de ses entrailles avec la même sauvagerie..... Et pendant ce temps, la victime, chose singulière! ne se dérangea pas un seul instant; elle continua de dépecer et de manger le premier Crabe, jusqu’à ce qu’elle fût elle-même entièrement déchirée par son bourreau, présentant un exemple remarquable d’insensibilité, pendant qu’on lui infligeait cruellement la loi du talion!
Manger les autres et être mangé soi-même, est une des grandes lois de la Nature!
«Toutes les espèces de la mer, dit Buffon, sont presque également voraces; elles vivent sur elles-mêmes ou sur les autres, et s’entre-dévorent perpétuellement sans jamais se détruire, parce que la fécondité y est aussi grande que la déprédation, et que presque toute la nourriture, toute la consommation tourne au profit de la reproduction.»
Le lendemain matin de ce tragique spectacle, il ne restait en vie que deux des six Tourteaux du jour précédent, les plus gros et les plus robustes; chacun, blotti dans un angle de l’aquarium, regardait son rival avec une mine concentrée, malicieuse et défiante. M. Rymer Jones ne voulut pas troubler cette féroce méditation[176].
Dans une autre circonstance, quatre petits Crabes communs se trouvaient dans un même réservoir. Un d’eux devint aussitôt la proie d’un de ses frères affamés. Peu d’instants après, un second fut saisi par les pinces du plus gros. On l’en arracha très-difficilement: l’infortuné y laissa plusieurs de ses membres. On le transporta, par pitié, dans un autre aquarium. A peine en sûreté, il se mit à manger quelques morceaux de Moule avec autant de plaisir et de sang-froid que s’il ne lui était rien arrivé; et cependant il avait subi une effroyable mutilation, puisque, de ses dix pattes, il en avait perdu sept! Il ne lui restait que les deux pinces et la patte droite de derrière. Eheu!.....
Quatre-vingt-quatorze jours après ce désagrément, le Crabe changea de carapace, et alors les dix pattes se trouvèrent au complet. Toutefois nous devons avouer que les sept nouvelles étaient plus petites que les précédentes, quoique du reste aussi parfaites. (Dalyell.)
L’animal resta probablement un peu boiteux tout le temps de sa convalescence!.....
Quoique essentiellement carnassiers, les Crustacés mangent quelquefois des végétaux marins, surtout dans les temps de famine. Plusieurs néanmoins semblent préférer les fruits aux matières animales. Tel est le Crabe, si commun dans les îles de la Polynésie, qui se nourrit presque exclusivement de noix de coco. Ce Crabe a des pinces épaisses et fortes; les autres pattes sont relativement étroites et faibles. Au premier abord, il semble impossible qu’il puisse entamer une grosse noix de coco, entourée d’une couche épaisse de filasse et protégée par un noyau très-dur. Mais M. Liesk l’a vu très-souvent faire cette opération. Le Crabe commence par arracher le tissu fibre par fibre à l’extrémité où se trouvent les fossettes du fruit. (Il ne se trompe jamais d’extrémité.) Quand cela est fini, il frappe avec ses grosses pinces sur l’une de ces dernières, jusqu’à ce qu’il ait fait une ouverture. Puis, à l’aide de ses pinces étroites, et tournant sur lui-même, il extrait la substance blanche de la noix. Cette adroite manœuvre est un exemple bien curieux de l’instinct des Crustacés.
Les Crustacés ont des yeux de deux sortes, des yeux simples et des yeux composés: les premiers, sessiles et immobiles, peu saillants et très-bombés; les seconds, portés par une courte tige calcaire et formés d’une quantité considérable de petits yeux symétriquement agglomérés. La réunion de toutes les cornées microscopiques d’un œil composé ressemble à une calotte chagrinée ou taillée à facettes. On dit que dans un œil de Homard se trouvent 2500 petits yeux[177].
Les yeux simples sont myopes; les yeux composés sont presbytes. Ainsi un Homard peut voir de près ou de loin, ad libitum, bien entendu sans avoir recours à nos instruments d’optique!
Les Crustacés paraissent jouir d’un odorat subtil: ils arrivent de très-loin vers une proie. Si l’on met un petit Poisson mort sous une pierre, on verra bientôt cette dernière entourée d’une multitude d’affamés. On sait avec quelle rapidité affluent vers un morceau de viande, même fraîche, les Écrevisses qui peuplent nos ruisseaux. Si, comme le pensent beaucoup de naturalistes, l’organe de l’odorat réside dans les antennes, la longueur souvent excessive de ces organes chez les Crustacés expliquerait très-bien le développement de ce sens.
Beaucoup de Crustacés ne savent pas nager; ils marchent plus ou moins rapidement au fond de l’eau ou hors de l’eau. Il y en a qui courent obliquement, et qui se servent de leurs pattes aussi habilement dans le recul que dans la progression. On dit que le Cavalier[178] des côtes de Syrie doit son nom à la rapidité avec laquelle il parcourt de grandes distances. Est-il vrai qu’il va plus vite qu’un cheval?
Les Crustacés qui nagent s’élancent par bonds et par saccades, ou bien glissent mollement et régulièrement, soutenus et poussés par deux rangées de rames parallèles qui se meuvent avec régularité, comme les rames des galères.
La Porcellane large pince[179] est un mauvais nageur. Elle se contente d’agiter son abdomen, lequel l’aide à descendre obliquement et à reculons jusqu’au fond de l’eau. Elle se fixe sous la première pierre venue et s’y tient blottie pendant des mois entiers. Ses longues antennes, sans cesse en mouvement, l’avertissent de la nature des objets qui s’approchent. Ses pattes-mâchoires sont alternativement et sans relâche projetées en avant et ramenées ensuite vers la bouche. Ces pattes ressemblent à des faucilles. Elles sont formées de cinq articulations bordées intérieurement de soies courbes parallèles, lesquelles, à chaque déploiement de pattes, s’étalent comme les branches d’un éventail, et se rapprochent quand le membre se replie. Examinée au microscope, chaque soie paraît garnie elle-même d’un rang de poils plus courts, implantés perpendiculairement à sa longueur. Dans le mouvement de rétraction, les poils de chaque soie, s’entrecroisant avec ceux qui garnissent les soies latérales, forment un véritable treillis qui doit enfermer et entraîner les animalcules flottants à leur portée; tandis que, au déploiement, les soies s’écartent et laissent s’échapper tout ce que rejette le Crustacé, lequel peut ainsi se procurer sa nourriture sans changer de place. (Gosse.)
Les Chevrettes ou Crevettes[180] offrent, à l’extrémité de la première paire de pattes, un appendice semblable à un râteau, composé de poils très-courts placés sur le membre à peu près à angle droit. L’animal emploie ce râteau à rassembler les plus petites épluchures, qu’une paire de secondes pattes porte délicatement à sa bouche. Après quoi le râteau devient une brosse dont la Chevrette se sert pour le nettoyage des fausses pattes de son ventre et des lobes de sa queue. Quand il travaille à sa toilette, notre petit Crustacé prend une position grotesque. Son corps s’élève sur les quatre dernières paires de membres; le ventre et la queue se recourbent en avant, de manière que la partie postérieure de la Chevrette se trouve rapprochée des organes du brossage. (Rymer Jones.)
CRANGON COMMUN
(Crangon vulgaris Fabricius).
Les Crustacés ont les sexes séparés. Les mâles ressemblent plus ou moins aux femelles. Cependant, chez certaines espèces parasites des Poissons, on rencontre, entre les deux sexes, des différences très-notables, non-seulement dans la forme, mais surtout dans la taille. Le mâle est cinquante fois, cent fois, même mille fois plus petit que sa femelle! Évidemment, dans ce ménage, c’est l’époux qui doit être dirigé et maîtrisé par l’épouse! Cette dernière loge presque toujours son mari... dans une ride de son dos!
Les fausses pattes des Crustacés sont employées par les femelles à soutenir les œufs qu’elles transportent avec elles.
On a compté dans une Chevrette 6807 œufs, et dans un Crabe 21 699. Dans d’autres espèces, on en a trouvé 25 000, 30 000 et jusqu’à 100 000. Trois ou quatre de ces derniers Crustacés seraient suffisants pour engendrer en six mois une famille égale en nombre à la population du Portugal!
Les œufs des Crustacés sont petits, globuleux ou ovoïdes, jaunâtres ou rougeâtres. Ceux des Chevrettes paraissent d’un roux brun; ceux des Langoustes, d’un jaune d’or.
Les œufs de quelques espèces se conservent desséchés pendant un grand nombre d’années, et ne se développent que lorsque les circonstances favorables se présentent.
Quand les œufs sont près d’éclore, ils sont plus gros et plus transparents. A travers leur mince enveloppe, on distingue parfaitement les yeux de l’embryon. Celui-ci ne communique pas avec le jaune par le ventre, comme l’embryon de la Poule, mais par le dos (Hérold), comme celui du Ver à soie.
ZOÉ
(Larve du Crabe commun).
Les petits ne ressemblent pas beaucoup aux parents. Ils ont souvent un aspect assez étrange, à tel point que les naturalistes les avaient d’abord pris pour des animaux particuliers, et en avaient fait un genre distinct, sous le nom de Zoé (Thompson). Tous sont plus ou moins arrondis, avec une longue pointe dirigée en avant, arquée comme le bec d’un Ibis, et une autre partant de la nuque, proéminente comme une épine de Groseillier; un ventre singulièrement grêle, une queue fourchue plus ou moins ramifiée, et de longues pattes articulées, pourvues chacune d’un long appendice dont l’extrémité digitée est garnie de cils vibratiles propres à la natation. Ces larves ne possèdent pas de pinces; elles nagent avec une très-grande rapidité. On sait que l’animal adulte n’est pas organisé pour la natation. «Rien, en un mot, dit M. de Quatrefages, ne rappelle, chez eux, ce Crabe à corps aplati, verdâtre, qui fuit sans trop de hâte devant le promeneur, et semble, dans sa marche oblique et saccadée, lui adresser le geste bien connu des gamins de Paris!»
A chaque pas, dans l’étude de la Nature, on est terrassé de surprise, comme dit M. Michelet.