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Le monde de la mer

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CHAPITRE L
L’OURS BLANC.

Il couche sur la neige, et soupe quand il tue.

(A. de Musset.)

I

On l’a déjà vu, les mers du Nord ne sont pas déshéritées de la vie; elles ont aussi leurs habitants, même leurs populations insouciantes et joyeuses, sur les amas de neige ou sur les bancs de glace, au milieu des eaux les plus froides ou des brouillards les plus épais.

L’Ours blanc ou polaire[317] est comme le souverain de ces populations. Il règne en despote cruel sur les animaux du pôle arctique. Il habite toutes les mers; il fréquente toutes les côtes. Il aime le froid comme les autres aiment le chaud.

Il y en avait anciennement un très-grand nombre dans l’île Cherry, appelée d’abord Beeren eiland, c’est-à-dire île des Ours.

L’Ours blanc est un véritable quadrupède terrestre. Mais il diffère de son homonyme l’Ours des Alpes, par sa taille plus grande et plus élancée, par ses membres plus élevés, pourvus de pieds plus robustes, par son cou plus long, et par sa tête plus étroite et plus fixe.

Il peut acquérir de grandes dimensions. Certains individus n’ont pas moins de 2 mètres de longueur (P. Gervais).

En 1596, le voyageur Guillaume Barentz en tua deux dont il conserva les peaux. L’une était longue de 3 mètres et demi, et l’autre d’environ 4 mètres.

On assure que les plus gros individus pèsent quelquefois jusqu’à 500 kilogrammes.

L’Ours polaire est vêtu d’une fourrure blanche très-légèrement jaunâtre, à tissu soyeux et serré. Les pêcheurs norvégiens l’appellent pittoresquement le gros homme en pelisse. On conçoit comment, avec cet excellent habit, il peut résister aux grands abaissements de température, si communs dans son pays.

Ses yeux offrent une teinte foncée. Il a le bout du museau, l’intérieur de la gueule et les ongles noirs.

L’Ours blanc se nourrit de Phoques, de Poissons et de plusieurs autres animaux marins. On dit qu’il attaque les jeunes Baleines. Il mange aussi des substances végétales, surtout pendant l’été. Il peut supporter de très-longues abstinences.

Il suit les Phoques à la piste. Pour les saisir, il s’accroupit sur les pattes de devant, avance peu à peu et sans secousse avec celles de derrière, confondu par sa couleur avec la neige et les glaçons, et c’est seulement à quelques mètres qu’il s’élance sur l’animal qu’il veut saisir.

Quand le dégel commence, il se forme, dans les régions septentrionales, des ruisseaux qui glissent silencieusement sur la neige, comme des rubans argentés posés sur du velours blanc. Nos féroces quadrupèdes viennent se désaltérer dans ces petits ruisseaux.

L’Ours blanc a les doigts unis à leur origine par de fortes membranes. C’est encore un caractère qui le distingue de l’Ours brun. Du reste, comme ce dernier, il marche sur la plante des pieds, et peut au besoin se tenir debout sur ses membres postérieurs.

Il nage rapidement et plonge avec facilité. Mais il ne passe pas toute l’année au sein de la mer; pendant la belle saison, il vient à terre, et se rend dans les bois. Il court sur le terrain comme les quadrupèdes ordinaires. Il peut faire jusqu’à trois milles par heure. Pendant l’hiver, quand les neiges recouvrent le sol, il retourne à l’Océan, accompagné de ses petits. Lorsque le froid augmente, on voit les Ours blancs rôder sur la glace, grimper sur les blocs, et plonger dans l’eau qui n’est pas encore gelée. Ils se réunissent, à cette époque, en nombre plus ou moins considérable. Ce sont, du reste, les seuls Mammifères du même groupe chez lesquels on observe des dispositions pour la sociabilité (P. Gervais). Ce qui est d’autant plus remarquable, qu’ils sont extrêmement cruels, et que les animaux d’un naturel semblable vivent généralement plus ou moins isolés.

Quelques Ours blancs, placés sur des glaçons flottants comme sur des radeaux, se laissent entraîner et emporter d’un pays dans un autre. C’est ainsi qu’on a vu des individus en quelque sorte échoués sur les côtes de l’Islande et de la Norvége. On assure même que d’autres ont traversé, accidentellement, le détroit de Beering, et qu’on en a rencontré jusque dans l’archipel du Japon (Siebold).

Parfois, emportés vers la haute mer par les glaces, ils ne peuvent plus regagner la terre, ni quitter leur îlot; alors ils meurent de faim, ou se dévorent les uns les autres.

Cet animal est plus terrible que l’Ours des Alpes. La force de sa mâchoire est telle, qu’on l’a vu couper en deux une lame de fer de 10 millimètres d’épaisseur. (Scoresby.)

TÊTE D’OURS BLANC
(Thalarctos maritimus Gray).

Lorsqu’un Ours blanc débarque dans une île peu habitée, il en attaque les troupeaux et leurs propriétaires avec fureur. Il égorge et dévore tous les malheureux qui tombent sous ses griffes. Il dévaste même les cimetières: les cadavres conservés par le froid lui fournissent une nourriture abondante.

Rien n’est sûr en son passage,
Ce qu’il trouve, il le ravage.

(Malherbe.)

A l’apparition d’un Ours en Islande, les insulaires alarmés se rassemblent pour combattre le redoutable carnassier et pour sauver le bétail. Ce sont les côtes du Groenland qui sont le plus exposées aux invasions de ces déprédateurs. Le capitaine Scoresby en vit dans ces parages un si grand nombre, qu’il compare leurs réunions à des troupeaux de moutons.

II

Il y a quelques années, trois jeunes chasseurs passant ensemble l’hiver au Labrador laissèrent leur cabane pour aller visiter des piéges tendus dans la forêt. A leur retour, ils furent étonnés de trouver leur porte arrachée et jetée sur la neige. Ils crurent d’abord que quelque voisin, mauvais plaisant, avait voulu leur jouer un tour pendant leur absence. Tout avait été bouleversé: le poêle et son tuyau étaient par terre, l’armoire vidée, la provision de lard pillée; le sac de farine avait disparu; il manquait encore une tasse de fer-blanc, un paletot et une paire de bottes..... Il y avait eu vol avec effraction. Nos trois jeunes gens se mettent en quête du voleur ou des voleurs..... On cherche, et l’on découvre que tout le dégât avait été causé par deux Ours blancs. A peu de distance de la cabane était le sac vidé et déchiré; un peu plus loin gisait la tasse, portant l’empreinte de fortes dents... Quant au paletot, à la paire de bottes, les gaillards les avaient emportés! (Ferland.)

III

En général, les Ours blancs n’attaquent pas l’Homme, à moins qu’ils ne soient affamés; ils évitent même ordinairement sa rencontre. Mais, lorsqu’on les provoque et qu’on les met dans la nécessité de se défendre, le combat n’est pas sans danger pour les assaillants. A cause de cela, les Ours sont très-redoutés par les petites embarcations qui cherchent à leur donner la chasse. On assure, toutefois, que ces animaux sont moins courageux qu’on ne serait tenté de le croire, et qu’ils désertent vite le champ de bataille lorsqu’ils se sentent blessés.

Un baleinier se trouvait bloqué par les glaces dans le détroit de Davis, sur les côtes du Labrador. Un Ours blanc s’approcha du navire à la distance de quelques mètres. Un matelot fut tenté de s’en emparer tout seul, pendant que ses compagnons étaient encore à table. Il descendit sur la glace, armé d’une pique; il courut sur l’animal. Celui-ci ne recula point, désarma son faible adversaire, le saisit par le milieu du dos avec les dents, et l’entraîna si rapidement, qu’il fut impossible de lui porter secours.

Un autre baleinier arrêté sur les côtes du Groenland était amarré à un bloc de glace. Il découvrit au loin un Ours énorme occupé à guetter des Phoques. Un matelot, dont le courage était exalté par une forte dose de rhum, forma le projet d’aller attaquer le redoutable animal. Aucune remontrance ne put calmer son ardeur belliqueuse. Il part sans autre arme qu’un harpon, traverse les neiges, et, après une course d’une demi-heure, harassé et commençant à reprendre son sang-froid, il se trouve devant l’ennemi, lequel, à sa grande surprise, n’est nullement intimidé, et l’attend de pied ferme. L’effet du rhum s’affaiblissait, et l’Ours était si grand, et son regard annonçait tant d’assurance!..... Le matelot fut sur le point de renoncer à l’offensive. Il s’arrête, préparant son arme. L’Ours ne bougeait point. Le marin essaye de se donner du courage, excité surtout par la crainte des railleries dont ses camarades ne manqueraient pas de l’accabler. Mais, tandis qu’il songeait aux moyens de commencer le combat, l’Ours, moins préoccupé que son adversaire, se met en mouvement, et semble vouloir attaquer le premier. Cette fois, la valeur du matelot s’évanouit, et la honte d’une retraite ne peut le retenir: il prend la fuite. L’Ours le poursuit. Accoutumé aux courses sur la neige et sur la glace, l’animal gagnait continuellement du terrain sur l’imprudent matelot, et la terreur de celui-ci était au comble. L’arme qu’il portait encore n’était qu’un poids inutile, un embarras de plus; il la jette afin de courir plus lestement. L’Ours aperçoit cet objet, le flaire, le soumet à l’épreuve de ses pattes et de ses dents, et, en perdant ainsi quelques minutes, il donne au fuyard un répit dont il profite de son mieux. Enfin, l’Ours abandonne le harpon et reprend sa course. Le matelot, se sentant près d’être atteint, cherche encore quelque autre moyen de distraire et d’arrêter son terrible ennemi, il lui jette une de ses mitaines. Ce fut assez pour occuper pendant quelques minutes l’insouciant et curieux animal, et ce retard vint très à propos, car les forces du pauvre matelot étaient presque épuisées. L’Ours ayant laissé l’objet de sa distraction pour continuer sa poursuite, le fugitif fit le sacrifice de son autre mitaine; il en vint ensuite à son chapeau.

L’équipage, qui assistait de loin à cette comédie, vit enfin qu’elle devenait trop sérieuse, que l’irritation du carnassier se montrait de plus en plus menaçante, et que le malheureux matelot allait succomber. Une troupe vint arrêter l’impétuosité de la poursuite et protéger le pauvre fuyard aussi tremblant qu’épuisé de fatigue. A l’aspect de ses nouveaux et nombreux adversaires, l’Ours fit d’abord mine de se battre; mais, ayant été blessé, il reconnut habilement qu’une honorable retraite était le seul parti convenable. Il mit bientôt entre les poursuivants et lui un espace de neiges et de glaces raboteuses que les matelots n’osèrent pas franchir. (Mag. pittor.)

IV

Au mois de septembre 1596, un vaisseau hollandais commandé par Guillaume Barentz, arrivé au delà de la Nouvelle-Zemble, fut surpris pendant la nuit dans un port de glaces, et tellement enfermé de toutes parts, qu’aucun effort humain n’aurait pu le dégager. Barentz fut donc réduit à la triste perspective d’hiverner dans cette région d’horreur.

Le vaisseau, assiégé et tourmenté par les mouvements des glaçons, craquait en plusieurs endroits. On prit la résolution de traîner le canot à terre, et l’on y transporta le biscuit, le vin, les armes, de la poudre et du plomb. On dressa une tente près du canot; plus tard, on construisit une hutte..... Le 15 septembre, pendant qu’on travaillait, un matelot vit venir trois Ours d’inégale grosseur. Le plus petit demeura derrière un gros glaçon; les autres continuèrent d’avancer. L’un d’eux plongea la tête dans un cuvier où l’on avait mis de la viande à tremper. L’équipage tira, et l’animal tomba mort. L’autre Ours s’arrêta, comme ébahi, regarda fièrement son compagnon, le flaira, et, comme s’il eût reconnu le péril, il retourna sur ses traces. D’après l’ordre de Barentz, on ouvrit l’Ours mort, on lui ôta les entrailles, et on le plaça sur ses quatre jambes, pour le laisser geler dans cette posture, et le porter en Hollande, si l’on parvenait à dégager le vaisseau.

Le 23, on eut le malheur de perdre le charpentier; il fut enterré dans une fente de la montagne: on n’avait pu ouvrir la terre pour y creuser une fosse.....

L’équipage ne consistait plus qu’en seize hommes.

Le 27, il gela si fort, que si quelqu’un mettait un clou dans sa bouche, comme il arrive souvent pendant le travail, il ne pouvait le tirer sans emporter la peau.....

Le 25 octobre, comme on était occupé à transporter les agrès sur des traîneaux, Barentz vit derrière le vaisseau trois Ours qui s’avançaient. Il fit de grands cris, auxquels se joignirent ceux des matelots qui étaient avec lui. Mais les trois animaux n’en furent pas effrayés. Alors on résolut de se défendre. On trouva heureusement deux hallebardes; Barentz en prit une, et Girard de Veer l’autre. Les matelots coururent au vaisseau; mais, en passant sur la glace, un d’entre eux tomba dans une crevasse. Cet accident fit trembler pour lui; on ne douta point qu’il ne fût le premier dévoré. Cependant les Ours suivaient ceux qui couraient vers le vaisseau. D’un autre côté, Barentz et de Veer en firent le tour pour entrer par derrière. Le matelot tombé se releva de sa chute, et eut le bonheur de rejoindre l’équipage. Tout le monde était dans le navire.

Les Ours, furieux, cherchaient à monter sur le pont. On les arrêta d’abord avec des pièces de bois et divers ustensiles qu’on se hâta de leur lancer à la tête, et sur lesquels ils se précipitaient chaque fois, comme les chiens après les pierres qu’on leur jette. Il n’y avait point à bord d’autres armes que les deux hallebardes dont il vient d’être question. On voulut allumer du feu, brûler quelques poignées de poudre. Mais, dans la confusion, rien de ce qu’on entreprenait ne pouvait s’exécuter.

Cependant, les Ours revenant à l’assaut avec la même furie, on commençait à manquer d’ustensiles et de bois pour les amuser. Les Hollandais ne durent leur salut qu’au plus heureux des hasards. Barentz, réduit à l’extrémité, agissant par désespoir plutôt que par prudence, lança sa hallebarde contre le plus grand de ces animaux. L’Ours fut atteint sur le museau et si fortement blessé, qu’il jeta un grand cri et fit retraite tout de suite.

Les deux autres le suivirent, quoique d’un pas assez lent.....

Les Ours ne reparurent qu’avec le retour du soleil.

Le 6 avril, il en descendit un jusqu’à la porte de la hutte. Elle était ouverte. On se hâta de la fermer et de la soutenir. L’Ours s’en alla.

Cependant il revint deux heures après, et monta sur la hutte, où il fit un bruit effroyable. Il essaya de renverser la cheminée. On le crut plus d’une fois maître de ce passage. Il déchira la voile dont elle était entourée. Enfin, il ne s’éloigna qu’après avoir fait un ravage extraordinaire.

Le mois suivant, pendant qu’on mettait la chaloupe en état de partir, parut un Ours énorme. Les pauvres marins rentrèrent aussitôt dans la hutte, et les plus habiles tireurs se distribuèrent les trois portes, attendant l’animal de pied ferme; un autre monta sur la cheminée avec son fusil. L’Ours marcha fièrement sur la hutte. Un coup de mousquet le renversa; on acheva aisément de le tuer. On trouva dans son ventre des morceaux entiers de Chien marin, avec la peau et le poil.

Le 30, les matelots, travaillant au radoub du vaisseau, furent surpris par un Ours, qui vint hardiment à eux. Tous prirent la fuite vers la hutte. L’animal les suivit, mais une salve de trois coups de fusil, qui portèrent tous, l’étendit mort sur la neige. Cette victoire coûta cher aux pauvres marins; car, ayant dépecé la terrible bête, et en ayant fait cuire le foie, qu’ils mangèrent avec plaisir, ils en furent tous malades. Trois, entre autres, parurent comme morts pendant quelques heures. (G. de Veer.)

Dans le voyage au Spitzberg de Manby, le capitaine Lewis, accompagné de cinq hommes, voulut attaquer un Ours blanc. A quarante pas environ de l’animal, quatre matelots firent feu en même temps et blessèrent le quadrupède. L’Ours, furieux, courut sur les assaillants, la gueule ouverte. Comme il s’en approchait avec des hurlements épouvantables, le matelot et le capitaine, qui n’avaient pas tiré, firent feu et lui brisèrent l’épaule.

Avant qu’on eût eu le temps de recharger, l’Ours était tout près des chasseurs. Ceux-ci se sauvèrent vers le rivage. L’animal courait toujours, quoique boiteux. Il était sur le point de les atteindre, quand deux d’entre eux se jetèrent dans le bateau; les autres se cachèrent derrière des blocs de glace, et firent feu aussitôt qu’ils purent. Les nouvelles blessures de l’animal ne firent qu’augmenter sa rage. Enfin, il s’approcha de si près, que les marins sautèrent dans la mer, d’un roc perpendiculaire assez élevé. L’Ours sauta après eux, et il avait presque saisi un de ces pauvres matelots, lorsque, fort heureusement, les forces lui manquèrent, et il rendit le dernier soupir.

Quand on eut porté son corps sur le rivage, on constata qu’il avait reçu huit balles.

V

Le cri de l’Ours blanc ressemble plutôt, assure-t-on, à l’aboiement d’un chien enroué qu’au murmure grave des autres espèces. (Boitard.)

Ce quadrupède a de l’intelligence et de la sagacité.

Un Phoque reposait sur la glace, près d’un trou qui devait assurer sa fuite, en cas de péril. Un Ours, qui l’épiait, s’approche en silence et à couvert, aussi près qu’il peut. Il plonge alors dans la mer, gagne sous les flots le trou de la retraite, s’élance par ce trou, et saisit le malheureux Phoque.

Le capitaine d’un vaisseau baleinier voulait avoir une peau d’Ours blanc bien entière, et, par conséquent, il fallait prendre l’animal sans le tuer avec une arme à feu. Il imagina d’étendre sur la neige une corde avec un nœud coulant dans lequel il mit un appât. Un Ours qui rôdait sur les glaces des environs fut attiré; il saisit l’insidieuse pâture, serra la corde, et l’une de ses pattes s’y trouva prise. Il parvint à se dégager à l’aide de l’autre patte, et emporta la provision pour la manger en lieu sûr.

On rétablit le piége. L’Ours revint, et, conservant le souvenir de ce qui lui était arrivé, il écarta prudemment la corde et saisit la proie.

Dans une troisième épreuve, la corde fut recouverte de neige et parfaitement cachée. On ne fut pas plus heureux.

Pour dernière tentative, on plaça l’appât au fond d’un trou assez profond, pour que l’Ours ne pût le prendre qu’en y plongeant la tête. On arrangea le nœud coulant autour de l’ouverture, toujours masquée par de la neige. Le succès semblait certain. Vain espoir! L’animal méfiant commença par enlever délicatement la neige, découvrit la corde, l’écarta prudemment, enleva l’appât, et disparut. (Mag. pittor.)

Scoresby prétend que, lorsqu’un Ours frappé réussit à fuir, il se retire derrière quelque éminence, et là, en sûreté, comme s’il avait connaissance de l’effet styptique du froid, il applique de la neige sur sa blessure avec la patte.

VI

La femelle met bas au mois de mars. Elle fait habituellement un ou deux petits, rarement trois.

Les jeunes Ours blancs sont proportionnellement d’une petitesse remarquable.

L’attachement des femelles pour leurs petits leur inspire quelquefois un courage bien digne d’admiration.

Voici ce qui a été observé par la frégate sur laquelle le fameux Nelson commença sa carrière navale. Cette frégate se trouvait en 1773 dans les régions polaires. A l’aube du jour, on signala, du haut des hunes, trois Ours blancs qui marchaient sur la glace avec une grande vitesse, et qui se dirigeaient vers le vaisseau. On reconnut que c’était une femelle accompagnée de deux Oursons déjà presque aussi forts que leur mère. Tous les trois coururent vers un foyer où l’on avait jeté les restes d’un Morse. Ils en tirèrent les chairs que le feu n’avait pas encore consumées. La mère fit la distribution, donnant à ses petits la plus grosse part.

Les chasseurs embusqués saisirent ce moment pour faire feu sur les deux Oursons, qui restèrent sur la place. Ils tirèrent ensuite sur la mère, qu’ils atteignirent aussi, mais qui ne fut point abattue. Son désespoir eût ému les cœurs les moins accessibles à la compassion. Sans faire attention aux blessures dont elle était couverte, ni au sang qu’elle répandait, elle ne s’occupait que de ses deux petits, les appelait par des cris lamentables, plaçait devant eux la part de nourriture qu’elle s’était réservée et la leur dépeçait. Comme ils restaient immobiles, ses gémissements devinrent encore plus touchants. Elle essaya de relever les pauvres créatures, et, reconnaissant l’impuissance de ses efforts, elle s’écarta de quelques pas et renouvela ses appels. Retournant auprès des deux morts, elle lécha leurs blessures, et ne les quitta que lorsqu’elle fut bien convaincue qu’ils avaient perdu la vie.

Alors des hurlements épouvantables dirigés vers le vaisseau accusèrent les meurtriers, qui leur répondirent par une nouvelle décharge. La malheureuse mère vint expirer auprès de ses petits, léchant leurs blessures jusqu’au dernier moment.

VII

Les Ours blancs s’habituent facilement à nos ménageries.

Comme ils souffrent presque toujours de la chaleur, on leur jette de temps en temps un seau d’eau fraîche sur le corps. On a soin d’entretenir près d’eux un bassin d’eau froide, dans lequel ils vont se mouiller le museau, se désaltérer ou se plonger.

Ceux du Jardin des plantes de Paris attirent constamment, devant leur fosse, un nombre considérable de curieux.

Ces animaux ont souvent une apparence haletante, comme les chiens dans l’été, lorsqu’ils viennent de courir. Ils exécutent avec leur tête, leur cou et leur train de devant une sorte de balancement continuel qui captive d’abord l’attention par sa singularité, mais qui la fatigue bientôt par sa monotonie.

Dans la servitude, ces Ours ne se montrent susceptibles d’aucune éducation et d’aucun attachement. Ils conservent toujours leur sauvagerie brutale et stupide. (Boitard.)

Il paraît que cette espèce était connue des anciens. Cuvier pense que c’est un Ours blanc que Ptolémée Philadelphe fit venir à Alexandrie, et dont parlent Callixène le Rhodien et Athénée.

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