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Le monde de la mer

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CHAPITRE XLII
LES NIDS ET LES ŒUFS.

«Le Passereau a bien trouvé sa maison, et l’Hirondelle son nid, où elle a mis ses petits.»

(David.)

I

Dans la saison des amours, les Oiseaux marins abandonnent les vagues et les eaux, et gagnent les rives et les grèves.

Beaucoup d’espèces se rassemblent en grandes troupes sur des rochers stériles ou dans des îles désertes. Faber croit que ces oiseaux obéissent à un instinct particulier de sociabilité. Boje pense qu’ils sont attirés par l’abondance de la nourriture. Ces deux raisons peuvent être également conformes à la vérité. Mais, probablement aussi, il en existe d’autres: par exemple, la disposition des récifs, dont les cavités et les saillies présentent d’excellents abris; l’absence des animaux carnassiers, l’éloignement de l’Homme; en deux mots, la solitude et la tranquillité.

Graba fait observer que les Palmipèdes choisissent toujours, pour nicher, les rochers tournés à l’ouest et au nord-ouest, et qu’ils dédaignent les autres expositions.

Parmi les îles les plus fréquentées par les Oiseaux nicheurs, il faut placer en première ligne le petit archipel des Feroë, entre l’Islande et les îles Shetland. Cet archipel est formé par vingt-cinq grands rochers à Oiseaux (Vögelberg).

Ces écueils ont été souvent décrits. Il y en a un, surtout, qui mérite une attention particulière.

Qu’on imagine un rocher noir, composé d’assises horizontales, s’élevant verticalement à 400 ou 500 mètres au-dessus de la mer, qui mugit et brise à ses pieds. L’eau s’élance souvent, pendant les tempêtes, à plus de 30 mètres de hauteur, et retombe en cascade le long de la paroi verticale. Mais, par un temps calme, elle ondule doucement, en se jouant autour des écueils. Ces escarpements présentent alors l’aspect le plus singulier: des milliers d’Oiseaux sont rangés sur les corniches, à côté les uns des autres; les femelles sur leurs nids, les mâles près d’elles ou volant à une faible distance. Une salle de spectacle, un cirque, un amphithéâtre remplis de spectateurs, ne donnent qu’une faible idée du nombre prodigieux d’animaux qui sont ainsi placés avec symétrie, la tête tournée vers la mer. L’arrivée de l’Homme ne les trouble nullement, et le bruit d’un coup de fusil ne fait envoler que les mâles, les femelles restent sur leurs œufs. Elles ne les quittent même que lorsqu’on s’approche d’elles, et la plupart se laissent prendre sur leur couvée.

Les différentes espèces d’Oiseaux établies sur ces rochers ne sont pas éparpillées au hasard. Chacune semble avoir son campement particulier.

Sur la plage, on trouve le Goëland à manteau noir[275] et le Perroquet de mer[276].

PERROQUET DE MER (MACAREUX)
(Mormon fratercula Temminck).

Au second rang, dans les endroits couverts de plantes, paraît la Mouette argentée[277].

Au-dessus, sur les rochers les plus découverts, sommeillent les stupides Cormorans[278].

Non loin de là, sur les falaises baignées par la mer, s’entassent les élégantes Mouettes à trois doigts[279] et les Guillemots à miroir blanc[280].

Tout à côté, parmi les Varecs amoncelés, se redressent les Guillemots à capuchon[281] et les ineptes Pingouins[282].

Tous ces oiseaux vivent en bonne intelligence. Souvent des femelles d’espèces différentes sont assises, côte à côte, sur leurs œufs, et l’on croirait, en voyant les mouvements de leur tête et les claquements de leur bec, qu’elles sont engagées dans une conversation animée, pour faire diversion aux ennuis d’une incubation un peu trop longue.

On peut indiquer encore, comme rendez-vous général des Oiseaux marins, les îles Hébrides, et particulièrement celle de Saint-Kilda.

Cette dernière offre cinq milles environ de tour. Elle sort presque perpendiculairement du sein des flots, et forme à son extrémité orientale, qui s’élève à plus de 440 mètres, le promontoire le plus haut des îles Britanniques.

En approchant de l’île de Saint-Kilda, on aperçoit un spectacle presque impossible à décrire. Les rocs sont cachés par des myriades d’Oiseaux aquatiques occupés à couver.

D’énormes essaims de Fous[283] blanchissent les sommets sur lesquels ils reposent. Ces plateaux ou ces pics semblent de loin couverts de neige. Les Mouettes à trois doigts et les Mouettes à pieds bleus[284] ont envahi chaque crête un peu élevée. Plus bas, les Fulmars[285], les Puffins[286] et les Guillemots ont pris possession de tous les talus, de toutes les pentes, de tous les endroits où il existe un peu d’herbe. Au bord de la mer, à l’entrée des excavations, perchent des Cormorans, droits et immobiles, comme des sentinelles avancées. (L. Wraxall.)

Tout autour, au sein des eaux, des milliers de nageurs de toute espèce plongent, barbotent, se poursuivent, se becquètent ou se battent. D’autres remplissent l’air de leurs cris rauques ou aigus, allant de la mer à leurs nids ou de leurs nids à la mer; appelant leurs femelles, tournoyant au-dessus d’elles, caressant leurs petits, jouant avec leurs frères, et manifestant, d’une manière bruyante et naïve, leurs craintes, leurs besoins, leur joie ou leur bonheur.....

Lorsqu’un fragment de rocher se détache et roule du haut de l’île dans les flots, il devient le signal d’un tumulte extraordinaire. La frayeur s’empare de toute la colonie. Le bloc écrase de malheureux Fulmars accroupis sur leur couchette, et entraîne, en bondissant au milieu d’un fracas épouvantable, les herbes et le sable, les œufs et les poussins. Des nuées d’oiseaux épouvantés s’enfuient sur son passage. Mais bientôt ils reviennent à leurs nids, et tout reprend le calme habituel. (L. Wraxall.)

En Hollande, d’innombrables troupes de Mouettes et d’Hirondelles de mer nichent, toutes les années, dans l’île d’Eierland (pays des œufs), et dans les autres îles septentrionales du Texel. Il en est de même dans celles du Slesvig et du Jutland.

Dans la saison de la ponte, les Palmipèdes arrivent par milliers. Beaucoup d’Échassiers se mêlent à leurs troupes.

Les œufs sont pondus par des Goëlands, des Mouettes, des Hirondelles de mer, des Guillemots, des Pingouins, des Canards, et aussi par des Huîtriers, des Pluviers, des Barges, des Vanneaux.....

II

Les Oiseaux marins placent leur nid, soit dans un simple enfoncement, derrière deux ou trois galets, soit parmi les herbes, entre les joncs ou sous quelque arbrisseau, soit encore dans les creux des rochers.

La Mouette tridactyle a l’instinct de s’établir dans les lieux les plus inaccessibles; aussi est-elle rarement troublée par les ramasseurs d’œufs.

Les Pingouins et les Manchots se creusent dans le sable un trou horizontal. Les Macareux s’emparent des terriers des lapins; ils aiment à nicher en société et à couver les uns près des autres. L’endroit qu’ils ont choisi est quelquefois tellement miné, qu’en posant le pied dessus, on s’enfonce jusqu’au genou. Les Tadornes[287] ont aussi l’habitude de nicher dans des souterrains. Les anciens donnaient à ces oiseaux le nom d’Oies-renards.

Naumann a vu, dans la petite île de Sylt, un très-grand nombre de Tadornes réunis par groupes dans des excavations artificielles. Il a compté jusqu’à treize nids dans un espace quadrangulaire, avec une entrée commune. Au-dessus de chaque nid était un trou couvert d’une touffe de gazon. Quand on soulevait cette touffe, on voyait un Tadorne accroupi. Chaque habitant du village possédait plusieurs de ces souterrains, d’où il retirait par jour, pendant trois semaines, de vingt à trente œufs. Il en laissait six à chaque nid pour l’incubation.

Dans le voisinage du cap de Bonne-Espérance, les Albatros se réunissent en colonies pour nicher. Ils partagent le terrain en carrés réguliers, un pour chaque nid. Ces carrés communiquent par des chemins. L’ensemble est défendu par une chaussée de pierres.

Les Cormorans nichent tantôt au milieu des joncs et des roseaux, tantôt sur les troncs des vieux saules ou sur des arbres élevés, tantôt encore sur des rochers, toujours dans le voisinage de la mer. Ils construisent de grands nids informes, composés de rameaux et de bûchettes grossièrement assemblés. On trouve souvent plusieurs de ces nids sur le même arbre.

CORMORAN ORDINAIRE
(Phalacrocorax carbo Cuvier).

Au commencement de ce siècle, les Cormorans étaient assez rares sur les bords de la mer Baltique. Vers 1810, plusieurs couples vinrent nicher dans la proximité de l’île de Fionie, parmi les rochers du rivage et dans les forêts. Leur nombre augmenta peu à peu. Au printemps de 1812, quatre paires de ces oiseaux se rendirent dans la terre de Neudorf, près de la ville de Leutjenbourg, et s’établirent dans un bois voisin de la mer, sur de grands hêtres qui, depuis plusieurs années, servaient de retraite à une multitude de Hérons et de Freux. Ils expulsèrent de leurs nids ces derniers oiseaux, firent deux pontes, l’une en mai et l’autre en juillet, et quittèrent la contrée en automne. Leur nombre s’élevait alors à une trentaine. Pendant le printemps de 1813 et les années suivantes, ils revinrent régulièrement. Bientôt on calcula qu’il y avait 7000 couples de nicheurs. Au mois de juin 1815, on voyait des cinquantaines de nids sur certains arbres, et les innombrables vols des Cormorans, mêlés avec les Hérons, remplissaient l’air de leurs cris sauvages. L’âcreté de leurs ordures brûlait la feuille des arbres, et les débris des poissons corrompus dont ils jonchaient le sol empoisonnaient au loin l’atmosphère. D’après les ordres du gouvernement, on leur fit la chasse. Il y eut des jours où l’on en tua jusqu’à cinq cents. Ce ne fut que l’année suivante que l’on parvint à les éloigner de la contrée. (Boje.)

Dans certaines îles, les nids des Oiseaux marins sont si rapprochés, qu’on ne saurait faire un pas sans écraser des œufs, et qu’il arrive souvent à une mère de pondre dans la couchette d’une autre mère. (Schinz.)

C’est ainsi que Naumann a trouvé un œuf d’Hirondelle de mer à longue queue[288] dans le nid d’un Huîtrier[289], et ailleurs, un œuf de ce dernier oiseau dans le nid d’un Goëland. Cependant chaque couveuse reconnaît ses propres œufs et ne s’y trompe jamais. Ce que nous croirions impossible, si l’instinct des animaux ne nous avait pas habitués à des miracles.

III

La plupart des œufs, chez les Oiseaux marins, ont un gros et un petit bout, et ressemblent, à cet égard, aux œufs de la Poule. Ceux des Cormorans sont plus allongés et paraissent avoir deux petits bouts. Ceux de quelques Manchots sont tout à fait ronds.

Les œufs des Cormorans sont assez petits relativement à la taille de l’oiseau. Ceux des Guillemots sont au contraire assez grands. Celui du Guillemot à capuchon est plus gros que l’œuf de l’Oie; l’oiseau est un peu plus petit que le Pigeon ramier.

Le Pingouin brachyptère, ou grand Pingouin, est l’oiseau d’Europe qui donne l’œuf le plus volumineux. Cet œuf, très-recherché par les amateurs, devient chaque jour plus rare. On le paye aujourd’hui de 500 à 800 francs.

GRAND PINGOUIN
(Pinguinus impennis Ch. Bonaparte).

Les Pétrels ont les œufs blancs; ceux des Harles sont jaunâtres, et ceux des Canards verdâtres. Les Goëlands et les Mouettes en pondent d’olivâtres, avec des marbrures brunes généralement plus nombreuses et plus fortes vers le gros bout.

Le grand Pingouin, dont nous venons de parler, donne un œuf d’un blanc isabelle, avec des raies et des taches peu nombreuses, qui rappellent, dit Temminck, les formes singulières des caractères chinois.

Le Guillemot bridé[290] produit un œuf plus remarquable encore par les traits ou les zigzags nombreux qui décorent sa coquille.

Les Plongeons sont les oiseaux connus qui offrent les œufs les plus foncés en couleur. Ces œufs sont couleur chocolat plus ou moins olivâtre, avec des taches noirâtres plus ou moins irrégulières.

PLONGEON IMBRIM
(Colymbus glacialis Linné).

Les œufs des Cormorans et des Fous sont revêtus d’un enduit crétacé, blanc, qu’on enlève facilement avec l’ongle. Cet enduit est tellement friable sur l’œuf du Flamant[291], que si l’on promène sa coque sur la manche d’un habit noir, on la blanchit comme si on l’avait frottée avec un morceau de plâtre.

IV

Quand le nid d’un Oiseau est préparé, la jeune mère doit être bien surprise, après les douleurs de l’enfantement, de trouver sur sa couchette, au lieu d’un poussin délicat qui lui ressemble, un sphéroïde inanimé, qui ne dit rien; elle a mis au monde une espèce de boule, blanche comme de la craie, quelquefois d’un bleu clair de turquoise, ou d’un rouge vineux d’acajou, pointillée, maculée, veinée comme du marbre ou de l’agate!..... Un œuf n’est pas un Oiseau, pas plus qu’une graine n’est un arbre; c’est quelque chose d’antérieur, quelque chose qui contient les rudiments d’un animal, mais qui n’est pas encore un animal, quelque chose qui ressemble plus à une production minérale qu’à un germe organisé.

L’instinct de la mère vient en aide à son inexpérience. Elle s’attache à ce corps inerte avec une passion que nous ne comprenons pas et que nous ne pouvons pas comprendre. Est-ce de l’amour maternel? Certainement non! C’est un sentiment voisin, très-voisin, préliminaire, si l’on veut; mais à coup sûr bien différent. L’amour maternel n’existe pas encore; il ne viendra que plus tard, il viendra quand les petits seront éclos....

Cet attachement pour les œufs pousse les Oiseaux à s’accroupir sur ces bizarres produits et à les échauffer..... Ils pressent ces cailloux contre leur cœur (Michelet).

Les parents qui couvent pour la première fois savent-ils quels seront les résultats de leur incubation? L’instinct est encore ici leur directeur et leur mobile. Aussi voit-on souvent des femelles et même des mâles (ce qui est plus étonnant), quand ils couvent, oublier le boire et le manger. Tant est grand l’amour de l’œuf.

Pendant que la femelle de l’Hirondelle de mer fuligineuse couve, son mâle arrive de temps en temps et vient se reposer près du nid. Là il dégorge quelque petit poisson à portée de sa compagne. Il regarde ensuite cette dernière. Les deux époux se font plusieurs inclinations de tête, souvent singulières, par lesquelles très-probablement ils se témoignent l’un à l’autre leur tendre affection et leur doux contentement. (Audubon.)

V

Le développement de l’œuf n’est plus un mystère. Si l’on brise délicatement la coque d’un certain nombre d’œufs aux différentes époques de l’incubation, on peut assister aux diverses phases de l’évolution du nouvel être.

Au moment de l’incubation, on voit sous la coquille protectrice une membrane extérieure enveloppant une épaisse couche d’albumine. Au milieu est suspendu par les chalazes le jaune ou vitellus. A la partie supérieure du jaune se trouve le germe; il est blanchâtre et composé de deux feuillets: le supérieur deviendra les organes de la vie animale; l’inférieur produira ceux de la vie végétative; une couche intermédiaire formera le cœur et les principaux vaisseaux.

Plus tard, le centre du germe est divisé par une ligne médiane transparente en deux moitiés latérales symétriques. Ce sont là les premiers linéaments de l’embryon. Puis les contours du crâne se dessinent, les vertèbres s’accusent; les légers battements du cœur apparaissent; le sang, d’abord clair et transparent, se colore; et la respiration, devenue insuffisante dans le réseau vasculaire du jaune, passe dans un poumon transitoire qui se déploie sous la coque.

L’animal croît alors rapidement. Les tiges des plumes germent en grand nombre; les écailles des pieds et les ongles se montrent. L’œil est grand et complet; le squelette prend, par l’ossification, de la consistance et de la solidité. Le corps tout entier se porte alors de l’axe transversal de l’œuf dans son axe longitudinal, la tête repliée contre la poitrine et cachée sous l’aile.

L’oiseau, ainsi constitué, déchire la membrane de la coque, pénètre dans la chambre à air; et, plus à l’aise dans sa prison, il attaque la coquille à l’aide du petit corps dur transitoirement placé sur l’extrémité du bec, la brise, et naît enfin au monde extérieur[292].

VI

Les Oiseaux marins défendent avec courage leurs œufs et leurs petits.

Lorsque le capitaine Ross découvrit l’île de la Possession, il y trouva une quantité prodigieuse de Pingouins: on en voyait jusqu’au sommet des collines. Ces oiseaux s’avancèrent vers le rivage en colonnes serrées, et attaquèrent hardiment, à coups de bec, les Anglais qui voulaient occuper leur pays au nom de Victoria. Honneur au courage et au patriotisme des Pingouins!

La femelle du Canard sauvage, quand elle se rend à son nid, s’abat au moins à cent pas de l’endroit où il se trouve. Une fois à terre, elle se dirige vers sa couchette obliquement et tortueusement, ayant toujours l’œil aux aguets, pour observer s’il n’y a point d’ennemi qui la regarde.

Que de jouissances réservées à ceux qui étudient la Nature!

On assure que le petit Pluvier à collier[293], lorsqu’un chien ou un enfant s’approchent de son nid, n’attend pas leur arrivée, mais s’avance résolûment; puis, tout à coup, prend son vol avec un grand cri, comme s’il était surpris sur ses œufs. (Il en est souvent éloigné d’une trentaine de pas.) Alors il volète, il laisse tomber une aile, il court, il traîne une patte, il fait le boiteux, jusqu’à ce qu’il ait conduit le chien ou l’enfant à une grande distance de sa couvée, et détourne ainsi le danger.

VII

La récolte des œufs forme, dans beaucoup de pays, une branche d’industrie considérable.

Les pauvres habitants des îles Feroë se nourrissent de ceux de presque tous les Palmipèdes qui fréquentent leurs parages. Ils mangent aussi les poussins, et même les parents, quand ils peuvent les saisir.

Au péril de leur vie, ils se suspendent à une corde, ou bien ils grimpent aux parois verticales des rochers, en marchant le long des étroites corniches sur lesquelles couvent ces oiseaux. Là le moindre faux pas est une mort inévitable, et, chaque année, plusieurs Feroëens sont les victimes de cette chasse périlleuse.

Une poursuite sans danger est celle qui se fait en canot. Le chasseur s’arme d’un filet conique, qui rappelle celui avec lequel on prend les papillons; mais il est tissu d’un fil de laine, et par conséquent plus fort. Comme ces oiseaux ne sont nullement sauvages, on s’approche d’eux, on abat le filet sur leur tête, qui s’engage dans les mailles, et l’on s’en empare facilement. De cette manière, on se rend maître des oiseaux qui volent à la surface de la mer ou qui pêchent sur les rochers à fleur d’eau.

Mais le plus grand nombre se trouve sur les escarpements des falaises. Pour les atteindre, quatre chasseurs se réunissent. L’un, armé d’une perche terminée par une petite planche horizontale, pousse l’autre jusqu’à ce qu’il soit au niveau d’une corniche; celui-ci, à son tour, hisse son camarade avec une corde. Là ils saisissent les oiseaux sur leurs œufs ou les attrapent au vol avec le filet. Ils les tuent à mesure, et les jettent à leurs camarades qui maintiennent la barque au-dessous du rocher. Ils voyagent ainsi de corniche en corniche, et l’on a vu des chasseurs prendre en quelques heures des centaines d’oiseaux.

Enfin, la méthode la plus profitable, mais la plus dangereuse de toutes, est la suivante. Les chasseurs sont munis d’une corde épaisse de 6 centimètres et longue de 200 à 400 mètres, laquelle porte une espèce de siége. On place une poutre sur le bord du rocher, afin que le câble ne se coupe pas en raguant sur la pierre. Six hommes descendent le preneur d’oiseaux (fuglemand). Celui-ci tient à la main une cordelette avec laquelle il peut faire à ses compagnons certains signes convenus. Il faut une habileté toute particulière pour empêcher le câble de se tordre, sans quoi le malheureux tourne sur lui-même, et se brise contre les rochers. Arrivé à une corniche, le fuglemand quitte la corde, l’amarre à une saillie de rocher, et tue le plus grand nombre d’oiseaux possible, en les prenant à la main ou en les attrapant avec son filet. Aperçoit-il une caverne ou une corniche qu’il ne puisse atteindre, et où perchent beaucoup de Palmipèdes, alors il s’assoit de nouveau sur la planchette, et imprime à la corde des mouvements d’oscillation qui atteignent quelquefois 30 mètres, et le lancent à la partie du rocher qu’il veut explorer. (Mag. pittor.)

On assure que sur un seul petit écueil des îles Feroë, on prend annuellement jusqu’à 2400 Perroquets de mer.

Les gardiens des îles du Texel sont exclusivement en possession de tous les œufs. Mais, pour jouir de ce privilége, ils payent une somme considérable au gouvernement.

VÖGELBERG.

On prétend que les œufs du seul Goëland argenté, recueillis journellement, s’élèvent à trois ou quatre cents, et souvent même jusqu’à huit cents! Passé la Saint-Jean, on n’enlève plus les œufs, et on laisse ces oiseaux couver en paix ceux qu’ils pondent après cette époque. (Schinz.)

Naumann rapporte que, chaque année, on retire de la petite île de Sylt 50 000 œufs de grandes Mouettes, et tout autant d’espèces moins grosses et d’Hirondelles de mer. Parmi les premiers, il y en a au moins 10 000 qui appartiennent au Goëland argenté. Trois hommes sont occupés à recueillir ces œufs depuis huit heures du matin jusqu’à l’entrée de la nuit. Ils reçoivent en payement les œufs des petites espèces.

Le Fulmar est pour les habitants de Saint-Kilda une des productions les plus précieuses de leur île.

Les dénicheurs risquent leur vie pour atteindre ces oiseaux. Ils sont ordinairement par deux. L’un, solidement attaché sous les bras avec une grosse corde, est descendu par l’autre sur quelque roche escarpée bien peuplée de Fulmars. Il fait sa provision d’œufs, de petits et de couveuses; puis, il est hissé par son compagnon. L’habileté de ces hommes est très-grande; la moindre surface leur suffit pour se tenir. On les voit, déjà chargés de butin, se traîner sur les genoux et sur les mains, et marcher sur les saillies les plus étroites et les moins avancées. La force de celui qui tient la corde est telle, que si le dénicheur fait un faux pas et tombe dans l’espace, il supporte le choc et sauve le malheureux. (L. Wraxall.)

On dit que dans les Hébrides on tue annuellement plus de 20 000 Fous.

On a calculé que dans le Groenland on consomme, dans le même espace de temps, 200 000 œufs d’Oiseaux aquatiques.

Audubon a vu des chercheurs d’œufs espagnols, venus de la Havane dans l’île aux Oiseaux (golfe du Mexique), emporter une cargaison d’environ huit tonnes d’œufs de deux espèces d’Hirondelles de mer. Il leur demanda quel pouvait en être le nombre; ils répondirent qu’ils ne les comptaient jamais, même en les vendant, et qu’ils les donnaient à raison de 75 cents par gallon. En un seul marché, ils se faisaient quelquefois 200 dollars, et il ne leur fallait qu’une semaine pour aller et revenir compléter un nouveau chargement. D’autres chercheurs, qui arrivent de la Clef de l’ouest, vendent leurs œufs 12 cents et demi la douzaine.

VIII

Disons, en terminant, quelques mots sur le fameux Canard eider[294].

Cette remarquable espèce a près de deux fois la taille du Canard ordinaire. Son cou est comparativement court; ses jambes sont un peu hautes.

Ce Canard pond principalement en Islande. Il est protégé par les lois. Tout homme qui se permet de le tuer à l’époque de sa reproduction, est condamné à une amende qui s’élève jusqu’à 30 dollars. On sauvegarde ainsi une des industries les plus lucratives que puissent fournir les Oiseaux de mer: nous voulons parler de l’exploitation et de la vente de ce moelleux duvet connu sous le nom d’édredon.

Mackensie rapporte, dans son Voyage en Islande, que lorsque son bateau approcha de cette île, il traversa de véritables troupeaux de ce précieux Canard. Les Eiders ne prenaient pas la peine de se déranger sur son passage: ils semblaient comprendre qu’ils étaient protégés par le gouvernement! Entre le rivage et la maison du bailli, le terrain était littéralement couvert d’oiseaux, si serrés, que les visiteurs étaient obligés de marcher avec beaucoup de précaution pour ne pas les blesser. On voyait des Eiders occupés à couver, sur les murs des jardins, sur les toits des maisons, dans leur intérieur, et même dans l’église. Quand on les approchait, ils ne changeaient pas de place; ils se laissaient toucher, et frappaient légèrement avec le bec la main des étrangers.

Les nids des Eiders sont arrondis et peu profonds; ils sont construits avec des bûchettes sèches entrelacées avec soin, de la mousse et des plantes marines. L’oiseau y dépose cinq ou six œufs, rarement sept ou huit. Audubon en a compté une fois jusqu’à dix. Ces œufs sont plus gros que ceux du Canard ordinaire, lisses et d’un gris olivâtre clair. Ils passent pour un mets très-délicat.

Chaque nid est tapissé de duvet, que l’oiseau arrache de sa poitrine. Les œufs y sont profondément enfoncés. Autour de la couchette on voit une quantité de plumes suffisante pour couvrir les œufs, quand la mère, à marée basse, va chercher sa nourriture.

«On ne peut contempler, sans être attendri, cette bonté divine qui donne l’industrie au faible et la prévoyance à l’insouciant!»

On enlève le duvet à deux époques différentes. Mais la pauvre femelle est quelquefois obligée de fournir à une troisième récolte. Elle se plume et se replume, pour tenir son nid convenablement chaud.

Lorsqu’elle a épuisé sa provision de duvet brunâtre, le mâle arrive et lui vient en aide. Il sacrifie, à son tour, son édredon blanc de neige et rosé.

Chaque nid peut fournir environ 125 grammes de beau duvet.

IX

Quand on réfléchit aux rassemblements considérables d’Oiseaux marins qui habitent et qui nichent sur les côtes de toutes les îles de l’Europe septentrionale, on est vraiment pénétré d’admiration. Les grèves les plus arides, les rochers les plus escarpés, les crevasses les plus inaccessibles, tout est envahi et souvent encombré par des nids et par des couveurs.

Souvent chaque femelle ne pond qu’un œuf, et cet œuf est placé dans un endroit tel, qu’on a peine à comprendre comment l’incubation peut avoir lieu.

Les Aigles de mer, les Faucons, les Mouettes, sucent les œufs ou emportent les petits.

Le Stercoraire parasite[295] nourrit sa couvée avec de jeunes Fous, des Pingouins et des Fulmars qu’il arrache à leurs parents.

Les grands Poissons happent aussi plus d’un pauvre oiseau, gros ou petit.....

Des centaines d’individus meurent de froid pendant l’hiver.

Des nichées entières sont surprises par les marées, ou balayées par les ouragans.

Et combien en périt-il sacrifiés pour nos besoins et pour nos plaisirs? (L. Wraxall.)

Malgré ces causes de pertes, le nombre des Oiseaux marins se maintient constamment le même, et les déserts de l’Océan sont toujours animés par leur présence et embellis par leurs amours!...

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