← Retour

Le monde de la mer

16px
100%

CHAPITRE XXXIII
LES HOMARDS, LES LANGOUSTES, LES CHEVRETTES.

Géants et nains parmi les Écrevisses.

Sur les côtes de l’Océan et de la Méditerranée, certains Crustacés sont l’objet d’une industrie et d’un commerce assez importants. Nous voulons parler des Homards, des Langoustes et des Chevrettes.

Les Homards et les Langoustes peuvent être regardés comme les chefs de file ou les grands seigneurs de la gent crustacée: ce sont d’énormes Écrevisses marines. Les premiers ont des pinces très-grandes et le dos lisse; les secondes, des pinces petites et le dos épineux.

Tibère César fit déchirer le visage d’un pauvre pêcheur avec la cuirasse raboteuse d’une Langouste.

La saison des amours commence en septembre pour les Langoustes, et en octobre pour les Homards. (Vous représentez-vous un Homard amoureux?) Elle se prolonge jusqu’au mois de janvier. C’est M. Coste qui nous le dit. Par conséquent, les Langoustes sont plus longtemps amoureuses que les Homards!... Heureuses Langoustes!

Les femelles des deux espèces pondent des œufs en nombre très-considérable. Les Langoustes sont beaucoup plus fécondes que les Homards (cela devait être!). Les Homards produisent 20 000 œufs; les Langoustes en donnent 100 000 et 120 000. (Gerbe.)

LANGOUSTE GRAINÉE.

Ces œufs sont réunis en paquets et appliqués contre la face ventrale de la queue. Ils sont englués, collés et retenus par une humeur visqueuse particulière.

Les femelles chargées d’œufs sont dites grainées.

Suivant qu’elles fléchissent ou qu’elles redressent la queue, elles peuvent tenir leur portée dans l’obscurité ou la présenter à la lumière. Tantôt elles laissent leurs œufs immobiles ou simplement immergés; tantôt elles leur font subir des lavages successifs, en agitant doucement les fausses pattes qui les protégent à droite et à gauche. (Coste.)

L’évolution des germes dure six mois. Au moment de l’éclosion, les femelles couveuses étendent la queue. Elles impriment aux œufs de légères oscillations, pour semer les larves prêtes à déchirer leur coque, et se délivrent en un ou deux jours de leur portée entière. (Coste.)

Aussitôt nés, les jeunes Crustacés s’éloignent de leur mère, et montent à la surface de l’eau, pour gagner la haute mer. Ils nagent en tourbillonnant. Mais cette vie pélagienne n’est pas de longue durée; ils la quittent à la quatrième mue, qui survient le trentième ou le quarantième jour, et leur fait perdre les organes transitoires qui servaient à la natation. Alors, ne pouvant plus se soutenir à la surface de la mer, ils tombent au fond, pour y séjourner désormais, et, à partir de ce moment, la marche devient leur mode habituel de locomotion. (Coste.)

Voilà donc des animaux qui courent ou nagent (ce qui revient au même) avant de savoir marcher! L’observation donne souvent les démentis les plus formels aux généralisations les plus accréditées.

A mesure qu’ils grandissent, les jeunes Crustacés se rapprochent des rivages qu’ils avaient momentanément abandonnés. Ils reviennent vers les lieux habités par leurs parents.

Les formes des larves diffèrent tellement de celles des adultes, qu’il serait bien difficile, si l’on n’avait assisté à leur éclosion, de les rapporter à l’espèce dont elles proviennent. C’est à tel point, que les naturalistes avaient considéré les embryons des Langoustes comme des animaux parfaits, et en avaient constitué un genre distinct, sous le nom de Phyllosome, jusqu’au moment où M. Gerbe est venu les éclairer[181].

Vue en dessous. Vue en dessus.

LARVES DE LANGOUSTE (PHYLLOSOMES).
(D’après les dessins inédits communiqués par M. Gerbe.)

Les embryons des Homards et des Langoustes portent aux pieds des panaches caducs, sortes de rames vibratiles à l’aide desquelles ils se tiennent en suspension permanente et se meuvent avec facilité, jusqu’au moment de la quatrième mue.

Les Homards n’atteignent la taille adulte et ne sont aptes à se reproduire qu’à la fin de leur cinquième année.

D’après les observations de M. Coste, chaque jeune animal perd et refait sa carapace huit à dix fois la première année, de cinq à sept la seconde, trois ou quatre fois la troisième année, et deux ou trois la quatrième. D’où il résulte que les plus petits Homards servis sur nos tables ont changé en moyenne vingt et une fois de vêtement calcaire, et en sont à leur vingt-deuxième habit!

JEUNES HOMARDS 1/6.
(Troisième mue.)

La taille réglementaire d’un Homard a été fixée à 20 centimètres. Tout individu plus court, vendu au marché, est un Homard de contrebande.

Les habitants de Blainville vont s’établir tous les ans à Chausey, pour la pêche des Homards.

On prend ces Crustacés avec des espèces de paniers en forme de cônes tronqués, dont le sommet offre une ouverture disposée de telle sorte que l’animal, une fois entré, ne peut plus sortir. Que de traquenards dans l’industrie!

Le nombre de Homards que chaque famille de pêcheur capture dans une saison peut être évalué à mille ou douze cents. Chausey expédie donc annuellement de huit à neuf mille de ces Crustacés, dont le produit, payé à Coutances, est de 10 000 à 12 000 francs. Chaque maître pêcheur retire à peine 1300 à 1400 francs de cette campagne, qui dure près de neuf mois. (Quatrefages.)

En Norvége, on prend beaucoup de Homards. On les expédie en Angleterre, à bord de navires dont la cale est divisée en grands compartiments qui communiquent avec la mer. Chaque compartiment peut contenir sept à huit mille individus[182].

ENGINS DE PÊCHE.

On peut garder les Homards pendant quelque temps, avec la plus grande facilité. Jadis on les enfermait dans de grandes caisses de bois percées de trous. Aujourd’hui, on les met dans de véritables bassins. M. Richard Scowell possède à Hamble, près de Southampton, un réservoir de briques revêtues d’une couche de ciment, dont l’eau se renouvelle au moyen d’écluses et de conduites, et dans lequel 50 000 Homards peuvent tenir à l’aise et vivre en bonne santé pendant cinq à six semaines.

Quand les réservoirs sont bien installés, il suffit de quelques mètres cubes d’eau pour conserver un grand nombre de Crustacés. Dans les viviers-parcs de Concarneau, creusés dans le roc de la falaise, et recevant, avec les marées, l’eau fraîche de la pleine mer, nous avons vu plus de 12 000 Langoustes, sans compter un nombre considérable de Homards, entassés dans un espace de moins de 400 mètres carrés. Par les fortes chaleurs du mois d’août, ces animaux se portaient bien et la mortalité était insignifiante. De temps en temps on leur distribuait les poissons de rebut que laissaient à bon compte les pêcheurs de Sardine de la localité.

Pour empêcher ces animaux de s’entre-détruire, on paralyse les mouvements de leurs pinces au moyen d’une cheville de bois enfoncée dans une de leurs articulations.

Les Langoustes sont les Homards de la Méditerranée; elles passent pour un manger plus délicat et moins indigeste.

Elles sont abondantes, surtout dans le détroit de Bonifacio.

Les Chevrettes sont très-recherchées dans certaines villes. On en fait une assez grande consommation à Paris.

Ces jolis petits Crustacés ressemblent assez aux Écrevisses. Si, comme ces dernières, ils avaient de fortes pinces, ce seraient des miniatures d’Écrevisses.

La pêche des Chevrettes est très-simple. Il suffit d’entrer dans l’eau jusqu’au-dessus du genou, muni d’un filet appelé truble ou havenau, en forme de grande poche, dont le bord est tendu par un demi-cercle de bois et une corde qui fait le diamètre. Un bâton est attaché par l’un de ses bouts au milieu de la corde. Le milieu du demi-cercle y est aussi fixé solidement, et le pêcheur s’en sert pour ratisser les herbiers avec la corde tendue, en tenant l’autre bout du manche appuyé contre la poitrine[183].

On ne peut exploiter de cette manière que des côtes très-basses, en suivant le mouvement des eaux et par un temps très-calme. Pour rendre la pêche plus fructueuse et mettre à contribution une plus grande étendue de mer, deux pêcheurs prennent un bateau, et disposent trois ou quatre filets de manière qu’ils parcourent le fond comme des trubles de grande dimension. En les jetant et en les retirant de temps en temps, ils font une ample récolte de nos petits Crustacés.

Mais, en général, ce genre de pêche est confié aux femmes et aux enfants.

A Chausey, la récolte des Chevrettes est abandonnée aux femmes, qui, au nombre de dix environ, se livrent à cette modeste industrie. Armées de leurs bouquetouts, elles parcourent les anfractuosités de l’archipel, fouillent sous les roches et dans les mares, et peuvent, avec de l’activité, en recueillir deux kilogrammes par jour. Mais cette pêche n’est possible que lorsque les marées sont assez fortes. Le produit total de la campagne ne peut guère être évalué au delà de 200 à 300 kilogrammes par personne. C’est donc environ 2500 kilogrammes de Chevrettes que l’on retire tous les ans de Chausey, et dont la plus grande partie s’envoie à Paris. Ce petit commerce rapporte environ 800 francs par personne, à peu près 8000 francs en tout. (Quatrefages.)

Pendant l’hiver, les Chevrettes se retirent dans de plus grands fonds, où il n’est plus possible de les atteindre avec les havenaux. On se sert alors de casiers de filets, de forme assez semblable à ceux qu’on emploie pour la pêche du Homard. Dans ces derniers temps, le commandant L. Hautefeuille a eu l’heureuse idée de remplacer les filets que l’on devait changer tous les mois, par de la toile métallique galvanisée, dont la durée est de deux à trois ans. Cet excellent engin est déjà très-répandu.

Les Chevrettes se conservent parfaitement, dans des parcs d’une contenance restreinte, pourvu que l’eau de mer soit suffisamment renouvelée. Elles y grossissent même, si on leur donne une nourriture appropriée. L’expérience en a été faite dans les viviers de Concarneau, sur plus de 1500 kilogrammes, représentant une valeur de près de 3000 francs.

A la Rochelle, on a des bassins particuliers pour faire reproduire les Chevrettes.

Les Chevrettes rougissent par la cuisson, mais ne prennent jamais une teinte aussi foncée que les Homards et les Langoustes. Elles sont plutôt d’un rose très-vif que d’un rouge très-brillant. Une variété pêchée dans la Garonne, au-dessus du bec d’Ambez, ne rougit pas; elle blanchit au contraire, si elle a toujours vécu dans l’eau douce. Mais, après avoir passé quelques jours dans l’eau salée, l’anomalie commence à disparaître.

Les autres Crustacés sont loin d’être recherchés comme les Homards, les Langoustes et les Chevrettes.

Cependant, à Venise, on vend, dit-on, chaque année, pour près de 500 000 francs de Crabes ordinaires. Ce chiffre nous paraît bien élevé: à un centime la pièce, il représenterait cinquante millions d’individus.

Dans d’autres pays, on mange les Tourteaux[184], les Étrilles[185], les Squinado[186], les Salicoques[187], les Caramotes[188], les Nika[189]....

L’utilité alimentaire des Crustacés et des autres habitants de la mer est reconnue par tout le monde. Aussi nous comprenons parfaitement (et nous approuvons même) la classification peu savante, mais essentiellement pratique, proposée par le comte Marsigli, pour les animaux de la Méditerranée: Animaux que l’on mange; Animaux que l’on ne mange pas[190].

Chargement de la publicité...