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Le monde de la mer

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CHAPITRE XLIII
LES CÉTACÉS.

«Ce sont des quadrupèdes estropiés

(Un vieil auteur.)

I

Chez les animaux très-simples en structure, le tissu est homogène, et remplit toutes les fonctions par toutes ses parties. A la vérité, ces fonctions se trouvent singulièrement bornées et réduites généralement au nécessaire ou à l’indispensable.

A mesure que les animaux se compliquent, des organes plus ou moins distincts apparaissent, et les fonctions se localisent. Chaque partie est alors chargée d’un rôle spécial.

La division du travail est, sans contredit, une des lois les plus importantes et les plus curieuses de la Nature. (Milne Edwards.)

Cette division est d’autant plus grande, que l’animal est plus parfait. Quand elle augmente, les organes et les fonctions deviennent plus nombreux.

Chez les animaux les plus voisins de l’Homme, l’instrument de chaque fonction est tantôt simple, tantôt double; mais, dans le premier cas, formé de moitiés semblables, cohérentes. Voilà le maximum de la perfection organique.

Les organes essentiels d’un Vertébré (cerveau, cœur) sont ceux qui, par soudure, acquièrent l’unité.

Les autres organes (oreilles, mains) conservent la dualité.

Chez les Annelés, presque tous les organes sont multiples. Certaines espèces ont 10 mâchoires, d’autres 60 tentacules, d’autres 200 dents; celles-ci 300 pattes, celles-là 3000, 15 000, 30 000 petits yeux!.....

Le plus souvent, ce sont les organismes tout entiers (zoonites) qui se répètent. On en compte une vingtaine dans une Sangsue; il y en a au moins 2000 dans un Ténia[296]. Cependant l’animal s’éloigne beaucoup d’un Vertébré, et par sa constitution, et par son intelligence.

Il est autrement compliqué; car sa complication résulte, non de la perfection de ses organes, mais du nombre de ses organismes. Chaque zoonite, pris séparément, diffère notablement de l’admirable ensemble d’un Mammifère ou d’un Oiseau, et la réunion de ces zoonites, quoique formant un tout supérieur à celui d’un zoonite isolé, se trouve encore bien au-dessous de l’organisme d’un Vertébré quelconque.

Chez les animaux les plus inférieurs, ce ne sont plus les organes ou les organismes qui se répètent, mais les individus eux-mêmes tout entiers. Ils s’associent et forment un être collectif, un animal composé.

Dans la division du travail, il y a donc quatre modes à considérer:

1o Plusieurs individus pour une association.

2o Plusieurs ensembles d’organes (zoonites) pour un individu.

3o Plusieurs instruments pour une même fonction.

4o Des instruments spéciaux (doubles) pour des fonctions spéciales.

Une notion même légère des grandes choses a son prix (Leibnitz); c’est pourquoi on nous pardonnera le caractère un peu sérieux (nous allions dire un peu savant) de cette introduction. Arrivons maintenant aux Mammifères.

II

Les Mammifères, ou, comme on les appelait anciennement, les Quadrupèdes vivipares, sont les Vertébrés les plus rapprochés de l’Homme. Ceux qui vivent dans la mer constituent trois sections d’animaux assez différentes, et par leur structure, et par leurs mœurs:

1o Les Mammifères dont les membres antérieurs, plus ou moins incomplets, sont transformés en rames ou nageoires, et qui manquent de membres postérieurs: on les appelle Cétacés.

2o Ceux qui ont quatre membres tous convertis en rames ou nageoires: ce sont les Phoques et les Morses.

3o Ceux qui ont quatre membres plus ou moins semblables à ceux des Quadrupèdes ordinaires: ce sont les Loutres de mer et les Ours blancs.

Les premiers et les seconds peuvent être regardés comme les Mammifères marins proprement dits.

Les Cétacés sont les moins parfaits en organisation.

III

Les Cétacés sont des Mammifères marins essentiellement aquatiques. La plupart ne viennent jamais à terre. En général, ils se tiennent toujours dans l’eau; mais comme ils respirent par des poumons, ils sont forcés de monter à sa surface pour prendre de l’air.

Lorsque, par suite de quelque gros temps, les grandes espèces se sont échouées, il leur est ordinairement impossible de se remettre à flot.

La tête des Cétacés se joint à leur tronc par un cou si court et si gros, qu’on n’aperçoit en cet endroit aucun rétrécissement. Leur tronc se termine par une queue épaisse et charnue. Cette queue est déprimée ou horizontale, et non verticale ou comprimée, comme celle des Poissons. A cause de cette structure, on leur avait donné anciennement le nom de Plagiures (Pisces plagiuri). Ils frappent l’eau de haut en bas et non de droite à gauche.

Un vieux marin, qui avait toujours une histoire prête, disait un jour à un jeune novice, à propos d’un Marsouin[297] qu’on venait de harponner: «Vois-tu, mon petit, le Marsouin, c’est comme le Dauphin[298], deux cousins germains qui naviguent depuis le commencement du monde. Dans le principe, ils avaient la queue en travers; aussi filaient-ils si vite, si vite, qu’ils dépassaient les chevaux du père Tropique. Ça le vexa, le bonhomme. C’est pourquoi il leur tordit la queue pour leur ralentir le pas!» (S. Berthelot.)

Les Cétacés ont au-dessus de la tête un ou deux orifices appelés évents, qui communiquent avec le fond de la bouche, au moyen desquels l’animal expulse, sous forme de jet de vapeur, l’air humide qu’il a pris pendant sa respiration. Cet appareil leur a valu le nom de Souffleurs.

Les meilleurs plongeurs que l’on connaisse ne peuvent rester sous l’eau qu’un petit nombre de minutes. Les Cétacés demeurent submergés des demi-heures entières, sans paraître souffrir le moins du monde. Un de nos plus savants anatomistes, le professeur Breschet, a découvert, en disséquant un de ces animaux qu’il possédait, le long de la colonne vertébrale, un réseau considérable de grosses veines, lequel n’existe pas chez les autres Mammifères. Ce réseau lui a paru destiné à servir de refuge au sang durant le temps que l’amphibie reste plongé sous l’eau. Il forme comme un réservoir où se rend le trop-plein de la tête et des organes importants. Aussitôt que le Cétacé retourne à l’air, et que le jeu de la respiration se rétablit, le sang s’échappe de ce réseau et se précipite dans les poumons.

Les Cétacés vivent par troupes souvent nombreuses. Il en existe une centaine d’espèces.

Les uns sont carnassiers, les autres herbivores. Ces derniers sortent parfois sur le rivage, y rampent à l’aide de leurs nageoires, et y paissent comme des Ruminants. Ils font ainsi exception à la règle générale.

Plusieurs espèces, quand elles allaitent leur petit, dressent leur corps verticalement, et tiennent toute sa partie supérieure hors de l’eau. Elles embrassent leur nourrisson avec les nageoires, comme une femme tient son enfant avec ses bras. En apercevant de loin ces femelles dans cette posture et dans cette occupation, on a pu leur trouver une certaine ressemblance avec l’espèce humaine, et de là les noms de Femmes marines, de Nymphes marines, de Sirènes.....

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