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Le monde de la mer

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CHAPITRE XXIII
LES MOLLUSQUES CÉPHALÉS.

Ame tout aquéu poble eïmable é banaru.

(C. Reybaud.)

Les Mollusques sans tête (Acéphales) nous conduisent naturellement à ceux qui en ont une, les Mollusques Céphalés.

Nous trouvons encore, parmi ces derniers, des espèces nues et des espèces testacées.

I

Les Céphalés nus[114] varient assez dans leurs formes. Les plus communs sont ovoïdes, plus ou moins allongés, bombés en dessus, plans en dessous, avec une tête antérieure plus ou moins caractérisée, portant plusieurs organes sensitifs, entre autres deux yeux bombés et humides, et presque toujours des cornes ou tentacules, des barbillons ou des panaches.

Un trait distinctif, assez général chez ces animaux, bien prononcé, surtout chez ceux qui jouissent de la faculté de marcher (ou, pour mieux dire, de ramper), c’est la présence d’une dilatation charnue abdominale, sorte de disque énorme, formé d’un entrelacement inextricable de fibres musculaires, avec lequel le Mollusque exécute une série de petites ondulations successives qui ont été comparées à des vagues en miniature. A cause de ce pied-ventre, Cuvier a désigné ces individus sous le nom de Gastéropodes.

Signalons tout d’abord les Aplysies[115], ou Lièvres de mer, petits Mollusques qui ressemblent, jusqu’à un certain point, aux quadrupèdes dont on leur a donné le nom.

Ils vivent parmi les plantes marines. Ils ont un cou plus ou moins long et deux prolongements supérieurs creusés comme des oreilles de Quadrupède.

Leurs dents ne sont pas dans la bouche, mais dans l’estomac. Ce dernier est Quadruple; il se compose d’un jabot énorme, membraneux, d’un gésier musculeux, d’une autre poche accessoire, et d’une quatrième en forme de sac aveugle (Cuvier). Le gésier est armé de plusieurs saillies cartilagineuses, pyramidales, à base rhomboïde, dont les faces irrégulières se réunissent en un sommet partagé en deux ou trois pointes émoussées. Il y en a douze grandes placées en quinconce sur trois rangs, et sept ou huit petites disposées en ligne sur le bord supérieur. Les hauteurs de ces pyramides sont telles, que leurs pointes se touchent au milieu du gésier, et qu’il reste entre elles très-peu d’espace pour le passage des aliments, qu’elles doivent par conséquent triturer avec force (Cuvier). Dans le troisième estomac, il existe une armure tout aussi singulière: ce sont de petits crochets arqués et pointus, dirigés vers le gésier. Cuvier ne peut leur attribuer d’autre destination que d’arrêter au passage les aliments qui n’auraient pas été suffisamment broyés.

En général, chez les Mollusques, par une merveilleuse compensation, la puissance de l’estomac est toujours en raison inverse de l’insuffisance des dents. Cet organe est d’autant plus faible, que la mâchoire est mieux garnie, et d’autant plus énergique, que l’appareil dentaire est plus imparfait. Dans certaines circonstances, comme chez le Lièvre de mer, l’estomac a reçu, en supplément d’organisation, des pièces solides, plus ou moins semblables aux dents, qui lui permettent de fonctionner à la fois et comme estomac et comme bouche.

Les Aplysies exhalent une odeur désagréable[116]; elles sécrètent une humeur limpide particulière, fort âcre dans certaines espèces, qui peut faire enfler les mains de ceux qui les touchent imprudemment. Des bords de leur manteau suinte en abondance une autre liqueur d’un pourpre obscur, dont l’animal colore autour de lui l’eau de mer, quand il aperçoit quelque danger.

Ces Mollusques sont doux et timides.

Les Lièvres de mer étaient regardés par les anciens comme des animaux malfaisants. On leur attribuait une influence magique, par exemple celle d’agir sur le cœur du beau sexe et sur ses déterminations. Apulée fut accusé de sorcellerie pour avoir acheté des Aplysies à des pêcheurs. Il venait d’épouser une jeune et riche veuve; son principal crime était son mariage, et son principal accusateur le fils de cette veuve!

Les Aplysies ont des organes respiratoires frangés cachés sous leur manteau.

Chez les Tritonies, Céphalés peu différents des Lièvres de mer, ces derniers organes sont à découvert. Ils ressemblent à de petits arbustes.

Le long de nos côtes, nous avons une grande espèce de ce genre, couleur de cuivre, décrite par Cuvier[117]. Dans les eaux de la Sicile, nous en rencontrons une autre encore plus jolie, découverte par M. de Quatrefages. Qu’on se représente une sorte de petite Limace allongée, portant sur ses flancs une rangée de buissons animés, d’une excessive délicatesse. Sa tête est ornée, en avant, d’un voile étoilé de la plus fine gaze, et surmontée de deux grandes cornes transparentes comme du verre, à l’extrémité desquelles s’épanouit un bouquet de branchages roses entremêlés de fleurs violettes.

Tout près des Tritonies viennent se ranger les Scyllées.

Une d’elles, bien connue, la Scyllée pélagique[118], est commune parmi les Varecs de toutes les mers. Son corps est comprimé; le Mollusque embrasse avec son pied étroit, creusé d’un sillon, les tiges des plantes aquatiques. Il a sur le dos plusieurs séries d’organes respiratoires qui s’élèvent comme deux paires de crêtes membraneuses, donnant naissance, à leur face interne, à des pinceaux de filaments. Ses tentacules sont terminés par un creux, d’où sort une petite pointe à surface inégale. La bouche possède une sorte de trompe. Enfin, son estomac présente un anneau charnu, armé de lames cornées, tranchantes comme des couteaux. (Cuvier.)

Forster a décrit, sous le nom de Glauque (Glaucus), un genre de Gastéropodes peu différent des Scyllées. Ce sont de charmants petits Mollusques nageurs, à corps allongé, gélatineux, rétréci d’avant en arrière, et terminé par une queue grêle et pointue, comme une queue de Salamandre (Cuvier). Leur couleur est d’un gris de perle passant au bleu céleste, avec le dos nacré, traversé par deux bandes longitudinales d’un bleu foncé brillant, et le ventre taché de brun. Leur tête est petite; elle agite en avant quatre tentacules courts, coniques, disposés par paires. De chaque côté du corps s’étalent trois ou quatre appendices (nageoires branchiales) opposés, semblables à de grands éventails ovalaires ou arrondis, d’un gris bleu plus ou moins pur, avec une zone plus foncée. Chaque éventail est composé d’une palette horizontale, bordée de digitations longues, flexueuses et pointues. Les éventails antérieurs sont les plus grands et pourvus d’un pédicule. Les autres diminuent graduellement de taille et manquent de support.

L’animal se tient habituellement renversé sur le dos. Quoique paresseux, il nage avec vitesse; il est aussi distingué dans ses mouvements que recherché dans sa parure.

Cuvier a nommé Éolides[119] d’autres Gastéropodes nus, d’une physionomie tout aussi remarquable. Il les signale comme de petites Limaces sans cuirasse ni manteau. Leur tête porte quatre tentacules, et leur bouche deux petits barbillons. Leurs organes respiratoires consistent en lamelles ou filaments groupés par paquets, toujours des deux côtés du dos. Chez le Dendronote arborescent, les branchies sont au nombre de six ou sept paires; chacune porte quatre ou cinq branches principales, divisées et subdivisées en un grand nombre de ramuscules.

Quand ces Mollusques se reposent, leurs branchies affaissées s’entrecroisent, et leurs grands tentacules sont tordus comme les cornes d’un Bélier. Quand ils marchent, ils redressent ces derniers appendices et les brandissent fièrement au-dessus de leur petite tête.

DENDRONOTE ARBORESCENT
(Dendronotus arborescens Alder et Hancock).

Les Éolides sont des créatures vives, irritables, querelleuses: elles se disputent les proies avec acharnement; elles se mordent et se mutilent. Leurs organes saillants, tentacules ou branchies, se trouvent souvent, après le combat, dans un état déplorable. Il est vrai que tout cela peut repousser. M. Rymer Jones a vu un tentacule tout entier refait à neuf au bout de deux semaines.

Nous avons sous les yeux une petite Éolide qui rampe tranquillement sur les parois d’un bocal. Elle a 4 centimètres de longueur, et un corps demi-transparent, légèrement azuré. Sa tête est à peine renflée et sa queue assez pointue. Son dos paraît jaunâtre et chatoyant. Ses cornes antérieures sont grêles et flexueuses; les postérieures, un peu moins longues et légèrement écartées, droites et roides. Les branchies forment quatre touffes rapprochées de lobes lancéolés-linéaires, un peu aigus, d’un rose vif, passant au pourpre à la partie inférieure, et devenant couleur de chair pâle vers le sommet. Leur pointe est incolore et transparente.

Il serait difficile de rendre une vilaine Loche plus élégante et plus gracieuse.

Pour terminer dignement ce paragraphe, nous décrirons, d’après M. de Quatrefages, la délicieuse Amphorine d’Albert[120], découverte par M. Camille Dareste, près de Bréhat, parmi les Goëmons.

L’animal est allongé, avec une tête plus grosse et surtout plus haute que le corps, et la queue très-effilée et très-pointue. Il possède quatre cornes inégales, disposées comme celles des Colimaçons; il a deux yeux petits, violets, placés non pas au bout des grandes cornes, mais à leur base et en arrière. Les appendices branchiaux, au nombre de douze et sur deux rangs, ne ressemblent en rien à ceux des autres Céphalés. Ils sont alternativement fusiformes et ovoïdes, les uns petits, les autres grands; les premiers semblables à des urnes lacrymales, et les seconds à des amphores!

Ce Mollusque paraît légèrement rugueux et d’un beau blanc mat. La partie moyenne de ses cornes est d’un jaune d’or. Un cercle de la même couleur se trouve vers l’extrémité supérieure des branchies, et donne à leur sommet l’apparence d’un couvercle qui fermerait une ouverture à rebord coloré. Sur la ligne médiane du dos, il existe une série de taches jaunes. L’Amphorine est un vrai bijou de la nature.

II

Les Céphalés testacés possèdent une coquille d’une seule pièce. C’est pourquoi on les a nommés univalves. Cette coquille présente quelquefois une porte appelée opercule.

Chez les Nérites, la porte se meut sur un petit gond.

La coquille des Céphalés est habituellement tordue en spirale. «Quelle est la loi de cette organisation?» nous demandait un jour un jeune bachelier de la plus haute espérance. Voici notre réponse:

«Quand l’œuf des Mollusques univalves vient d’être pondu, il contient un germe punctiforme à peu près microscopique[121]. Ce germe n’est autre chose, suivant les savants, que le vitellus, c’est-à-dire le jaune (il ne mérite pas ce dernier nom, attendu qu’il est gris). Tout autour se trouve une certaine quantité de blanc ou albumen, incolore et transparent. Au bout de quelques jours, le jaune se transforme en embryon. Celui-ci se met à tourner lentement sur lui-même; il fait la cabriole. Puis, il change de place et chemine le long de la paroi de son enveloppe protectrice, décrivant une ellipse. Ce double mouvement a été comparé avec raison à celui des corps planétaires. Il est produit par un certain nombre de cils vibratiles extrêmement petits, inégalement placés, qui revêtent l’animal dans les premiers temps de son existence. Ces cils absorbent l’air et la matière nutritive nécessaires au Mollusque; ils servent à sa respiration et à sa nutrition à une époque où les organes spéciaux de ces deux fonctions n’existent pas encore. Mais, pour remplir ces deux rôles, il est indispensable qu’ils s’agitent. En s’agitant, ils déterminent des courants réguliers, et, par suite, le double mouvement de rotation qui vient d’être décrit.

»Quand le Mollusque grossit, les cils s’oblitèrent et disparaissent peu à peu. Ce qui fait que les mouvements se ralentissent insensiblement. Au moment de la naissance, il n’existe de cils que sur l’appareil respiratoire, autour de cet appareil et sur les tentacules. De générales, leurs fonctions sont devenues locales.

»A l’époque où les mouvements rotatoires sont dans leur plus grande activité, l’embryon se développe et s’allonge, et, comme il est très-mou, il se tord forcément en tire-bouchon. L’animal, tournant sur lui-même un peu obliquement, sa torsion devait offrir le même caractère. Remarquez que le pied, la tête et la queue, c’est-à-dire les parties les plus fermes, ne sont jamais en spirale, tandis que le tortillon, qui offre toujours, même chez les individus adultes et chez les espèces les plus volumineuses, un tissu plus ou moins mou, se trouve l’organe contourné par excellence.

»La coquille, qui s’organise un peu plus tard, se moule sur l’embryon, et adopte la forme spirale qu’il a lui-même revêtue

Les coquilles spirales peuvent être considérées comme des tubes calcaires qui vont en s’élargissant du sommet à la base, et qui sont plus ou moins enroulés sur eux-mêmes, d’après différents modes.

L’axe réel ou idéal sur lequel le tube opère sa révolution a reçu le nom de columelle. Quand cette columelle est creuse, son ouverture inférieure s’appelle ombilic.

La spire des univalves tourne le plus souvent de droite à gauche; elle est dextre. Charles Bonnet en a fait la remarque il y a longtemps: «Il existe, dit-il, un plus grand nombre de coquilles dont les tours de spirale montent de droite à gauche que de celles dont les tours montent en sens contraire.»—Pourquoi cette direction dominante? (C’est encore une question de notre bachelier.)

«Le soleil tourne sur lui-même de droite à gauche. Il en est de même des mouvements de rotation et de translation de la terre, des autres planètes de ce monde, de la lune et des autres satellites..... La dextrosité est une loi de la nature!»

L’homme se sert plus habituellement de ses membres droits que de ses membres gauches. La déviation vertébrale des rachitiques est très-souvent tournée du côté droit! Nos escaliers, nos tire-bouchons, nos vis, nos serrures, les roues de nos charrettes, les aiguilles de nos cadrans, les ressorts de nos pendules, les fils de nos bobines..... sont généralement dextres comme nos Colimaçons!

Il existe cependant des coquilles spirales, à la vérité en petit nombre, qui tournent normalement de gauche à droite, c’est-à-dire qui sont sénestres. Elles n’avaient pas échappé à l’attention de Charles Bonnet: ce sont des exceptions.

Quelquefois les Testacés dextres deviennent sénestres par monstruosité. Ils sont alors très-recherchés par les collectionneurs. On sait, pour le dire en passant, que l’homme, dont le foie est à droite et le cœur à gauche, présente dans certains cas, par exception, la situation de ces organes renversée (situs inversus), c’est-à-dire le foie à gauche et le cœur à droite. C’est une anomalie analogue à celle de ces derniers Mollusques.

D’autres fois les Testacés sénestres deviennent dextres. Ce sont des retours à l’ordre habituel.

Plusieurs coquillages ne sont pas tordus en spirale. Par exemple, les Patelles, qui ressemblent à d’énormes Cochenilles ou à de larges éteignoirs. Mais ces espèces, dans leur jeune âge, offraient une torsion manifeste; elles avaient deux tours, trois tours..... Elles rentrent, par conséquent, dans la règle générale.

III

Certains univalves vivent à la surface de la mer, et flottent nécessairement et gracieusement, quelle que soit l’agitation de l’eau.

JANTHINE COMMUNE
(Janthina communis Lamarck).

Le charmant petit coquillage appelé Janthine, protégé par une tunique mince, fragile, d’un violet tendre, se suspend à une masse spongieuse, sorte de tissu hydrostatique composé de petites vessies cartilagineuses semblables à de l’écume de savon consolidée[122]. Ce singulier parachute l’empêche de couler à fond.

A la plus légère alarme, la Janthine répand une liqueur d’un rouge sombre, devient plus lourde que la vague, et descend dans la mer. Bosc pense qu’elle vide alors ses vessies, mais cela n’est pas certain.

D’autres Mollusques déploient une sorte de voile produit par le bord dilaté de leur manteau ou par quelque appendice développé en forme de nageoire. Ils voyagent de la sorte, à la surface des flots, entraînés par la lame ou poussés par le vent.

Mais la plupart des espèces ont besoin d’être plus ou moins submergées, quelquefois même à des profondeurs considérables. Les Littorines ne s’éloignent pas des côtes. On a pêché des Fuseaux qui vivaient au-dessous de 2800 mètres.

Les Mollusques testacés habitent, soit parmi les plantes, soit parmi les rochers. Les uns restent collés à la surface des corps solides (on assure que les Patelles opposent à l’isolement une résistance de 75 kilogrammes); les autres s’enfoncent dans la vase et s’y creusent des retraites.....

La Natice mille points[123] coupe le sable avec son pied dilaté en avant et tranchant comme une pelle; elle chemine ainsi horizontalement dans l’épaisseur du sol (Deshayes). Son manteau, qui est très-ample, se replie sur sa coquille, protége les cornes, les yeux et l’orifice de la respiration contre les frottements entre deux terres, et rend en même temps la marche plus glissante.

Les univalves marins offrent dans leurs coquilles une immense variété de formes et de couleurs.

Ceux-ci sont enroulés en toupie, en vis, en escalier. Ceux-là sont façonnés en tonne, en bouton, en cadran. Quelques-uns représentent un casque, un turban, une mitre, un bonnet chinois. Certains rappellent une harpe, une olive, un radis, une tarière, une feuille de chicorée, une aile de chauve-souris, un pied de pélican, un casse-tête de sauvage..... Leur surface est lisse, polie, luisante, ou bien mate, rugueuse, et même treillissée. On y voit des plis, des côtes, des lames, des varices élevées, des saillies épineuses et des tubes droits ou infléchis.....

OLIVE DU PÉROU
(Oliva peruviana Lamarck).

PTÉROCÈRE ORANGÉ
(Pterocera aurantia Lamarck).

Tous ces coquillages, ou presque tous, sont recouverts d’un drap marin, sorte de vêtement épidermique corné, brunâtre, qui masque leur éclat et protége leurs couleurs. Celles-ci paraissent fauves, brunes, blanches, jaunes, dorées, roses, rouges, bleues, violettes, vertes[124]..... Les brunes sont les plus nombreuses et les vertes les plus rares. Il y a des univalves mouchetés ou tigrés, ou marbrés ou rayés. Quelques-uns présentent les dessins les plus bizarres ou les hiéroglyphes les plus inattendus. D’autres, une broderie fantastique, un air noté, une carte de géographie, le zigzag de la foudre, les sinuosités d’une rivière ou les ramifications d’un arbrisseau. Plusieurs sont peints somptueusement et comme drapés de pourpre et d’or. La belle parure et la grande rareté de certaines espèces de Cônes ou de Porcelaines leur donnent un prix très-élevé. Les amateurs les payent 500, 600 et même 800 francs. On cite un Cône cedonulli qui fut acheté, au commencement du XVIIIe siècle, plus de cinquante louis. La Scalaire précieuse[125] s’est vendue jusqu’à 2000 francs. La Porcelaine orange[126] a été estimée pendant longtemps à un très-haut prix. Les chefs de tribu, dans la Nouvelle-Hollande, la portent encore à leur cou, comme un symbole de leur dignité.

CÔNE DAMIER
(Conus marmoreus Linné).

PORCELAINE CERVINE
(Cypræa cervina Lamarck).

Les savants ont créé, pour les coquillages, une nomenclature régulière, avec des mots souvent prétentieux, généralement tirés du grec ou du latin. Les amateurs et les marchands ne prennent pas autant de peine. Ils choisissent des noms quelquefois bizarres, il est vrai, qui rappellent la forme ou la couleur plus ou moins frappante de chaque espèce; ils ont même transporté dans la conchyliologie les grades ou les dignités de certaines professions. Il y a des Cônes appelés ambassadeurs, gouverneurs, commandants, capitaines, soldats..... Il y en a de nommés vicaires, évêques, archevêques, cardinaux....

IV

Les Mollusques univalves ont une mâchoire supérieure ou deux mâchoires latérales, ou bien trois mâchoires: une en haut et deux sur les côtés. Ces mâchoires sont cornées, dures, tranchantes, et plus ou moins courbées en arc, avec des côtes saillantes, verticales, en avant, et des denticules pointues, ou des crénelures émoussées sur les bords.

Ces animaux offrent une langue cartilagineuse, recouverte d’une membrane sèche, striée, guillochée, garnie de papilles ou de crochets. Cette langue est presque toujours en mouvement; elle lèche, lape, frotte, lime avec beaucoup de force. Le plus souvent elle fait antagonisme à la mâchoire d’en haut, et semble fonctionner comme une mâchoire inférieure.

La membrane de la langue est reçue, en arrière de la bouche, dans une poche en forme de talon recourbé (Cuvier), où elle s’enroule sur elle-même (Saint-Simon).

Dans le Vignot commun[127], elle paraît comme un filament blanc de 5 centimètres de longueur, d’une substance délicate, résistante, diaphane, hérissée de denticules épineuses, qui ont la texture et l’éclat du verre. Ces denticules sont disposées régulièrement sur trois lignes; celles qui constituent la rangée médiane sont à trois pointes, tandis que celles des rangées latérales offrent une dent trifide alternant avec une dent plus grosse, ayant la forme d’une moitié de bateau. Toutes se dressent en courbes concaves, et se dirigent dans le même sens (Gosse). Comparées à cet organe, nos râpes et nos limes paraissent de grossiers outils.

Le ruban lingual est quelquefois très-long. Chez le Turbo rugueux[128], la membrane déroulée présente une étendue qui égale au moins trois fois la longueur de son corps! Quel prodigieux organe! Quel singulier Mollusque! un animal trois fois plus court que sa langue!

A mesure que la partie antérieure de la membrane dont il s’agit s’use par l’exercice et perd ses denticules ou ses crochets, le ruban est poussé en avant par un mécanisme spécial, à peu près comme la lame de fer dans le rabot du menuisier. De telle sorte que la partie agissante est toujours neuve et dans les meilleures conditions pour fonctionner.

Les univalves dépourvus de mâchoire sont en même temps privés de langue. Ils ont alors une trompe musculeuse et mobile. Cette trompe est tantôt charnue, plus ou moins extensible et sans pièces solides; tantôt coriace, avec des denticules ou des saillies capables d’entamer les corps les plus résistants.

Chez la Pourpre teinture[129], cet organe se retourne comme le doigt d’un gant. Son extrémité offre des espèces de lèvres qui peuvent être séparées ou rapprochées suivant le besoin. En dedans existent des crochets aigus, supportés par deux longs leviers cartilagineux. Ces crochets sont alternativement élevés et abaissés. Par la répétition de ces mouvements, le Mollusque entame et perfore les coquilles les plus dures, comme s’il avait une lime au bout de son museau. M. Rymer Jones a vu, dans l’espace d’une après-midi, une Pourpre teinture percer la coquille d’un Pétoncle et en dévorer l’animal.

La nourriture des univalves varie suivant leur organisation. Les uns sont herbivores, les autres carnassiers, un certain nombre polyphages.

Les petites espèces mangent des végétaux microscopiques ou des animalcules, des graines ou des œufs....

Le Vignot commun, dont nous venons de parler, consomme ces infiniment petites plantules qu’engendrent les milliards de spores impalpables tenues en suspension dans la mer.

Ces plantules et ces spores sont déposées sur les parois des aquariums, où elles se développent avec rapidité. Elles ne tarderaient pas à les recouvrir d’une couche opaque de verdure. Mais on a soin de placer dans ces réservoirs un certain nombre de nos petits Gastéropodes, lesquels arrêtent cette intempérance végétale, et entretiennent très-efficacement, à coups de langue, la propreté et la transparence du cristal. (Gosse.)

V

Les Céphalés possèdent un cerveau nettement caractérisé; mais le noble organe n’est pas placé dans leur tête, il est au-dessus du cou, et fait partie du collier nerveux qui entoure le commencement du tube digestif. Ce collier est ordinairement lâche et mobile; il avance ou recule, suivant les mouvements: d’où il résulte que le cerveau, au gré de l’animal, peut être porté d’arrière en avant, ou d’avant en arrière, entrer dans la tête et se réfugier dans le corps! Habituellement, il repose sur la nuque. Ce qui explique, pour le dire en passant, pourquoi un Escargot ne meurt pas nécessairement quand on lui a coupé la tête.

Le cerveau est blanchâtre, jaunâtre, jaune orangé, rougeâtre et même noirâtre.

Les Mollusques univalves ont des organes pour voir, pour entendre et pour odorer.

NÉRITE POLIE
(Nerita polita Linné).

Leurs yeux sont placés sur un mamelon, à la base externe ou interne des tentacules. Ils sont simples, myopes, et fonctionnent très-mal au grand jour.

Les organes auditifs sont à la base du cou, en dedans. On n’y voit ni pavillon saillant, ni orifice extérieur. Ce sont des poches membraneuses et transparentes remplies d’un liquide assez limpide, qui tient en suspension de très-petites pierres (otolithes) douées d’un mouvement ou frémissement particulier. Dans quelques espèces, les poches ont à peine un vingtième de millimètre de diamètre, et contiennent de cinquante à soixante pierres.

Le sens de l’odorat réside à la surface des tentacules. Ceux-ci, au nombre de deux, représentent chacun un demi-nez.

Chez l’homme, les cavités nasales se trouvent à l’entrée du canal respiratoire; l’arrivée de l’air amène nécessairement les molécules odorantes dans leur intérieur. Chez les univalves, où les demi-nez sont éloignés de l’orifice de la respiration et doués d’une assez grande mobilité, c’est l’organe qui va au-devant des molécules odorantes.

Les tentacules sont recouverts d’un duvet microscopique, à poils très-courts, toujours en mouvement, qui détermine des courants rapides et continus autour de ces organes.

VI

La plupart des Céphalés sont androgynes, c’est-à-dire à la fois mâle et femelle.

«—Je voudrais bien savoir, nous disait dernièrement une jeune et jolie dame très-avide d’instruction, si les Mollusques à deux sexes connaissent l’amour?

»—Madame, les Limaçons et les Limaces ont été créés tout exprès pour vous donner une réponse affirmative.

»Épiez ces animaux, d’apparence si apathique, un soir d’été, après une légère pluie, dans une allée de votre jardin ou sur le bord de quelque haie. Vous les verrez s’approcher lentement, se saluer, tourner l’un autour de l’autre; s’approcher davantage, tendre le cou, dresser la tête, se flairer respectueusement; se palper, d’abord avec hésitation, puis avec assurance, puis avec familiarité; se baiser la tête, le front, le mufle, les bords de la bouche.....; se lécher bien délicatement, se chatouiller avec tendresse; retirer précipitamment les cornes, comme si le frôlement était trop vif; les allonger de nouveau; enfin les incliner doucement et les laisser pendantes, comme si le plaisir les fatiguait!.....»

«Un jour, M. Bouchard-Chantereaux fut témoin d’un mouvement de colère très-prononcé, chez une Limace agreste[130] qui avait des prétentions fort amoureuses, et qui, en rencontrant une autre très-froide et très-réservée, lui fit pendant une demi-heure les caresses et les agaceries habituelles, sans être payée le moins du monde de retour. Fatiguée de ses avances, elle agita la tête brusquement, mordit au mufle la belle indifférente, et s’éloigna avec dédain. Cette Limace pensait, avec raison, que l’amour n’exclut pas la dignité!»

«Les Céphalés de la mer sont organisés comme les Céphalés de la terre, et soumis aux mêmes lois. Ils ont les mœurs des Limaçons et des Limaces; ils aiment!»

Les Mollusques à deux sexes, pourvus d’une tête, peuvent donc éprouver et manifester ce je ne sais quoi dont les effets sont incroyables (suivant la juste remarque de Pascal); et, si l’amour n’est pas chez eux aussi profond, aussi exquis, aussi durable que chez les Vertébrés supérieurs, comme ces animaux sont à la fois mâle et femelle, ils le sentent nécessairement de deux manières différentes, ce qui produit un ravissant cumul! «Aimer longtemps, infatigablement, toujours, dit M. Michelet, c’est ce qui rend les faibles forts.» S’il en est ainsi, aimer double doit être l’énergie de l’énergie!

Les Mollusques Acéphales, notons-le en passant, ne sont pas favorisés, sans doute, comme leurs frères les Céphalés. Car, malgré l’opinion généralement admise, le véritable amour vient de la tête et non du cœur, parce que c’est dans la tête que se trouve le cerveau. Voilà pourquoi cette admirable sympathie ne paraît guère manifeste que chez les animaux qui possèdent une tête.

Toutefois notre proposition n’est rigoureusement exacte que pour les animaux chez lesquels le centre sensitif est logé dans ladite tête (les intra-Vertébrés); elle ne l’est plus pour ceux où il réside sur le cou (les extra-Vertébrés). Les Limaces et les Limaçons sentent l’amour avec la nuque!

Cette noble affection ne se montre donc suffisamment développée, chez les Mollusques, que dans les espèces céphalées, c’est-à-dire les plus parfaites, ou, si vous l’aimez mieux, les plus sensibles et les plus locomotiles. Elle offre certainement, chez elles, quelque chose de délicat, peut-être même d’idéal. Mais les pauvres Acéphales ne comprennent pas les tendres sentiments. Est-ce un malheur pour eux? Nous ne le pensons pas; car l’Auteur de toutes choses a donné généreusement à chaque bête tous les sentiments, toutes les sympathies, tous les plaisirs dont elle avait besoin!.....

La tendresse sexuelle n’existe pas probablement dans l’Huître et dans la Moule; si elle s’y trouve, elle y est à coup sûr bien indéterminée, bien obscure et encore moins morale, s’il est permis de parler ainsi, que dans la Limace et dans le Limaçon.

Linné allait beaucoup trop loin, quand il se laissait entraîner par son imagination souvent si poétique. Il voyait l’amour jusque dans les fleurs. Il a publié un mémoire très-remarquable sur le mariage des plantes (Sponsalia plantarum), accompagné d’une gravure qui représente deux Mercuriales (mâle et femelle) dont la fécondation est favorisée par le zéphyr. Il a inscrit ces mots, très-significatifs, au-dessus des deux figures: «L’amour unit les plantes» (Amor unit plantas). Linné savait très-bien que la plupart des fleurs sont bisexuées (comme les Limaçons). Il avait vu et voyait tous les jours, dans un Œillet par exemple, les étamines, ou les mâles, entourer les pistils, ou les femelles, se précipiter sur leurs stigmates, les presser, les embrasser, les couvrir de pollen; mais l’immortel naturaliste abusait étrangement de l’analogie, quand il croyait trouver dans la physiologie de cette fleur le sentiment presque divin qui enflamme et ennoblit les animaux supérieurs, voire même les Limaçons et les Limaces!..... Mais revenons à nos Mollusques de la mer.

Les Céphalés de l’Océan pondent des œufs isolés ou agglomérés, sessiles ou pédiculés. Quand ces derniers sont en nombre considérable, ils forment des sphères, des rosettes, des étoiles, des coupes, des entonnoirs, des cylindres, des paquets, des grappes, des guirlandes..... Voyez le gracieux ruban des œufs de la Bullée autour d’une branche de Varec[131].

Les œufs sont blancs, jaunes, oranges, rouges, roses, d’un fauve clair, ou d’un brun foncé. Plusieurs sont entourés d’une substance gélatineuse (nidamentum) plus ou moins transparente, ou enfermés dans une capsule (oothèque) plus ou moins membraneuse.

Certains Mollusques portent leurs œufs collés au dos de leur coquille et disposés en quinconce. La Janthine suspend les siens, enfermés dans des espèces d’ampoules, à ses vessies natatoires. Ces ampoules, qui ressemblent à des graines de courge, en contiennent plus d’un million. (Quoy.)

VII

On regarde comme très-voisine des Céphalés une petite tribu de Mollusques qui nagent dans la haute mer à l’aide de deux larges ailes ou nageoires membraneuses situées à droite et à gauche de leur tête. Ces expansions sont à la fois des organes de mouvement et des organes de respiration. Les animaux qui les possèdent ont été nommés Ptéropodes (pieds-ailes).

On a comparé ces Mollusques à des Papillons qui auraient les ailes étendues. Cette comparaison, il faut l’avouer, n’est pas très-rigoureuse.

Un des plus connus parmi les Ptéropodes, c’est la Clio boréale, jolie petite créature qui se trouve par millions dans les mers du Nord. Les Baleines en consomment des quantités prodigieuses. C’est pourquoi les matelots anglais appellent ces bestioles, pâture de la Baleine.

CLIO BORÉALE
(Clio borealis Linné).

Les voyageurs racontent que ces petits Papillons marins donnent en quelque sorte la vie aux lugubres régions qu’ils habitent, par leur nombre et par leurs évolutions. Les Clios nagent joyeusement, et semblent danser ou gambader en dépit de tout. Par les temps calmes, elles s’élèvent à la surface du liquide; mais à peine ont-elles touché l’air, qu’elles replongent aussitôt. Quelquefois elles jettent leurs ailes ou nageoires autour des hydrophytes et semblent les embrasser étroitement.

Ces gracieuses vagabondes sont bleues, violettes ou purpurines.

Leur tête fournit une nouvelle preuve de la sagesse qui a présidé à leur organisation. Autour de la bouche naissent six tentacules, dont chacun est couvert d’environ 3000 taches rouges, que l’on voit, au microscope, comme des cylindres transparents. Ces cylindres contiennent environ vingt petits suçoirs qui ont la faculté de se projeter au dehors, et de saisir leur mince proie. Il y a donc 360 000 de ces suçoirs sur la tête d’une Clio. Peut-être n’existe-t-il pas, dans toute la nature, un appareil semblable à celui-là pour opérer la préhension! (J. Franklin.)

Les plus chétifs des organes des plus chétifs animaux, examinés de près, excitent d’abord notre étonnement et presque aussitôt notre enthousiasme. On ne saurait trop le répéter, il n’y a rien de négligé dans la nature!

HYALE TRIDENTÉE HYALE BORDÉE
(Hyalæa tridentata Lamarck).      (Hyalæa limbata d’Orbigny).

Un autre Ptéropode tout aussi mignon et tout aussi remarquable que la Clio, c’est l’Hyale tridentée. Cette espèce manque de tentacules, mais elle a une coquille. Ses nageoires sont très-grandes, jaunâtres, avec une tache d’un beau violet à la base.

Sa coquille est plane en dessus, bombée en dessous et fendue latéralement. La partie supérieure est plus longue que l’inférieure, et la ligne transverse qui les unit présente trois saillies en forme de dents. Cette coquille est demi-transparente et d’un jaune d’ambre. Quand l’animal nage, il fait sortir les deux expansions de son manteau par les fentes latérales de son test.

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