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Le monde de la mer

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CHAPITRE XXXI
LES ROTIFÈRES.

«Et quand leurs roues marchoient, ils marchoient; et quand elles s’arrêtoient, ils s’arrêtoient: car l’esprit de ces animaux étoit dans leurs roues

(Ézéchiel.)

I

Les Rotifères, ou Porte-roues, ainsi nommés parce qu’ils semblent avoir deux roues au devant de la bouche, sont des animalcules aquatiques, diaphanes, jaunâtres ou rosés, considérés d’abord comme des Infusoires, et plus tard comme des Annelés.

FURCULAIRES.

On les a comparés aux Crustacés microscopiques.

Ces animaux ont le corps oblong ou ovoïde, contractile, protégé par un petit fourreau solide et transparent.

Dans les espèces dites univalves, ce fourreau est d’une seule pièce. C’est une sorte de bouclier, de verre mince, qui couvre seulement le dessus de l’animal, ou bien une manière de capsule qui enveloppe tout son corps. Cette singulière carapace est ovalaire, fusiforme, cylindrique ou quadrangulaire, quelquefois dentée en avant, d’autres fois bilobée en arrière.

BRACHIONS.

Dans les espèces dites bivalves, la tunique est de deux pièces, jointes ensemble dans toute la longueur du dos. C’est un paletot-sac qui se ferme par derrière ou par dessus.

L’organe singulier, plus ou moins dilaté, rotiforme (adjectif peut-être trop savant!), qui caractérise surtout nos animalcules, paraît toujours bordé de cils. Il offre souvent une échancrure dans sa partie moyenne, laquelle lui donne la figure d’un 8 couché horizontalement. On croit alors voir deux roues indépendantes, accolées (Dutrochet). Comme les cils des bords sont vibratiles, et qu’ils décrivent avec une rapidité extrême des cercles dans la même direction, les expansions qui les portent prennent l’apparence de deux roues d’engrenage tournant en sens contraire, de dehors en dedans (Dujardin). Dutrochet supposait mal à propos l’existence d’une bordure membraneuse, plissée régulièrement, comme une collerette, et agitée d’un mouvement ondulatoire continu.

Les cils vibratiles précipitent vers la bouche les corpuscules tenus en suspension dans l’eau; ils mettent le Rotifère en rapport constant avec l’air dissous dans le liquide, et contribuent en même temps à sa progression.

La puissance créatrice sait tirer le plus grand parti possible de ses moindres combinaisons. Elle fait souvent beaucoup avec très-peu. Elle remplit trois ou quatre fonctions avec un cil!

Plusieurs Rotifères sont sans queue (Anurées). Certains en ont une toute petite, d’autres une longue; et celle-ci est tantôt simple (Siliquelles), tantôt bifurquée (Furculaires), quelquefois à trois branches et à trois pointes (Ézéchiélines). Dans les Ptérodines, cet organe se termine par une fossette en forme de ventouse. Lorsqu’on voit ces animaux pour la première fois, on croit aborder le domaine du fantastique.

Quand les Rotifères nagent, la queue leur sert de gouvernail. En même temps les lobes ciliés paraissent se mouvoir comme les roues d’un bateau à vapeur.

Plusieurs de ces petites créatures portent sur le front une sorte de prolongement en forme de corne ou de trompe, dont on ignore la fonction. Est-ce une arme offensive ou défensive?

La bouche est très-ample et très-contractile. Elle a la forme d’un entonnoir ou d’une cloche. Elle offre deux mâchoires latérales; ce sont de simples tiges cornées et coudées, terminées par une ou plusieurs dents; ou bien des arcs tendus, dans lesquels les dents sont disposées comme le seraient des flèches prêtes à partir. (Ehrenberg.)

Leur système digestif est assez compliqué. On y trouve un estomac très-long ou très-large, garni souvent d’appendices latéraux, et un gros intestin dilaté en forme de vessie.....

Les Rotifères ont un cœur toujours en action. On le voit, à travers la carapace, se contracter et se dilater alternativement. Son existence est liée avec une circulation évidente, et, à ce point de vue, les Rotifères sont plus favorisés que les Insectes.

Les anciens naturalistes croyaient que les animaux étaient d’autant plus simples en organisation, qu’ils étaient plus petits. Le microscope a singulièrement modifié leur opinion à cet égard.

Nos animalcules porte-roues n’offrent généralement qu’un seul œil arrondi et mobile, rouge ou rougeâtre, situé au milieu du front (Brachions). Un petit nombre d’espèces, mieux douées, en possèdent deux, trois et même quatre. D’autres n’en ont pas (Lapadelles).

Ce qui est digne de remarque, c’est que cet organe est quelquefois placé sur la nuque et même sur le dos (Ehrenberg, Nitzsch); de manière que l’animal voit plutôt au-dessus de lui ou en arrière de lui qu’au devant de lui. Pourquoi cette organisation?

M. Ehrenberg assure avoir constaté dans certaines espèces la présence d’un système nerveux. Un système nerveux dans des bestiolettes qu’un grain de sable peut couvrir!

Les Rotifères sont ovipares. Ils portent leurs œufs suspendus à l’origine de la queue, comme la plupart des Crustacés.

II

Spallanzani a donné beaucoup d’importance aux Porte-roues. Il a découvert que ces animaux peuvent être desséchés, aplatis, collés à une feuille de papier; rester ainsi, pendant un an ou deux, immobiles et dans un état complet de léthargie ou de mort apparente, et puis revenir à la vie. Il suffit de les mouiller pour les ressusciter!

Au contact de l’eau, la petite carcasse se gonfle, remue la queue, tord le ventre, se décolle, agite les cils de sa roue, et se met à nager!..... Heureux Rotifère!

Blainville et Bory de Saint-Vincent ont refusé de croire à l’admirable faculté dont il s’agit. On a protesté, de tous côtés, contre le scepticisme de nos deux savants naturalistes. L’exactitude du sévère Spallanzani pouvait-elle être en défaut? M. Schultze a publié des expériences décisives qui ont confirmé les résultats obtenus par l’illustre physiologiste italien. Il est bien démontré aujourd’hui que cette merveilleuse propriété existe. Mais, pour réussir dans les opérations d’engourdissement et de réveil, il faut dessécher les petites bêtes graduellement, bien graduellement; ne pas trop les comprimer; ne pas les exposer à une température trop élevée, surtout pendant qu’elles sont encore humides; ne pas les garder trop longtemps endormies, et les ranimer avec lenteur et précaution. M. Doyère a fait connaître les conditions de ce remarquable désengourdissement.

C’est sur le Rotifère commun[166] qu’on observe le curieux, l’incompréhensible phénomène dont nous venons de parler. Cet animalcule habite dans l’eau douce, ou, pour mieux dire, au milieu de la mousse humide, sur les murs et sur les toits. Il est long de trois quarts de millimètre; il a des roues sept ou huit fois plus petites que son corps.

Les Rotifères de la mer périssent sans retour par la dessiccation. Pourquoi la vie est-elle moins tenace dans l’eau salée que dans l’eau douce?

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