Le monde de la mer
CHAPITRE XIV
LES ÉTOILES DE MER.
Vos etz l’Estèla dé la mar.
(R. Stairem, 1468.)
I
Que de formes variées dans les populations aquatiques! Nature se plaît en diversité[68], disait avec raison un ancien roi de France. Voici des animaux dont la charpente paraît dessinée par quelque géomètre: on les appelle Étoiles de mer ou Astéries.
ÉTOILES DE MER.
Leur ressemblance avec la figure bien connue que nous nommons étoile a frappé depuis longtemps tous les naturalistes et tous les amateurs. Cependant l’organisation de nos bêtes marines est loin d’être rigoureusement régulière; car la puissance créatrice, dans la construction des animaux, emploie bien rarement les lignes parfaitement droites: elle préfère les cercles ou les arcs, elle ondule!
ASTÉRIE VIOLETTE
(Uraster violaceus Müller).
Les Étoiles de mer sont des animaux sans vertèbres, le plus souvent déprimés, pentagonaux, à branches à peu près égales entre elles et disposées comme des rayons. Ces rayons sont plus ou moins triangulaires. L’animal en offre habituellement cinq: il a cinq branches, comme une croix d’honneur.
Les Étoiles de mer jonchent le sol des forêts sous-marines.
Les sondages récemment faits par le capitaine Mac Clintock, pour explorer le trajet du télégraphe nord-atlantique, ont fait découvrir, à une profondeur de plus de 500 mètres, des Astéries vivantes, qui appartiennent à des espèces dont on a retrouvé les traces dans les couches de terrain les plus anciennes, et qui prospèrent, sous cette énorme pression, dans une région presque inaccessible à la lumière du soleil.
Il n’existe rien dans les eaux douces qui ressemble aux Astéries. Ce sont par conséquent des animaux essentiellement marins.
Certaines espèces sont extrêmement nombreuses, à tel point qu’on en charge des tombereaux pour les transporter dans les champs et pour en fumer les terres.
Edward Forbes a observé, dans les Luidies, une singulière faculté. L’animal peut se détruire en quelque sorte de lui-même, en détachant et abandonnant d’abord ses bras, qui se rompent, et en se divisant ensuite par morceaux. Ne pouvant pas se défendre tout entier, il se tue en détail. C’est un suicide partiel!
II
Les Étoiles de mer offrent les couleurs les plus variées: il y en a d’un gris jaunâtre, d’un jaune orangé, d’un rouge grenat, d’un violet enfumé, d’un roux obscur.....
Leur corps est soutenu par une enveloppe calcaire composée de pièces juxtaposées réunies par des fibres tendineuses, et armé de tubercules et de piquants.
M. Gaudry a évalué à plus de 11 000 les pièces solides qui se trouvent dans l’Étoile de mer rougeâtre[69], une des espèces les plus communes de l’Europe.
Les Astéries ont la bouche au centre de la surface inférieure. De cette bouche partent autant de gouttières ou sillons qu’il y a d’appendices brachiaux. Ces gouttières donnent passage aux organes du mouvement.
ASTÉRIE VUE EN DESSUS ET EN DESSOUS
(Astropecten spinulosus Müller et Troschel).
Ceux-ci forment une double ou quadruple rangée. Ils consistent en des cylindres charnus, grêles, tubuleux, terminés, dans le plus grand nombre, par une petite vésicule globuleuse remplie d’un liquide aqueux. Ils sont très-extensibles. Quand les pieds sortent, la vessie contractée pousse l’eau dans le tube, qui se roidit. Quand les pieds rentrent, leur peau musculaire renvoie leur contenu dans la vessie. L’Étoile s’accroche aux corps étrangers au moyen de ces organes, et réussit à exécuter les faibles mouvements qui constituent sa progression.
Malgré ce prodigieux attirail de jambes, l’animal ne va guère plus vite que beaucoup d’habitants de l’eau salée qui n’en ont qu’une seule ou qui n’en possèdent pas.
ASTÉRIE ÉQUESTRE
(Goniaster equestris Gmelin).
Si l’on renverse une Astérie sur le dos, elle reste d’abord immobile, les pieds enfermés. Bientôt elle fait sortir ces derniers, semblables à autant de petits Vers; elle les porte en avant et en arrière, comme pour reconnaître le terrain; elle les incline vers le fond du vase, et les fixe les uns après les autres. Quand il y en a un nombre suffisant d’attachés, l’animal se retourne.
On croit que ces organes jouent en même temps un rôle important dans la respiration. Par moments, même pendant le repos, ils sont traversés par des courants intérieurs de corpuscules.
La bouche des Astéries se rend presque immédiatement dans l’estomac. Celui-ci forme un grand sac qui envoie un long prolongement dans l’intérieur de chaque bras. Ces prolongements sont des espèces d’intestins... Des intestins dans des bras!
Ces animaux sont très-voraces: ils engloutissent leur proie vivante d’un seul morceau. Quand la victime est trop grosse pour la bouche, l’estomac se porte au-devant d’elle.
Chez la plupart des animaux, les lèvres sont les pourvoyeuses de la cavité digestive. Ici cette dernière se passe des lèvres, elle se pourvoit toute seule!
Les Étoiles de mer peuvent manger jusqu’à des Huîtres. Est-ce bien vrai? Leur bouche est étroite et non dilatable, et une Huître est un morceau assez volumineux! Voici comment procèdent les Astéries, suivant M. Rymer Jones. Elles saisissent l’Huître entre leurs rayons, et la maintiennent sous leur bouche au moyen de leurs suçoirs; elles retournent leur estomac, qui enveloppe de ses replis le malheureux mollusque, et distille peut-être sur son corps un liquide stupéfiant (?). Bientôt la pauvre victime écarte les volets de sa coquille, livre ses organes à merci, et devient la proie du ravisseur étoilé.
Les Astéries jouent un rôle important dans la police et l’hygiène de la mer. Elles aiment les viandes mortes de toute nature, et déploient une activité merveilleuse à rechercher, à dévorer, à faire disparaître les diverses matières animales corrompues. Cet important travail de propreté et de salubrité est accompli sur une immense échelle, silencieusement, tranquillement et continuellement... Gloire à Dieu!
C’est M. Ehrenberg qui a découvert les yeux des Astéries. Ils sont placés à l’extrémité inférieure, au bout de chaque bras. (L’œil dans la main, comme Figaro!) Ce sont des globules d’un rouge vif, entourés d’un rempart de cils épineux. Pour s’en servir, l’animal est obligé de les ramener en dessous en relevant son rayon. Du reste, ces organes doivent être bien imparfaits, puisque, malgré les recherches les plus minutieuses, on n’a pu y trouver un cristallin (Valentin). Cependant Edward Forbes raconte avec beaucoup d’esprit l’histoire d’une Étoile de mer de la Méditerranée, la Luidie ciliaire[70], qui, après lui avoir échappé, en sacrifiant ses bras, ouvrait et fermait sa paupière épineuse, et le regardait avec un air moqueur!
III
Le frai des Étoiles de mer passe pour un poison violent.
Leurs œufs sont en nombre très-considérable. La mère les porte dans une cavité formée par la courbure du corps et des rayons. Ils sont logés de manière que l’animal est obligé de fermer sa cavité digestive et de se passer de nourriture pendant tout le temps de sa gestation. On a vu une Astérie rester ainsi onze jours sans aliments. Les femelles de presque tous les animaux mangent double, quand elles sont dans une situation intéressante!
Les œufs sont jaunâtres ou rougeâtres; ils produisent des petits ovoïdes et sans rayons, mais pourvus de cils vibratiles qui leur donnent l’aspect des Infusoires. Ils nagent avec vivacité.
Au bout de quelques jours, des appendices bourgeonnent sur la partie antérieure du corps, et forment comme quatre petits bras, à l’aide desquels la larve se fixe sur sa mère. Ce ne sont encore que des membres provisoires. Le corps s’aplatit ensuite graduellement, et se transforme en un disque d’abord arrondi, sur une des faces duquel, vers le milieu, surgissent, sous forme de protubérances globulaires, les rudiments des suçoirs. Il y en a dix rangées concentriques. Enfin, le corps devient pentagonal et plus ou moins semblable à une étoile. Les rayons sortent des angles, et l’animal est complet.
ASTÉRIE EN PLEINE REPRODUCTION DE SES RAYONS
Dessinée d’après le vivant (Concarneau).
Les Étoiles de mer jouissent à un haut degré du phénomène vital de la rédintégration; elles reproduisent avec une facilité étonnante des parties qui leur ont été enlevées. Les individus qui perdent par accident un ou plusieurs bras, les remplacent plus tard par des bras exactement semblables. Ces nouveaux membres en voie de développement sont d’abord très-petits, d’où il résulte nécessairement une aberration dans la figure étoilée de l’Astérie.
Il existe une espèce de l’océan Indien[71], qui offre souvent quatre bras, sur cinq, nouvellement reproduits, et par conséquent plus petits que le cinquième. L’étoile a pris l’aspect d’une comète.
Sir John Dalyell recueillit, le 10 juin, un rayon isolé d’une Astérie. Ce rayon ne donnait aucun signe de reproduction. Mais, le 15, parurent les rudiments de quatre nouveaux rayons, indiqués par de petites proéminences. Vers le soir, un de ces rudiments avait grossi du double; les autres se trouvaient moins avancés. Un orifice, c’est-à-dire une bouche, commençait à se former au centre du nouveau groupe. Le travail reproducteur fut alors en pleine activité, et, trois jours plus tard, l’animal possédait cinq rayons, dont quatre lilliputiens, comparés au rayon primitif. Au bout d’un mois, ce dernier tomba par morceaux, laissant l’Étoile nouvelle composée de quatre petites branches symétriques. Le vieux rayon était remplacé par un jeune animal complet. (Rymer Jones.)
IV
Les Astéries sont tourmentées par des parasites. Il n’est peut-être pas d’animal, marin ou non marin, qui ne serve de retraite et de nourriture à un autre animal ou à plusieurs autres animaux. Vivre aux dépens d’autrui, est une des grandes lois de la physiologie. Généralement, les parasites appartiennent à un groupe moins élevé en organisation que la victime qu’ils exploitent. Le contraire arrive rarement. En voici un exemple: c’est un petit Poisson qui passe sa vie dans la cavité intestinale d’une Astérie. Ce petit poisson s’appelle Oxybate de Brandes[72]; l’Astérie se nomme Culcite discoïde[73]. Un Vertébré vivant dans un Invertébré[74]!
V
Certaines Étoiles de mer ont un corps en forme de petit disque plus ou moins rond, d’où partent des rayons soutenus par une série d’osselets: ce sont les Ophiures, ainsi appelées à cause de la ressemblance grossière qui existe entre leurs bras et la queue d’un Serpent. Ces bras sont allongés, grêles, flexibles, onduleux, quelquefois garnis sur les côtés d’épines ou de soies.
Chez plusieurs espèces, dites Astrophytes, ils se bifurquent vers leur origine, puis se subdivisent en deux ou trois rameaux qui émettent des ramuscules plus ou moins nombreux, très-fins et très-contournés. Dans un individu, on a compté 81 920 ramifications.
Les rayons élégants des Ophiures s’agitent et se tordent suivant les besoins; ils saisissent les proies qui sont à leur portée, et les dirigent vers la bouche, placée toujours au-dessous et au centre de l’Étoile.
Chez les Astrophytes, l’ensemble des bras forme comme un filet pour prendre les victimes, et même comme un panier pour les tenir en réserve.
La cavité viscérale est absolument limitée au centre de la bête, et ne se prolonge pas dans les bras, comme chez les Astéries.
Quand on met une Ophiure dans une eau malpropre, ses rayons tombent les uns après les autres, morceau par morceau, jusqu’à ce qu’il ne reste plus que le disque. Figurez-vous une roue réduite à son moyeu. Cependant l’animal vit encore et mange toujours avec avidité. (Rymer Jones.)
ASTROPHYTE VERRUQUEUX
(Astrophyton verrucosum Müller et Troschel).
Vers le commencement d’avril, les bords du disque se gonflent; l’espace intermédiaire entre les rayons est envahi par le frai. Les œufs sont ovoïdes et d’un rouge brillant.
Vers les mois d’août et de septembre, paraissent les petits. Au moment de leur naissance, ils sont presque microscopiques, transparents et légèrement verdâtres; ils présentent une forme très-bizarre. On les a comparés au chevalet d’un peintre. La partie supérieure du corps semble conoïde; la partie inférieure est divisée en huit prolongements de diverses dimensions, disposés en deux groupes divergents. Ces prolongements offrent des cils, et sont légèrement orangés vers leur extrémité. Chacun est soutenu par un petit support calcaire intérieur. Ces larves singulières ont été décrites sous le nom de Pluteus paradoxus.
LARVE GROSSIE D’ÉCHINODERME
(Pluteus paradoxus J. Müller).
VI
En terminant ce chapitre, nous devons dire un mot de la Tête de Méduse[75], l’une des productions les plus extraordinaires de la mer.
Cet animal est très-rare. Il a été pêché plusieurs fois, à de grandes profondeurs, dans la mer des Antilles. On l’a désigné d’abord sous le nom de Palmier marin.
Son corps est pédiculé et revêtu d’un test calcaire (calice) semblable à une fleur. Cette enveloppe a des plaques polygonales et des rayons élégants.
La Tête de Méduse est une Astérie adhérente (nous allions dire une étoile fixe!), et par conséquent imparfaite.
PENTACRINE D’EUROPE
(Pentacrinus europæus Thompson).
Elle n’a pas de bouche, et son appareil digestif paraît très-rudimentaire. Son pédicule est grêle, anguleux et articulé; il permet à l’animal de se balancer dans tous les sens, et semble jouir d’une sorte de sensibilité.
Entre les animaux qui ne changent pas de place et les animaux qui se meuvent, il faut mettre, comme intermédiaires, les animaux fixés qui se balancent. Toujours des transitions!
En 1823, M. Thompson a découvert une seconde espèce de Tête de Méduse, dans les mers d’Europe.
La Pentacrine d’Europe est très-petite. Ses rayons sont profondément divisés en deux parties; l’animal semble en avoir dix. Ils sont ornés de cils tentaculaires disposés avec régularité. Le pédicule de cette espèce est grêle comme un fil.
Que d’organisations encore inconnues renfermées dans les profondeurs de l’Océan!