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Le Témoin: 1914-1916
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VII
— « Un livre, dit le vieil homme, est l’ombre d’un songe
Où, sans voix ni couleur, le passé se prolonge.
Ce sont des siècles, non des livres, que j’ai lus :
Bien des maux sont soufferts — que l’on ne verra plus. »
Quand il se tut, la foudre errait encor, lointaine ;
Puis un éclair muet illumina la plaine.
Le vent faiblit ; sous des nuages moins épais,
Les grands bois frissonnants sentaient venir la paix.
Il dit :
— « Je vois encor Jésus, devant ma porte,
Tomber sur ses genoux avec la croix qu’il porte.
Croyant son œuvre folle et son martyre vain,
Moi, fou, j’ai comme vous raillé l’homme divin.
Lui, ne m’a point maudit ; il n’a maudit personne,
Étant toujours celui qui bénit et pardonne,
Mais il m’a regardé de son regard touchant,
Doux à qui le menace et tendre au plus méchant,
Et ce regard disait : « Tout passe : je demeure.
« Comment juger les temps, lorsqu’on ne vit qu’une heure ?
« Je n’ai pas mérité ton rire et ton affront…
« C’est pourquoi tu vivras, quand les siècles mourront ;
« Ainsi tu pourras, fût-ce après deux mille ans d’âge,
« Vieux comme un monde, ô Juif, me rendre témoignage.
« Tu marcheras sans halte, et partout, de tes yeux,
« Partout tu pourras voir mon pas mystérieux.
« Tu ne t’arrêteras, mort, dans ma paix profonde,
« Que le jour où j’aurai soumis l’âme du monde. »
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