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Le Témoin: 1914-1916

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XV

Mais rien ne répondit. Nulle part l’agresseur
Ne trouva devant lui Dieu, le Dieu de douceur !
Et nos peuples, parmi le sang, les cris, les larmes,
Se levant indignés, durent prendre les armes,
Aiguiser des poignards et fondre des canons ;
Et tous les beaux progrès, indignes de leurs noms,
Se firent instruments de mort et de torture ;
Et, retournant aux lois brutes de la nature,
L’âme humaine appela la force à son secours,
La force ! l’argument des grands loups et des ours !
Et je dis au vieillard :
— « C’est la fin de nos races.
Vois-tu ton Christ encor ? Vois-tu toujours ses traces ?
Vieux nécromant, je suis honteux de t’avoir cru :
Le primate éternel dans l’homme a reparu !
Le chrétien lâche, avec son rêve d’être un ange,
Insultait à la brute — et la brute se venge ! »
Sous l’injure, le vieux, comme sourd à mes cris,
Resta muet, songeur quelque temps. Je repris :
— « Ton Christ est le plus faux des faux dieux qu’on délaisse !
Amour, bonté, mots creux, tout gonflés de faiblesse !
Sot qui ne sait qu’aimer ! Fou qui veut être aimé !
Qui suit ton Christ n’est plus qu’un martyr désarmé,
Proie offerte aux soldats du lucre et de la haine,
Qui sont le nombre affreux, sans nom, la masse humaine.
Christ n’est qu’un doucereux et blanc magicien ;
Certe, un charme est caché dans le songe chrétien,
Mais pernicieux, traître, endormeur d’énergie.
Sur la terre, que tant de meurtres ont rougie,
Comment répondre, nous, les tendres et les bons,
Nous, les propagateurs des infinis pardons,
Au fer qui fouille un cœur, en sort et s’y replonge ?
Quel réveil dans l’horrible, après le divin songe !
Nos jardins, nos maisons, asiles de douceur,
Les voilà donc ouverts au noir envahisseur !
Nos bras chrétiens ne sauront pas tenir l’épée ;
Ton Christ livre aux bourreaux l’humanité trompée ! »
Le vieillard recueillit sa pensée un moment,
Puis, l’œil plein de lumière, il dit, très doucement :
— « S’il ne croit qu’aux ressorts puissants de la matière,
L’homme n’a pas en lui la force humaine entière.
Même stoïque, il meurt en vaincu révolté,
Il périt tout entier, serait-ce avec fierté.
Si la force est le droit, sa chute est légitime,
C’est justement qu’il tombe, et non pas en victime.
La force, c’est là tout ce que le fort défend ;
Après lui, rien de lui ne reste triomphant.
Dès l’instant qu’à ses yeux seule la force compte,
Devenu le plus faible il n’a droit qu’à la honte,
Tandis que, l’œil levé vers son pur idéal,
Le croyant de l’amour souffre et meurt triomphal.
La souffrance est pour lui sainte, la mort sublime,
Il sent orgueil et joie à s’offrir en victime,
Il est le vrai guerrier qui veut, pense, aime et croit,
Et qui, même vaincu, laisse un vengeur : le Droit.
La force de l’idée est la seule immortelle ;
Telle est la loi du Christ : la foi de France est telle.
« Mon Christ est mort voilà deux mille ans accomplis,
Et nos âmes, aux plus secrets de leurs replis,
Gardent toutes, mon fils, sa divine pensée,
Que par le monde entier le temps a dispensée.
Elle est si bien mêlée au cours de notre sang,
Que, lorsque l’Antéchrist se lève menaçant,
Le bras, avant le cœur, s’élance à la défendre ;
C’est d’instinct, désormais, malgré notre cœur tendre,
Que nous défendons, même oublieux de Jésus,
Les biens d’amour que, par sa mort, nous avons eus.
Des hommes, non des Christs, voilà ce que nous sommes,
Et nous le défendons, en nous, comme des hommes.
Nul ne passe en valeur ta vaillance, ô chrétien !
Sacrifice est un fier mot d’ordre ; c’est le tien.
La lance et les deux pieds sur quelque hydre abattue,
Lent à tuer, mais plus terrible lorsqu’il tue,
Le juste, quand il croit la justice en danger,
Non pas lui, — se fait dur pour la mieux protéger ;
Quand l’indignation des plus doux se soulève,
Elle est comme la mer qui dévore la grève,
Et, contre l’injustice et le mal provocants,
Elle a la force involontaire des volcans !… »
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