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Le Témoin: 1914-1916
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XVIII
— « La Croisade, vieillard ? »
— « Oui ! » dit-il, élevant
Son regard vers le ciel, tandis que, dans le vent,
Flottaient sa barbe longue et sa longue tunique.
Et, n’adressant qu’au Dieu fait homme — sa réplique :
— « Oui, dit-il lentement, qu’il croie ou non en toi,
Christ, le monde moderne en ta tendresse a foi.
D’un mot que tu jetas dans la terre féconde
L’arbre immense a jailli, dont l’ombre est douce au monde !
Tous les penseurs, les plus libres, les plus hardis,
Négateurs de ton ciel et de ses paradis,
Souhaitent de les voir réalisés sur terre,
Et c’est toi que Calas remercie en Voltaire !
La Pensée affranchie est ta vassale encor ;
Le meilleur d’elle est un denier de ton trésor ;
L’altruisme, c’est ta charité sous un voile ;
C’est pour avoir levé les yeux vers ton Étoile,
Que l’homme, avec des yeux mieux voyants, plus humains,
Sait marcher plus heureux dans ses tristes chemins.
Qu’il te confesse ou non, qu’importe ! et que t’importe,
Si ta bonté de Dieu survit à la foi morte !
Non, tu n’as pas maudit les hommes pour si peu !
Tu restes l’éternel, qu’on t’appelle ou non Dieu.
Tu ne recherches point, — tu nous l’as dit toi même, —
Les honneurs de ce monde, et, pourvu qu’on s’entr’aime,
Et que du Christ humain la terre ait hérité,
Toi, Dieu, tu nous souris, dans ton éternité ! »
— « Pourvu que l’on s’entr’aime !… Allons, vieillard, lui dis-je,
Ta foi dans Christ me semble un risible prodige,
Quand les humains, partout, inhumains sans remord,
Ne sont unis que par la haine, dans la mort… »
Il reprit :
— « Pour sauver ton rêve de tendresse,
Christ ! contre le Germain le monde entier se dresse :
C’est la Croisade ! Eh oui, les peuples et les rois
Se lèvent pour la croix de Rome, et pour la croix
Que Genève dessine en rouge sur ses flammes,
Et pour la croix secrète inscrite dans nos âmes,
Car, même dans le cœur des enfants d’Israël,
Quelque chose est entré de ton verbe immortel,
Et ton espoir d’amour les gagne et les soulève !…
Germains vils, qui tirez sur les croix de Genève,
La France est devant vous la chrétienne sans peur ;
Le Quirinal, qui vous observe avec stupeur,
Sent se confondre, en la même pitié des hommes,
Les deux cœurs, hier encor désunis, des deux Romes ;
Çakia-Mouni s’indigne, et les rajahs hindous
Vous surveillent de loin avec leurs grands yeux doux ;
Mahomet vous méprise, et l’Afrique immobile
S’agite et court sur vous, toute, arabe et kabyle ;
Et, vous tombés, elle dira : « C’était écrit, »
Car Mahomet sait rendre hommage à Jésus-Christ.
Oui, c’est bien la Croisade et c’est la guerre sainte !
L’Angleterre, dont les océans sont l’enceinte,
Tient fixés ses yeux clairs sur vous, sombres géants,
Et vous menace avec la voix des océans !
Et le tsar de Pologne et le tsar de la Haye,
Père des Slaves dont le nombre vous effraie,
Le tsar au bon cœur, pape et roi, Nicolas II,
Qui compte vos hauts faits et les juge hideux,
Nicolas II, que la douleur française touche,
Contre ta force brute, Allemagne farouche,
Brandit à l’horizon le glaive éblouissant
Dont la poignée est une croix teinte de sang ! »
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