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Le Témoin: 1914-1916

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XXI

Alors le grand vieillard, désignant tout l’espace
Du ciel, dit simplement :
— « Vois, là-haut, ce qui passe ! »
Une armée, en plein ciel, étonnait nos regards.
Spectres flottants, esprits visibles, milliards
De formes, dont chacune était une pensée,
Multitude en une âme unique condensée,
Tous les morts accouraient, sans gestes et sans cris,
Sauver le cœur chrétien de l’univers, Paris.
Et l’humanité morte emplissait l’étendue.
Et sans être aperçue, et sans être entendue,
Elle pénétrait tout, réalité sans chair,
Matière éparse, plus subtile que l’éther,
Feu d’un éclat secret plus ardent qu’une flamme,
Fluide magnétique et respirable à l’âme ;
Et tous nos combattants sentaient naître en leur cœur
Un dieu, l’enthousiasme, un dieu déjà vainqueur,
Une force innommée, un élan invincible,
Une puissance à qui rien n’est plus impossible…
C’était, dans les vivants, le vœu de tous les morts !
Des milliards de vœux, des milliards d’efforts,
Tout le labeur humain, depuis l’âge de pierre,
Où l’homme se sentit des pleurs sous la paupière,
Joyeux lorsqu’il connut qu’il pouvait, de sa main,
Sur la paroi des rocs graver un rêve humain,
Et léguer à ses fils l’œuvre à peine rêvée
Pour qu’un jour, par leurs mains, elle fût achevée ;
L’espoir d’un idéal que chaque siècle accroît,
L’amour d’abord, puis la justice, enfin le droit,
Tout cela, menacé par un peuple rapace,
L’éternité des morts, substance de l’espace,
Accourait le défendre ; et tous, tous étaient là,
Même Caïn ! Judas mère et même Attila,
Car, dans la mort immense, où tout crime s’expie,
Les négateurs d’amour, les meurtriers, l’impie,
Se sentent dépouillés d’eux-mêmes, lentement…
Et servir la justice est leur seul châtiment.
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