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Le Témoin: 1914-1916

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XXIX

De hauts palmiers berçaient au vent leurs nobles palmes,
Sur les bords en gradins d’une rade aux eaux calmes.
Cela nous apparut comme un vibrant décor,
Où dominait l’azur, où resplendissait l’or.
De notre plateau nu, rocailleux et grisâtre,
Nous admirions, comme un heureux fond de théâtre,
La ville, dont les toits, les clochers et les tours,
Encerclaient cette rade aux sinueux contours.
Et le spectacle était d’une beauté parfaite.
Pourtant, dans la cité qu’on aurait crue en fête,
A qui tout souriait, mer pure et ciel serein,
Les arsenaux, battant le fer, fondant l’airain,
Travaillaient pour la mort, à l’appel de la guerre ;
Mais tout semblait aussi tranquille que naguère,
D’abord par la vertu du climat souriant
Où s’annonce déjà le charme d’Orient,
Puis, parce que le cœur héroïque de France
Poursuit son rythme, en guerre, en paix, sans différence,
Et que, sûr de sa force, exalté par son droit,
Il jouit du futur triomphe — auquel il croit.
Nous avions sous nos yeux non pas un paysage,
Mais l’âme de la France aimée, — et son visage,
Tel qu’il était hier, tel qu’il sera demain,
Lorsqu’on aura chassé le cauchemar germain.
Le grand pavois flottait, triomphant par avance,
En plein ciel libre, à bord du cuirassé Provence,
Qui saluait, du bruit tonnant de son canon,
Le pays des lauriers, dont il porte le nom.
Dans la montagne et les gorges les plus profondes,
Ce tonnerre, en échos, roulait par larges ondes,
Sans qu’on vît, même au loin, un nuage orageux.
Cachée, et s’exerçant à ses terribles jeux,
La mitrailleuse, exacte à scander ses rafales,
Soufflait ce bruit que fait la mer, par intervalles,
En roulant des galets qui se choquent entre eux.
Dans l’air pur, tout fleuri de pavillons nombreux,
De blancs oiseaux marins, les ailes toutes grandes,
Entrelaçaient leurs vols en vivantes guirlandes,
Sur cet éden réel, sur ce rêve enchanté.
Et, devant ces splendeurs de suprême beauté,
Le Mage s’écria :
— « France, celte et latine,
A tous les beaux destins ta beauté te destine !
« O France ! tu vaincras tes fauves ennemis.
Ton triomphe certain commence ; il est promis ;
Car il faut que le monde aille vers la lumière,
Et c’est toi, vers l’amour, qui marches la première !
« L’esprit germain est lourd, comme matériel,
Et le tien est ailé comme l’oiseau du ciel.
« O France ! tu vaincras, car le monde veut vivre.
La terre entière attend le verbe qui délivre,
Et qu’il soit esprit libre ou sentiment chrétien,
Le grand verbe d’amour sur terre, c’est le tien. »
Entre ciel et mer, blanc, ses deux ailes tendues,
Un hydroavion, roi des deux étendues,
Planait, — et, pour nos cœurs, en ce siècle d’effrois,
Moderne labarum, figurait une croix.
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