← Retour

Le Témoin: 1914-1916

16px
100%

V

— « Parmi les maux sans fin dont l’éternité pleure,
Enfant, tu n’as souffert que les tiens, et qu’une heure ! »
Je lui dis : — « J’ai souffert aussi les maux d’autrui :
Comme l’humanité, je traîne, dans la nuit,
Sous le ciel dont l’affreux silence nous menace,
Un reste douloureux d’espérance tenace.
Oui, j’espère en un rêve auquel je ne crois pas,
Et le vœu de mourir alourdit tous mes pas.
Il sera doux, l’instant où la morne inconnue
Entre ses bras terreux dissoudra ma chair nue ;
Où ma chair cessera de redouter l’amour ;
Où, ne regrettant rien, qu’un peu l’éclat du jour,
Je dormirai content de ne plus voir l’envie,
Acharnée et mordant sur la plus belle vie,
Insulter ou nier les plus nobles efforts.
« Oui, j’appelle à grands cris la paix, la paix des morts,
Puisqu’il n’est pas d’amour certain ni de justice !
Oui, j’invoque le pur néant, seul dieu propice !
Un Autre avait promis à ce monde d’effrois
Qu’il viendrait apaiser les peuples et les rois,
Les courber sous sa main, les unir sous son règne ;
Mais Celui-là n’est plus qu’une image qui saigne
Et montre à l’univers un flanc déchiqueté !
Son cœur n’est qu’une plaie ouverte à son côté,
Et c’est comme une bouche effroyable et plaintive
Qui crie en vain : « Seigneur ! que votre règne arrive ! »
Rien, rien ne lui répond, qu’un silence infini,
Le même au Golgotha que sur Gethsémani !
Il s’est trompé, Celui qui disait : « Paix sur terre ! »
Sur le mont déserté la croix est solitaire ;
La Guerre à l’œil de brute, au front dur et têtu,
Piétine, dans le sang, sur le temple abattu !
Les vrais rois sont ceux-là qui, brandissant l’épée,
Fouaillent comme un troupeau l’humanité dupée ;
Le monde horrible attend les pires lendemains ;
La haine arme partout les enfants des humains ;
Les femmes, autrefois des mères attendries,
Contre l’antique époux se dressent en furies :
Et Celui qui promit au monde la pitié,
Aux mains des flagellants n’est qu’un fou châtié !
Il est traqué, raillé, chassé de tous ses temples,
Exemple mémorable, entre tous les exemples,
De l’inutilité d’avoir, — seul, au milieu
Des hommes vils, — la grâce et la beauté d’un Dieu ! »
Chargement de la publicité...