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Le Témoin: 1914-1916
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XXV
Parmi des morts et de grands blessés, — c’est alors
Qu’un Français, se levant, cria : « Debout, les morts ! »
Mais nous seuls nous savions que cet appel sublime
Montait vers tous les morts accourus de l’abîme.
Or, cet appel vibra dans tous les cœurs en deuil,
Au souvenir des morts enterrés sans cercueil.
Et les vierges en pleurs, les femmes noir-vêtues,
Croyaient ouïr les voix chères qui se sont tues…
Et nous, nous entendions chanter, en longs accords,
Ces même voix, lointains adieux d’esprits sans corps :
— « Nous sommes morts pour vous défendre
Contre de vils envahisseurs,
Vous que nous aimions d’amour tendre,
Vieilles mères, petites sœurs !
« Jeunesse encor mal aguerrie,
Tout éprise de grâce et d’arts,
Nous sommes morts pour la patrie,
Fiers de tomber sous vos regards.
« La mort nous prit sans différence,
Riches, pauvres, jeunes ou vieux.
Et nous sommes morts, chère France,
Pour tes fils et pour nos aïeux.
« Mourir pour toi, — ce fut bien vivre,
O France, cœur du monde ! sel
De la terre ! esprit du saint Livre
Qui veut l’amour universel !
« Nous sommes morts pour la défense
Du plus doux idéal humain ;
Pour le léguer pur à l’enfance
Qui sera la France demain.
« Rapprochés par la mort des pères,
Et sentant notre âme sur eux,
Nos fils, dans nos maisons prospères,
Vivront plus fiers et plus heureux.
« Nous sommes morts pour vous défendre
Contre de vils envahisseurs,
Vous que nous aimions d’un cœur tendre,
Petits enfants, — frères et sœurs ! »
Des tombes, çà et là fraîchement remuées,
Cette hymne, dominant la guerre et ses huées,
S’élançait, rejoignait, comme mêlée au vent,
Les anciens morts, — la mort, autre infini vivant,
Matrice des soleils, semence des étoiles !
Et les femmes, penchant le front sous leurs longs voiles,
Les vieux, un crêpe au bras, plusieurs peuples en deuil,
Répondaient, en un chant de magnifique orgueil :
— « Vous aurez dans nos cœurs une tombe immortelle,
O vous que votre amour de la paix — a trahis !
Vous fîtes en mourant l’humanité plus belle,
Soldats morts pour notre pays !
« Nous laissons, sous nos yeux cernés, couler nos larmes,
Mais nos cœurs sont encor plus grands que nos douleurs,
Et sur vos corps, ensevelis avec leurs armes,
Nous jetons des lauriers en fleurs.
« Votre mort que l’on pleure, on la donne en exemple ;
On la pleure en silence, on l’admire à grands cris ;
Et nos cœurs éternels sont pour vous comme un temple
Où, dans l’or, vos noms sont inscrits.
« Vous sûtes, par la mort, avec vos grandes âmes,
Faire, au monde sauvé, des avenirs plus beaux !
Et c’est pourquoi vos sœurs, vos mères et vos femmes,
Vous voient vivants sur vos tombeaux. »
Telle, en prodigieuse et lente symphonie,
Chantait son chant d’orgueil l’espérance infinie.
Alors, un autre chœur, mais plus retentissant,
De moins lente harmonie et de plus rude accent,
Vint jusqu’à nous… C’était la voix, l’âme enflammée,
La résolution ardente d’une armée…
Quelque chose pourtant d’allègre et de moqueur
Traversait les accords farouches de ce chœur :
— « Nos camarades morts sont les moissons fauchées ;
Mais nous, nous sommes le grain mûr,
Le grain gonflé d’espoir qui dort dans les tranchées,
Où germine déjà le triomphe futur.
« Nous avons en mépris cette race allemande,
Son idéal matériel.
C’est la bête puante et féroce, — et gourmande,
L’ours noir qui rôde autour des ruchers pleins de miel.
« Ruisselantes de sang, baïonnettes vermeilles,
Harcelez le fauve aux pieds lourds !
La brute, sous le dard de toutes les abeilles,
Saura bientôt comment on fait danser les ours.
« Mais non, le dur Germain n’est pas si débonnaire ;
Ce n’est pas l’ours, plaisant danseur ;
Et les canons d’Europe, à défaut du tonnerre,
Écraseront, dans sa fange, l’envahisseur !
« Voyons-le tel qu’il est : un dragon de légende,
Un monstre aux sept gueules d’enfer,
Et jurons-nous d’anéantir l’hydre allemande,
Avec la sape, avec la flamme, avec le fer !
« Nous sauverons l’espoir, l’amour, la paix des mondes,
En frappant le monstre en plein cœur,
Et nous arracherons les sept langues immondes :
Il tordra ses anneaux sous le pied du vainqueur.
« Entends-tu le serment des Francs, prince féroce,
Faux roi, Guillaume le second ?
Nous mettrons sous nos pieds, sous l’épée et la crosse,
Ta tête affreuse et les sept têtes du dragon.
« Nous ne voulons revoir nos maisons, plus prospères,
Que sous des drapeaux triomphants,
Quand les mères pourront offrir aux heureux pères
Des lauriers tout en fleurs par la main des enfants. »
Des soldats souriants chantaient ce chant suprême,
Et la Mort reculait et doutait d’elle-même.
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