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Le Témoin: 1914-1916
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VI
A ces mots, tout le ciel craqua comme une voûte
Qui tout à coup s’entr’ouvre en se lézardant toute :
Et des gouffres de feu parurent au travers,
Par des trous aussitôt refermés qu’entr’ouverts.
L’occident noir poussait, au-dessus de nos têtes,
Les nuages, coursiers qui, fouettés des tempêtes,
Paraissaient secouer des flammes dans leur crin ;
Sous leur galop, le ciel fut comme un pont d’airain
Qui vibre en sons profonds qu’un écho sourd prolonge ;
Et, tout haut, malgré moi, je disais, comme en songe :
— « N’est-il pas fou, ce dieu, — quand tout doit démentir
Sa doctrine, sa vie et sa mort de martyr,
(Et qui le sait ! et qui connaît la race humaine !)
D’annoncer aux humains sa victoire certaine ?
A peine intelligible à notre humanité,
N’est-il pas fou de croire à l’homme racheté ?
Fou de croire qu’un jour tous iront dans sa voie ?
Et sa mort, — au sommet d’un mont, pour qu’on la voie
De tous les horizons, — sa mort sur ce haut lieu,
N’est-elle pas vraiment la défaite de Dieu ?
Elle est la grande preuve, éclatante, achevée,
Qu’en lui l’amour ne fut qu’une splendeur rêvée !
O Golgotha ! sommet de honte ! pilori
Où l’unique Bonté jette en vain son grand cri !
Monument d’infamie, où l’illusion sainte
Pousse éternellement son inutile plainte !
Trône où l’Envie, assise, heureuse, fouet en main,
Incarnant tout le lâche et hideux genre humain,
Tient sa cour de bourreaux, qui ricane autour d’elle !
Piédestal odieux de la haine immortelle
Qui brandit, en riant, les marteaux et les clous !
Autel où l’agneau blanc s’offre en victime aux loups !
Comment peux-tu paraître à l’humaine mémoire
La cime où Dieu le Juste achève sa victoire ?
La justice avec lui fut roulée au linceul ;
On entrevoit l’amour dans le rêve d’un seul,
Mais on veut oublier l’abandon des apôtres :
Le renîment de Pierre et la fuite des autres.
Et deux mille ans plus tard, ô Jésus mort pour nous,
On cherche sous ta croix un fidèle à genoux ;
Car les pharisiens, qui font semblant de croire
A ton pouvoir d’amour, le savent illusoire.
Le bataillon sacré, tes chevaliers, soutiens
Du trône et de l’autel, ces deux pôles chrétiens,
Ceux-là, les prétendus servants de ta doctrine,
Qui la disent encore efficace et divine,
Ceux qui t’appellent Dieu de pitié, Dieu le Fils,
Et brodent saintement ta bannière de lys,
Tes derniers pèlerins, à peine quelques hommes,
Nous connaissant mauvais et vils, tels que nous sommes,
Tout en te proclamant vainqueur, ô dieu vaincu,
Voient bien qu’en vain leur dieu sur la terre a vécu
En homme, — et que ta mort n’a pas sauvé les mondes !
Et t’invoquant toujours, sans que tu leur répondes,
Ils appellent sur nous, châtiment mérité,
Un dieu-soldat, l’épée en main, casqué, botté,
Qui foule, sous des pieds sanglants, l’âme elle-même,
Pour être, et non plus toi ! le chef, le dieu suprême.
… Tes espoirs infinis sont-ils assez déçus !
Quelle erreur fut égale à la tienne, ô Jésus !
Oh ! si du moins, quand sur ton gibet ton sang coule,
Un seul cri de pitié s’élevait de la foule !
Mais qu’espérais-tu donc de ce peuple au cœur bas ?
Son ami n’est jamais Jésus ; c’est Barrabas !
Mendiant de pitié sans pitié pour lui-même,
Il ne sert pas l’amour et demande qu’on l’aime !
A peine si le bon pasteur sauva parfois
Quelque errante brebis accourue à sa voix ;
Le reste n’obéit qu’au chien puissant qui gronde ;
Et, veule, piétinant dans sa fange profonde,
La foule est un troupeau qui bêle vers la mort !
Que si, rebelle un jour aux caprices du fort,
Un peuple, en justicier, tout à coup se redresse,
Lui qui, dans l’esclavage, invoquait ta tendresse,
Lui, doux vaincu d’hier, devient un dur vainqueur !
Dès qu’il a la victoire au nom des droits du cœur,
En hâte il les abjure, et sous ses pieds les broie :
Le doux agneau bêlant devient bête de proie.
Et c’est ainsi toujours qu’un juste révolté
Rend aux tyrans déchus un droit d’iniquité.
« Ta statue était d’or avec des pieds d’argile,
Christ ! Deux mille ans après l’aube de l’Évangile,
Tes prétendus chrétiens, sur l’univers à feu
Et à sang, blasphémant l’humanité de Dieu,
Relèvent Sabaoth, que leur folie adore,
Et dont la rouge gloire efface ton aurore !
Il s’est aussi fait homme ; il est le dieu rival ;
Tu passais sur un âne : il te nargue à cheval !
Les hommes fascinés, glorieux dans la honte,
Baisent les durs sabots de la bête qu’il monte.
C’est lui que l’on invoque à toute heure et partout ;
Son image de bronze est la seule debout ;
Tout puissant ou martyr, lui qu’en tremblant on nomme,
C’est lui qu’on voudrait être ou subir : le surhomme,
Napoléon ! C’est lui, lui seul, le roi des rois !
En un hochet de guerre il a changé ta croix ;
Et nul n’en peut parler, sans qu’une voix réponde :
« C’est lui le vrai sauveur, le vrai maître du monde
« C’est lui le dieu d’hier et le dieu de demain,
« Qui règne et tient le globe étoilé dans sa main.
« Il ressuscitera selon la prophétie ;
« C’est le mort qu’on attend toujours, le vrai Messie… »
« J’ai tout vu, j’ai tout lu, tout souffert ; je suis las,
Et le vœu de mourir appesantit mes pas… »
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