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Le Témoin: 1914-1916

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XI

Il dit : — « Témoin d’horreurs dix-neuf fois séculaires,
J’ai vu l’immense arène, aux hauts murs circulaires,
Qui, tout chargés de fronts, d’yeux et de bras mouvants,
Semblaient d’horribles murs faits de moellons vivants ;
Les parois de ce puits hurlaient par mille bouches,
Et les regards étaient, sous des sourcils farouches,
Plus mordants et plus durs que le ciment romain.
Tout le fond de ce puits n’était que sang humain,
Et luisait sous les yeux des horribles murailles.
Ventre ouvert, retenant à deux mains leurs entrailles,
Les gladiateurs, nus, saluaient en mourant
Le vil César, qu’un peuple avili faisait grand.
Et toute cette horreur a passé comme un rêve.
Les vierges, les enfants qui saignaient sous le glaive,
S’étant donné la main l’un à l’autre en s’aimant,
Calmes, ont regardé le glaive fixement.
Le cirque a dit : Je hais ! Ils ont répondu : J’aime !
Et le glaive est tombé, vaincu, dans leur sang même. »
— « Vaincu pour peu de temps ; des rois l’ont ramassé !
Des papes ont brandi le fer ! »
— « C’est le passé. »
— « Un moine inventera la poudre… Oh ! que de veuves
Pleurent les huguenots, chrétiens jetés aux fleuves ! »
— « C’est le passé. »
— « Toi même, ils t’ont persécuté,
Juif, tous ces prétendus rêveurs de charité. »
— « C’est le passé, qui fut rage, haine, colère.
Le jour vient, le regard du Juif même s’éclaire. »
— « Le vieux peuple des Francs décapite son roi ;
Lorsque la liberté règne, c’est par l’effroi.
A leur tour les martyrs ont ramassé l’épée :
Notre foi dans leur Christ, c’est eux qui l’ont frappée ! »
— « L’épée est belle aux mains vengeresses du Droit !
— « Ton Christ nous a menti, plus personne n’y croit ! »
— « Qu’importe à Dieu les noms mortels dont on le nomme ?
Amour, bonté, ces mots sur les lèvres de l’homme
Sont des noms plus humains de l’immatériel.
L’homme ne vit que pour lever les yeux au ciel ;
Il y cherche à jamais l’idéal, son étoile ;
L’orage n’est jamais qu’une heure, et n’est qu’un voile ;
L’étoile est fixe au fond des gouffres infinis ;
Et les hommes, pervers à la fois et bénis,
Tous rencontreront Dieu, puisque Dieu pour la terre
N’est qu’énigme, et que tous se heurtent au mystère…
« L’Évangile chemine, et moi, je suis des yeux
Le triomphe du Christ, secret et merveilleux. »
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