← Retour
Le Témoin: 1914-1916
16px
100%
LE TÉMOIN
I
C’était l’heure où, les yeux et le cœur pleins de doute,
Le marcheur devant lui voit s’effacer sa route,
Et, serrant son bâton comme une arme en sa main,
Cherche un gîte où dormir, en espérant demain.
C’était l’heure où l’on sent sa lassitude, l’heure
Où l’on sent mieux qu’il faut que toute chose meure ;
Heure auguste, où le froid qu’exhalent les tombeaux
Mêle une inquiétude au désir du repos,
Submerge les contours et les couleurs des choses,
Et, de la plaine, aux pics neigeux, saignants et roses,
Marée étrange, monte — et, lourde de sommeil,
Couvre sur l’horizon la gloire du soleil.
Aux temps païens, quand sur nos chemins tombait l’ombre,
Quand les astres, qui sont les figures du Nombre
Et du Rythme, un à un, s’allumaient dans le ciel,
Les dieux, termes concrets de l’immatériel,
Muses, nymphes, tritons, les grâces et les forces,
Lentement s’échappaient des rochers, des écorces,
Et des mers, pour charmer les soirs mystérieux…
L’approche de la nuit était l’heure des dieux.
Heure infinie, affreuse et tranquille, pareille
A celle où, se parlant de Jésus, mort la veille,
Deux pèlerins, dont l’un se nommait Cléophas,
Sur la route déserte où résonnait leur pas,
Dans la lente ténèbre où, sans voir, l’œil devine,
Virent soudain près d’eux, ombre humaine et divine,
Un inconnu surgir, étrange compagnon
Dont ils sentaient l’amour sans connaître son nom.
Chargement de la publicité...