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Le Témoin: 1914-1916
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IX
Sur les pics où le bord du firmament repose,
Une lente lueur, blanche d’abord, puis rose,
Ondulante, marqua les lignes d’horizon.
Et, devinant au loin le toit de ma maison :
— « Le repos nous attend sur ma terrasse haute,
Lui dis-je, sous la treille où vous serez mon hôte. »
Lointain, les yeux perdus, il ne m’écoutait pas,
Et c’est son rêve seul qu’il suivait à grands pas.
— « L’amour, dit-il (et sa voix grave était plus grave),
C’est le maître insolent qui deviendra l’esclave.
Les loups dans les forêts, les ours, même les cerfs,
Et, dans les sables roux, les lions des déserts,
Avec des cris haineux, pris de fureur jalouse,
Bramant ou rugissant d’amour, mordent l’épouse ;
Les hommes font comme eux, et leurs désirs grondants,
Fauves hargneux, ne sont que griffes et que dents.
La griffe rétractile, ayant guetté, veut prendre ;
La dent se réjouit d’entrer dans la chair tendre ;
Qu’importe au cerf ardent, lascif et furieux,
L’inutile refus de la biche aux grands yeux ?
En proie au faux amour, l’âme en vain crie et saigne,
Et la tendresse humaine attend toujours son règne.
C’est pourquoi, détournant des hommes mon regard,
J’ai cherché l’homme — et vu, calme et chaste, à l’écart,
Le couple pur errer sous la forêt ombreuse.
J’ai vu, sur un seuil blanc, une sainte amoureuse
Attendre le retour du fiancé lointain ;
L’amour est un plein jour dont elle est le matin ;
Tout l’avenir aimant naîtra de cette aurore
Qui n’est qu’une lueur fraîche, incertaine encore ;
Et ce couple de deux bons cœurs, simples et purs,
N’est que l’image en fleur d’innombrables futurs.
Ces deux êtres liés, douceur, candeur et grâce,
Promettent à l’amour une nouvelle race.
Ce seul couple béni, qui s’aime sans tourment,
Prépare à l’avenir un paradis aimant ;
Et qu’importe s’il a désappris l’Évangile ?
Tout amour vrai, qui n’est ni cruel ni fragile,
Fut un rêve ineffable au cœur de Jésus-Christ,
Car la lettre n’est rien, selon qu’il est écrit.
Oui, compagnon, il faut voir, par-delà les hommes,
Ce que nous deviendrons et non ce que nous sommes.
Vaste est l’amas des temps ; le mal rampe au-dessus ;
Par-dessous, mon œil suit la trace de Jésus.
Or, elle est comme une eau secrète sous la terre,
Où, dès qu’elle jaillit, l’oiseau se désaltère ;
Je sais la reconnaître à ses reflets de feu,
Qui, là, semblent s’éteindre ; ici, renaître un peu ;
Et c’est en elle enfin, source, pluie ou rosée,
Que toute eau bonne à boire est et sera puisée.
Oui, sous les cris discords, j’entends de pures voix ;
Écoute-les, sois attentif, regarde et vois :
Les œuvres de bonté, parmi tant d’œuvres viles,
Fleurissent, comme, sur le pavé noir des villes,
Quelques arbres, parmi les charrois et les cris,
Tendent au ciel lointain de beaux thyrses fleuris.
Que d’asiles de luxe offerts à la misère !
Que d’infirmes, manquant chez eux du nécessaire,
Hommes, enfants, vieillards, mères aux seins gonflés,
Y trouvent leur salut, ou meurent consolés.
D’autres que des croyants donnent les grands exemples.
Jamais la charité n’éleva plus de temples.
Et même l’animal, — que Christ a racheté,
Quand sur un âne, sans orgueil, il est monté, —
Le cheval dans l’étable et le chien à la chaîne,
Sentent passer sur eux de la tendresse humaine…
« Crois-moi, mon fils, car j’ai vingt siècles révolus,
Bien des maux sont soufferts, qu’on ne reverra plus. »
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