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Le Témoin: 1914-1916

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XIX

Le Christ de bois, que, seul, un ermite révère,
Du pic que nous foulions faisait un vrai Calvaire,
Et, chancelant, le Juif s’appuya d’une main
Sur Celui qui voulut sauver le genre humain.
Alors il dit, debout sur le pic haut et chauve :
— « Sauveur, c’est, à son tour, Le monde qui te sauve !
S’il n’est fort, s’il n’est grand qu’appuyé sur toi, — toi,
Tu n’as plus de salut qu’en son glaive et sa loi. »
Mais l’image du Dieu dont l’humanité doute,
La voyant à ses pieds souffrir et mourir toute,
Sembla crier vers nous et vers le ciel : « Je meurs ! »
Et cela dominait la guerre et ses clameurs.
Et, dans les grands lointains, voici ce que nous vîmes :
Des soldats ivres, fous, et prêts à tous les crimes,
Des hordes, mais en bel ordre matériel,
Avec un bruit de pas qui montait Jusqu’au ciel,
S’avançaient sur Paris, menaçaient Notre-Dame,
Et derrière eux, Louvain, Maline, étaient en flamme.
« Les voilà ! les voilà qui viennent sur Paris ! »
C’est un sourd grondement sinistre ; point de cris.
Sous le piétinement de l’innombrable foule,
Le sol, comme un tambour voilé, tressaille et roule.
Ils viennent, — les uhlans en tête, lance au poing.
La tour Eiffel les guette : ils se traînent au loin,
Hommes, chars et chevaux, fusils et mitrailleuses,
Sombre nuage, gros de foudres furieuses.
A voir sur l’horizon marcher ces guerriers-là,
Le mont de Geneviève a dit : « C’est Attila ! »
Dans cette immense armée, il reconnaît la horde.
Ces êtres sans amour et sans miséricorde,
Gueule et ventre affamés, ces appétits grondants,
Veulent de la chair vive à mettre sous leurs dents ;
Ils veulent des terrains tout cultivés, blé, vigne,
Un vaincu qui sous eux s’écrase, — et se résigne
A leur donner de l’or, de l’or par milliards !
Leur chef sinistre crie à ces bandits pillards,
Dont l’affreux crâne — en fer de lance se termine :
« Va, mon peuple, toi qui ne crains que la famine,
La France est riche ! prends son pain, son or, son vin,
Et saccage Paris comme un autre Louvain !
Obéis ; je commande, et mon ordre te couvre.
Fais flamber, s’il le faut, la Sorbonne et le Louvre !
Prends-leur Paris, — ou meurs ! voilà ce que je veux,
Et que l’histoire dise à nos petits-neveux :
« Guillaume II, géant de Prusse, fut un homme
Plus grand que ce fameux Néron — qui brûla Rome ! »
Il dit, et les Germains répondent : « Hoch ! hurrah !
Chef, nous t’aurons Paris ! et lorsqu’il flambera,
Alors, docile au roi sanglant qui nous commande,
La France deviendra l’Allemagne plus grande !
Hoch ! hoch ! »
Tout en jetant le cri cher au Kaiser,
Ils roulent, flot montant d’horreur, de sang, de fer,
De feu, — torrent sans nom qui tord, saccage et broie,
Et c’est bien Attila, c’est la race de proie !
Les voilà sous Paris, sous l’œil fixe des forts.
Oh ! qui seront les morts ? Combien seront les morts ?
— « Les noirs envahisseurs, avec la faim au ventre,
Resteront là longtemps, cherchant par où l’on entre. »
— « Soit, la France attendra. »
— « Mais s’ils étaient vainqueurs ? »
— « On peut vaincre les corps, non la vertu des cœurs ;
Nous attendrons toujours : le salut, c’est d’attendre. »
— « Mais s’ils prennent Paris ?
— « Se laissera-t-il prendre ? »
— « S’ils le prennent ? »
— « Eh bien, sur Paris dévasté
Nous attendrons toujours. »
— « Quoi ? »
— « Le jour d’équité,
Le triomphe final de la justice sainte !
L’autel du temple est mieux gardé que son enceinte !
L’esprit chrétien, l’esprit pur, ne peut pas mourir ! »
— « Mais s’ils brûlent Paris ? »
— « Nous saurons tout souffrir !
Nous le rebâtirons, sous les yeux de l’histoire,
Avec du ciment rouge et des marbres de gloire !
Nous n’attendons qu’un mot, le dernier, du Destin. »
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