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Le Témoin: 1914-1916

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XVI

Sans rien connaître à la souffrance de nos âmes,
L’azur riait, moins doux mais plus beau d’être en flammes.
Autour de nous, sur le haut désert rocailleux,
Le calme indifférent des grands espaces bleus
Resplendissait ; mais, sous ce ciel d’apothéoses,
Tant d’éclat dénonçait la misère des choses,
Que, dressé là, sur ce plateau nu, dans les temps,
Le Dieu n’était plus rien, sous les cieux éclatants,
Qu’un débris plein de trous, où la vermine habite.
Dans la clarté fondaient tous les rêves en fuite.
Du radieux levant au couchant radieux,
Une moitié du globe apparut à nos yeux ;
Et, du plateau désert où nous étions, nous vîmes,
Comme jailli soudain des plus affreux abîmes,
Un déluge de maux, de meurtres et d’effrois,
Submerger l’univers, où mouraient tous les droits.
Des termes d’Amérique aux bornes de l’Asie,
Les hommes, en hurlant, frappés de frénésie,
S’armaient, — des millions d’hommes ! Vingt millions
Ou trente, s’égorgeaient ; sept, huit, dix nations.
On eût dit de la fin du monde en cataclysme !
Et tous se réclamaient du doux christianisme,
Ou de l’Islam, qui voit un prophète en Jésus.
Mais les fleuves étaient de sang, et, par-dessus,
L’impassible soleil rayonnait dans sa gloire.
Sur la réalité rouge, fangeuse et noire,
Il épandait à flots, à verse, par torrents,
Sur les camps ennemis, ses rais indifférents,
Le même éclat sur Reims et sur Sainte-Sophie,
Lui que, dans l’ostensoir, le prêtre glorifie !
Et je criai :
— « Maudit soit l’astre éblouissant
Qui peut voir sans horreur des rivières de sang !
Car le sang n’est pas fait pour empourprer la terre ;
Il doit, dans les vivants, rester vivant mystère,
Dans les canaux secrets des corps rester secret ;
Malheur, lorsqu’au soleil le sang des cœurs paraît !
Et malheur au soleil, quand l’humanité saigne,
S’il ne se voile pas d’horreur, et s’il se baigne
Dans la pourpre qui n’est pas, sur les horizons,
L’adieu resplendissant de ses propres rayons ! »
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