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Le Témoin: 1914-1916

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XVII

— « La terre, bien de tous, sera-t-elle usurpée
Par un seul ? Non ! le droit de tous a pris l’épée,
Affirma le vieillard, et lorsque, ô mon enfant,
La Justice ou l’Amour indigné se défend,
L’âme du défenseur passe et vit dans le glaive ;
Et même quand le bras des faibles le soulève,
Dans ses propres éclairs passe un étrange éclair,
Et, parmi les reflets dont resplendit le fer,
L’âme voit des rayons qui lui viennent des âmes.
Le juste armé vaincra les conquérants infâmes.
Le monde est un, au fond ; il va vers l’unité
Visible, et ne peut être en sa marche arrêté.
Tout peuple est criminel d’en asservir un autre ;
Et la France le sait, elle, le peuple apôtre !
L’Évangile en tous temps fut au fond de son cœur,
Et par elle le droit de tous sera vainqueur,
Tous les droits de chacun se feront équilibre ;
Et, de même qu’en France un homme se sent libre,
Fût-il faible, et se sait protégé dans son droit,
De même, un jour, demain, ou plus tôt qu’on ne croit,
Chaque peuple sera, devant tous, son seul maître ;
Et, librement unis, tous devront reconnaître,
Pour être protégés, qu’ils doivent protéger,
Et qu’être différent n’est pas être étranger.
Il n’est qu’un Droit, unique et sacré, loi suprême
Qui pour un homme ou pour tout un peuple est la même ;
Et le respect aux droits des peuples reste dû,
Le même que l’État doit à l’individu.
Jésus et Jeanne d’Arc semèrent cette idée
Par le sang de vos morts aujourd’hui fécondée. »
— « Fou ! dis-je au grand vieillard, de croire au Dieu de paix !
Tu vas connaître enfin comme tu te trompais,
Tiens, vois ! »
La terre était un seul champ de bataille.
Le Mage auguste, alors, sembla prendre la taille
D’un géant, et, son dos voûté se redressant,
Je crus voir un Samson indigné, si puissant
Qu’il pourrait ébranler les colonnes du monde.
Sa barbe au vent des monts se mouvait comme une onde ;
Ses sombres yeux semblaient lancer des dards de feu.
— « L’empereur des Germains, tout en invoquant Dieu,
Dit-il, a méconnu la norme de la vie.
Il rêve l’homme esclave et la terre asservie ;
Il veut fouler la chair et l’esprit sous ses pieds ;
Il dit que la faiblesse est l’âme des pitiés ;
Il prétend que la force est l’unique puissance…
La force n’est qu’esprit, mon fils, en son essence.
Les peuples l’ont compris, et — regarde à ton tour —
Albert, vrai roi, debout pour le droit et l’amour,
Sert l’honneur, l’honneur pur, que l’Allemagne oublie ;
Et vos Français, qu’on crut une race affaiblie,
Artistes, artisans, le marchand, le penseur,
Et les oisifs, pour qui vivre n’est que douceur,
Ceux dont le mot Patrie excitait les sarcasmes,
Et tous ceux qui raillaient les beaux enthousiasmes,
Ceux qui niaient le sentiment, le dévouement,
Regarde-les ! leur cœur s’exalte brusquement !
On dirait qu’en voyant l’affreuse Germanie
Servir les bas instincts dont elle est le génie,
Les plus pervers ont pris leurs vices en dégoût !
Transfigurés, soldats merveilleux tout à coup,
Pour que la grande fin prédite s’accomplisse,
Ils servent en héros ce mot : le Sacrifice,
Et meurent pour prouver qu’il est le seul salut !
Et, las des vanités où leur cœur se complut,
Les plus obscurs d’entre eux, les martyrs anonymes,
Disent, devant la mort, des mots qui sont sublimes !
Un souffle d’héroïsme a traversé les cœurs…
« Où sont-ils maintenant, vos sceptiques moqueurs ?
Ils trouvent, sous les yeux étonnés de l’Histoire,
Au baiser de la mort une saveur de gloire !
Et l’univers a dit : « Suivons les fils des Francs !
« Eux, c’est par la bonté loyale qu’ils sont grands ! »
Et, de la mer Baltique au lac Tibériade,
Tout est debout, — ou pour ou contre la Croisade ! »
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