Le vœu d'être chaste: roman
XVIII
Sur les instances de son fiancé, Claire avait consenti à faire une promenade d'après-midi en charrette anglaise, avec le vicomte. Adrien tantôt devant, tantôt derrière, les accompagnait à bicyclette. Elle était gaie, ce jour-là, la petite Mériel. Très sûre d'elle, indulgente aux autres, elle était en veine de malice légère, d'amusement puéril.
Le vieux beau se félicitait de cette débonnaireté soudaine. Retour de coquetterie, peut-être. Et dès le premier kilomètre, enhardi, il abusait du tête à tête pour ouvrir son cœur à Claire, lui raconter son chagrin. Il conduisait en même temps, et ses explications alternaient avec les avertissements qu'il était obligé de donner à sa bête un peu rétive.
— Que vous ai-je fait, disait-il, pour me traiter si mal? Pas un mot d'amitié depuis quinze jours! Si vous saviez comme votre indifférence me fait souffrir! — Pull hope! — Depuis que vous m'avez abandonné, je ne vis plus ; je suis comme un corps sans âme. Aoh!
— Vraiment? C'est affreux cela, mon pauvre ami. Mais, prenez donc garde à votre cheval, ou donnez-moi les rênes. Je n'ai pas envie d'entendre la fin de votre déclaration dans le fossé…
— Ne vous moquez pas! Je suis l'homme le plus malheureux du monde.
— Ce n'est pas une raison pour loucher de mon côté, au risque de nous jeter sur toutes les voitures qui passent!
— Vous plaisantez, et je souffre…
— C'est donc ça, que vous avez les yeux rouges ; je supposais que vous aviez pris un coup d'air.
— C'est tout ce que vous trouvez à me dire pour me consoler?
— Faites-vous consoler par Adrien. Voulez-vous que je l'appelle? Vous lui expliquerez votre cas.
— Ne m'accablez pas, Claire! Je connais Adrien ; c'est un brave cœur, mais une nature un peu élémentaire. L'échange de sentiments que je vous demande ne peut lui faire aucun tort ; ces choses-là l'intéressent assez peu. C'est à votre âme seule que j'en veux… Le reste…
— Vous le lui abandonneriez, n'est-ce pas? Vous êtes un ami généreux. Et vous me demandez de consentir au partage?…
— C'est-à-dire… Tenez, ce sujet là est délicat, et je suis trop ému pour me faire comprendre… Lisez ceci plutôt… ces quelques lignes où j'ai mis tout mon cœur.
— Des vers, peut-être?
— Oh!
— C'est que je vous vois si monté! Et c'est convenable au moins, votre papier? Donnez. Et tâchez maintenant de mieux faire votre métier de cocher. Nous avons déjà failli verser deux fois… Ah! pardon! ne vous appuyez pas sur moi. Pas de frôlements, s'il vous plaît. Vous savez que je n'aime pas ces manières…
Viraben se tint tranquille un moment ; mais le silence n'avançait pas ses affaires.
— Vous me boudez, mon amie, reprit-il. A quoi pensez-vous?
— J'écoutais chanter les grillons, répliqua Claire ; ce qu'ils me disaient ne manquait pas d'éloquence.
— Les grillons sont habillés de noir… C'est pour cela qu'ils vous plaisent, sans doute, ricana le vicomte.
— Vous êtes trop spirituel pour moi, mon ami ; je renonce à lutter avec vous…
— Ne vous fâchez pas, je vous en prie. On peut bien s'amuser un peu de votre conversion. Est-ce donc si sérieux?
— Tout ce qu'il y a de plus sérieux.
— Tant pis! Penser à son salut, à votre âge! Votre montre avance, ma chère amie.
— Et la vôtre retarde. Un vieux pécheur comme vous, il ne serait que temps de vous mettre en règle avec votre conscience.
— Pécheur tant que vous voudrez ; n'empêche que je vais à la messe le dimanche. Que voulez-vous de plus? Et les bonnes œuvres donc! J'accompagne les quêteuses à l'église, je suis commissaire de tous les bals de charité. C'est bien quelque chose, il me semble…
— Moins que rien, mon pauvre ami. Vous vous damnerez bien sûr, du train dont vous allez ; vous sentez le roussi à plein nez! Un joli chrétien, qui ne va pas à confesse et qui fait la cour à la fiancée de son ami.
— Baste! Pour ce que ça me rapporte! Au lieu de me vouer à l'enfer, en bonne dévote que vous êtes, vous ne feriez peut-être pas mal d'examiner votre conscience. Si vous regardiez bien au fond!…
— Que voulez-vous dire?
— Je dis que si j'ai le cœur pris, vous avez la cervelle malade et que l'un ne vaut pas mieux que l'autre. Vous vous montez la tête, ou on vous la monte. Ah! les dessous de la dévotion, ce n'est pas toujours beau, allez! Une mondaine qui se convertit, c'est quelquefois un prêtre qui se perd…
— Ou un séminariste qui oublie sa vocation, n'est-il pas vrai? Voilà où vous vouliez en venir. Et c'est pour me dire ça que vous m'avez fait monter en voiture? Un mot de plus, et je vous plante là, je descends…
Viraben l'obligea à se rasseoir. Il n'était pas content, le vicomte. Sa tentative ratait ; il avait essayé sans succès du sentiment et des reproches ; il était au bout de sa rhétorique. Restait l'action. Son instinct l'y poussait, ses habitudes de galanterie combative, à la hussarde. Au point où il en était, d'ailleurs, il avait tout à gagner, rien à perdre, à pousser sa pointe. Et dans combien de circonstances, là où la parole avait échoué, le geste avait réussi!
L'occasion paraissait favorable. Adrien avait pris les devants, les précédait vers Bazerque où l'heure du dîner les invitait à rentrer. Et la route était déserte, le vicomte s'en assura d'un coup d'œil ; la traversée d'un bois ajoutait à la solitude… Brusquement l'amoureux éconduit, de sa main gauche restée libre, entoura la taille de Claire, l'attira sur sa poitrine. Et ses lèvres goulues, ses lèvres brutales, cherchaient les lèvres de sa voisine. Elle se débattait.
— Adrien! Adrien! appelait-elle.
Un bruit de pas, un froissement de feuilles à côté d'eux à la lisière du bois, obligea M. de Viraben à relâcher l'étreinte. Presque au même moment, l'abbé Nohèdes débouchait d'un sentier. Il saluait Claire, tendait la main au vicomte qui n'osait passer outre. L'abbé Resongle l'avait chargé de visiter une malade au hameau d'Enbarthe. Il revenait par le plus court.
— Le plus court sera de rentrer avec nous, l'invitait Claire. L'abbé résistait d'abord, puis cédait à l'insistance de son amie.
Il se disposait à s'asseoir en arrière, dos à dos avec M. de Viraben…
— Que faites-vous? Ce n'est pas votre place. M. de Viraben ne permettra jamais… Vous allez vous mettre près de moi ; M. de Viraben derrière ; je conduirai. Est-ce que vous n'avez pas confiance dans mes talents?
— Je vous en prie, insistait mollement le vicomte, en aidant le séminariste à monter sur le siège ; je connais mon devoir. En voiture comme ailleurs, la préséance est à l'Eglise.