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Le vœu d'être chaste: roman

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XIX

Adrien avait eu l'idée, ce jour-là, de surprendre Claire, de lui offrir une promenade matinale à bicyclette. Quand il se présenta chez les Mériel, Claire était sortie.

— Elle n'est pas encore revenue de l'église, lui dit madame Mériel. Elle est restée après la messe pour arranger les fleurs de l'autel avec l'abbé Gilbert. Cette enfant est un ange de piété.

— La piété est une excellente chose, répondit Adrien ; l'hygiène aussi. Je venais la chercher pour pédaler avec elle…

— Voulez-vous que je la fasse appeler?…

— Inutile ; je vais l'attendre en flânant, répliqua le fiancé, pas fâché de l'occasion qui s'offrait de constater la durée du tête à tête avec le séminariste.

Il sortit. Le capitaine Guitalens le héla. Il battait son absinthe sur la terrasse du café Cazalas, en compagnie du pharmacien Sudre. Adrien s'assit à côté d'eux, se fit servir.

Le poste était bon pour surveiller les abords de l'église dont le porche s'ouvrait en face, de l'autre côté de la petite place.

— Quoi de neuf, Monsieur Adrien? interrogea M. Sudre.

M. Sudre aimait à cancaner. Assaisonnée de quelque histoire, d'un commérage inédit, son absinthe lui paraissait plus savoureuse. Dans sa boutique, pendant qu'armé du pilon ou du pinceau, il triturait une drogue dans son mortier, collait une étiquette sur une fiole, il confessait ses clients, ses clientes. De la pharmacie au café, les nouvelles ne faisaient qu'un saut. Et là, entre buveurs, elles s'ornaient, s'amplifiaient avant de faire leur tour de ville.

— L'abbé Resongle a passé sept fois de suite au piquet, hier soir, avec ma belle-mère ; c'est tout ce que j'ai de plus intéressant à vous dire, racontait Adrien.

— Sept fois! C'est un veinard. La partie a fini de bonne heure cependant. A dix heures quand j'ai fermé mes volets tout était éteint chez madame Mériel. Il me semble qu'on veillait plus tard, d'habitude.

— C'est que mademoiselle Claire se lève de bon matin, maintenant, insinuait le capitaine. Au coup de sept heures, pendant que je suis en train de me raser au carreau, je la vois entrer à l'église… Elle devient dévote, à ce qu'il paraît, votre fiancée…

— Elle a de qui tenir, expliquait Adrien.

Charles, le jardinier des Mériel, passait, charriait une brouettée de fleurs à l'église. Et le capitaine se récriait sur la beauté des hémérocalles.

— Les miennes sont défleuries depuis quinze jours. Et ces zinnias! Je n'en ai jamais vu d'aussi doubles… Ça doit fendre le cœur à ce brave Charles, de démolir ses corbeilles. Mais c'est pour le bon Dieu, il n'y a rien à dire. Pas vrai, Monsieur Adrien?

— Le fait est que, dimanche dernier, la chapelle de la Vierge était superbe, affirma M. Sudre. On ne me voit pas souvent à l'église ; mais je suis allé, entre les offices, admirer le coup d'œil. Mademoiselle Claire a un goût!

— L'abbé Nohèdes aussi, souligna le capitaine, en clignant de l'œil à l'adresse de son compère. A eux deux, ils s'entendent à merveille…

— Et M. de Viraben? qu'en faites-vous? demanda encore M. Sudre. Il n'est pas venu hier soir. Souffrant, peut-être? Il en fait un peu trop pour son âge : pédaler, danser… sans parler du reste… Ce serait dommage tout de même s'il lui arrivait quelque chose. C'est un bon camarade, un ami dévoué…

La sonnette se mit à tinter, de l'autre côté de la rue, à la porte de la pharmacie.

— J'y vais, avertit de sa place M. Sudre. Il plia son journal, posa la soucoupe sur son verre d'absinthe, à cause des mouches.

— C'est Mète, de chez les Estibal, qui vient chercher des remèdes, dit-il. Mme Estibal est très bas. Encore une typhoïde, la cinquième depuis un mois…

— Bonne affaire pour les pharmaciens! plaisantait le capitaine. Une ou deux épidémies par an, ça fait aller le commerce.

Charles sortait de l'église avec sa brouette vide. Claire et Gilbert étaient seuls maintenant. Adrien songeait à leur tête à tête. Et sans doute le capitaine avait la même idée. Adrien croyait la voir à travers le mauvais sourire qu'il étouffait dans sa moustache. Il s'énervait alors, avalait son absinthe à grandes lampées, et celle-là finie, il en battait, il en buvait une seconde. Et dans sa cervelle fumeuse, la vision mauvaise se précisait, obsédante… Cependant, un ronflement d'harmonium arrivait de l'église, à travers le silence de la petite place.

— Attention! commandait le capitaine ; ils vont chanter à présent.

La voix de l'abbé s'élevait. Elle célébrait l'amour, l'amour divin sans doute, mais avec les paroles, avec l'accent de l'autre, de l'amour défendu ; et comment faire la différence? Le cantique fini, quand la voix se tut, expira en point d'orgue sous les voûtes, le silence qui succéda parut plus suspect encore au fiancé, plus angoissant à entendre.

Que se passait-il maintenant, de l'autre côté de la muraille?

— Il possède un bon organe, le futur vobiscum, fit remarquer le capitaine ; et une jolie tête avec ça ; tout ce qu'il faut pour réussir au théâtre. S'il ne se faisait pas curé, ce serait un ténor à caprices. Ce qu'il s'en paierait des femmes, le gaillard! Le voyez-vous en maillot et en pourpoint, dans le rôle de Faust, au quatuor du troisième acte?

Laisse-moi contempler ton visage.

Le capitaine chantonnait.

— Ah! les voilà qui s'en vont, dit-il en apercevant Claire et l'abbé Nohèdes qui sortaient ensemble de l'église. Et il attaquait la phrase célèbre :

Ne permettrez-vous pas, ma belle demoiselle…

Adrien s'était levé, avait pris congé de son camarade. Il allait à la rencontre de Claire qui rentrait chez elle. La porte de la maison se refermait sur eux, et le capitaine, à qui n'avait pas échappé l'agacement du fiancé — ses insinuations y avaient bien été pour quelque chose — , se versait un doigt de pure, la dégustait lentement.

— Bon, ça chauffe maintenant chez les Mériel. La petite est en train d'écoper? proférait-il en faisant claquer sa langue.

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