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Œuvres de P. Corneille, Tome 06

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ACTE V.


SCÈNE PREMIÈRE.

ARISTIE, VIRIATE.

ARISTIE.

Oui, Madame, j'en suis comme vous ennemie.1545

Vous aimez les grandeurs, et je hais l'infamie.

Je cherche à me venger, vous à vous établir;

Mais vous pourrez me perdre, et moi vous affoiblir,

Si le cœur mieux ouvert ne met d'intelligence

Votre établissement avecque ma vengeance.1550

On m'a volé Pompée; et moi pour le braver,

Cet ingrat que sa foi n'ose me conserver,

Je cherche un autre époux qui le passe, ou l'égale;

Mais je n'ai pas dessein d'être votre rivale,

Et n'ai point dû prévoir, ni que vers un Romain1555

Une reine jamais daignât pencher sa main,

Ni qu'un héros, dont l'âme a paru si romaine,

Démentît ce grand nom par l'hymen d'une reine.

J'ai cru dans sa naissance et votre dignité

Pareille aversion et contraire fierté.1560

Cependant on me dit qu'il consent l'hyménée,

Et qu'en vain il s'oppose au choix de la journée,

Puisque si dès demain il n'a tout son éclat,

Vous allez du parti séparer votre État.

Comme je n'ai pour but que d'en grossir les forces,1565

J'aurois grand déplaisir d'y causer des divorces,

Et de servir Sylla mieux que tous ses amis,

Quand je lui veux partout faire des ennemis.

Parlez donc: quelque espoir que vous m'ayez vu prendre,

Si vous y prétendez, je cesse d'y prétendre.1570

Un reste d'autre espoir, et plus juste et plus doux,

Saura voir sans chagrin Sertorius à vous.

Mon cœur veut à toute heure immoler à Pompée

Tous les ressentiments de ma place usurpée;

Et comme son amour eut peine à me trahir,1575

J'ai voulu me venger, et n'ai pu le haïr.

Ne me déguisez rien, non plus que je déguise.

VIRIATE.

Viriate à son tour vous doit même franchise,

Madame; et d'ailleurs même on vous en a trop dit,

Pour vous dissimuler ce que j'ai dans l'esprit.1580

J'ai fait venir exprès Sertorius d'Afrique

Pour sauver mes États d'un pouvoir tyrannique [550];

Et mes voisins domptés m'apprenoient que sans lui

Nos rois contre Sylla n'étoient qu'un vain appui.

Avec un seul vaisseau ce grand héros prit terre;1585

Avec mes sujets seuls il commença la guerre:

Je mis entre ses mains mes places et mes ports,

Et je lui confiai mon sceptre et mes trésors.

Dès l'abord il sut vaincre, et j'ai vu la victoire

Enfler de jour en jour sa puissance et sa gloire.1590

Nos rois, lassés du joug, et vos persécutés

Avec tant de chaleur l'ont joint de tous côtés,

Qu'enfin il a poussé nos armes fortunées

Jusques à vous réduire au pied des Pyrénées.

Mais après l'avoir mis au point où je le voi,1595

Je ne puis voir que lui qui soit digne de moi;

Et regardant sa gloire ainsi que mon ouvrage,

Je périrai plutôt qu'une autre la partage.

Mes sujets valent bien que j'aime à leur donner

Des monarques d'un sang qui sache gouverner,1600

Qui sache faire tête à vos tyrans du monde,

Et rendre notre Espagne en lauriers si féconde,

Qu'on voie un jour le Pô redouter ses efforts,

Et le Tibre lui-même en trembler pour ses bords.

ARISTIE.

Votre dessein est grand; mais à quoi qu'il aspire....1605

VIRIATE.

Il m'a dit les raisons que vous me voulez dire.

Je sais qu'il seroit bon de taire et différer

Ce glorieux hymen qu'il me fait espérer:

Mais la paix qu'aujourd'hui l'on offre à ce grand homme

Ouvre trop les chemins et les portes de Rome.1610

Je vois que s'il y rentre il est perdu pour moi,

Et je l'en veux bannir par le don de ma foi.

Si je hasarde trop de m'être déclarée,

J'aime mieux ce péril que ma perte assurée;

Et si tous vos proscrits osent s'en désunir,1615

Nos bons destins sans eux pourront nous soutenir.

Mes peuples aguerris sous votre discipline

N'auront jamais au cœur de Rome qui domine;

Et ce sont des Romains dont l'unique souci

Est de combattre, vaincre, et triompher ici.1620

Tant qu'ils verront marcher ce héros à leur tête,

Ils iront sans frayeur de conquête en conquête.

Un exemple si grand dignement soutenu

Saura.... Mais que nous veut ce Romain inconnu?

SCÈNE II.

ARISTIE, VIRIATE, ARCAS.

ARISTIE.

Madame, c'est Arcas, l'affranchi de mon frère;1625

Sa venue en ces lieux cache quelque mystère.

Parle, Arcas, et dis-nous....

ARCAS.

Ces lettres mieux que moi

Vous diront un succès qu'à peine encor je croi.

ARISTIE lit.

Chère sœur, pour ta joie il est temps que tu saches

Que nos maux et les tiens vont finir en effet.1630

Sylla marche en public sans faisceaux et sans haches,

Prêt à rendre raison de tout ce qu'il a fait.

Il s'est en plein sénat démis de sa puissance;

Et si vers toi Pompée a le moindre penchant,

Le ciel vient de briser sa nouvelle alliance,1635

Et la triste Émilie est morte en accouchant.

Sylla même consent, pour calmer tant de haines,

Qu'un feu qui fut si beau rentre en sa dignité,

Et que l'hymen te rende à tes premières chaînes,

En même temps qu'à Rome il rend sa liberté.1640

QUINTUS ARISTIUS.

Le ciel s'est donc lassé de m'être impitoyable!

Ce bonheur, comme à toi, me paroît incroyable.

Cours au camp de Pompée, et dis-lui, cher Arcas....

ARCAS.

Il a cette nouvelle, et revient sur ses pas.

De la part de Sylla chargé de lui remettre1645

Sur ce grand changement une pareille lettre,

A deux milles d'ici j'ai su le rencontrer.

ARISTIE.

Quel amour, quelle joie a-t-il daigné montrer?

Que dit-il? que fait-il?

ARCAS.

Par votre expérience

Vous pouvez bien juger de son impatience;1650

Mais rappelé vers vous par un transport d'amour

Qui ne lui permet pas d'achever son retour,

L'ordre que pour son camp ce grand effet demande

L'arrête à le donner, attendant qu'il s'y rende.

Il me suivra de près, et m'a fait avancer1655

Pour vous dire un miracle où vous n'osiez penser.

ARISTIE.

Vous avez lieu d'en prendre une allégresse égale.

Madame, vous voilà sans crainte et sans rivale.

VIRIATE.

Je n'en ai plus en vous, et je n'en puis douter;

Mais il m'en reste une autre et plus à redouter:1660

Rome, que ce héros aime plus que lui-même,

Et qu'il préféreroit sans doute au diadème,

Si contre cet amour....

SCÈNE III.

VIRIATE, ARISTIE, THAMIRE, ARCAS.

THAMIRE.

Ah! Madame.

VIRIATE.

Qu'as-tu,

Thamire? et d'où te vient ce visage abattu?

Que nous disent tes pleurs?

THAMIRE.

Que vous êtes perdue,1665

Que cet illustre bras qui vous a défendue....

VIRIATE.

Sertorius?

THAMIRE.

Hélas! ce grand Sertorius....

VIRIATE.

N'achèveras-tu point?

THAMIRE.

Madame, il ne vit plus.

VIRIATE.

Il ne vit plus? ô ciel! Qui te l'a dit, Thamire?

THAMIRE.

Ses assassins font gloire eux-mêmes de le dire.1670

Ces tigres, dont la rage, au milieu du festin,

Par l'ordre d'un perfide a tranché son destin,

Tous couverts de son sang, courent parmi la ville

Émouvoir les soldats et le peuple imbécile;

Et Perpenna par eux proclamé général1675

Ne vous fait que trop voir d'où part ce coup fatal.

VIRIATE.

Il m'en fait voir ensemble et l'auteur et la cause.

Par cet assassinat, c'est de moi qu'on dispose:

C'est mon trône, c'est moi qu'on prétend conquérir,

Et c'est mon juste choix qui seul l'a fait périr.1680

Madame, après sa perte, et parmi ces alarmes,

N'attendez point de moi de soupirs ni de larmes [551];

Ce sont amusements que dédaigne aisément

Le prompt et noble orgueil d'un vif ressentiment:

Qui pleure l'affoiblit, qui soupire l'exhale.1685

Il faut plus de fierté dans une âme royale;

Et ma douleur, soumise aux soins de le venger....

ARISTIE.

Mais vous vous aveuglez au milieu du danger:

Songez à fuir, Madame.

THAMIRE.

Il n'est plus temps: Aufide,

Des portes du palais saisi pour ce perfide,1690

En fait votre prison, et lui répond de vous.

Il vient; dissimulez un si juste courroux;

Et jusqu'à ce qu'un temps plus favorable arrive,

Daignez vous souvenir que vous êtes captive.

VIRIATE.

Je sais ce que je suis, et le serai toujours,1695

N'eussé-je que le ciel et moi pour mon secours.

SCÈNE IV.

PERPENNA, ARISTIE, VIRIATE, THAMIRE, ARCAS.

PERPENNA [552].

Sertorius est mort; cessez d'être jalouse,

Madame, du haut rang qu'auroit pris son épouse,

Et n'appréhendez plus, comme de son vivant,

Qu'en vos propres États elle ait le pas devant [553].1700

Si l'espoir d'Aristie [554] a fait ombrage au vôtre,

Je puis vous assurer et d'elle et de tout autre,

Et que ce coup heureux saura vous maintenir

Et contre le présent et contre l'avenir.

C'étoit un grand guerrier, mais dont le sang ni l'âge

Ne pouvoient avec vous faire un digne assemblage;

Et malgré ces défauts, ce qui vous en plaisoit,

C'étoit sa dignité, qui vous tyrannisoit.

Le nom de général vous le rendoit aimable;

A vos rois, à moi-même il étoit préférable;1710

Vous vous éblouissiez du titre et de l'emploi;

Et je viens vous offrir et l'un et l'autre en moi,

Avec des qualités où votre âme hautaine

Trouvera mieux de quoi mériter une reine.

Un Romain qui commande et sort du sang des rois1715

(Je laisse l'âge à part) peut espérer son choix,

Surtout quand d'un affront son amour l'a vengée,

Et que d'un choix abjet [555] son bras l'a dégagée.

ARISTIE.

Après t'être immolé chez toi ton général,

Toi, que faisoit trembler l'ombre d'un tel rival,1720

Lâche, tu viens ici braver encor des femmes,

Vanter insolemment tes détestables flammes,

T'emparer d'une reine en son propre palais,

Et demander sa main pour prix de tes forfaits!

Crains les Dieux, scélérat; crains les Dieux, ou Pompée;

Crains leur haine, ou son bras, leur foudre, ou son épée;

Et quelque noir orgueil qui te puisse aveugler,

Apprends qu'il m'aime encore, et commence à trembler.

Tu le verras, méchant, plus tôt que tu ne penses:

Attends, attends de lui tes dignes récompenses.1730

PERPENNA.

S'il en croit votre ardeur, je suis sûr du trépas;

Mais peut-être, Madame, il ne l'en croira pas;

Et quand il me verra commander une armée,

Contre lui tant de fois à vaincre accoutumée,

Il se rendra facile à conclure une paix1735

Qui faisoit dès tantôt ses plus ardents souhaits.

J'ai même entre mes mains un assez bon otage,

Pour faire mes traités avec quelque avantage.

Cependant vous pourriez, pour votre heur et le mien,

Ne parler pas si haut à qui ne vous dit rien.1740

Ces menaces en l'air vous donnent trop de peine.

Après ce que j'ai fait, laissez faire la Reine;

Et sans blâmer des vœux qui ne vont point à vous,

Songez à regagner le cœur de votre époux.

VIRIATE.

Oui, Madame, en effet c'est à moi de répondre,1745

Et mon silence ingrat a droit de me confondre.

Ce généreux exploit, ces nobles sentiments

Méritent de ma part de hauts remercîments:

Les différer encor, c'est lui faire injustice.

Il m'a rendu sans doute un signalé service;1750

Mais il n'en sait encor la grandeur qu'à demi:

Le grand Sertorius fut son parfait ami.

Apprenez-le, Seigneur (car je me persuade

Que nous devons ce titre à votre nouveau grade [556];

Et pour le peu de temps qu'il pourra vous durer,1755

Il me coûtera peu de vous le déférer):

Sachez donc que pour vous il osa me déplaire,

Ce héros; qu'il osa mériter ma colère;

Que malgré son amour, que malgré mon courroux [557],

Il a fait tous efforts pour me donner à vous;1760

Et qu'à moins qu'il vous plût lui rendre sa parole,

Tout mon dessein n'étoit qu'une atteinte [558] frivole;

Qu'il s'obstinoit pour vous au refus de ma main.

ARISTIE.

Et tu peux lui plonger un poignard dans le sein!

Et ton bras....

VIRIATE.

Permettez, Madame, que j'estime1765

La grandeur de l'amour par la grandeur du crime.

Chez lui-même, à sa table, au milieu d'un festin,

D'un si parfait ami devenir l'assassin,

Et de son général se faire un sacrifice,

Lorsque son amitié lui rend un tel service;1770

Renoncer à la gloire, accepter pour jamais

L'infamie et l'horreur qui suit les grands forfaits;

Jusqu'en mon cabinet porter sa violence,

Pour obtenir ma main m'y tenir sans défense:

Tout cela d'autant plus fait voir ce que je doi1775

A cet excès d'amour qu'il daigne avoir pour moi;

Tout cela montre une âme au dernier point charmée.

Il seroit moins coupable à m'avoir moins aimée;

Et comme je n'ai point les sentiments ingrats,

Je lui veux conseiller de ne m'épouser pas.1780

Ce seroit en son lit mettre son ennemie,

Pour être à tous moments maîtresse de sa vie;

Et je me résoudrois à cet excès d'honneur,

Pour mieux choisir la place à lui percer le cœur [559].

Seigneur, voilà l'effet de ma reconnoissance.1785

Du reste, ma personne est en votre puissance:

Vous êtes maître ici; commandez, disposez,

Et recevez enfin ma main, si vous l'osez.

PERPENNA.

Moi! si je l'oserai? Vos conseils magnanimes

Pouvoient perdre moins d'art à m'étaler mes crimes:

J'en connois mieux que vous toute l'énormité,

Et pour la bien connoître ils m'ont assez coûté.

On ne s'attache point, sans un remords bien rude,

A tant de perfidie et tant d'ingratitude:

Pour vous je l'ai dompté, pour vous je l'ai détruit;1795

J'en ai l'ignominie, et j'en aurai le fruit.

Menacez mes forfaits et proscrivez ma tête:

De ces mêmes forfaits vous serez la conquête;

Et n'eût tout mon bonheur que deux jours à durer,

Vous n'avez dès demain qu'à vous y préparer.1800

J'accepte votre haine, et l'ai bien méritée;

J'en ai prévu la suite, et j'en sais la portée.

Mon triomphe....

SCÈNE V.

PERPENNA, ARISTIE, VIRIATE, AUFIDE, ARCAS, THAMIRE.

AUFIDE.

Seigneur, Pompée est arrivé,

Nos soldats mutinés, le peuple soulevé.

La porte s'est ouverte à son nom, à son ombre.1805

Nous n'avons point d'amis qui ne cèdent au nombre:

Antoine et Manlius [560], déchirés par morceaux,

Tous morts et tous sanglants ont encor des bourreaux.

On cherche avec chaleur le reste des complices,

Que lui-même il destine à de pareils supplices,1810

Je défendois mon poste: il l'a soudain forcé,

Et de sa propre main vous me voyez percé;

Maître absolu de tout, il change ici la garde.

Pensez à vous, je meurs [561]; la suite vous regarde.

ARISTIE.

Pour quelle heure, Seigneur, faut-il se préparer1815

A ce rare bonheur qu'il vient vous assurer?

Avez-vous en vos mains un assez bon otage

Pour faire vos traités avec grand avantage?

PERPENNA.

C'est prendre en ma faveur un peu trop de souci,

Madame; et j'ai de quoi le satisfaire ici.1820

SCÈNE VI.

POMPÉE, PERPENNA, VIRIATE, ARISTIE, CELSUS, ARCAS, THAMIRE.

PERPENNA.

Seigneur, vous aurez su ce que je viens de faire.

Je vous ai de la paix immolé l'adversaire,

L'amant de votre femme, et ce rival fameux

Qui s'opposoit partout au succès de vos vœux.

Je vous rends Aristie, et finis cette crainte1825

Dont votre âme tantôt se montroit trop atteinte;

Et je vous affranchis de ce jaloux ennui

Qui ne pouvoit la voir entre les bras d'autrui.

Je fais plus: je vous livre une fière ennemie,

Avec tout son orgueil et sa Lusitanie;1830

Je vous en ai fait maître, et de tous ces Romains

Que déjà leur bonheur a remis en vos mains.

Comme en un grand dessein, et qui veut promptitude,

On ne s'explique pas avec la multitude,

Je n'ai point cru, Seigneur, devoir apprendre à tous1835

Celui d'aller demain me rendre auprès de vous;

Mais j'en porte sur moi d'assurés témoignages.

Ces lettres de ma foi vous seront de bons gages;

Et vous reconnoîtrez, par leurs perfides traits,

Combien Rome pour vous a d'ennemis secrets,1840

Qui tous, pour Aristie enflammés de vengeance,

Avec Sertorius étoient d'intelligence.

Lisez....

(Il lui donne les lettres qu'Aristie avoit apportées de Rome à Sertorius.)

ARISTIE.

Quoi? scélérat! quoi? lâche! oses-tu bien....

PERPENNA.

Madame, il est ici votre maître et le mien;

Il faut en sa présence un peu de modestie,1845

Et si je vous oblige à quelque repartie,

La faire sans aigreur, sans outrages mêlés,

Et ne point oublier devant qui vous parlez.

Vous voyez là, Seigneur, deux illustres rivales,

Que cette perte anime à des haines égales.1850

Jusques au dernier point elles m'ont outragé;

Mais puisque je vous vois, je suis assez vengé [562].

Je vous regarde aussi comme un dieu tutélaire;

Et ne puis.... Mais, ô Dieux! Seigneur, qu'allez-vous faire?

POMPÉE,

après avoir brûlé les lettres sans les lire [563].

Montrer d'un tel secret ce que je veux savoir.1855

Si vous m'aviez connu, vous l'auriez su prévoir.

Rome en deux factions trop longtemps partagée

N'y sera point pour moi de nouveau replongée;

Et quand Sylla lui rend sa gloire et son bonheur,

Je n'y remettrai point le carnage et l'horreur [564].1860

Oyez, Celsus.

(Il lui parle à l'oreille).

Surtout empêchez qu'il ne nomme

Aucun des ennemis qu'elle m'a faits à Rome.

Vous, suivez ce tribun: j'ai quelques intérêts

(A Perpenna.)

Qui demandent ici des entretiens secrets.

PERPENNA.

Seigneur, se pourroit-il qu'après un tel service....1865

POMPÉE.

J'en connois l'importance, et lui rendrai justice,

Allez.

PERPENNA.

Mais cependant leur haine....

POMPÉE.

C'est assez.

Je suis maître; je parle; allez, obéissez.

SCÈNE VII.

POMPÉE, VIRIATE, ARISTIE, THAMIRE, ARCAS.

POMPÉE.

Ne vous offensez pas d'ouïr parler en maître,

Grande reine; ce n'est que pour punir un traître.1870

Criminel envers vous d'avoir trop écouté

L'insolence où montoit sa noire lâcheté,

J'ai cru devoir sur lui prendre ce haut empire,

Pour me justifier avant que vous rien dire;

Mais je n'abuse point d'un si facile accès1875

Et je n'ai jamais su dérober mes succès.

Quelque appui que son crime aujourd'hui vous enlève,

Je vous offre la paix, et ne romps point la trêve;

Et ceux de nos Romains qui sont auprès de vous

Peuvent y demeurer sans craindre mon courroux.1880

Si de quelque péril je vous ai garantie,

Je ne veux pour tout prix enlever qu'Aristie,

A qui devant vos yeux, enfin maître de moi,

Je rapporte avec joie et ma main et ma foi.

Je ne dis rien du cœur, il tint toujours pour elle.1885

ARISTIE.

Le mien savoit vous rendre une ardeur mutuelle;

Et pour mieux recevoir ce don renouvelé,

Il oubliera, Seigneur, qu'on me l'avoit volé.

VIRIATE.

Moi, j'accepte la paix que vous m'avez offerte;

C'est tout ce que je puis, Seigneur, après ma perte:

Elle est irréparable; et comme je ne voi

Ni chefs dignes de vous, ni rois dignes de moi,

Je renonce à la guerre ainsi qu'à l'hyménée;

Mais j'aime encor l'honneur du trône où je suis née.

D'une juste amitié je sais garder les lois,1895

Et ne sais point régner comme règnent nos rois.

S'il faut que sous votre ordre ainsi qu'eux je domine,

Je m'ensevelirai sous ma propre ruine;

Mais si je puis régner sans honte et sans époux,

Je ne veux d'héritiers que votre Rome, ou vous.1900

Vous choisirez, Seigneur; ou si votre alliance

Ne peut voir mes États sous ma seule puissance,

Vous n'avez qu'à garder cette place en vos mains,

Et je m'y tiens déjà captive des Romains.

POMPÉE.

Madame, vous avez l'âme trop généreuse1905

Pour n'en pas obtenir une paix glorieuse,

Et l'on verra chez eux mon pouvoir abattu,

Ou j'y ferai toujours honorer la vertu.

SCÈNE VIII.

POMPÉE, ARISTIE, VIRIATE, CELSUS, ARCAS, THAMIRE.

POMPÉE.

En est-ce fait, Celsus?

CELSUS.

Oui, Seigneur: le perfide

A vu plus de cent bras punir son parricide;1910

Et livré par votre ordre à ce peuple irrité,

Sans rien dire....

POMPÉE.

Il suffit: Rome est en sûreté;

Et ceux qu'à me haïr j'avois trop su contraindre,

N'y craignant rien de moi, n'y donnent rien à craindre [565].

Vous, Madame, agréez pour notre grand héros1915

Que ses mânes vengés goûtent un plein repos.

Allons donner votre ordre à des pompes funèbres,

A l'égal de son nom illustres et célèbres,

Et dresser un tombeau, témoin de son malheur,

Qui le soit de sa gloire et de notre douleur.

FIN DU CINQUIÈME ET DERNIER ACTE.

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