Œuvres de P. Corneille, Tome 06
ACTE IV.
SCÈNE PREMIÈRE.
OTHON, PLAUTINE.
PLAUTINE.
Que voulez-vous, Seigneur, qu'enfin je vous conseille?
Je sens un trouble égal d'une douleur pareille;
Et mon cœur tout à vous n'est pas assez à soi1155
Pour trouver un remède aux maux que je prévoi:
Je ne sais que pleurer, je ne sais que vous plaindre.
Le seul choix de Pison nous donne tout à craindre:
Mon père vous a dit qu'il ne laisse à tous trois
Que l'espoir de mourir ensemble à notre choix;1160
Et nous craignons de plus une amante irritée
D'une offre en moins d'un jour reçue et rétractée,
D'un hommage où la suite a si peu répondu,
Et d'un trône qu'en vain pour vous elle a perdu.
Pour vous avec ce trône elle étoit adorable,1165
Pour vous elle y renonce, et n'a plus rien d'aimable.
Où ne portera point un si juste courroux
La honte de se voir sans l'empire et sans vous?
Honte d'autant plus grande et d'autant plus sensible,
Qu'elle s'y promettoit un retour infaillible,1170
Et que sa main par vous croyoit tôt regagner [864]
Ce que son cœur pour vous paroissoit dédaigner.
Je n'ai donc qu'à mourir. Je l'ai voulu, Madame,
Quand je l'ai pu sans crime, en faveur de ma flamme;
Et je le dois vouloir, quand votre arrêt cruel1175
Pour mourir justement m'a rendu criminel.
Vous m'avez commandé de m'offrir à Camille;
Grâces à nos malheurs ce crime est inutile.
Je mourrai tout à vous; et si pour obéir
J'ai paru mal aimer, j'ai semblé vous trahir,1180
Ma main, par ce même ordre à vos yeux enhardie,
Lavera dans mon sang ma fausse perfidie.
N'enviez pas, Madame, à mon sort inhumain
La gloire de finir du moins en vrai Romain,
Après qu'il vous a plu de me rendre incapable1185
Des douceurs de mourir en amant véritable.
PLAUTINE.
Bien loin d'en condamner la noble passion,
J'y veux borner ma joie et mon ambition.
Pour de moindres malheurs [865] on renonce à la vie.
Soyez sûr de ma part de l'exemple d'Arrie [866]:1190
J'ai la main aussi ferme et le cœur aussi grand,
Et quand il le faudra, je sais comme on s'y prend.
Si vous daigniez, Seigneur, jusque-là vous contraindre,
Peut-être espérerois-je en voyant tout à craindre.
Camille est irritée et se peut apaiser.1195
OTHON.
Me condamneriez-vous, Madame, à l'épouser?
PLAUTINE.
Que n'y puis-je moi-même opposer ma défense!
Mais si vos jours enfin n'ont point d'autre assurance,
S'il n'est point d'autre asile....
OTHON.
Ah! courons à la mort;
Ou si pour l'éviter il faut nous faire effort,1200
Subissons de Lacus toute la tyrannie,
Avant que me soumettre à cette ignominie.
J'en saurai préférer les plus barbares coups
A l'affront de me voir sans l'empire et sans vous,
Aux hontes d'un hymen, qui me rendrait infâme,1205
Puisqu'on fait pour Camille un crime de sa flamme,
Et qu'on lui vole un trône en haine d'une foi
Qu'a voulu son amour ne promettre qu'à moi.
Non que pour moi sans vous ce trône eût aucuns charmes:
Pour vous je le cherchois, mais non pas sans alarmes;
Et si tantôt Galba ne m'eût point dédaigné,
J'aurois porté le sceptre, et vous auriez régné;
Vos seules volontés, mes dignes souveraines,
D'un empire si vaste auroient tenu les rênes.
Vos lois....
PLAUTINE.
C'est donc à moi de vous faire empereur.
Je l'ai pu: les moyens d'abord m'ont fait horreur;
Mais je saurai la vaincre, et me donnant moi-même,
Vous assurer ensemble et vie et diadème,
Et réparer par là le crime d'un orgueil
Qui vous dérobe un trône, et vous ouvre un cercueil.
De Martian pour vous j'aurois eu le suffrage,
Si j'avois pu souffrir son insolent hommage.
Son amour....
OTHON.
Martian se connoîtroit si peu
Que d'oser....
Il n'a pas encore éteint son feu;
Et du choix de Pison quelles que soient les causes,1225
Je n'ai qu'à dire un mot pour brouiller bien des choses.
OTHON.
Vous vous ravaleriez jusques à l'écouter?
PLAUTINE.
Pour vous j'irai, Seigneur, jusques à l'accepter.
OTHON.
Consultez votre gloire, elle saura vous dire....
PLAUTINE.
Qu'il est de mon devoir de vous rendre l'empire.1230
OTHON.
Qu'un front encor marqué des fers qu'il a portés....
PLAUTINE.
A droit de me charmer, s'il fait vos sûretés.
OTHON.
En concevez-vous bien toute l'ignominie?
PLAUTINE.
Je n'en puis voir, Seigneur, à vous sauver la vie.
OTHON.
L'épouser à ma vue! et pour comble d'ennui....1235
PLAUTINE.
Donnez-vous à Camille, ou je me donne à lui.
OTHON.
Périssons, périssons, Madame, l'un pour l'autre,
Avec toute ma gloire, avec toute la vôtre.
Pour nous faire un trépas dont les Dieux soient jaloux,
Rendez-vous toute à moi, comme moi tout à vous;1240
Ou si pour conserver en vous tout ce que j'aime,
Mon malheur vous obstine à vous donner vous-même,
Du moins de votre gloire ayez un soin égal,
Et ne me préférez qu'un illustre rival.
J'en mourrai de douleur, mais je mourrois de rage [867],1245
Si vous me préfériez un reste d'esclavage.
SCÈNE II.
VINIUS, OTHON, PLAUTINE.
OTHON.
Ah! Seigneur, empêchez que Plautine....
VINIUS.
Seigneur,
Vous empêcherez tout, si vous avez du cœur.
Malgré de nos destins la rigueur importune,
Le ciel met en vos mains toute notre fortune.1250
PLAUTINE.
Seigneur, que dites-vous?
VINIUS.
Ce que je viens de voir,
Que pour être empereur il n'a qu'à le vouloir.
OTHON.
Ah! Seigneur, plus d'empire, à moins qu'avec Plautine.
VINIUS.
Saisissez-vous d'un trône où le ciel vous destine;
Et pour choisir vous-même avec qui le remplir,1255
A vos heureux destins aidez à s'accomplir.
L'armée a vu Pison, mais avec un murmure
Qui sembloit mal goûter ce qu'on vous fait d'injure [868].
Galba ne l'a produit qu'avec sévérité,
Sans faire aucun espoir de libéralité.1260
Il pouvoit, sous l'appas [869] d'une feinte promesse,
Jeter dans les soldats un moment d'allégresse [870];
Mais il a mieux aimé hautement protester
Qu'il savoit les choisir, et non les acheter [871].
Ces hautes duretés, à contre-temps poussées,1265
Ont rappelé l'horreur des cruautés passées,
Lorsque d'Espagne à Rome il sema son chemin
De Romains immolés à son nouveau destin,
Et qu'ayant de leur sang souillé chaque contrée [872],
Par un nouveau carnage il y fit son entrée.1270
Aussi, durant le temps qu'a harangué Pison,
Ils ont de rang en rang fait courir votre nom.
Quatre des plus zélés sont venus me le dire,
Et m'ont promis pour vous les troupes et l'empire.
Courez donc à la place, où vous les trouverez;1275
Suivez-les dans leur camp, et vous en assurez:
Un temps bien pris peu tout.
OTHON.
Si cet astre contraire
Qui m'a....
VINIUS.
Sans discourir faites ce qu'il faut faire;
Un moment de séjour peut tout déconcerter,
Et le moindre soupçon vous va faire arrêter.1280
OTHON.
Avant que de partir souffrez que je proteste....
Partez; en empereur vous nous direz le reste.
SCÈNE III.
VINIUS, PLAUTINE.
VINIUS.
Ce n'est pas tout, ma fille, un bonheur plus certain,
Quoi qu'il puisse arriver, met l'empire en ta main.
PLAUTINE.
Flatteriez-vous Othon d'une vaine chimère?1285
VINIUS.
Non: tout ce que j'ai dit n'est qu'un rapport sincère.
Je crois te voir régner avec ce cher Othon;
Mais n'espère pas moins du côté de Pison:
Galba te donne à lui. Piqué contre Camille,
Dont l'amour a rendu son projet inutile,1290
Il veut que cet hymen, punissant ses refus,
Réunisse avec moi Martian et Lacus,
Et trompe heureusement les présages sinistres
De la division qu'il voit en ses ministres.
Ainsi des deux côtés on combattra pour toi.1295
Le plus heureux des chefs t'apportera sa foi.
Sans part à ses périls, tu l'auras à sa gloire,
Et verras à tes pieds l'une ou l'autre victoire.
PLAUTINE.
Quoi? mon cœur, par vous-même à ce héros donné,
Pourroit ne l'aimer plus s'il n'est point couronné?1300
Et s'il faut qu'à Pison son mauvais sort nous livre,
Pour ce même Pison je pourrois vouloir vivre?
VINIUS.
Si nos communs souhaits ont un contraire effet,
Tu te peux faire encor l'effort que tu t'es fait;
Et qui vient de donner Othon au diadème,1305
Pour régner à son tour peut se donner soi-même.
PLAUTINE.
Si pour le couronner j'ai fait un noble effort,
Dois-je en faire un honteux pour jouir de sa mort?
Je me privois de lui sans me vendre à personne,
Et vous voulez, Seigneur, que son trépas me donne,
Que mon cœur, entraîné par la splendeur du rang,
Vole après une main fumante de son sang;
Et que de ses malheurs triomphante et ravie,
Je sois l'infâme prix d'avoir tranché sa vie!
Non, Seigneur: nous aurons même sort aujourd'hui;
Vous me verrez régner ou périr avec lui:
Ce n'est qu'à l'un des deux que tout ce cœur aspire.
VINIUS.
Que tu vois mal encor ce que c'est que l'empire!
Si deux jours seulement tu pouvois l'essayer,
Tu ne croirois jamais le pouvoir trop payer;1320
Et tu verrois périr mille amants avec joie,
S'il falloit tout leur sang pour t'y faire une voie.
Aime Othon, si tu peux t'en faire un sûr appui;
Mais s'il en est besoin, aime-toi plus que lui,
Et sans t'inquiéter où fondra la tempête1325
Laisse aux Dieux à leur choix écraser une tête:
Prends le sceptre aux dépens de qui succombera,
Et règne sans scrupule avec qui régnera.
PLAUTINE.
Que votre politique a d'étranges maximes!
Mon amour, s'il l'osoit, y trouveroit des crimes.1330
Je sais aimer, Seigneur, je sais garder ma foi,
Je sais pour un amant faire ce que je doi,
Je sais à son bonheur m'offrir en sacrifice,
Et je saurai mourir si je vois qu'il périsse;
Mais je ne sais point l'art de forcer ma douleur1335
A pouvoir recueillir les fruits de son malheur.
VINIUS.
Tiens pourtant l'âme prête à le mettre en usage;
Change de sentiments, ou du moins de langage;
Et pour mettre d'accord ta fortune et ton cœur,
Souhaite pour l'amant, et te garde au vainqueur.1340
Adieu: je vois entrer la princesse Camille.
Quelque trouble où tu sois, montre une âme tranquille,
Profite de sa faute, et tiens l'œil mieux ouvert
Au vif et doux éclat du trône qu'elle perd.
SCÈNE IV.
CAMILLE, PLAUTINE, ALBIANE.
CAMILLE.
Agréerez-vous, Madame, un fidèle service1345
Dont je viens faire hommage à mon impératrice?
PLAUTINE.
Je crois n'avoir pas droit de vous en empêcher;
Mais ce n'est pas ici qu'il vous la faut chercher.
CAMILLE.
Lorsque Galba vous donne à Pison pour épouse....
PLAUTINE.
Il n'est pas encor temps de vous en voir jalouse.1350
CAMILLE.
Si j'aimois toutefois ou l'empire ou Pison,
Je pourrois déjà l'être avec quelque raison.
PLAUTINE.
Et si j'aimois, Madame, ou Pison ou l'empire,
J'aurois quelque raison de ne m'en pas dédire;
Mais votre exemple apprend aux cœurs comme le mien
Qu'un généreux mépris quelquefois leur sied bien.
Quoi? l'empire et Pison n'ont rien pour vous d'aimable?
PLAUTINE.
Ce que vous dédaignez, je le tiens méprisable;
Ce qui plaît à vos yeux aux miens semble aussi doux:
Tant je trouve de gloire à me régler sur vous!1360
CAMILLE.
Donc si j'aimois Othon....
PLAUTINE.
Je l'aimerois de même,
Si ma main avec moi donnoit le diadème.
CAMILLE.
Ne peut-on sans le trône [873] être digne de lui?
PLAUTINE.
Je m'en rapporte à vous, qu'il aime d'aujourd'hui.
CAMILLE.
Vous pouvez mieux qu'une autre [874] en dire des nouvelles,
Et comme vos ardeurs ont été mutuelles,
Votre exemple ne laisse à personne à douter
Qu'à moins de la couronne on peut le mériter.
PLAUTINE.
Mon exemple ne laisse à douter à personne
Qu'il pourra vous quitter à moins de la couronne.1370
CAMILLE.
Il a trouvé sans elle en vos yeux [875] tant d'appas....
PLAUTINE.
Toutes les passions ne se ressemblent pas.
CAMILLE.
En effet, vous avez un mérite si rare....
Mérite à part, l'amour est quelquefois bizarre;
Selon l'objet divers le goût est différent:1375
Aux unes on se donne, aux autres on se vend.
CAMILLE.
Qui connoissoit Othon pouvoit à la pareille
M'en donner en amie un avis à l'oreille.
PLAUTINE.
Et qui l'estime assez pour l'élever si haut
Peut, quand il lui plaira, m'apprendre ce qu'il vaut;
Afin que si mes feux ont ordre de renaître....
CAMILLE.
J'en ai fait quelque estime avant que le connoître,
Et vous l'ai renvoyé dès que je l'ai connu.
PLAUTINE.
Qui vient de votre part est toujours bienvenu:
J'accepte le présent, et crois pouvoir sans honte,1385
L'ayant de votre main, en tenir quelque conte [876].
CAMILLE.
Pour vous rendre son âme il vous est venu voir?
PLAUTINE.
Pour négliger votre ordre il sait trop son devoir.
CAMILLE.
Il vous a tôt quittée, et son ingratitude....
PLAUTINE.
Vous met-elle, Madame, en quelque inquiétude?1390
CAMILLE.
Non; mais j'aime à savoir comment on m'obéit.
PLAUTINE.
La curiosité quelquefois nous trahit;
Et par un demi-mot que du cœur elle tire,
Souvent elle dit plus qu'elle ne pense dire.
La mienne ne dit pas tout ce que vous pensez.1395
PLAUTINE.
Sur tout ce que je pense elle s'explique assez.
CAMILLE.
Souvent trop d'intérêt que l'amour force à prendre
Entend plus qu'on ne dit et qu'on ne doit entendre.
Si vous saviez quel est mon plus ardent désir....
PLAUTINE.
D'Othon et de Pison je vous donne à choisir:1400
Mon peu d'ambition vous rend l'un avec joie;
Et pour l'autre, s'il faut que je vous le renvoie,
Mon amour, je l'avoue, en pourra murmurer;
Mais vous savez qu'au vôtre il aime à déférer.
CAMILLE.
Je pourrai me passer de cette déférence.1405
PLAUTINE.
Sans doute; et toutefois, si j'en crois l'apparence....
CAMILLE.
Brisons là: ce discours deviendroit ennuyeux.
PLAUTINE.
Martian, que je vois, vous entretiendra mieux.
Agréez ma retraite, et souffrez que j'évite
Un esclave insolent de qui l'amour m'irrite.1410
SCÈNE V.
CAMILLE, MARTIAN, ALBIANE
CAMILLE.
A ce qu'elle me dit, Martian, vous l'aimez?
MARTIAN.
Malgré ses fiers mépris mes yeux en sont charmés.
Cependant pour l'empire, il est à vous encore:
Galba s'est laissé vaincre, et Pison vous adore.
CAMILLE.
De votre haut crédit, c'est donc un pur effet?1415
MARTIAN.
Ne désavouez point ce que mon zèle a fait.
Mes soins de l'Empereur ont fléchi la colère,
Et renvoyé Plautine obéir chez son père.
Notre nouveau César la vouloit épouser;
Mais j'ai su le résoudre à s'en désabuser;1420
Et Galba, que le sang presse pour sa famille,
Permet à Vinius de mettre ailleurs sa fille.
L'un vous rend la couronne, et l'autre tout son cœur.
Voyez mieux quelle en est la gloire et la douceur,
Quelle félicité vous vous étiez ôtée1425
Par une aversion un peu précipitée;
Et pour vos intérêts daignez considérer....
CAMILLE.
Je vois quelle est ma faute, et puis la réparer;
Mais je veux, car jamais on ne m'a vue ingrate,
Que ma reconnoissance auparavant éclate,1430
Et n'accorderai rien qu'on ne vous fasse heureux.
Vous aimez, dites-vous, cet objet rigoureux,
Et Pison dans sa main ne verra point la mienne
Qu'il n'ait réduit Plautine à vous donner la sienne,
Si pourtant le mépris qu'elle fait de vos feux1435
Ne vous a pu contraindre à former d'autres vœux.
MARTIAN.
Ah! Madame, l'hymen a de si douces chaînes,
Qu'il lui faut peu de temps pour calmer bien des haines;
Et du moins mon bonheur sauroit avec éclat
Vous venger de Plautine et punir un ingrat.1440
CAMILLE.
Je l'avois préféré, cet ingrat, à l'empire;
Je l'ai dit, et trop haut pour m'en pouvoir dédire;
Et l'amour, qui m'apprend le foible des amants,
Unit vos plus doux vœux [877] à mes ressentiments,
Pour me faire ébaucher ma vengeance en Plautine,1445
Et l'achever bientôt par sa propre ruine.
MARTIAN.
Ah! si vous la voulez, je sais des bras tous prêts [878];
Et j'ai tant de chaleur pour tous vos intérêts....
CAMILLE.
Ah! que c'est me donner une sensible joie!
Ces bras que vous m'offrez, faites que je les voie,1450
Que je leur donne l'ordre et prescrive le temps.
Je veux qu'aux yeux d'Othon vos desirs soient contents,
Que lui-même il ait vu l'hymen de sa maîtresse
Livrer entre vos bras l'objet de sa tendresse,
Qu'il ait ce désespoir avant que de mourir:1455
Après, à son trépas vous me verrez courir.
Jusque-là gardez-vous de rien faire entreprendre.
Du pouvoir qu'on me rend vous devez tout attendre.
Allez vous préparer à ces heureux moments;
Mais n'exécutez rien sans mes commandements.1460
SCÈNE VI.
CAMILLE, ALBIANE.
ALBIANE.
Vous voulez perdre Othon! vous le pouvez, Madame!
CAMILLE.
Que tu pénètres mal dans le fond de mon âme!
De son lâche rival voyant le noir projet,
J'ai su par cette adresse en arrêter l'effet,
M'en rendre la maîtresse; et je serai ravie1465
S'il peut savoir les soins que je prends de sa vie.
Va me chercher ton frère, et fais que de ma part
Il apprenne par lui ce qu'il court de hasard,
A quoi va l'exposer son aveugle conduite,
Et qu'il n'est plus pour lui de salut qu'en la fuite.1470
C'est tout ce qu'à l'amour peut souffrir mon courroux.
ALBIANE.
Du courroux à l'amour le retour seroit doux.
SCÈNE VII.
CAMILLE, RUTILE, ALBIANE.
RUTILE.
Ah! Madame, apprenez quel malheur nous menace.
Quinze ou vingt révoltés au milieu de la place
Viennent de proclamer Othon pour empereur.1475
CAMILLE.
Et de leur insolence Othon n'a point d'horreur,
Lui qui sait qu'aussitôt ces tumultes avortent?
RUTILE.
Ils le mènent au camp, ou plutôt ils l'y portent [879]:
Et ce qu'on voit de peuple autour d'eux s'amasser
Frémit de leur audace, et les laisse passer.1480
CAMILLE.
L'Empereur le sait-il?
RUTILE.
Oui, Madame: il vous mande;
Et pour un prompt remède à ce qu'on appréhende,
Pison de ces mutins va courir sur les pas,
Avec ce qu'on pourra lui trouver de soldats.
CAMILLE.
Puisque Othon veut périr, consentons qu'il périsse;1485
Allons presser Galba pour son juste supplice.
Du courroux à l'amour si le retour est doux,
On repasse aisément de l'amour au courroux [880].
FIN DU QUATRIÈME ACTE.