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Curiosa: Essais critiques de littérature ancienne ignorée ou mal connue

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XVII
LES NOUVELLES
DE L’ABBÉ CASTI[54]


N

Nous avons eu déjà l’occasion de dire un mot de l’abbé Casti et de son genre de talent poétique en présentant aux lecteurs de la Petite Collection Elzévirienne la traduction de la Papesse[55]. On trouvera, tant dans notre Avant-Propos que dans la Notice de Ginguené, dont nous l’avons fait suivre, des détails biographiques et des appréciations générales qui feraient ici double emploi. Bornons-nous donc à rappeler ce que sont les Nouvelles galantes et à caractériser brièvement leur mérite littéraire.

La plupart des Conteurs Italiens, Sacchetti, Bandello, Firenzuola, le Lasca, ont écrit en prose, à l’imitation de Boccace, dont le Décaméron semble leur avoir servi de règle et de modèle. Chez nous, au contraire, le conte est presque toujours rimé; nous avons suivi la voie ouverte par nos vieux auteurs de fabliaux. L’abbé Casti, qui vécut longtemps en France et à qui notre langue était plus ou moins familière, s’est approprié le goût Français. Le Conte en vers était, à la fin du XVIIIe siècle, une nouveauté pour les Italiens et, en essayant d’être le premier dans ce genre, où Batacchi seul, son contemporain, lui dispute la palme, Casti voulut aussi s’inspirer, au moins pour la forme, des poèmes chevaleresques; il choisit le mètre héroïque, la stance de huit vers à rimes croisées adoptée par le chantre de la Gerusalemme liberata et qui, par sa structure, par son ampleur, ne peut guère servir de moule qu’à une action suffisamment développée. C’est assez indiquer par quels côtés il s’éloigne de La Fontaine et de Grécourt, dont les récits ont une tournure bien plus brève et bien plus vive; les Nouvelles galantes sont toutes des compositions d’une certaine étendue se rapprochant beaucoup plus de l’épopée badine que du conte, tel que nous l’entendons.

Par leur cadre, par les sujets qui y sont traités, on peut les diviser en trois ou quatre catégories, parmi lesquelles nous n’avons pas fait porter indifféremment le choix que nous nous proposions de faire. Il y a d’abord les poèmes mythologiques; nous les avons écartés tous, si gracieux et si plaisants qu’ils soient le plus souvent; le goût n’est plus aujourd’hui à ce genre de compositions galantes que chez nous Parny et Lemercier, dans ses Quatre Métamorphoses, ont pour ainsi dire épuisé. Viennent ensuite d’assez nombreux morceaux où l’auteur s’est proposé de reprendre à sa façon des sujets déjà mis en œuvre par Boccace ou par La Fontaine; le Rossignol, le Purgatoire, l’Ange Gabriel, la Jument du Compère Pierre, les Culottes de Saint François, etc.; mais ces deux maîtres ont imprimé à tout ce qu’ils ont touché une forme trop définitive pour que l’infériorité de l’abbé Casti ne soit pas manifeste, surtout à travers le voile d’une traduction.

Quant aux sujets historiques, il les a généralement traités d’une manière intéressante; l’Origine de Rome, l’Apothéose, où il retrace les infortunes conjugales de Marc-Aurèle, les Mystères surtout, qui ont pour objet la fameuse aventure de Claudius surpris avec la femme de Jules César, sont des poèmes fort remarquables; mais la Papesse peut donner une idée suffisante de l’art avec lequel il sait mêler l’enjouement aux choses sérieuses.

Nous avons choisi, entre toutes, celles de ses Nouvelles qui, par l’action comme par les détails, sont de sa propre invention, celles qui révèlent l’originalité du conteur et les mérites de l’écrivain. Casti est un abbé Voltairien; sceptique à l’endroit des choses de la foi, il manque rarement l’occasion de s’en moquer d’une façon légère et spirituelle; c’est aussi un poète dont l’imagination a de la fraîcheur et le style du coloris; un vieillard resté jeune, amoureux de la femme, dont il excelle à rendre le charme et les séductions; un satirique sans amertume, joignant à une grande finesse d’observation la bonhomie railleuse de l’Épicurien. Les Nouvelles dont nous avons fait choix permettront d’apprécier quelques-unes des qualités de cet esprit aimable et enjoué.

Août 1880.

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