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Curiosa: Essais critiques de littérature ancienne ignorée ou mal connue

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XXVIII
LES
CONTES DE VASSELIER[95]


J

Joseph Vasselier n’est connu que de quelques amateurs: c’est à peine si les historiens de la Littérature Française consentiraient à lui donner une toute petite place, dans le voisinage de Desmahis, parmi les poetæ minores du XVIIIe siècle, et, s’il n’était l’auteur que de ses poésies académiques, l’oubli, l’inéluctable oubli, le couvrirait entièrement; mais il a fait ses Contes, et tous ceux entre les mains de qui a pu tomber d’aventure ce petit volume devenu rare, auront été sans doute surpris, comme nous-même, de ce qu’un homme peut dépenser d’esprit, de gaîté et d’invention sans devenir pour cela célèbre; la même surprise attend ceux qui feront connaissance avec lui dans la présente réimpression.

Les Contes de Vasselier parurent en 1800; l’auteur était mort deux ans auparavant (1798), survivant, à travers la tourmente révolutionnaire, au régime sous lequel il avait vécu, écrit, et sans avoir un seul instant songé à rassembler ses œuvres, productions légères restées pour la plupart manuscrites, quelques-unes seulement ayant été insérées dans les journaux. Ses amis lui rendirent le pieux service de les recueillir en deux volumes, dont le premier (à Paris, de l’imprimerie d’Égron) est intitulé Poésies, et composé d’Épîtres, de Couplets de table et d’Impromptus; le second (Paris, sous la rubrique de Londres) renferme les Contes, bien supérieurs à ces pièces de circonstance que nul aujourd’hui ne songerait à réimprimer. Ils assignent à Vasselier un rang très honorable au-dessous de La Fontaine, sans doute, mais peut-être au-dessus de Grécourt. Ce ne sont, pour le plus grand nombre, que de brefs récits en douze ou quinze vers, courant au trait final avec la rapidité de l’épigramme; un bon mot, quelquefois déjà connu (l’Horloge, le Quiproquo, la Bagarre, l’Apostolat, l’Appétit vient en mangeant), suffit souvent au poète, mais il réussit aussi bien une composition plus détaillée, exigeant plus de soin et d’art chez le conteur, par exemple le Cas réservé, la Fileuse, le Nœud conjugal, où il essaye de lutter avec La Fontaine; il n’est faible que lorsqu’il veut trop s’étendre et s’ingénie à remplir avec des riens une vaste toile, comme dans le Mage consulté, le Pouvoir de la vanité et même la fameuse Origine des truffes, qui passe pour son chef-d’œuvre et qui lui valut d’être remarqué par Voltaire. La pièce est d’une mythologie un peu prétentieuse, et Vasselier, encouragé par les suffrages du grand philosophe, lui a donné dans la Sauce Robert un pendant culinaire de plus haut goût. Il est tout à fait bon dans les petites pièces comme le Sifflet, le Cul de poule, etc., presque toutes celles, au reste, qui composent le recueil; et le rigide Vauvenargues, qui trouvait des longueurs aux Contes du Bonhomme, serait ici forcé de rester bouche close.

L’amitié de Voltaire fut le seul événement un peu considérable de la vie de Vasselier. Né à Rocroi en 1735, après avoir passé presque toute sa jeunesse dans la profession des armes, il quitta l’uniforme en 1762 pour entrer dans l’administration des Postes, où il acquit rapidement le grade de premier commis, à Lyon. Il s’attira la bienveillance de Voltaire, établi à Ferney, en facilitant la circulation de ses écrits, plus sans doute encore que par ses talents poétiques, et d’amicales relations s’établirent entre eux. Tous les ans il se rendait à Ferney et y faisait un assez long séjour; Voltaire lui offrit plusieurs fois de lui donner une retraite assurée, dans une maison qui lui appartiendrait en toute propriété, indépendante du château; Vasselier préféra garder son poste et continuer de s’y rendre utile à son illustre ami. C’était un homme de mœurs simples et paisibles, aimant la bonne chère et payant son écot à table par quelques spirituels couplets. Ses vers, un peu sérieux, quoique toujours enjoués, ainsi qu’il sied à un bon vivant, ont été composés pour l’Académie de Lyon, dont il était membre. Les plus travaillés sont le Remercîment, qu’il lut à sa séance d’admission, en 1782, les Vers sur la Paix (1783) et une Épître sur les ennuis de la vie (1784); malgré le mérite littéraire de ces pièces, le poète est beaucoup plus lui-même dans ces légères épîtres, moitié vers et moitié prose, qu’il adressait à Voltaire, dans ses Couplets de table et surtout dans ses Contes.

Novembre 1883.

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