Des variations du langage français depuis le XIIe siècle: ou recherche des principes qui devraient régler l'orthographe et la prononciation
CHAPITRE II.
§ Ier.
Cinq caractères pour représenter toutes les voix du gosier humain, c'est bien peu! La musique du moins possède sept notes, et elle a le secours des dièses et des bémols, sans compter les octaves; mais le langage en est réduit aux cinq voyelles.
Encore sur les cinq y en a-t-il une dont l'énergie native se refuse à toute modification, excepté celle de la durée. C'est l'i, qui ne subit d'accent que le circonflexe.
On en tira parti comme l'on put en le condamnant à modifier les quatre autres, desquelles l'a et l'e se montrèrent les plus souples et dociles; l'o et l'u se prêtent à moins d'altérations.
Il faut poser en principe que la valeur primitive, individuelle de ces quatre sons A, E, O, U, était longue et fermée; ce qu'un grammairien du VIe siècle me paraît exprimer assez bien par pingues et impinguntur42. On fit ressource de l'i pour leur donner le son bref, sec et ouvert.
[42] Virgile Maron., apud Mai, Bibl. Vat., t. V.
A.
M. J.-J. Ampère observe que amo a fait j'aime, panis, pain, et manus, main. Et il se hâte de formuler cette règle générale: Dans les mots dérivés du latin, devant m ou n, a se change en ai. (Format. de la lang. fr., p. 228.)
C'est aller bien vite! Aimer, pain et main, sont des formes modernes; l'ancienne forme est amer, pan et man, qui se retrouvent dans amant, pannetier, manœuvre. Si la règle de M. J.-J. Ampère était exacte, on aurait dû dire, à une époque quelconque, de l'aimour. Or, qu'on écrivît amur ou amor, cela n'a jamais fait autre chose qu'amour; et comme le mot est très-vieux, il doit faire autorité.
PAQUES est souvent écrit Paikes:
Il est certain qu'on prononçait sans i, Pâques.
JE HAZ, JE FAZ, ont été les premières formes de je hais, je fais.
Achab dit du prophète Michée:
«Jo lhaz pur ço que tuz jurs me prophetizad mal, e nul bien.» (Rois, p. 335.)
«Je le hais parce qu'il m'a toujours prophétisé du mal, et jamais du bien.»
Hebers, le versificateur du Dolopathos, parlant du jeune Lucinien exposé par la reine aux séductions d'une troupe de demoiselles charmantes, compare le pauvre garçon à un homme assailli de serpents. A peine ce mot est-il écrit, que le bon trouvère en éprouve du remords, et fait cette réflexion:
Un peu auparavant, le poëte avait montré la reine rassemblant les jeunes filles les plus jolies de la ville, celles qui savaient le mieux chanter et danser, et leur enjoignant de déployer tout leur art auprès de Lucinien:
Cette reine est éprise de son beau-fils; quand elle le voit, elle perd la tête. Quand la reine voit sa face, elle ne sait que elle fasse:
Aige, saige, usaige, ne prennent un i que pour éclaircir le son de l'a; autrement les racines ætas, sapiens, usus, n'autorisent pas la présence de cet i.
Dans plaine, de plana; bain, de balneum; vain, de vanus, et une foule d'autres, on ne tenait en parlant nul compte de l'i. Voyez les composés, planer, bagner43, vanité. Une preuve que plaindre sonnait plandre, comme plangere, c'est qu'on le trouve écrit plendre: «Puis après devant plusurs se commence à plendre de son mari et le mauldire.» (R. des sept Sages, p. 109.)
[43] Th. de Bèze témoigne que de son temps on le prononçait ainsi. (De Franc. ling. recta pron., p. 42.)
AIMABLE, d'amabilis, garde sa vraie prononciation dans le nom de baptême Amable et dans amabilité.
On écrivait indifféremment bairon ou baron:
[44] Les cloches.
D'AQUÆ, Aqs ou Aix.
Nous avons fait d'Aquitania, l'Aquitaine, mais on prononçait sans i l'Aquitane, comme l'Occitanie. De la Quitane, ainsi divisée par erreur, on a dit la Guiane, qu'on écrivit, conformément aux règles d'alors, la Guienne, et que nous prononçons mal Guiaine.
Pourquoi disons-nous de la chair, puisqu'il n'y a point d'i dans carnem? Nos pères écrivaient charn, carn, char.
SAINT était prononcé sant; d'où vient qu'on écrit aujourd'hui Senlis; c'est saint Lis:
SENNETERRE est de même Saint-Nectaire, San-Nettaire.
AGU, AGUILLE, d'acutus. L'âne se plaint au cheval de ses travaux excessifs:
Ménage discutait encore si l'on devait dire agu ou aigu.
Marot use des deux orthographes; il écrit au hasard ai ou a, et pourtant il ne prononçait sans doute que d'une seule manière. Dans le dialogue de l'abbé et d'Isabeau, l'abbé tolère aux femmes de lire des livres français, mais il leur défend le latin:
Un peu plus loin, l'abbé, apologiste de l'ignorance, dit:
Lisez sans hésiter rage, langage, comme frenasie et fantasie; le verbe était fantasier; l'adjectif, fantasque; la racine grecque, phantasia. Dans tout cela il n'y a point d'i, du moins à la seconde syllabe.
Pourquoi dit-on je vais ou je vas? Ce verbe nous vient de vado. Je vas est l'ancienne prononciation; je vais est une prononciation récente, suggérée par l'orthographe.
On affecte aujourd'hui de prononcer Montaigne; on devrait dire aussi Champaigne. L'i a été retranché du nom commun et conservé au nom propre, et l'inconséquence de l'orthographe a entraîné celle de la prononciation. Il faut prononcer, comme on a toujours fait, Montagne et Champagne sans i, aussi bien que Fontanes. Pascal écrit Montagne.
E.
L'E avait naturellement le son muet qu'il garde dans l'article le; mais e suivi d'une autre voyelle, recevait de droit l'accent aigu.
L'e, parmi toutes les voyelles, est la plus susceptible d'être modifiée. On la combinait avec l'i de deux façons, ie ou ei. Ie représentait le son de notre é fermé; ei, celui de l'e ouvert, è. Il ne faut pas s'arrêter à ce qu'on les a quelquefois confondus et employés l'un pour l'autre: aujourd'hui même l'e final de vérité est une autre lettre à Rouen qu'à Paris.
Ier à la fin des substantifs et des infinitifs: Sanglier, destrier, mestier, couchier, rochier, sonnaient sanglé, détré, mété, couché, roché.
On rencontre très-souvent ces finales écrites sans i:
Ne nous aurait mestier, ne nous servirait de rien.
Nous avons gardé l'ancienne orthographe de bachelier, chevalier, sanglier, destrier, etc., en y appliquant la prononciation moderne; et nous avons réformé sur l'ancienne prononciation l'orthographe de rocher, coucher, verger, etc. Sanglier, bouclier, sont aujourd'hui de trois syllabes, aussi bien que destrier; et quand on les rencontre dissyllabes dans Corneille et les autres, on accuse ces vieux poëtes d'avoir eu l'oreille dure!
Dans le corps des mots, ie ne faisait qu'un é plus ouvert. Saint Pierre a été pour tout le moyen âge saint Père, l'abbaye de Saint-Père, de Chartres. Le chevalier à la robe vermeille s'informe à son réveil des présents que lui avait montrés sa femme:
De là les diminutifs sans i dans la première syllabe, Perrot, Perrin, Perrinet, Perrette. Un chien était un chen:
«Vous lui donnerez (à Charlemagne) ours et lions et chiens.»
L'archevêque Turpin voyant la perte des Français assurée, dit à Roland et à Olivier: «Nous serons vengés si vous sonnez du cor: nos Français reviendront; ils nous trouveront morts et mis en morceaux; ils nous emporteront en des cercueils sur des sommiers: ils nous enfouiront dans les atres (in atriis) des moutiers; ni loup, ni porc, ni chien, ne toucheront à nos cadavres:»
D'ailleurs, le diminutif chenet atteste encore l'ancienne prononciation. Chen pour chien explique la prononciation populaire men et ben, pour mien et bien. Matière sonnait matère; de là vient que le peuple et ceux qui parlent mal disent, avec une certaine raison, des matéraux.
D'où pourrait venir un i à brief (brevis);—chier, (carus);—grief (gravis)?
On prononçait bré, d'où abréviateur, abrégé;—ché, d'où chérir;—gré, d'où grever, etc., etc.
L'imparfait de l'auxiliaire être se rencontre écrit avec deux orthographes; j'iers, tu ieres, il iert; et j'ere, tu eres, il ert. Vous sentez bien qu'on prononçait d'une seule façon, de celle qui se rapproche le plus du latin eram, eras, erat, sans l'i, qui venait là uniquement pour aiguiser le son de l'e muet.
HIER, de heri, se prononçait her. Tout le XVIe siècle a dit et écrit hersoir pour hier soir.
PIECE, pèce, comme en italien pezzo.—Dépecer.
PIED de pes, pé, d'où pédestre:
On notait par ie la terminaison des adjectifs et participes en é:
—«Lors se tint moult a engignie cil qui fu trebuchiez en la mer.» (Roman des sept Sages, p. 102.)
Il se tint à enginé, c'est-à-dire, se reconnut trompé.
Le premier novembre, saint Jean convoque tous les saints à la cour de paradis. Il voit arriver tous les martyrs
«De cœur lé,» joyeux (læto corde).
Appareillés, lés, prêts et joyeux.
Éveillés, enginé.
Les mots congé, péché, dans S. Bernard et les Rois, ont jusqu'à trois orthographes: congie, pechie;—congiet, pechiet;—conget, pechet. C'est toujours congé, péché. La dernière notation prouve que l'i était muet.
PITIE se prononçait pité, d'où piteable, aujourd'hui pitoyable;—piteux, et non pitieux;—apiter, et non apitoyer:
Renaud de Montauban, pour expier ses péchés, fait vœu d'aller outre mer:
AMISTIE sonnait pareillement amité, et non amitié:
Ce ne sont pas là des accidents dus au besoin de la rime; dans ces trois poëmes et dans plusieurs autres, il est rare de rencontrer jamais autrement qu'amisté, pité. Le scribe avait apparemment adopté cette forme, qui lui paraissait plus rapprochée de la prononciation; et cette circonstance indique une transcription relativement récente, puisqu'à cette époque on abandonnait déjà la notation ie pour y substituer l'e simple. Quelques pas de plus, et l'on jettera sur cet e l'accent aigu, é; et la forme primitive aura pour jamais disparu, sera si complétement oubliée, que si quelqu'un tente d'en réveiller le souvenir, cette idée passera pour une chimère philologique.
Ainsi vous voyez qu'une seule classe de substantifs dans la langue ancienne, les substantifs en ie (é) en a fourni deux à la langue moderne: les substantifs en é et ceux en ié. En échange d'un accent aigu, congie, pechie ont cédé leur i, et l'on a oublié de reprendre cet i à pitié, amitié. Les premiers ont revêtu l'orthographe moderne pour garder la prononciation ancienne; les seconds, en cumulant les deux orthographes, y ont gagné une prononciation nouvelle.
Passons à la seconde manière de modifier l'e par l'apposition de l'i, en cette sorte, ei-è. Nous l'avons conservée dans treize, seize.
On terminait aussi par cet ei les adjectifs, les participes passés, comme rachatei, suplantei; et les substantifs féminins, comme virginitei, nativitei, veritei, santei, etc.
Fallot dit que c'est une forme normande. Il est vrai que Wace et Marie de France l'emploient constamment, et que les Normands prononcent encore ces finales très-ouvertes: véritai, virginitai, achetai. Cependant c'est aussi l'orthographe habituelle du livre des Rois et des sermons de Saint Bernard, que Fallot classe, au moins le saint Bernard, parmi les textes bourguignons les plus purs:
—«Chier freire, il vient del cuer de Deu lo Peire el ventre de la Virgine sa meire… (S. Bernard, p. 525.)—Ses orgoyl ne rezoit nul remeide de penitence. (P. 524.)—Ancor devoit estre rachateiz… Por ceu ke li malices d'altrui l'avoit supplanteit… Mais veigne la veriteiz, et cele me deliverrat.» (S. Bernard, p. 524.)
Le cordelier frère Denise dit à la jeune pénitente qu'il veut rendre cordelier aussi, en la faisant passer pour homme:
«Si je pouvais savoir de vrai que vous voulussiez entrer dans notre ordre et garder votre virginité sans la fausser, sachez que véritablement je vous mettrais de notre bienfait.»
O.
Le son naturel de l'o est celui que nous figurons au. On l'éclaircissait par l'addition de l'i, et les traces de ce procédé subsistent encore; car pourquoi écrivons-nous avec un i, oignon, empoigner, lorsque nous prononçons sans i, ognon, empogner? L'Académie écrit cogner et cognée avec raison, puisqu'il n'y a pas plus d'i dans cuneus que dans pugnus; mais le temps n'est pas loin de nous où elle écrivait coigner et coignée.
Saint Bernard ne dit jamais que glore et victore: «Glore soit a Dieu ens haltismes. (P. 543.)—Beneoit soit li nons de sa glore ki sainz est. (P. 542.)»
GRINGORE est la prononciation de Gringoire. Sur le premier feuillet du manuscrit des Moralités sur Job, une main inconnue a mis, en écriture du XVe siècle:—«Job en françoys et le dialogue saint Gregore en françois.» ANTOINE était prononcé Antone, Bueves d'Antone:
La racine de remémorer est mémore, et non pas mémoire:
BOIS rime parfaitement avec dos:
On le trouve écrit bos aussi souvent au moins que bois:
Le nom de la ville de Beaugency est mal orthographié par suite de la prononciation; c'est Bois-Gency. Jusqu'au XVIIIe siècle on ne l'a pas figuré autrement.
Les diminutifs bosquet ou boquet, bocage, boquillon, ne laissent aucun doute.
D'historia on fit ESTOIRE, qu'on prononçait étore:
—«Per Diu, souvieigne vous des preudomes anciens qui devant nous ont esté, et qui encore sont ramenteu es livres des estores.» (Villehard., p. 180.)
D'estore se forma le verbe estorer, plus tard historier, qui se dit encore familièrement dans le sens de garnir, arranger avec soin. La Bible historiaus est une Bible ornée de nombreuses enluminures.
La plupart des contrats de mariage passés sous l'empire de la coutume de Picardie, réservent à la femme, en cas de décès du mari, avant tout, sa chambre étorée,—sa chambre garnie45.
[45] Le Dictionnaire de Trévoux ne donne pas le verbe estorer; mais, interprétant mal quelques phrases de Villehardouin, il donne estoire et estorée (une estorée), qu'il traduit par navis, classis, exercitus navalis. C'est une grave erreur.—«Le roi d'Angleterre avait fait appareiller une grant estorée de nef.» (Chr. de Flandres.) Une grande histoire de vaisseaux.—«Comment ils puissent avoir navire et estoire.» (Villehardouin.) C'est navire et le reste de l'équipement, et toute l'histoire. Selon Trévoux, qui cite cette phrase, ce serait navire et navire.—«Mult fut belle cette estoire, et riche.» (Villehardouin.) Tout cet appareil fut très-beau, toute cette histoire fut très-riche.
Trévoux conclut en dérivant estoire de stolus, stolium, et du grec stello, j'envoie. C'est quelquefois un malheur d'être si savant.
Le Dictionnaire de Napoléon Landais fait ce petit article:
«ESTORÉE, subst. fém. (ècetorée), flotte, armée navale.—Inusité.»
Le Complément du Dictionnaire de l'Académie dit:
«ESTORER, créer, fonder, restaurer;»—en quoi il se trompe. Mais il ajoute: «meubler, fournir, garnir;—en quoi il a raison.
L'Académie garde un auguste silence.
Il était bien simple de mettre en quatre mots:
ESTOIRE, histoire; ESTORER, historier.
—«Ses dyables… tenoient en main aulcuns bastons noirs pleins de fusées; aultres portoient longs tisons alumez, sur lesquels à chascun carrefour jectoient pleines poignées de parasine.»
Parasine, c'est ainsi que portent toutes les éditions, se copiant l'une l'autre. Il est clair que la première qui le donne a pris un o pour un a, et qu'il faut lire porasine, c'est-à-dire, poix-raisine, l'i de la diphthongue muet dans les deux mots.
Nous prononçons sans i grogner, et avec un i éloigner, témoigner. Le XVIIe siècle figurait l'i dans tous les trois, et ne le prononçait dans aucun. C'est conformément à la prononciation que Sarrasin met sans i:
Le cardinal Duperron écrit cigoigne et éloigne. Soyez sûr qu'on n'a jamais prononcé autrement que cigogne (ciconia):
Ménage prescrit de dire cigogne sans i; mais il déclare que témogner, élogner, rognons, c'est mal parlé: il veut qu'on dise témoigner, éloigner, roignons. Tout cela n'est que caprice et inconséquence. Ce qu'il y a de certain, c'est que tout le moyen âge prononçait témon, beson, pour témoin, besoin. Dieu, s'écrie Roland dans le roman de Roncevaux, Dieu
L'auteur des Quatre fils Aymon fait rimer compagnon et besoin. C'est dans la conclusion de son poëme; on y voit un rapprochement d'idées assez mal édifiant:
[46] a élidé.
Il est tout naturel que beson ait produit besogner.
Du latin ungere, ondre, que nous écrivons et prononçons avec un i, oindre.
Le Bestiaire raconte comment de la peau du crocodile on faisait un onguent dont usaient les vieilles femmes pour effacer leurs rides:
La chanson de Roland et les poëmes du XIIe siècle ne disent pas le poing, mais le pong: le punt d'une épée, d'où venait l'orthographe empongner:
«Ils jurent par la lame et la poignée de l'épée que la ville ne sera pas rendue.»
«… A la poignée d'or fin ciselé.»
Il est certain que l'on prononçait encore au commencement du XVIe siècle le pong, si l'on écrivait le poing. Dans la bataille de Marignan, mise en musique, en 1515, par Clément Jennequin:
On voit combien Voltaire se trompe lorsqu'il accuse notre vieille langue de barbarie précisément au sujet de ces affreux sons en oin:—«Le plus insupportable reste de la barbarie welche et gauloise est dans nos terminaisons en oin… Il faut qu'un langage ait d'ailleurs de grands charmes pour se faire pardonner ces sons qui tiennent moins de l'homme que de la plus dégoûtante espèce des animaux.»
Cet oin, qui révolte à si juste titre l'oreille de Voltaire, est indubitablement d'invention moderne; les Welches et les Gaulois ne le connaissaient pas: c'est ce qu'on appelle un progrès.
L'o suivi immédiatement d'une seconde voyelle sonnait ou. C'est encore en anglais la valeur de deux o consécutifs: boots. Moniot, contemporain de Louis IX:
[47] Je vous le conseille.
[48] Nous n'avons plus que le diminutif alouette.
«Teles furent ces roes cume les roes de curres.»
—«Il se misent au fuir sans plus attendre, et s'esparsent, li uns cha et li autres la, ausi come les aloes font por les espreviers.» (Villehardouin, p. 182.)
Par cette règle, poëte, poésie ont dû sonner pouëte, pouésie. C'est effectivement comme on les prononçait au XVIe siècle, Marguerite de Navarre écrit toujours poète avec un u. Dans une lettre à M. de Montmorency pour lui recommander Marot:
—«Il me semble que Nostre Seigneur faict tant de grâces au roy et à ses serviteurs, que jamais ne feut plus besoin de favoriser aux pouhetes que maintenant49.» (Lettres inédites, I, p. 304.)
[49] Remarquez en passant ce latinisme, favoriser aux poëtes. On disait de même prier à Dieu… supplier à Dieu… Je luy supplie.
Le nom de M. de Rohan, dans ces lettres, est toujours figuré Rouhan. Les anciens traités avertissaient encore de cette prononciation, et recommandaient aussi de dire pouëtes et pouésie.
Nous n'avons pas conservé l'u dans poëte, mais nous le faisons toujours entendre dans moelle; nous l'écrivons et le prononçons dans loue, boue, roue, et nous le prononçons sans l'écrire dans roi, bois, loin, foin, coin. C'est la confusion des systèmes.
La famille de Croï s'appelle de Crouï; les de Moy sont de Mouhy. Héloïse écrivait son nom Heloys; c'était Hélouis devant une consonne; devant une voyelle, Hélouise au corps gent. C'est le même nom que Louise.
Ce nom de Louise me rappelle une historiette de Racan. Elle nous apprend qui a porté le dernier coup à la règle du moyen âge, qu'une tradition incomprise faisait encore observer au commencement du XVIIe siècle.
Un jour, dit Racan, Henri IV, qui traitait Malherbe avec une grande bienveillance, lui montra une lettre écrite par le Dauphin, qui fut depuis Louis XIII. C'est bien, dit Malherbe; mais monseigneur le Dauphin ne s'appelle-t-il pas Louis?—Assurément, dit Henri IV.—Pourquoi donc le fait-on signer Loys? La censure de celui qu'on appelait le vieux tyran des syllabes parut juste; la signature du Dauphin fut réformée, et c'est depuis ce temps que les princes du nom de Loys signent, avec un u, Louis.
Henri IV s'est trop hâté de déférer à l'observation de Malherbe; car cette observation, spécieuse pour un ignorant, est radicalement fausse. Malherbe aurait pu exiger aussi, pour être conséquent, qu'on écrivît de louin, du fouin, la rivière de Louing, trouois, mouoi, le rouoi, la louoi, rouayal, etc., etc.; car c'est ainsi qu'on prononce, et non pas la loâ, le roâ, troâ.
L'autorité de Malherbe n'a donc servi en cette occasion qu'à introduire une inconséquence.
U.
«L'u, dit M. Ampère, avait au moyen âge le son peu mélodieux qu'il a de nos jours; sans cela, on n'aurait pas eu besoin d'imaginer la diphthongue pour remplacer l'u latin dans ubi, où, et dans multum, moult.» (Hist. de la Litt. fr. au moyen âge, p. 305.)
Je prendrai la liberté de contredire ici M. Ampère. La première valeur de cette lettre u fut le son ou, comme en latin.
La diphthongue ou fut si peu inventée pour réduire l'u de ubi ou de multum, que, dans les plus anciens textes, on trouve partout u pour où (ubi), et pour ou marquant l'alternative. Moult s'est écrit d'abord mult, multeplier, qui sonnaient mou, mouteplier. Amur, securs, n'ont jamais été à l'oreille qu'amour, secours. Le plus ancien monument de la langue française, la version du livre des Rois, en fournit la preuve à chaque ligne:
—«Respundirent ces de Jabes: Dune nus respit set jurs; manderum nostre estre a tuz ces de Israel. Si poum aveir rescusse, nus l'atenderum; si nun, nus nus rendrum.» (P. 36.)
Prononcez:—«Répondirent ceux de Jabès: Doune nous répit sept jours; (nous) manderouns notre être (notre position) à tous ceux d'Israël. Si (nous) pou(v)ouns aveïr récousse, nous l'atenderouns; si noun, nous nous rendrouns.»
—«Li message vindrent en Gabaath, u li reis Saul maneit.» (Ibid., 36.)
«Les messagers vinrent en Gabaath, où demeurait le roi Saül.»
On pourrait affirmer que la notation actuelle ou fut aussi introduite de très-bonne heure, si les manuscrits de Villehardouin étaient du XIIe siècle, car on y lit déjà moult; mais la copie en est plus récente.
Comme il arrive toujours en pareil cas, les deux notations subsistèrent quelque temps l'une à côté de l'autre. Dans Benoît de Sainte-More, compatriote et contemporain de Wace (1160), on lit:
Si, comme le veut M. Ampère, l'u avait eu dès l'origine le même son qu'aujourd'hui, cette notation un n'eût jamais pu sonner on:
«Comme je le semonds.»
La cupe se prononçait la coupe, du latin culpa.
On écrivait aussi coulpe, en rapprochant l'orthographe de l'étymologie et de la prononciation.
Je suis donc d'un avis directement opposé à celui de M. Ampère: il croit que u fut le son primitif, et qu'il fallut se mettre en peine de chercher une notation pour marquer le son ou. Je suis persuadé que le son primitif de l'u fut ou, et qu'il fallut au contraire trouver une combinaison orthographique pour affaiblir ce son, et le réduire à l'u actuel.
Le moyen qu'on y employa fut celui qu'on avait déjà appliqué aux voyelles a, e, o; on se servit de l'i, mis, comme pour l'e, tantôt à la première place, tantôt à la seconde.
Je vois qu'au XIIe siècle, la terminaison du participe passé en u, celle du prétérit de certains verbes, comme il but, il fut, s'écrivait par ui:
—«Saint-Johan buit aussi lo boyvre de salveteit.» (Saint Bernard, p. 548.)
—«Mais por mi at perduit une grant partie d'engeles et toz les homes.» (Ibid., 524.)
—«Abraham engenruit (engenrut, engendra) Isaac; Isaac, Jacob.» (528.)
—«Ou est le tant poc de farine dont li prophetes fu sostenuiz?» (572.)
«Où est ce peu de farine dont le prophète fut soutenu?»
—«Nostres sires fu semonuiz as noces.» (Saint Bernard, p. 553.)
Semonus, invité, de semondre.
—«Mais por ceu ke tu ne pensasses ke ceu fust avenuit par aventure.» (Ibid., 552.)
Le prétérit je fus, tu fus, il fut, représente fui, fuisti, fuit. Quelquefois les copistes français écrivent encore l'i: ceux-là étaient les doctes en étymologie. Je suis, de sum, a probablement sonné je sus, comme prononcent encore les paysans picards. Je suis, en faisant sentir l'i, est moderne.
Le livre des Rois écrit indistinctement les Ju ou les Jui. Ce sont les Juifs.
CUIRE, dans le Dolopathos, est écrit tantôt cuire, tantôt cure: «J'exhortai la dame à mettre cuire ce cadavre et à me donner son fils, qu'il ne mourût:»
CUITE y rime à lutte:
Nous disons lutin, et le diminutif, comme peu usité, est demeuré écrit luiton: Notre ami, monsieur le luiton, dans la Fontaine, c'est monsieur le lutton.
On trouve je me dolui pour je me dolus, du verbe se douloir; estuide pour étude, de studium, etc.
«Par malheur, je reçus dans la bouche un peu de neige, dont je conçus ce bel enfant, pour un seul petit flocon que j'en reçus.»
HUIS, PERTUIS, sonnaient hus, pertus. On ne voit point d'i dans la première syllabe d'uscio, ni dans pertusum:
Le nom propre Perthus atteste cette prononciation.
Mais il arriva par la suite que l'i disputa la prédominance, et finit par l'emporter sur l'u; si bien qu'il l'effaça, et ressortit seul de cette notation ui.
Ki, kider, kidan, kisine, keux, furent très-bien figurés qui, cuider ou quider, quidam, quisine ou cuisine, queux…, etc.
Et puis, puisque, se prononcèrent et pis, pisque.
De ce conflit résulta la double forme il vécut, il véquit.
On s'avisa alors d'une autre combinaison pour briser le son de l'u: on abandonna l'i, et la fonction qu'il ne remplissait plus fut donnée à l'e; seulement il fallut mettre cet e avant l'u, eu, parce que l'autre disposition ue était déjà consacrée à un autre emploi. U fut donc noté par eu; mais ce fut une invention tardive, et qui ne me paraît pas remonter plus haut que le XVIe siècle.
A cette époque, eu sonnait u. «Tout ce qui parle bien en France, dit Théodore de Bèze, prononce hûreux.» (De Fr. ling. rect. pr., p. 60); meur, blesseure, heurler, sonnaient mûr, blessure, hurler. De là date le resserrement de toute une classe de participes passés. On les écrivait jadis par eu, avec diérèse; la nouvelle convention orthographique leur enleva une syllabe. On continuait à écrire sceu, veu, receu, conneu, et l'on prononçait sçu, vu, reçu, connu, du moins à Paris; car à Chartres, à Orléans et en Normandie, on continuait à dire vé-u, recé-u, conné-u.—Vitiosè, dit Théodore de Bèze, qui ne soupçonne pas que c'était archaïcè.
De jejunium, jé-une, avec diérèse, puis june, juner:
Il n'y a plus aujourd'hui que les Gascons qui prononcent hûreux, mais tout le monde continue à prononcer gageure par un u. Le peuple prononce encore par u simple les noms propres Eugène, Eustache. Les Picards prononcent toujours par u les finales écrites eu. Après ce qui vient d'être exposé sur ces deux notations ui et eu, on comprendra que des poëtes, plus soigneux d'être exacts à l'oreille qu'à la vue, aient fait rimer lieu et nului.
Aloul parcourt sa maison, cherchant s'il n'y a pas quelque amant caché, à qui sa femme ait donné rendez-vous:
Prononcez nulu et liu.
§ II.
NOTATIONS DIVERSES DU SON EU.
On ne répétera pas ici ce qui a été dit, page 54, sur el exprimant le son eu.
Nos pères reconnurent dès l'origine que le son eu n'est qu'un affaiblissement du son plein de l'u (ou). Pour amoindrir ce son, ils attachèrent à l'u un e, en cette manière, ue.
—«Quel chose est li homes ke tu l'magnefies, ou por koi mes tu ton cuer a luy?» (Saint Bernard, p. 526.)—«Queu chose est l'homme que tu le magnifies, ou pourquoi mets-tu en lui ton cœur?»—«Il les cuers daignet enlumineir par sa niant visible poixance.» (Ibid., 528.)—«Il daigne illuminer les cœurs par son invisible puissance.»
L'archevêque Turpin montait un cheval qui avait la queue blanche et la crinière jaune:
Le IIIe livre des Rois, chapitre VII, dit que l'on voyait dans le temple de Salomon douze bœufs, dont les queues étaient tournées toutes ensemble:
—«… Duzes bues… e les cues tutes ensemble une part turnerent.» (P. 524.)
Le héros Bueves d'Antone est Beuve d'Antone.
SUER, DUEL, que Fallot discute gravement comme des formes de dialectes, sont tout simplement sœur et deuil, et dans le langage ne se confondaient pas plus qu'aujourd'hui avec l'infinitif suer (sudare) et duel (duellum.)
IL PEUT s'écrivait il puet;—il esteut, il prend fantaisie, il convient, il estuet;—Eudes, nom propre, Uede ou Huedes, etc.
On rencontre très-fréquemment aussi une notation du son eu qui paraît empruntée aux Allemands; c'est par o e séparés, ou réunis comme dans le nom de Gœthe.
EUDES, dans Auberi le Bourguignon, est écrit partout Hœdes:
Le livre des Métiers, chapitre XI, prescrit aux armuriers d'employer de la toile noeve, et de garnir intérieurement les jambières d'escroes. En Picardie, on appelle encore des chaussons en lisières de drap des écreux.
JOENE, JOENESSE, c'est jeune, jeunesse. Le bourgeois dont il est parlé dans le fabliau d'Auberée était riche:
[50] Mit à exil, c'est-à-dire, dépensa.
Le clerc du fabliau de Gombers cherche à tâtons le lit de la fille de son hôte; et l'ayant trouvé,
Ce passage atteste que les deux formes de notation u, œ, ont été contemporaines.
En voici une autre preuve tirée de Rutebeuf, qui florissait sous saint Louis.
Le poëte s'élève contre la perversité du siècle, contre les envieux et les médisants hypocrites. Personne, dit-il, ne leur échappe!
Nous écrivons encore sans u œil et œillet. Cœur, sœur, œuvre, présentent la fusion des deux méthodes.
§ III.
ACCENTS VICIEUX CHEZ LES MODERNES.
Le système que nous venons d'exposer, par lequel on notait l'accent à l'intérieur du mot, tantôt au moyen des consonnes, tantôt au moyen des voyelles, offrait, ce me semble, des avantages de précision et de délicatesse que n'ont pas nos accents modernes. Nous n'avons aujourd'hui qu'un seul é fermé; nos pères en connaissaient trois ou quatre nuances: veritet; pitie; maufez; rocher; espee. Voyez que de manières d'indiquer l'accent aigu! Est-il probable que cet accent, sous ces formes diverses, fût partout absolument le même?
En outre, un accent est bien vite omis ou ajouté hors de propos. Il s'absente ou se fixe; l'habitude se prend, et voilà un mot défiguré. C'est ainsi que l'Académie écrit dorénavant, qui est pour d'ore-en-avant, comme si les racines étaient doré-navant.
Que le premier venu prononce débonnaire avec un accent aigu, on n'y prend pas garde; il ne fait pas autorité. Mais on s'afflige de voir l'Académie consacrer cette faute, et écrire débonnaire, comme si elle ignorait le vrai sens et l'étymologie de ce mot. C'est une métaphore empruntée, comme tant d'autres, à cet art de la vénerie, dont nos pères faisaient leurs délices. Il est de bonne aire, il est issu d'un bon nid, de bonne extraction.
Roland voyant étendu par terre le cadavre de Turpin, lui adresse quelques mots d'oraison funèbre:
De pute aire, que nous avons laissé perdre, exprimait le sens opposé:
Le système d'orthographe de nos pères était plus favorable que le nôtre au maintien de l'étymologie et de la prononciation. Nos mots, amaigris de jour en jour, compromettent l'une et l'autre.
Cependant ce système n'était pas sans quelque inconvénient. J'y ai trouvé celui de faire servir quelquefois la même notation à deux usages, et de confondre dans un cas donné l'adjectif féminin avec un masculin. Par exemple, lie, de lætus, sonnait également lé et lie, comme aujourd'hui. Le fait paraît incontestable. Dans cette même Court de Paradis, où j'ai puisé des exemples de lie sonnant lé, lie rime à la vierge Marie, et à blesmie (blâmée):
Peut-être sont-ce là des licences pour la rime, car ailleurs on lit liee et lee. Mais dans tous les cas, je ne doute point que ces groupes de voyelles destinées d'abord uniquement à modifier l'inflexion et au rôle de l'accent moderne, n'aient amené la multiplication des diphthongues. Oi a sonné d'abord par diérèse o-i, puis o ouvert, puis oué, puis enfin oi, comme dans poix, François. Ainsi des autres.
De leur côté, les modernes, complétement étrangers aux conventions de l'ancienne orthographe, défigurent le langage de nos pères, en saupoudrant d'accents arbitraires les textes qu'ils publient. C'est une véritable manie, et je ne vois point d'éditeur qui ait eu la sagesse de s'en garantir, et de se borner à reproduire les manuscrits. Je plains ceux qui travailleront un jour sur des textes si étrangement falsifiés. Ils devront croire que des œufs, des bœufs, se sont appelés autrefois des oés, des boés ou des boès; ils sueront à deviner comment de huèses (des bottes) on a pu faire le diminutif houseaux, de enfant, enfès; comment on a pu dire pour neuve et deux, noès, doès; pour des queues (cues), des cuès. Un ancien poëte, dont le nom est assez connu pour avoir été un des plus répétés dans ces derniers temps, s'appelait Adam ou Adanes, qui s'écrit, suivant l'orthographe du moyen âge, Adenes par un e, comme Caen, Rouen, Agen, etc… On a transformé cet Adanes en une espèce d'espagnol du beau nom d'Adenès. Si Adanes revenait au monde, il entendrait longtemps parler d'Adenès avant de soupçonner que c'est de lui qu'il s'agit.
J'ouvre le livre des Mestiers d'Estienne Boileve, et je lis au chapitre des Mesureus de blé:
«Nus mesurères ne puet…—Ailleurs: Li vendères…—Nus garnisères ne puet…—Cil qui est tannères, se il est tannnères decaupères…—Viès, vièses, etc., etc.» Évidemment il faut lire: Nus mesureux,—li vendeux,—nus garniseux,—cil qui est tanneux, se il est tanneux décaupeures;—vieux, vieuses, etc.
Au chapitre des Oubliers, il est dit que nul ne pourra être admis dans ce corps, s'il ne fait au moins «un mil de nièles le jour.» Il ne s'agit pas de nièles, mais de nieules.
On disait nieules comme on disait saint Gabrieus et saint Andrieu:
L'éditeur de Garin imprime partout né pour ne, sé pour se:
«Il n'y eut jamais d'eau sinon qu'elle tombât du ciel.»
Il aurait pu prendre une utile leçon de Thomas Diafoirus, qui en son compliment ne dit pas: Né plus né moins que la fleur que les anciens nommaient héliotrope… mais: ne plus ne moins.
Comment faire élider ne et se, si on leur donne l'é accentué?
La considération de cet é accentué n'a pas arrêté non plus l'éditeur d'Ogier, qui écrit partout l'enfès:
L'e muet à l'hémistiche ne comptait pas; mais l'é accentué y met deux syllabes de trop. Enfes peut à la rigueur passer pour monosyllabe, mais enfesse, non. Cette faute revient à chaque instant.
§ IV.
OU, EU, SE REMPLAÇANT.
Eu n'étant qu'une modification de ou (U), il n'est pas surprenant que ces deux syllabes se substituassent volontiers l'une à l'autre. L'analogie explique et autorise cette substitution. Il semble même qu'elle ait été de règle en certains cas, et que, dans les verbes ayant à l'infinitif ou, cet ou se changeât régulièrement en eu à l'indicatif; en voici des exemples:
Mouvoir,—je meus.
Plorer ou plourer,—je pleure.
Pouvoir,—je peux.
Trouver,—je treuve.
Mourir,—je meurs.
Ouvrir,—j'œuvre, et le substantif œuvre.
Couvrir,—je cœuvre.
Se douloir,—je me deuls.
Prouver,—je preuve, et le substantif preuve.
Estevoir,—il esteut (il convient).
Savourer,—je saveure.
Demourer,—je demeure.
Secourir,—je sequeure.
Les commentateurs se trompent, qui, rencontrant dans la Fontaine ou dans Molière je treuve, nous expliquent que le poëte a altéré le mot par licence et pour le besoin de sa rime. La Fontaine et Molière ont pu se servir d'un archaïsme; cela leur arrive souvent, mais ils n'ont jamais estropié les mots.
Le mot paour est devenu peur; troubadour ou trouvadour est devenu trouveur, qu'on écrivait trouvere (le premier e muet). Le verbe houser (botter) a fait le substantif heuse: Robert courte-heuse; et nous avons encore le diminutif houseaux:
Par métaphore, pour dire qu'il y périt, y laissa sa vie, comme on laisse ses bottes ou bottines au fond d'un bourbier.
Fallot avait fait cette remarque avant moi, et voici la règle qu'il pose.—«C'est une règle invariable dans notre langue, que toutes les fois qu'elle dérive un mot du latin, et que dans ce mot il y a un o, elle change cet o en ou, ou en eu: color, dolor, soror, couleur, douleur, sœur.» (Recherches, p. 447.)
Il eût dit plus exactement que cet o s'est changé d'abord en ou, qui est devenu eu par la suite. Flos, flur, flour, fleur; dolor, dulur, doulour (qui subsiste en douloureux), douleur, etc.
Au XVIe siècle, les poëtes se permettaient même dans les noms propres de mettre indifféremment eu pour ou. Nicolas Denisot (le comte d'Alsinois) dans le Tombeau de la reine de Navarre adressé aux trois miss Seymour: