Essais de Montaigne (self-édition) - Volume IV
10, Insolents.—Tout ce passage depuis: «Et quant aux philosophes...» est traduit du Théétète de Platon. Le Clerc.
27, Iouet.—Archimède qui, par ses inventions, tint en échec, pendant trois ans, 214 à 212, les Romains assiégeant Syracuse. Plutarque, Marcellus, 6.
35, Armées.—Diogène Laerce, VI, 92.
36, Frere.—Il faut entendre ici, non la royauté proprement dite, mais une charge particulière qui en portait le nom à Éphèse, comme chez les Athéniens, et les Romains après qu’ils eurent renoncé au gouvernement monarchique. Payen.
38, Compagnie.—Diogène Laerce, IX, 6.
2, Offrirent.—Diogène Laerce, VIII, 63.—Les éd. ant. continuent: Vn d’entre eux, Thales.
6, Trafique.—Il prit à ferme tous les pressoirs à huile autour de Milet, dans la prévision d’une bonne récolte et alors que les oliviers étaient encore en fleurs; la récolte fut excellente, et, de sa spéculation, Thalès retira un bénéfice considérable. Diogène Laerce, I, 26.
16, Vienne.—Add. des éd. ant.: à nos maistres d’école.
17, Sciences.—Ce mot «sciences», qui se retrouve fréquemment dans Montaigne, signifie chez lui les connaissances philosophiques et littéraires, ou lettres, dont on s’occupait à peu près exclusivement à son époque, et nullement les sciences dans la signification actuelle de ce mot, dont le domaine est devenu si vaste, par suite des découvertes et de leurs applications faites depuis un siècle et demi. La distinction entre lettres et sciences, si nette aujourd’hui, n’existait pas alors; les lettres étaient tout, les sciences à peu près rien.
23, Homme.—Passage imité de Sénèque, Epist. 88.
29, Plus sçauant.—«Une tête bien faite vaut mieux qu’une tête bien pleine.»
1, Vent.—«Nous ne pensons pas; mais écrivons de point en point ce que les autres ont pensé.» Voltaire.
13, Ietter.—Jusqu’au VIIIe siècle, on faisait souvent usage de jects ou jetons pour compter; et même jecter ou jetter se disait pour calculer.
18, Chalemie.—C’est à proprement parler une flûte de pâtre, faite de paille, de chalumeau de blé; il signifie ici une de ces chansons chantées par les pâtres au son du chalumeau.
19, Qu’em.—Montaigne traduit ce proverbe, après l’avoir cité.
20, Sommes là.—Un proverbe cité dans le dictionnaire de Leroux, disait pareillement: «Il n’y a qu’à siffler et remuer les doigts», pour exprimer d’une chose qu’elle est facile à faire.
23, Perroquet.—Lord Chesterfield (1694 à 1779) avait bien senti le vice de cette instruction que lui-même avait reçue à l’université de Cambridge, et qui à ce moment n’avait fait de lui qu’un petit pédant, vain et superficiel; et dans ses Lettres à son fils, il en dépeignait ainsi le résultat: «Quand je voulais bien parler, je copiais Horace; quand je voulais faire le plaisant, Martial; et pour paraître homme du monde, je copiais Ovide.»
31, Gens.—Cet original s’appelait Calvitius Sabinus et vivait au temps de Sénèque qui rapporte le fait, Epist. 27.—Chacun des esclaves en question lui avait coûté 400.000 sesterces, soit 80.000 fr. (il s’agit ici du petit sesterce qui valait 0 fr. 20, tandis que la valeur du grand sesterce était de 0 fr. 80), il en avait neuf; il ne les avait pas trouvés tout faits, il lui avait fallu les commander.—Ce prix de 400.000 sesterces pour un esclave a parfois été dépassé; Pline, VII, 39, cite Daphnus, grammairien, qui fut payé 700.000 sesterces (140.000 fr.), et Pœson, eunuque de Sylla, qui atteignit 50.000.000 de sesterces (10.000.000 de fr.), mais, pour ce dernier, la passion s’en mêlait.
37, Nous.—Add. des éd. ant.: de mesmes.
5, Soy.—Comparaison tirée de Plutarque, Comment il faut ouïr, à la fin.
8, Capitaine.—Add. des éd. ant.: et si aduisé sans l’essay et.
9, Mode.—Quand il fut envoyé pour combattre Mithridate, 73, dit Cicéron, Acad., II, 1, Lucullus passa tout le temps de la route et de la traversée, soit à s’enquérir auprès de gens experts en l’art de la guerre, soit à lire les comptes rendus de faits y afférents; si bien qu’il arriva en Asie, général consommé, que la victoire couronna, alors qu’il était parti de Rome ignorant les premiers rudiments de cet art.—L’empereur Julien, alors César, se révéla lui aussi, à son arrivée en Gaule (355), tout d’un coup grand capitaine.—L’eunuque Narsès (552) se montra de même habile général, sans jamais avoir été militaire auparavant.—Il est certain que le génie de la guerre et la science militaire sont distincts l’un de l’autre. Le génie est inné, se rencontre rarement, et pour se produire a besoin que les événements s’y prêtent; en dehors d’une disposition d’esprit toute spéciale, il comporte un ensemble de facultés portées à un haut degré: du caractère, un grand bon sens, de la volonté, de l’initiative, de la décision, de l’audace, de la prudence, du sang-froid, du coup d’œil, une grande activité physique, une santé robuste, le mépris de la vie humaine, une connaissance approfondie des hommes et des choses. La science en est le complément, mais elle, elle s’acquiert voire même assez facilement, et celui chez lequel le génie existe a tôt fait de se l’assimiler. A défaut de génie, mais unie à l’expérience, ce qui est le cas le plus ordinaire, la science n’est pas sans conduire à des résultats souvent considérables; seulement rarement alors elle en arrive à tirer aussi complètement parti que le génie des circonstances imprévues si fréquentes à la guerre et à triompher quand même dans les cas difficiles.
17, Σοφός.—Dans les éditions antérieures, Montaigne faisait suivre cette citation de sa traduction que nous donnons d’après lui: Je haï, dict-il, le sage qui n’est pas sage pour soy-mesmes.
19, Quiret.—Les mots: «Ex quo Ennius» qui, dans les Essais, sont détachés de la citation qui les suit, en font partie dans le texte de Cicéron.
23, Dionysius.—Les sages réflexions attribuées ici à un Denys quelconque, sont de Diogène le Cynique, comme on peut le voir dans la vie de ce philosophe écrite par Diogène Laërce, VI.
28, Cher.—J’aimerais autant.
35, Grossir.—Voltaire, dans le conte de la Bégueule, dit pareillement en parlant de l’orgueil:
41, Peine.—Platon, Protagoras.—Parmi ces disciples, Protagoras comptait Evathlus, qui s’était engagé à lui solder le prix de ses leçons, lorsqu’il aurait gagné sa première cause; le moment venu, il déclara n’avoir rien à payer, et sur la menace d’être cité en justice, dit à son maître: «Allons, si les juges se prononcent pour moi, d’après la sentence, je ne devrai rien; si c’est toi qui l’emportes, ayant perdu, je ne devrai pas davantage, du fait même du pacte que nous avons conclu.» A quoi le maître répondit: «S’ils se prononcent pour moi, tu devras me payer selon la sentence; si tu l’emportes, ayant gagné, tu le devras pareillement, aux termes mêmes de notre convention.» Maître et disciple étaient aussi retors et fripons l’un que l’autre. V. N. III, 344: Protagoras.
41, Chouez.—Frustrés, déchus de leurs espérances.—De chouer, qui n’est plus d’usage, est venu échouer.
16, Galimatias.—Mélange confus de paroles et d’idées incohérentes que l’on ne saurait comprendre, quoiqu’elles semblent signifier quelque chose.—Vient des mots latins galli et Mathias que prononça, s’embrouillant, au lieu de dire gallus Mathiæ, l’avocat d’une cause où il s’agissait d’un coq appartenant à un Mathias.
20, Robbe.—Nicole a dit que la pédanterie est un vice de l’esprit et non de la robe.—On naît pédant, même sur les marches d’un trône. Joachim du Bellay, dans un sonnet, dit que pédant ou roi se touchent de près, que l’un et l’autre régentent et ont état et sujets, et termine en disant de Denys le Jeune:
26, Creux.—C’est le cas des intellectuels de nos jours chez lesquels, comme chez le pédant de Montaigne que La Fontaine a aussi connu et stigmatisé, l’instruction et le jugement vont rarement de pair, et qui, mécontents de la société où la place qu’ils occupent, pour si honorable qu’elle soit bien que modeste, ne leur semble pas en rapport avec le mérite qu’ils s’attribuent; et partant de là, ils se font en France, à la remorque des socialistes, les apôtres de l’internationalisme et de l’antimilitarisme et s’appliquent à renverser l’état social actuel, en sapant chez la jeunesse confiée à leurs soins la religion et l’armée qui en constituent les bases essentielles, s’y adonnant avec une ardeur qui n’a d’égale que celle que leurs congénères de l’Allemagne ont, en sens inverse, apportée à son relèvement après Iéna et Wagram. Ceux-ci ont abouti aux succès de 1815 et à ceux plus éclatants encore de 1870-71; à quels nouveaux désastres ceux-là, qui ont déjà à leur actif la Commune et, ce qui nous a fait plus de mal encore, les troubles démoralisateurs dont l’affaire Dreyfus a été le prétexte, ne nous exposent-ils pas dans leur aveuglement et malgré leur infime minorité, secondés qu’ils sont, il faut bien le reconnaître, par l’inertie non moins regrettable de tous les autres que le patriotisme et les leçons de l’expérience devraient rendre plus clairvoyants!
32, Courtisane.—A la manière des courtisans, des gens qui fréquentent la cour.
33, Trauers.—C’est à peu près la même idée qu’exprime Molière dans ce passage des Femmes savantes:
36, De son.—Add. des éd. ant.: gibier et de son.
5, Titan.—Prométhée, l’un des Titans (branche collatérale de celle dont était issu Jupiter, avec lequel les Titans, étant entrés en lutte, furent frappés de la foudre et précipités du ciel). Ayant formé l’homme du limon de la terre, et l’ayant animé avec le feu du ciel dérobé à cet effet, Prométhée fut en punition, par ordre de Jupiter, lié sur le Caucase, où continuellement un vautour lui déchirait le foie sans cesse renaissant, supplice dont le délivra Hercule. Mythologie.
8, Mieux.—Add. des éd. ant.: et qu’elle nous amende, ou elle est vaine et inutile.
9, Officiers.—On désignait sous ce nom, d’une façon générale, tous ceux qui étaient pourvus de charges publiques ou offices; il est question ici des officiers de justice: conseillers au parlement, au Châtelet, etc.
19, Est.—Traduction de la citation qui précède.—Molière, dans les Femmes savantes, exprime la même idée, mais en l’accentuant: «Un sot savant est sot plus qu’un sot ignorant.»—«On est quelquefois sot avec de l’esprit, a dit un autre, jamais avec du jugement.»
28, Femmes.—«La science des femmes, comme celle des hommes, doit se borner à s’instruire par rapport à leurs fonctions; la différence de leurs emplois doit faire celle de leurs études.» (Fénelon).
Les temps ont bien changé; et au nom de l’égalité, la femme moderne réclame aujourd’hui même instruction que l’homme et l’admission à des fonctions que jusqu’ici il était seul à remplir. C’est là quand même une erreur; la mentalité de l’homme et celle de la femme ne sont pas identiques, même lorsque celle-ci est très instruite. Ils peuvent avoir des intérêts communs, des sentiments communs, ils ne sont pas impressionnés de la même façon par les mêmes choses, n’ont pas des enchaînements de pensées semblables, leur logique diffère. En dehors de cette raison, déjà suffisante à elle seule, les malaises fréquents de la femme, les troubles de santé qu’elle éprouve périodiquement, les devoirs de la maternité, les soins qui lui incombent dans l’intérieur de la famille, dont à la vérité beaucoup s’affranchissent, doivent de par la nature elle-même les faire exclure de toutes les occupations physiques ou intellectuelles susceptibles de les accaparer tout entières à un moment donné, telles les professions d’avocat, de médecin, etc.—Quant à la revendication de leurs droits politiques, elle est plus justifiée; du reste ce n’est pas chose nouvelle et, dit-on, en 1793 Condorcet avait été chargé par la Convention d’élaborer un projet de constitution admettant le vote des femmes. Il ne serait cependant pas sans inconvénient, et ce pour les mêmes causes, qu’elles exerçassent elles-mêmes ces droits; et il semble qu’il en serait suffisamment tenu compte, en attribuant dans ces questions double vote au mari ou au père de famille.
Sur un autre terrain, leurs revendications sont plus sérieuses et méritent considération. Elles demandent:
Que la femme mariée demeure propriétaire de son salaire et que l’évaluation du travail ménager lui donne un droit de pourcentage sur le salaire du mari. L’homme se fait si souvent la part du lion et si souvent néglige de pourvoir aux besoins de la famille, qu’il n’y a là rien qui étonne.
Qu’à travail égal masculin ou féminin, le salaire soit égal; ce n’est que justice, surtout quand on constate que la majorité des métiers féminins ne rapporte en moyenne que la somme dérisoire de 1 fr. 25 par jour.
Que le travail à domicile soit réglementé: ce travail en effet, par voie de concurrence, préjudicie à l’extrême aux intérêts de toutes, de celles qui le pratiquent tout comme à ceux de celles qui travaillent au dehors, par l’exploitation éhontée dont il est l’objet. Sait-on que la confection de chemises d’homme arrive à n’être payée que 0 fr. 90 à 1 fr. la douzaine; celle d’un pantalon d’homme 0,25, etc., et encore faut-il que l’ouvrière fournisse fil, aiguille, machine à coudre! Des vachères travaillant la journée entière à coudre des gants, en gardant leur troupeau, gagnent 0 fr. 40 par jour; des femmes de pêcheurs, en Bretagne, la passant à faire des broderies, n’arrivent qu’à trois francs par semaine. Dans ces abus, rentre le travail de certaines communautés subventionnées d’autre part, dans des conditions qui ne leur laissent pour ainsi dire aucunes charges auxquelles elles aient à pourvoir, et peuvent produire à des prix dérisoires. Question compliquée, mais qui vaut la peine d’être étudiée, si difficile qu’il paraisse d’espérer une solution satisfaisante.
Et si des faits nous remontons aux causes et que nous recherchions pourquoi ce qui jadis a été à l’état d’exception a tendance à devenir aujourd’hui de pratique courante, cela tient au bouleversement de la société et à ce que chacun recherche de plus en plus le confort et sacrifie au luxe. Pour satisfaire à ces appétits, le gain de l’homme devient insuffisant aux besoins du ménage et la femme est conduite à chercher du travail qui ajoute au salaire du père de famille; tandis que, d’autre part, chez l’homme, beaucoup par veulerie, en quête de besognes faciles, envahissent les métiers de la femme, se font couturiers, modistes, fleuristes, etc., obligeant celle-ci à se tourner vers ceux qu’ils abandonnent et à se faire avocat, médecin, employé d’administration, cocher, manœuvre, etc.
34, Mary.—Cette réponse se retrouve également dans les Femmes savantes de Molière:
3, Pedantisme.—Signifie ici pédagogie.
6, Iadis.—Science et sagesse se confondaient, l’un menait à l’autre. Charles V, dit le Sage, roi de France, dut à son savoir (sage dit pour savant) cette appellation que de nos jours nous sommes portés à attribuer à la sagesse, pourtant si remarquable, avec laquelle il gouverna, tant pendant la captivité de son père que durant son propre règne.
7, Desunt.—J.-J. Rousseau, dans son Discours sur les lettres, traduit ainsi cette phrase de Sénèque: «Depuis que les savants ont commencé à paraître parmi nous, les gens de bien se sont éclipsés».
11, Ceux.—A l’exception de ceux.
13, Science.—Idée qui, ainsi généralisée, n’est pas juste et que l’on s’étonne de rencontrer chez Montaigne: il y revient parfois (I, 234); par contre, il l’infirme dans différents passages (I, 248) et particulièrement au ch. XLII de ce même premier livre.
32, Chaussetier.—On montrait à un savant anglais les fabriques de drap de Norwich; les ouvriers y étaient tout déguenillés; on lui disait: «Voici les draps pour le Nord, ceux pour l’Allemagne, pour l’Italie, pour l’Amérique.»—«Fort bien, dit-il, mais je ne vois pas où sont les draps pour les ouvriers de Norwich!»
35, Suffisant.—Capable. Les mots suffisance, suffisant, sont toujours employés, dans les Essais, dans le sens de capacité, capable, et en bonne part, à l’exclusion de toute idée de vanité, de présomption qu’ils comportent parfois aujourd’hui.
4, Dit.—Dans le premier Alcibiade.
25, Dire.—Donner la raison du parti qu’ils prenaient.
26, Xénophon.—Cyropédie, I, 3.
1, Τύπτω.—Je frappe. Ce verbe est, dans la plupart des grammaires grecques, donné pour modèle des verbes de la première conjugaison.
4, Ils.—Les Lacédémoniens, dont il est question avant cette histoire incidente de Cyrus, qui interrompt le sens général de ce passage.
14, Respondit-il.—Plutarque, Apophth. des Lacédémoniens.—J.-J. Rousseau s’est approprié ce mot dans son Discours sur les lettres: «Que faut-il donc qu’ils apprennent? Voilà, certes, une belle question! Qu’ils apprennent ce qu’ils doivent faire étant hommes.»
15, Admirables.—C’est en cela que l’on a pu dire que c’était le maître d’école qui, en Prusse, avait fait Sadowa, et plus tard les succès de 1870-71. Mais cette métaphore, répétée à satiété en France, après nos revers, y a été interprétée de singulière façon.—Au lieu de voir là un résultat dû au sentiment patriotique insufflé à l’enfant, dès le bas âge, par ces humbles éducateurs de la jeunesse, obéissant, en vue du relèvement, à un mot d’ordre venu à la suite de l’effondrement de la monarchie prussienne au commencement du siècle dernier, et se poursuivant sans trêve chez l’homme après s’être exercé sur l’enfant, grâce à un ensemble d’institutions concourant à leur inspirer par-dessus tout la haine du Français auteur de ces désastres, nous n’y avons vu que l’à-côté: l’instruction primaire plus répandue et donnée à un degré plus élevé.—Fatale erreur! elle a fait que tout en donnant à cette instruction une extension exagérée peut-être, mus par un état d’âme qui nous est particulier, nous inculquons à l’enfant, non des sentiments de patriotisme surchauffé comme en Allemagne, mais des idées de confraternité universelle qui en sont presque l’opposé, en même temps qu’une connaissance approfondie des droits de l’homme, mais sans insister simultanément sur ses devoirs, ce qui eût été logique et un palliatif des exagérations auxquelles peut aboutir la revendication des uns sans l’observance des autres; laissant en outre jeter le discrédit sur ces deux bases essentielles des sociétés, factices comme elles si on le veut, mais sans lesquelles elles ne sauraient avoir le calme et la sécurité: la religion qui prêche ces devoirs et l’armée qui en impose l’exécution, qui sont leurs sauvegardes tant à l’intérieur qu’à l’extérieur.—De là cette situation si troublée en laquelle nous vivons, en butte à des désordres intérieurs continus, à ces grèves sans cesse renaissantes, qui se produisent partout et en tout, solidaires les unes des autres et qui portent de si profondes atteintes à notre industrie et à notre commerce, tandis que, d’autre part, malgré les charges écrasantes de notre état militaire et la volonté de nos gouvernants d’éviter la guerre à tout prix, sans en avoir l’air, nous sommes constamment anxieux des faits et gestes de nos voisins qu’inquiète également notre attitude imprécise.
18, D’armée.—Le titre d’imperator était donné, à l’origine, aux seuls généraux victorieux.
29, Pays.—Plutarque, Apophth. des Lacédémoniens.—En 330, à la suite de la défaite qu’Antipater roi de Macédoine venait de leur infliger et dans laquelle avait péri Agis II, leur roi, après des prodiges de valeur.
33, Commander.—Plutarque, Agésilas, 7.
34, Hippias.—Platon, Hippias major.
12, Lettres.—Aujourd’hui et depuis des siècles, les Turcs constituent un des États les plus faibles d’Europe, où ils ne se maintiennent que parce que les autres ne veulent voir aucun d’entre eux se substituer à eux. Cette déchéance est due en grande partie à l’ignorance et à la stagnation en lesquelles ils sont demeurés alors que tout autour d’eux progressait. On ne saurait cependant nier chez eux une légère tendance à un relèvement auquel la femme, si paradoxal que cela paraisse, n’est pas étrangère. Celle-ci, en effet, dans les classes élevées, n’est pas l’être avili et annihilé qu’on ne cesse de se représenter, son influence dans l’intérieur des familles est moins effacée qu’on le suppose: dans certaines, elle reçoit de l’éducation; les productions littéraires de l’Occident pénètrent dans le harem et avec elles les idées modernes, et il n’est pas déraisonnable d’admettre qu’à la longue l’effet peut s’en faire sentir et une sorte de rénovation morale de la nation en résulter. Gal Niox.
16, Grece.—De 395 à 401, sous le commandement d’Alaric.
20, Oysiues.—Ph. Camerarius, Médit. hist., III, 51.—C’était aussi l’opinion des Goths du royaume d’Italie, si l’on en croit Procope, historien grec du VIe siècle: Le grand Théodoric (489 à 526) ne voulait pas, pour cette raison, que les Goths envoyassent leurs enfants aux écoles; on blâmait la reine Amalasonte de donner à son fils Attalaric une éducation trop littéraire, prétendant que cela l’amollissait.—Quant à moi, je suis sur ce point de l’avis de Montaigne, mais je tiens que ce n’est pas la seule cause d’amollissement d’un peuple; l’excès de bien-être pénétrant toutes les classes de la société en est une bien plus grande encore, d’autant plus débilitante que cette jouissance au delà du nécessaire est plus considérable et date depuis plus longtemps.
22, Toscane.—Cette conquête s’effectua en cinq mois (1495), c’était prompt à une époque où tous les bourgs étaient fortifiés et les moyens de les réduire bien moins puissants que de nos jours et où les armées vaincues se reformaient assez rapidement; elle se perdit du reste la même année avec la même rapidité, par suite de la coalition contre nous du Pape, des Princes d’Italie et de l’Espagne.
25, Guerriers.—Voir sur cette question assez controversée de l’influence des lettres, la Sagesse de Charron, III, et les célèbres paradoxes de J.-J. Rousseau.
CHAPITRE XXV.
Ce chapitre est numéroté XXVI dans les éd. ant. et l’ex. de Bordeaux.
1, Enfans.—Ce chapitre est un des plus intéressants des Essais. Montaigne y développe ses idées sur l’éducation des enfants, dont une grande partie se retrouve dans la République de Platon. Il en avait jeté les bases dans le chapitre précédent; c’est la source où sont venus s’inspirer Charron, J.-J. Rousseau et tant d’autres après eux, non sans prêter à la critique en raison des points importants que l’auteur s’est abstenu de traiter et du point de vue par trop particulier auquel il s’est placé.—«Il ne porte guère son attention, dit Margerie, que sur ce qui a pour objet de développer l’intelligence et de fortifier le corps. Mais l’enfant a aussi une âme à élever, un caractère à former; et cette éducation morale, importante au même degré que l’autre, est sans contredit plus délicate et plus difficile. A cet égard, Montaigne ne se préoccupe que des vertus faciles qui naissent et grandissent d’elles-mêmes et coûtent peu à acquérir et à pratiquer, mais les autres? Il ne dit mot, par exemple, du dévouement, non plus que des devoirs sociaux et politiques et pas davantage de la lutte contre les passions sensuelles qu’il dépeint cependant si bien.»—Déjà auparavant G. Guizot, après avoir relevé que la religion n’a point de place dans le système d’éducation de Montaigne, ajoutait: «Il est à observer que sa visée est très générale et le cas qu’il pose très particulier: il veut former un homme et ne parle que pour un jeune seigneur; malgré l’apparente étendue des idées, ce qu’il dit ne vient que de son éducation personnelle et ne va qu’à celle de son petit voisin du château de Gurson.»—La pédagogie de Montaigne est en effet éminemment aristocratique; il n’en est pas moins un précurseur en fait d’instruction. Devançant de plusieurs siècles la marche du progrès, en outre de la simultanéité de l’éducation morale et de l’éducation physique, il préconise de restreindre, dans les procédés d’instruction, le recours à la mémoire à laquelle on fait jouer un trop grand rôle au préjudice de la raison, de développer l’esprit d’initiative et de décision, de consacrer moins de temps à l’étude, et d’en donner davantage à celle des langues vivantes, toutes choses encore aujourd’hui presque à l’état de desiderata, en France tout au moins.
A la vérité aussi, ces principes ne sont pas émis en vue de l’instruction primaire parce qu’alors elle n’existait pour ainsi dire pas et que le besoin ne s’en faisait pas sentir; mais, étant donné son immense bon sens, il n’y a pas doute que s’il eût eu à en parler, il se fût élevé aussi contre la direction qui lui est donnée chez nous et dont les résultats sont si pernicieux en faisant naître, chez la plupart, des espérances qu’il ne sera pas donné au plus grand nombre de pouvoir réaliser. Son but devrait être uniquement de coopérer à ce que les enfants, les jeunes gens des classes dites laborieuses (dont malgré cette épithète le travail est bien loin d’être l’apanage exclusif et qui dans leur sphère, si l’envie ne s’en mêle, ont ici-bas autant de chances de bonheur que tous autres), deviennent, eux aussi, des êtres fortement trempés au physique et au moral, de les préparer aux réalités et aux devoirs de ce monde en les rendant propres à participer pleinement à la vie sociale et à satisfaire pour le mieux aux conditions du milieu où la Providence les a placés, tel Cincinnatus tiré à diverses reprises de sa charrue pour exercer la dictature et n’aspirant qu’à y retourner, sans éveiller ni encourager en eux le désir d’en sortir en croyant s’élever, grosse erreur, malheureusement si répandue et qui la plupart du temps fait leur malheur, sans que la société y ait bénéfice.
Pour ce faire, il faudrait ici encore s’adresser moins à la mémoire qui, à elle seule, ne conduit à rien de bon, qu’à la raison et à la réflexion; réduire au minimum l’instruction primaire proprement dite, les connaissances générales qu’elle comporte et le temps passé à les acquérir, sans cesser de maintenir le contact journalier de l’enfant d’abord, de l’adolescent ensuite avec la ferme, l’atelier, le magasin, l’usine et la participation à leurs travaux suivant la condition de chacun, et affirmant la pratique dans des cours techniques annexes, appropriés aux populations ambiantes, développant à la fois l’habileté professionnelle, l’initiative, et tenant au courant du progrès. En généralisant cette méthode, aujourd’hui limitée à quelques grands centres, en la mettant à portée du plus grand nombre, on augmentera les chances de prospérité de chacun et de tous et on réagira contre l’exode si fâcheux des campagnes sur les villes.
1, Gurson.—Diane de Foix, fille du comte de Candalle, avait épousé, en 1579, son cousin Louis de Foix, comte de Gurson, qui fut tué avec deux de ses frères, en 1586, au combat de Monterabeau, près de Nérac: quoique catholiques, ils suivaient le parti de Henri IV, dont ils étaient proches parents.
1, Françoise.
10, Mathematique.—On entendait par mathématiques toutes les sciences où interviennent les théories des nombres; elles comprenaient quatre parties: l’arithmétique, la géométrie, la musique et l’astronomie.
13, D’Aristote... moderne.—Var. des éd. ant.: de Platon ou d’Aristote.
15, Faict.—Add. des éd. ant.: ce n’est pas mon occupation.
23, Danaïdes.—Filles de Danaüs, roi d’Argos. Elles étaient au nombre de cinquante; contraintes d’épouser les cinquante fils du roi d’Égypte leur oncle, et ce mariage leur paraissant une impiété, elles les massacrèrent la nuit même de leurs noces. Pour ce crime, précipitées dans les Enfers, elles y furent condamnées à y remplir éternellement un tonneau sans fond. Myth.
3, Fiert.—Frappe, du latin ferit.—C’est une réminiscence de ce passage de Montaigne, qui permit à J.-J. Rousseau d’être l’heureux interprète de la devise de la maison de Solar: «Tel fiert qui ne tue pas». Le Clerc.
19, Voyre.—Disant que c’est vrai, que vraiment.—Voyre signifie quelquefois même; d’autres fois oui, ce qui est ici le cas. Il a le sens de même dans ces vers de La Fontaine:
Il signifie oui, dans ces deux vers de l’épitaphe de S. Innocent:
23, Descouuert.—Add. des éd. ant.: car autrement i’engendrerois des monstres: comme font.
36, Allégation.—Diogène Laerce, Chrysippe, VIII; Épicure, X.—Allégation signifie ici citation.
37, Passage.—C.-à-d. sur un de ces beaux passages des anciens, copiés par les écrivains indiscrets du siècle de Montaigne.
14, Franchise.—D’asile. Pris ici au figuré: endroits tels que les temples, les églises, les palais des ambassadeurs où il n’était pas permis de procéder à des arrestations.
23, Palot.—Palot était le nom que l’on donnait à la bêche; «tenir palot» d’après certains signifierait: avoir possibilité, ayant une bêche, de creuser un fossé, en signe de défi ou pour se défendre entre soi et quelqu’un, d’où lui tenir tête, aller de pair avec lui.
3, Dire.—C.-à-d.: «Je n’emploie, je ne cite les pensées des anciens que pour avoir plus d’occasions de produire mes propres pensées; bien différent en cela de ceux qui se couvrent des armes d’autrui, jusqu’à ne pas montrer seulement le bout de leurs doigts».—Ou encore: «Je n’emploie les idées des autres que pour rendre d’autant mieux les miennes», ainsi qu’on peut en juger en se reportant au ch. X du liv. II (I, 252), où il est dit: «car ie fay dire aux autres... ce que ie ne puis si bien dire par foiblesse de mon langage ou par foiblesse de mon sens».
3, Centons.—Mot venant du grec et signifiant à proprement parler un manteau fait de pièces d’étoffes rapportées, un habit d’Arlequin.—Le centon est une pièce en vers le plus généralement composée de vers entiers ou de passages pris de côté et d’autre dans un même auteur, comme les centons d’Ausone, composés de vers de Virgile, soit chez divers et disposés dans un ordre autre, ce qui donne à ces fragments un sens tout différent de celui qu’ils ont dans l’original. Quoi qu’en dise Montaigne, le style de ces sortes d’ouvrage est par trop plein d’expressions dures, impropres et énigmatiques; en français, il n’en existe guère qu’en prose et ce ne sont pour la plupart que des assemblages de proverbes, sans intérêt aucun.
7, Politiques.—Vaste compilation de Juste Lipse sur le droit et la politique, publiée en 1589 et qui, à l’époque, eut un grand retentissement. Cet ouvrage a en effet tous les caractères d’un centon, étant composé de sentences et de maximes tirées des historiens, poètes, philosophes, orateurs grecs et latins, auxquelles l’auteur n’a ajouté que le fil qui les unit, ce qui, joint au mérite de les avoir recueillies et présentées d’une façon intéressante, n’en dénote pas moins beaucoup d’érudition et de patience.—Montaigne se montre ici reconnaissant, car Juste Lipse, lui envoyant son livre, lui écrivait: «O tui similis mihi lector sit (Que ne sont-ils tous semblables à toi, mes lecteurs)!»
16, Autruy.—«Scienter nesciens et sapienter indoctus (savant dans son ignorance, simple dans sa sagesse)», a-t-on dit de Montaigne, lui appliquant ces paroles du pape Grégoire II à l’adresse de saint Benoît. Jamet.
25, Viendra.—Le mariage de Diane de Foix (V. N. I, 226: Gurson) avait été négocié par Montaigne; le premier-né de cette union fut en effet, en 1582, un fils, Frédéric de Foix, qui devint maréchal de camp et grand sénéchal de Guyenne.
25, Auez.—Add. des éd. ant.: de tout temps.
26, Seruitude.—Peut-être la terre de Montaigne qui, depuis qu’elle était dans la famille Eyquem, relevait de l’archevêque de Bordeaux, avait-elle, à une époque antérieure, relevé des comtés de Gurson, dont le château se trouvait à peu de distance, et dont était Diane de Foix dont il est ici question.
33, Difficulté.—C’est le langage que, dans Platon, Théagès, tient à Socrate un père qui, accompagné de son fils, vient le consulter pour savoir à qui en confier l’éducation.
3, Eux-mesmes.—C.-à-d. combien dans l’âge mûr ils ont été différents de ce qu’ils étaient dans leur enfance.
10, Pied.—Les éd. ant. port.: goust.
18, Basses.—Cette infériorité d’une partie de la race humaine, déjà mentionnée par Montaigne (N. I, 218: Science), si attentatoire à la doctrine de l’Évangile, est soutenue, dans toute son amplitude, par S. Thomas d’Aquin, dont l’ouvrage de Sebond, qui est analysé ici, est considéré comme résumant les opinions. «Quant aux laboureurs, dit saint Thomas, aux industriels et aux marchands, il est manifeste qu’il ne faut pas les considérer comme des citoyens, ni comme faisant partie eux-mêmes d’une société bien organisée... Ces hommes vils, en raison de leurs occupations abjectes, ne sauraient se livrer à la contemplation de la vérité et à la pratique des arts libéraux.»
4, Maison.—Enfant noble, de bonne famille.
4, Lettres.—Les éd. ant. ajoutent: et la discipline.
8, Réussir.—Est employé ici dans le sens de l’italien riuscire, aboutir, conclure, arriver à un résultat bon ou mauvais.
17, Montre.—Lui donner occasion de se montrer.—Terme de maquignonnage; c’était le lieu où l’on essayait les chevaux. Montaigne continue cette même figure quelques lignes plus loin: «Il est bon qu’il le fasse trotter deuant luy, pour iuger de son train.»
22, Eux.—Diogène Laerce, IV, 36.
8, Platon.—Par des interrogations; d’après la méthode suivie par Socrate dans les dialogues de Platon.
11, Cuire.—Add. de 88: «On ne cherche reputation que de science. Quand ils disent, c’est vn homme sçauant, il leur semble tout dire.»
24, Estamine.—Qu’il lui fasse tout examiner, analyser.—Expression proverbiale qui vient du tissu peu serré de crin, de soie ou de fil, appelé de ce nom, dont sont garnis les tamis servant à passer les matières pulvérisées, quand on veut en séparer les parties ténues d’avec les parties grossières.
28, Double.—Dans l’exemplaire de Bordeaux, Montaigne ajoutait: «Il n’y a que les fols, certains et resolus», addition qu’il a ensuite rayée.
34, Imboiue.—«Imboire» ne se trouve pas dans les dictionnaires, où figure seul «imbu» qui semble en être le participe passé.
2, Apres.—Cette pensée se retrouve dans La Bruyère: «Horace ou Despréaux l’ont dit avant vous.—Je le crois sur votre parole, mais je l’ai dit comme mien; ne puis-je pas parler après eux d’une chose vraie, dont d’autres encore parleront après moi?»
3, Espices.—Salaire des vacations de juges, d’expéditions judiciaires, etc. L’usage de qualifier de la sorte la rémunération officieuse de certains services rendus, était fort ancien et avait pour origine la rareté des épices et le cas qu’on en faisait, quand le commerce avec les Indes qui les produit, n’existait pas; on en offrait aux grands seigneurs et en général à ceux dont on avait à reconnaître ou se ménager les bons offices. Cette redevance, passée dans les mœurs, a été plus tard convertie en argent; elle n’est pas à confondre avec ce que nous appelons aujourd’hui épingles ou encore pots de vin qui sont des dons illicites, sollicités abusivement et consentis pour obtenir des passe-droits.
16, Epicharmus.—Dans les Stromates (mélanges) de Clément d’Alexandrie, II; et dans Plutarque, De la Sagacité des animaux.
17, Empennées.—Arrangées, préparées à l’instar des flèches que l’on garnit de plumes, ou des traits qu’on munissait d’ailerons, pour les empêcher de tourner sur eux-mêmes et faire qu’ils aient plus de portée et de justesse.
25, Sçauoir.—«L’érudition n’est pas la science, de même que les matériaux ne sont pas le bâtiment» (Proverbe turc).—Cette distinction a peu cours en France, même dans l’Université, d’où nos méthodes d’instruction encore si défectueuses.
33, Caprioles.—Du latin capra, chèvre; terme de danse qui désignait alors un rythme particulier. On dit maintenant, mais dans une acception un peu différente «cabrioles», du provençal cabra, signifiant également chèvre.
35, L’esbranler.—Add. des éd. ant.: «et mettre en besongne».
1, Luth.—Instrument à cordes des plus anciens, aujourd’hui disparu, avait quelque ressemblance avec une harpe de très petite dimension.
9, Botanda.—Le Panthéon qu’Agrippa fit construire à Rome, sous le règne d’Auguste; c’est le seul des temples de Rome antique qui soit conservé dans son intégrité.
10, Liuia.—Il y avait à Rome, au XVIe siècle, une femme remarquable par sa beauté et les grâces de son esprit; c’était Livia Colonna, fille de Marc-Antoine Colonna. Plusieurs poètes de l’époque l’ont célébrée et nous apprennent qu’elle avait pour adorateur tout le peuple romain. Un jour elle s’éloigna de Rome et des pluies diluviennes suivirent son départ; «les eaux qui menacèrent subitement d’inonder la ville éternelle, venaient, dit l’une de ces poésies, des larmes de ses amants». Avait-elle des caleçons d’une forme et d’une richesse exceptionnelles, c’est ce que les madrigaux écrits en son honneur nous laissent ignorer. Rostain.
12, Médaille.—Montaigne se moque ici quelque peu des antiquaires et même des érudits dont les longues et ennuyeuses dissertations n’ont souvent de but ni utile, ni instructif.
15, Enfance.—«Avant de voyager pour s’instruire, il faut, dit-on parfois, s’instruire pour voyager.» C’est bien dit, mais ce n’est pas absolument exact: On s’instruit en voyageant, l’enfant comme tous autres; seulement les voyages profitent bien plus à qui est instruit qu’à celui qui ne l’est pas.
27, Remede.—C.-à-d. pas moyen de faire autrement.
35, Compagnie.—C.-à-d. unie à un corps.
36, Leçon.—Dans mes lectures.
9, Geaule.—Geôle, prison; d’où vient geôlier; viendrait lui-même du latin gabiola, cage.
10, L’espreuue.—Nous en voyons tous les jours la preuve et quiconque... Ces lignes ont été écrites pendant les guerres civiles sous le règne de Henri III et à l’avènement de Henri IV.
23, Fables.—Est mis ici dans le sens de hâbleries, propos pleins de vantardise et d’exagération.
27, Contraster.—Blâmer, contredire, censurer.
9, Mestier.—Les procureurs et avocats, qui, trop souvent, par situation, poursuivent et défendent de parti pris, quelles que soient leurs convictions personnelles.
26, Reluisent.—Add. des éd. ant.: iusques.
27, Particulieres.—Quoique remplissant fidèlement ses devoirs de citoyen, de sujet et même de catholique, Montaigne, fidèle à ce principe, refusa constamment de s’attacher au service des rois par des obligations particulières contractées envers eux, non plus qu’à s’inféoder à l’un quelconque des partis qui, à cette époque, divisaient la France.
32, Ames.—Errare humanum est, perseverare diabolicum (Faire erreur est le fait de l’homme, s’y obstiner celui du démon)», dit un adage bien connu, dont la source ne l’est pas.
2, Suffisance.—Langage tout différent de celui tenu, I, 218.
4, Maluoisie.—Vin grec qui a pris son nom de Napoli di Malvasia (auj. Nauplie), ville du Péloponnèse.
22, Veut.—Add. de 80: et qui ne se propose autre fin que le plaisir; mais.
24, Platon.—Dans Hippias major.
25, Nostre.—Plutarque traduit en français par Amyot, dont la traduction des Hommes illustres avait paru en 1559, il y avait donc une douzaine d’années, et celle des Œuvres morales était en cours de publication, quand Montaigne écrivait son premier livre des Essais, 1574.
29, Là.—Annibal et Métellus étaient en présence près de Venouse (Italie méridionale). Une colline dont l’occupation importait aux deux partis était entre les deux camps; Annibal, arrivé premier, ne l’occupa pas et préféra y tendre une embuscade, persuadé que les Romains chercheraient à s’y établir. C’est ce qui arriva: Marcellus, consul, s’y porta avec son collègue pour en faire la reconnaissance, et y fut tué; son collègue mourut lui aussi, peu après, de ses blessures, 208; il n’était pas encore arrivé aux Romains de perdre leurs deux consuls dans un même combat. Plutarque dit de Marcellus, à cette occasion, qu’en se précipitant inconsidérément et sans nécessité dans le danger, il est mort, non en général d’armée, mais en enfant perdu ou en batteur d’estrade.
2, Besongne.—Henri IV partageait ce sentiment d’estime que Montaigne avait pour Plutarque: «Il me sourit toujours d’une fraîche nouveauté, écrivait-il à Marie de Médicis; c’est un ami; il m’a dit à l’oreille beaucoup de maximes excellentes pour ma conduite et pour le gouvernement de mes affaires.»
2, Mille.—Add. des éd. ant.: et mille.
6, Mot.—Dans son traité de la Mauvaise honte.
19, Faut.—Plutarque, Apophth. des Lacédémoniens.
25, Monde.—Cicéron, Tusc., V, 37; Plutarque, De l’Exil.—Socrate pouvait être internationaliste au point de vue philosophique, mais nul ne connut et ne pratiqua mieux ses devoirs envers sa patrie, n’en observa mieux les lois, ne la servit avec plus de dévouement à la guerre, V. N. III, 576: L’vn.
D’après ce même traité De l’Exil, de Plutarque, on a fait dire à Hercule:
28, Nous.—Montaigne émet ici une de ces idées au mirage enchanteur, mais qui tout en ayant fait fortune, ne sont que mirage.—Tous les hommes sont frères et ils devraient s’aimer en tant qu’hommes et non comme Suisses ou Anglais. Cette conception généreuse, déjà formulée longtemps avant notre ère, a été prônée depuis à maintes reprises; elle est la base de la religion chrétienne; Plutarque s’en est fait l’avocat; Mirabeau et après lui Bonald ont pronostiqué que l’Europe ne ferait qu’une famille; Ballanche comme avait fait Rousseau, et comme firent en des temps plus rapprochés de nous Lamennais, Lamartine, Émile de Girardin, et autres, ont soutenu la même doctrine, en même temps que Bossuet flétrissait la guerre qui fait périr tant d’innocents et que Pascal et Voltaire déclaraient un acte de démence inexcusable de tuer un homme parce qu’il demeure de l’autre côté de l’eau. Si séduisantes que soient ces espérances, si justifié que soit cet anathème, en attendant que ces utopies actuelles deviennent dans l’avenir des réalités, il faut être de son époque et ne pas devenir dupe et victime par trop de simplicité, c’est pourquoi, en attendant d’être mis au rang des bienfaiteurs de l’humanité, ceux qui prêchent à la France le désarmement, taxent le patriotisme d’imbécillité, s’appliquant à détruire en elle les sentiments et les institutions dont l’existence est nécessaire pour assurer son indépendance, sont des individus coupables au premier chef, alors même qu’ils seraient sincères, et dangereux au même titre que ceux qui sapent les idées religieuses non moins indispensables à l’humanité pour lui faire prendre en patience les misères de la vie, que n’est une armée forte et disciplinée pour la sauvegarde du territoire; tant qu’il y aura des loups, il faudra des chiens de garde, et des médecins tant qu’il y aura des malades.
31, Cannibales.—La pépie est une membrane cornée qui croît dans le bec des oiseaux, en particulier des poules, et les empêche de manger et de boire. Le curé de Montaigne s’imagine que parce qu’il est survenu un accident dans son village, le monde entier va s’en ressentir; et que parce que les vignes y ont été gelées, que le vin fera défaut, les Cannibales qui habitent une autre partie du globe et auxquels il est inconnu souffriront quand même de la soif.
34, Galler.—Se réjouir; de ce mot viennent gala, régaler.
23, Argoulets.—Archers à cheval, puis arquebusiers à cheval, qui devinrent plus tard les dragons. Au temps de Montaigne, était le nom générique du soldat de peu d’importance, dont on ne faisait pas cas, probablement parce que tirant à cheval, leurs coups n’étaient pas fort à redouter, et que, comme cavaliers, ils étaient empêchés par leur arme à feu.
23, Pouillier.—Expression bourguignonne: poulailler, bicoque, et par extension, mauvaise place de guerre non défendable.
39, Pythagoras.—Cicéron, Tusc., V, 3.—J.-J. Rousseau, dans l’Émile, IV, paraît avoir transcrit ce passage d’après les Essais.
39, Retire.—Ressemble; retirer à quelqu’un c’est lui ressembler; de là l’expression «tirer un portrait», qui se dit parfois pour «faire un portrait».
2, Physique.—Les éd. ant. port.: Musique.
3, Desja.—Add. des éd. ant.: le goust.
13, Elles.—On a déjà vu que Montaigne emploie le mot «art» au féminin; mais ici c’est assez surprenant, ayant dit à la ligne précédente les «arts libéraux».—La pensée est de Sénèque, Epist. 88.
23, Vtilité.—Aux sciences qui sont d’utilité.—Diogène Laerce, Socrate, II, 21, dit «:Socrate fut le premier philosophe qui fit porter ses études relatives à la conduite dans la vie et aux mœurs, sur ce qui est bien et ce qui est mal.»
30, Aqua.—Les Poissons, le Lion, le Capricorne sont trois des constellations du Zodiaque, zone idéale de la sphère céleste dont l’écliptique, plan dans lequel le soleil se meut, occupe le milieu. Chacune des constellations du Zodiaque, au nombre de douze, correspond à peu près à un mois de l’année durant lequel le Soleil semble s’y mouvoir d’un mouvement continu, ce sont: la Vierge (septembre), la Balance (octobre), le Scorpion (novembre), le Sagittaire (décembre), le Capricorne (janvier), le Verseau (février), les Poissons (mars), le Bélier (avril), le Taureau (mai), les Gémeaux (juin), le Cancer (juillet) et le Lion (août).
35, Βοώτεω.—Les Pléiades et le Bouvier sont des constellations de l’hémisphère boréal.
36, Pythagoras.—Diogène Laerce, II, 4.
5, Deuis.—En forme de conversation. Devis n’est plus en usage dans ce sens, mais on le retrouve dans le mot deviser qui se dit en style familier.
11, Pour.—Add. des éd. ant.: apres sa mode.
12, Leçon.—Add. des éd. ant.: qui est la philosophie.
14, Gaza.—Auteur d’une grammaire grecque, un peu obscure, pour les commençants.
27, Grammairien.—Plutarque, Des oracles qui ont cessé, 5.—Démétrius revenait d’Angleterre; son observation n’avait rien de critique, c’était une simple entrée en matière, à la suite de laquelle il se fit admettre à prendre part à la conversation.
32, Βάλλω.—Je jette, je lance; fait au futur Βαλῶ, avec un seul λ.
34, Βέλτιστον.—C.-à-d. qui perdent leur temps à chercher d’où peuvent dériver ces comparatifs et superlatifs (comparatifs et superlatifs des adjectifs χείρευς, mal, et ἀγαθός, bon), dont la formation est irrégulière ou qui dérivent de mots autres que leurs positifs.
13, Baralipton.—Mots barbares qui, dans l’ancienne logique scolastique, servaient à distinguer deux des dix-neuf formes de syllogisme.—Ce n’est pas, a dit Pascal, Baroco et Baralipton qui forment le raisonnement...; et l’une des principales raisons qui éloignent le plus ceux qui entrent dans ces connaissances, du véritable chemin qu’ils doivent suivre, est l’imagination qu’on prend d’abord que les bonnes choses sont inaccessibles.
15, L’ame.—Les éd. ant. port.: la fortune.
17, Epicycles.—Terme d’astronomie; cercle dont le centre est sur la circonférence d’un autre cercle, servant dans le système planétaire de Ptolémée, qui n’a plus cours, à expliquer les irrégularités apparentes du mouvement des planètes et leurs distances variables par rapport à la terre.—Pris ici au figuré, a le sens d’hypothèses.
19, Inaccessible.—L’école d’Aristote dont les enseignements faisaient loi à l’école; cette thèse avait été du reste celle de beaucoup d’autres, de Simonide entre autres.
20, Rebours.—Cette divergence d’opinions subsiste toujours. D’Alembert, Portalis ont dit «que la véritable philosophie est à la portée de tous, que le vrai, même en métaphysique, se trouve en germe dans tous les esprits qui le reconnaissent dès qu’on le leur montre»; et Cousin déclare que «le genre humain n’est pas philosophe et que la philosophie est l’aristocratie de l’espèce humaine».
23, Doux fleurantes.—Odoriférantes; l’expression paraît forgée par Montaigne.
24, Célestes.—Il semble que Montaigne ait eu ici une réminiscence des termes d’une traduction d’un passage de Xénophon, exprimant du reste l’idée contraire à la sienne, traduction parue en 1553 et qu’il possédait:
30, Despite.—Courroucée, qui marque du dépit.—On trouve dans Cl. Marot:
31, Gents.—Quoi qu’en dise ici Montaigne, ce n’est pas là le chemin de la vertu, qui, d’après Bossuet, est un chemin où le chrétien grimpe plutôt qu’il ne marche. Du reste au liv. II, ch. XI (II, 88), il dit avec plus de vérité que «la vraye vertu demande vn chemin aspre et espineux...».
34, Poëtes.—Hésiode, Ἔργ. καὶ ἡμ., v. 287.
37, Angelique.—Héroïnes du poème de l’Arioste «Roland furieux».
41, Garce.—Jeune fille. V. N. I, 458: Garces.
41, Attifet.—Coiffure du temps; à proprement parler, carcasse en fil de fer soutenant le haut du bonnet et lui donnant la forme figurant d’ordinaire dans les portraits de Catherine de Médicis et de Marie Stuart.
2, Phrygie.—Pâris, qui eut à décerner le prix de beauté que se disputaient Junon, Pallas et Vénus, et qui l’attribua à cette dernière.
2, Leçon.—«Le passage qui suit est un bel éloge de la vertu, il serait difficile d’en parler plus dignement et avec plus de justesse.» Payen.
13, Lasseté.—Lassitude, qui en dérive et l’a remplacé dans la langue.
15, Crudité.—Indigestion, de cruditas qui, en latin, a même signification.
19, Musqués.—«La vertu humaine la plus parfaite, est celle qui sait réduire le plus ses besoins.» Plutarque.
32, Sinon.—Addition de l’exemplaire de Bordeaux écrite de la main de Montaigne: «que de bone heure son gouuerneur l’estrangle s’il est sans tesmoins, ou».
8, Rota.—Roue, plateau horizontal que le potier met en mouvement avec les pieds, et sur lequel il place, pour la façonner, l’argile qu’il emploie pour les objets qu’il confectionne.
11, Disoit.—Dans un passage cité par Sénèque, Epist. 49.—La réflexion suivante se trouve également dans Sénèque.
16, Action.—Ce passage rapproché de celui-ci: «C’est vn bel agencement que le grec et le latin, mais que l’on achete trop cher», et de cet autre: «Fascheuse suffisance, qu’vne suffisance pure liuresque», renferme la condamnation de notre système d’éducation.
Dans son remarquable ouvrage «la Psychologie de l’éducation», M. G. Lebon dit en substance à ce propos:
Sous ce rapport, nous nous en tenons opiniâtrément à ce qui existait au XVIIe et XVIIIe siècle et qui, déjà critiqué alors, est de plus en plus funeste en ces temps-ci où les conditions d’existence ont été profondément modifiées par les grandes découvertes modernes et les transformations incessantes qu’elles amènent; au point que nous en arrivons à nous trouver dans un état d’infériorité qui nous conduit insensiblement à la ruine, la lutte pour la vie n’étant pas une vaine formule, mais bien, pour les peuples comme pour les individus, une réalité qui, de jour en jour, devient plus aiguë.
En France, oublieux de cet autre passage des Essais: «Ce n’est pas vne ame, ce n’est pas vn corps qu’on dresse, c’est vn homme; il ne faut pas les dresser l’vn sans l’autre, mais les conduire également» (I, 266), dans les programmes d’instruction secondaire, on n’attache pas aux exercices physiques, à la vie au grand air, une importance suffisante, et au grand préjudice du développement corporel de l’adolescent on exagère la durée des classes et des études; son éducation morale est pareillement nulle ou à peu près et l’enseignement intellectuel à la fois trop étendu, trop superficiel, embrassant trop d’inutilité et mal donné. Partant de ce principe faux en matière d’éducation que la théorie doit précéder la pratique et que les connaissances entrent dans l’entendement par la mémoire, l’enseignement classique s’adresse uniquement à celle-ci, gavant ses élèves d’autant de matières, pour la plupart inutiles, que le temps le permet, sans même lui donner seulement celui de les digérer et sans avoir recours simultanément à l’enseignement par les yeux et les oreilles qui seul fait naître en nous l’esprit d’observation, l’habitude de réfléchir, de raisonner, la faculté de déduire l’inconnu du connu et est de nature à développer sa volonté, son jugement, son initiative, sa valeur morale, de former en un mot des caractères. Aussi, quand cette instruction prend fin, que l’étudiant devenu homme, livré à lui-même, en arrive à l’application, ce n’est le plus souvent qu’un incapable chez lequel les germes de ces qualités primordiales sont atrophiées, de là le naufrage de tant d’intelligences et de caractères, une tendance à éviter ce qui peut être difficulté, une profonde indifférence pour ce qui se passe en dehors de lui, défauts caractéristiques de notre race, dont la décadence est fatalement liée à ces affaiblissements physiques, intellectuels et moraux de l’individu, qui le plus souvent n’est qu’un mineur que toute sa vie durant il faudra diriger.
Au lieu de former des industriels, des agriculteurs, des commerçants, des colonisateurs, cet enseignement, dit classique, ne peut conduire qu’aux professions libérales et en raison de l’énorme disproportion entre le nombre des appelés et celui des élus, il crée cette multitude de déclassés et de mécontents qui végètent et parmi lesquels le socialisme recrute ses adeptes les plus fervents.
Quelques efforts ont bien été faits pour, concurremment avec l’enseignement classique, développer en France l’enseignement professionnel qui aux connaissances générales réduites au minimum joint l’enseignement pratique d’une quelconque des branches des arts, des sciences, de l’industrie, de l’agriculture ou du commerce suivant la spécialité de l’école, mais ce progrès s’est effectué sans faire la place plus grande à l’éducation physique et morale, et là encore prévalent l’instruction théorique et la récitation des manuels; aussi ne saurait-on s’étonner que dans de semblables conditions, cet enseignement dont ont si fort à se louer les peuples qui en ont fait la base de l’éducation, ne produise pas en France les mêmes heureux résultats.
Chez les Anglo-Saxons notamment le système suivi est le contrepied de celui admis en France; l’enseignement professionnel en raison de son utilité et de ses avantages prédomine. Partant de ce principe que l’expérience qui seule instruit les hommes, est aussi seule capable d’instruire la jeunesse, on en déduit que la pratique doit précéder la théorie, par suite les langues s’enseigner tout d’abord en les parlant, les sciences physiques par les manipulations, un métier, une profession par l’apprentissage, donnant, de ce fait même, occasion de se développer à l’esprit d’observation, à la réflexion, au jugement, à la volonté, à l’initiative, à la persévérance. Laissé libre de bonne heure et ayant possibilité d’agir de lui-même, c’est par les conséquences qui résultent pour lui de ses actes, que l’étudiant arrive à distinguer le bien du mal et contracte cette discipline interne qui constitue la moralité; il se développe au physique et acquiert du coup d’œil, l’esprit de solidarité, l’empire sur soi, le dévouement aux intérêts de la collectivité; quant au respect de l’ordre public, des coutumes établies, à l’obéissance à l’autorité, c’est affaire de mœurs et de mentalité de race. Dans ces conditions, au sortir même du collège, le jeune Anglais, avec une instruction générale restreinte, n’a aucune difficulté à trouver sa voie, et est à même d’apprendre en peu de temps le complément dont il peut avoir besoin pour la suivre et le plus souvent devenir quelqu’un.
Aujourd’hui que le télégraphe et la vapeur en réduisant les distances ont fait du monde un seul et même théâtre d’action, le succès est acquis aux peuples dont les individualités sont tout à la fois capables, bien trempées au physique et au moral, dont l’émancipation est complète, et l’esprit de solidarité absolue, quand il s’agit d’intérêts collectifs; cela nous place incontestablement dans une situation désavantageuse pour le présent et inquiétante pour l’avenir.
Pour y remédier, au mieux de ce qui est possible, en ce qui concerne l’éducation, il y aurait lieu en France, de:
Transférer lycées et collèges des villes à la campagne, ce qui est relativement facile en raison de la rapidité des communications.
Réduire dans une notable proportion la durée des classes et des études et donner aux jeux et aux exercices physiques la même importance qu’aux autres branches de l’éducation.
Faire de même touchant l’éducation morale; donner de bonne heure et progressivement aux élèves plus de liberté, les abandonnant à eux-mêmes dans une assez large mesure afin de leur apprendre à se conduire.
Pour la généralité, réduire l’enseignement classique au strict nécessaire de mnémonique, le rendre expérimental; à l’étude du grec et du latin qui est sans profit, substituer des traductions et une étude plus sérieuse des langues vivantes. Supprimer les concours, les classements, les diplômes, toutes choses où la chance a trop de part et qui engendrent la jalousie plus que l’émulation, crée des espérances trop souvent chimériques, et les remplacer par des examens de passage d’une classe à une autre.
Mais que de difficultés pour la réalisation de pareilles réformes, qui devraient commencer par celle même des professeurs qui, dressés à une méthode qu’ils tiennent pour excellente, dont ils ont le train-train et qui les fait vivre, sont incapables d’en concevoir et d’en appliquer une autre; en second lieu, il faudrait rendre irresponsables les chefs d’établissement, sauf le cas de lourde faute, des quelques inconvénients et accidents qu’entraîne inévitablement de temps à autre le système; et aussi faire que les parents acceptent de voir leurs enfants retardés dans leurs classes, quand ils ne sont pas jugés aptes à passer à la classe supérieure, sans qu’il en résulte du discrédit pour l’établissement. Enfin et par-dessus tout, il y aurait à modifier l’esprit public, de telle sorte que l’enseignement classique, qui en raison de son inutilité est chose de luxe, ne soit donné qu’à ceux auxquels leur état de fortune permet de ne rien faire, au lieu de s’étendre de plus en plus, par l’octroi de bourses, si bien que dans notre pays, dont la population agricole, commerciale et industrielle est les 9/10 de la population totale, la clientèle de l’enseignement professionnel n’est que le 1/8 du nombre de nos étudiants; et ce, parce que pour la plupart des emplois de tout repos des administrations de l’État, dont l’obtention est le desideratum de la majorité des Français, pour lesquels quelque garantie d’instruction est demandée, les diplômes de l’enseignement classique sont à peu près les seuls admis ou tout au moins dont il soit tenu compte; à quoi s’ajoute ce préjugé qui longtemps encore pèsera sur nous, par suite duquel le plus infime clerc, le plus humble fonctionnaire, le moindre employé, le plus modeste professeur se croient d’une caste bien supérieure à celle d’un industriel, d’un commerçant, d’un artisan ou d’un paysan dont les travaux cependant exigent beaucoup plus d’intelligence. Malheureusement aussi, avec la propension de l’Université à monopoliser l’instruction, et de la sorte supprimer la concurrence, il est à craindre que ces errements néfastes se perpétuent au point que le mal devienne irrémédiable.
Notons encore que l’enfant ne peut plus tout apprendre, qu’il faut choisir, et nos programmes, nos méthodes, nos établissements d’instruction ne répondent plus à la diversité des vocations et des mœurs, aux conditions changeantes de la vie moderne; par suite aussi, un lycée, un collège ne saurait davantage demeurer un froid immeuble administratif, taillé sur un modèle uniforme, celui si peu attrayant, si généralement dénué d’air et de lumière que nous connaissons.
39, Lasse.—Diogène Laerce, X, 122.
41, Garçon.—Dans un college, comme portent les éd. ant.; qu’on l’y mette interne.
8, Affolé.—Diogène Laerce, IV, 62.
25, Faire.—Plutarque, Symposiaques (mélanges), I, 1.
33, Conuiue.—Banquet, festin, repas (en latin convivium); nom d’un dialogue de Platon.
38, Autres.—C.-à-d. il n’y a pas doute qu’ainsi dressé à la recherche et à l’amour de la vertu, il ne soit moins désœuvré que les autres.
11, Platon.—Cité par Plutarque dans le traité Des moyens de conserver la santé.
16, Il se fait.—Var. des éd. ant. à 88: aux colleges où.
17, Lettres.—Add. des éd. ant. à 88: et leur en donne goust.
25, Dameret.—Efféminé, qui fait le beau et cherche à plaire aux dames.
31, Office.—Leur devoir; pendant les classes, les études, la récitation des leçons.
36, Quintilian.—Instit. orat., I, 3.
1, Graces—Étaient dans l’antiquité la personnification de ce qu’il y a de plus séduisant dans la beauté. Elles étaient au nombre de trois: Aglaé (qui excite l’admiration), Thalie (qui inspire la joie), Euphrosyne (qui réjouit l’âme); on les représentait sous la figure de trois jeunes vierges nues, sans ceinture, les mains et les bras entrelacés, formant des danses gracieuses autour de Vénus. Myth.
2, Speusippus.—Diogène Laerce, IV, 1.
15, Soleil.—Sextus Empiricus, Pyrrh. Hyp., I, 14.
19, Cocqs.—Plutarque, De l’envie et de la haine, vers le commencement.—Alexandre le Grand frémissait, dit-on, au seul toucher d’une pêche; Turenne se trouvait mal, assure-t-on, s’il voyait une araignée: petites faiblesses de grands homme, si cela est exact.—Jacques Ier d’Angleterre, qu’on ne saurait mettre sur le même rang, se trouvait mal, dit-on encore, à la vue d’une épée nue; peut-être était-ce le souvenir de sa mère qui l’obsédait.—Plusieurs membres de la famille de Candale, avec laquelle Montaigne était lié, et c’est probablement à eux qu’il fait allusion ici, ne pouvaient supporter l’odeur de la pomme.—Ambroise Paré en dit autant de Wladislas, roi de Pologne, et cite des exemples de l’horreur inspirée par le pain, les œufs, les légumes, les chats, les souris, les araignées, etc...—Les cas de ces singulières antipathies et autres analogues sont fort nombreux, en voici quelques autres: Alaüs Borrichius cite un cabaretier qui frémissait et se couvrait d’une sueur froide, quand il voyait du vinaigre; une demoiselle qui ne pouvait regarder une plume, sans jeter des cris; un gentilhomme écossais qui pleurait à l’aspect d’une anguille.—Le maréchal de Brézé s’évanouissait à la vue d’un lapin; la fièvre s’emparait d’Erasme, dès qu’il voyait ou sentait du poisson; Joseph Scaliger tremblait en apercevant du lait, et ne pouvait souffrir davantage le cresson; l’illustre mathématicien Cardan avait horreur des œufs; Ladislas Jagellon redoutait les pommes; si l’on faisait sentir ce fruit à un sieur La Chesnaye, secrétaire de François Ier, le sang s’échappait en abondance de ses narines; on cite des gens que le froissement d’une robe de soie fait tomber en pâmoison.—Samuel Pelissius parle d’un homme qui se troublait et divaguait, quand il voyait de la salade; un autre éprouvait une douleur aiguë quand on parlait des pieds ou de ce qui s’y rapporte, bas, souliers, etc., et cette douleur cessait dès qu’on parlait de la tête ou de ce qui s’y rapporte, cheveux, etc...—Henri III ne pouvait demeurer dans une chambre où était un chat; le maréchal de Schomberg avait la même aversion.—Un conseiller au parlement de Bordeaux avait été si effrayé à la vue d’un hérisson qu’il crut, pendant plus de deux ans, que ses entrailles étaient dévorées par cet animal.—D’après Pierius Valerianus, l’odeur des roses faisait évanouir le cardinal Caraffa; il en dit autant d’un cardinal de Cordoue, d’un évêque de Breslau; et ce qui est plus particulier, il cite un espagnol, Dom Juan Rual de Polemaque, sur lequel entendre prononcer le mot Lana produisait le même effet.—Balzac a écrit: «La rose est mon inclination, comme c’était l’aversion de M. le chevalier de Guise»; Catherine de Médicis ne pouvait non plus en supporter l’odeur.—Le chancelier Bacon tombait en défaillance, quand il y avait une éclipse de lune; le duc d’Epernon quand, dans un repas, on lui servait du levraut; le maréchal d’Albret, du marcassin.—Il existe sur ce sujet deux ouvrages publiés l’un en 1617, l’autre en 1665, le premier de Sagittarius, savant allemand, le second de Martin Schoockius, savant hollandais. Payen.
26, Boucle.—C.-à-d. contenir. Métaphore tirée de l’usage où l’on est de boucler une jument par l’interposition d’un anneau pour empêcher qu’elle ne soit saillie, ce qui était également le principe des ceintures de chasteté du moyen âge, dont le musée de Cluny, à Paris, a des spécimens; se dit aussi de quelqu’un jeté en prison.
32, D’autant.—Boire d’autant, c’est faire raison, tenir tête à quelqu’un à table, buvant à chaque invitation qu’il vous en fait en buvant lui-même.
7, Recita.—Peut-être Gaspard de Schomberg, qui était reçu à Montaigne et qui a rempli pour la France diverses missions en Allemagne, et avait été notamment chargé par Charles IX d’aller justifier auprès des seigneurs de cette contrée les massacres de la Saint-Barthélemy en faisant connaître les nécessités qui avaient motivé cet acte politique.
9, Alcibiades.—Plutarque, Alcibiade, 14.
18, Vtramque.—Montaigne emploie ces deux vers dans un sens directement opposé à celui qu’ils ont dans Horace, d’où ils sont tirés.
19, Leçons.—Var. des éditions antérieures: Voicy mes leçons, où le faire va auec le dire. Car à quoy sert il qu’on presche l’esprit, si les effects ne vont quant et quant? au lieu de: «Voicy... escrites» (19 à 32).
20, Voyez.—«Voulez-vous, disait S. Grégoire, un abrégé de la règle de saint Benoît, considérez sa vie; voulez-vous un précis de sa vie, considérez sa règle: l’une est l’expression de l’autre.»
21, Platon.—Dans le dialogue intitulé Les Rivaux.
27, Philosophe.—Ce n’est pas Héraclite, mais Pythagore, qui fit cette réponse; ce fait rapporté par Cicéron, Tusc., V, 3, a été relevé par lui dans un livre d’Héraclite.
32, Escrites.—Diogène Laerce, VI, 48.
7, Paroles.—Plutarque, Apophth. des Lacédémoniens.
9, Babil.—Plus encore que chez toute autre race, l’exubérance de paroles existe chez les Latins, dont nous sommes. De tous temps, ils ont été grands discoureurs, amis des mots et de la logique, se préoccupant très peu des faits et faciles à gagner à toute idée présentée dans un beau langage. Aujourd’hui chacun s’en mêle et il n’est même plus besoin de logique; pour réussir, il ne suffit plus, en France, mais c’est une chose à laquelle rien ne supplée, que d’être prêt à parler, à l’impromptu, sur quoi que ce soit, et à même de trouver de suite des arguments, tout au moins bruyants, pour répondre à ses adversaires; la compétence, pas plus que la vérité et la sincérité, ne sont nécessaires; des lieux communs, un langage tant soit peu amphigourique, des évocations flattant les passions de l’auditoire assurent le succès; et cette nécessité d’être à même de parler sans réfléchir est telle, qu’elle élimine des affaires publiques, et notamment du Parlement, nombre d’hommes de valeur réelle et de jugement pondéré.
33, Ombrages.—Ombres, apparences, ou encore aperçus, comme on dit aujourd’hui.
39, Tiens.—Add. des éd. ant.: que qui en a l’esprit.
2, Bergamasque.—Le patois de Bergame passait, du temps de Montaigne, pour le langage le plus grossier de l’Italie.
7, Pas.—C.-à-d. pas plus que ne fait, que ne sait.—Un emploi analogue du verbe faire se retrouve dans cette expression «si fait», encore en usage: «Vous ne mangez pas?—Si fait (si, je fais l’action de manger)».
7, Petit pont.—Aujourd’hui, pont du Châtelet, un des trois premiers ponts de Paris, ainsi nommé par opposition au Grand pont, devenu le Pont au Change et actuellement le Pont-Neuf.
10, Maistre és arts.—Gradué des anciennes universités à la suite d’épreuves soutenues avec succès, qui avait qualité pour enseigner les humanités et la philosophie; arts était alors synonyme de lettres.
15, Afer.—Tacite, Dial. des Orateurs; le texte latin porte Aper.
22, Faire.—Plutarque, Apophth. des Lacédémoniens.
28, Feray.—Plutarque, Instruction pour ceux qui manient les affaires d’État, 4.
30, Consul.—Plutarque, Caton.—Montaigne donne un sens trop général à la réflexion de Caton qui ne se moquait pas de l’éloquence de Cicéron. mais de l’abus qu’il en fit, dans le temps de son consulat, un jour que, plaidant pour Muréna contre lui Caton, il se mit à tourner en ridicule les principes essentiels de la philosophie stoïcienne, d’une manière par trop comique, peu digne de la fonction qu’il occupait, ce qui lui attira cette observation de son adversaire plus piquante que tous les traits qu’il venait de lui décocher. Coste.—Cicéron était, du reste, lui-même fort porté à l’épigramme. Dans ses Saturnales, Macrobe cite quelques-unes de ses plaisanteries. Parlant de César: «La ceinture m’a trompé», dit-il, faisant allusion à ce qu’il portait sa toge à la mode des jeunes gens efféminés, lui qui était l’homme d’action par excellence. De Pompée, qui venait de concéder le droit de cité à un barbare: «Il le donne aux autres et est impuissant à nous le rendre à nous-mêmes.» De Caninius Dibulus fait consul, en 45, la veille du jour où finissait l’année, avec laquelle sa charge prenait fin: «Nous avons eu en Caninius un consul vigilant; de tout son consulat il n’a pas goûté le sommeil.»
35, Force.—C.-à-d. n’importe, il n’y a pas lieu de s’y opposer, de l’y contraindre. Cette locution se retrouve avec le même sens dans Rabelais.
10, Vers.—Plutarque, Si les Athéniens ont été plus excellents en armes qu’en lettres, 4.—On raconte à peu près la même chose de Racine qui écrivait d’abord ses pièces en prose et les estimait terminées, lorsqu’il ne lui restait plus qu’à les mettre en vers.
11, Le demeurant.—Var. des éd. ant.: les mots, les pieds et les césures qui sont à la vérité de fort peu au pris du reste. Et qu’il soit ainsi...
18, Fera il.—C.-à-d. mais que fera notre jeune élève, si on le presse...—Montaigne revient ici à son principal sujet, qu’il semblait avoir entièrement perdu de vue.
20, Desaltere.—Parmi les singularités de ce genre, nous rappellerons encore celle-ci: «Vous avez des cornes ou vous n’avez pas de cornes: Or vous n’avez pas de cornes, donc vous avez des cornes.»
21, Respondre.—Sénèque, Epist. 49.
23, Empesche.—Diogène Laerce, II.
26, Aage.—Diogène Laerce, VII.
36, Querir.—Montaigne détourne, en effet, assez fréquemment le sens des citations qu’il donne; il était capable d’inventer le procédé; mais il a pu le trouver dans saint Paul, ainsi que le reconnaît saint Jérôme.
36, Suiure.—«Qui traite un beau sujet, est sans peine éloquent.» Euripide.
37, Aller.—J.-J. Rousseau a dit aussi: «Toutes les fois qu’à l’aide d’un solécisme, je pourrai me faire mieux entendre, ne pensez pas que j’hésite.» Il s’est bien fait entendre sans avoir besoin de solécismes; mais cette phrase montre qu’il était aussi peu esclave que Montaigne des exigences de la grammaire. Le Clerc.
3, Brusque.—Montaigne excelle, en effet, à user du laconisme, témoin le membre de phrase qui se rencontre quelques lignes plus haut: «Que le Gascon y arrive, si le François n’y peut aller.»
4, Feriet.—Épitaphe de Lucain, citée dans la Bibliothèque latine de Fabricius.
5, Affectation.—Les éd. ant. aj.: et d’artifice.
7, Fratesque.—Monacal, de l’italien fratre, moine.
8, Cæsar.—Add. des éd. de 80, 82 et 87: Qu’on lui reproche hardiment ce qu’on reprochoit à Séneque, Que son langage estoit de chaux viue, mais que le sable en estoit à dire.
9, Appelle.—Suétone, César, 55, ne dit pas que l’éloquence de César était soldatesque, c.-à-d. brève, saccadée, nerveuse, comme on imagine le langage du soldat, parce que la devise qui lui convient est «acta non verba (des actes et non des paroles)», mais que, sous ce rapport aussi bien que sous celui des talents militaires, il est hors de pair. L’erreur de Montaigne vient de ce que certaines éditions de l’auteur latin sont mal ponctuées en ce passage; par suite sa remarque à cet égard est sans objet.
22, Soy.—C.-à-d. l’éloquence qui fixe toute l’attention de l’auditeur fait tort aux choses dont on parle, elle en fait en quelque sorte la critique.
27, Paris.—Quand on demandait à Malherbe son avis sur quelque mot français, il renvoyait ordinairement aux crocheteurs du Port au Foin, disant que c’étaient ses maîtres pour le langage, ce qui a donné lieu à cette protestation de Régnier:
Il y a toutefois lieu de croire que cette indignation était inspirée à Régnier plus par son esprit de contradiction que par ses convictions, si on s’en rapporte au jugement que Boileau a porté sur lui:
30, Seulement.—Diogène Laerce, X, 13.
37, Platon.—Des Lois, I.
40, Meilleurs.—Les éd. ant. port.: miens.
40, Disoit.—Stobée, Serm., 34.
25, Latine.—Cet Allemand se nommait Horstanus; il professa dans la suite au collège de Guyenne. Le père de Montaigne essaya d’en agir de même pour ses autres enfants; il dut y renoncer par la difficulté de trouver à qui en donner la charge.
28, Moy.—Latiniser ainsi, c’est bien; mais que devient, durant ce temps, la douce et irremplaçable éducation, qui ne peut se donner en latin, que nous recevons sur les genoux de nos mères, qui forme nos premiers élans vers les choses généreuses, notre première préparation aux combats de la vie? A l’égard de Montaigne, cette manière de faire a dû favoriser en lui l’impatience de toute règle et de toute discipline. Margerie.
4, Romanorum—Ouvrage estimé, publié en 1555.
6, Temps.—Dans ses ouvrages, Muret expose en un parfait latin antique des idées toutes modernes. On a de lui des notes sur les auteurs anciens, dont ses études ont beaucoup contribué à épurer les textes, des Harangues, des Poésies et des Épîtres.—On raconte de lui qu’étant en Italie, il tomba gravement malade et entra dans un hôpital. Là, deux médecins délibérant près de lui sur le traitement à suivre à son égard, et le prenant pour un homme du commun, ils se dirent en latin: «Faciamus periculum in anima vili (Que risquons-nous sur un être de rien)?» pensant bien n’être pas compris; et Muret de leur crier aussitôt: «An vilis anima pro qua mortuus est Christus (Eh quoi, n’est-ce rien, un être pour lequel le Christ a donné sa vie)?» Et il sortit au plus vite de ce lieu pour échapper aux expériences. Bouillet.
14, Intelligence.—Si Montaigne ne savait pas le grec, il n’en était pas de même de sa sœur Madame de Lestonna, témoin l’anecdote suivante qui n’est pas sans analogie avec celle de la note précédente: M. de Lestonna reçut un jour la visite d’un ami venant lui proposer une «débauche d’amourette»; et sa femme se trouvant là, l’ami pensant n’être pas compris d’elle, s’exprimait en grec; il se trompait, elle le lui fit bien voir, il dut détaler au plus vite.
16, Tablier.—Table servant aux jeux de dames, d’échecs et de trictrac, comme il en existe encore aujourd’hui.
25, Et ne fus... seruist.—Var. de 80: et auoit, vn ioueur d’espinette pour cet effect.
26, Instrument.—Ce soin était confié, comme l’indique la note précédente, à un joueur d’épinette, petit clavecin qui est devenu le piano.—Le réveil de Montaigne, enfant, a fait le sujet d’un tableau par Ed. Hamman, qui a été exposé à Paris, au salon de 1847.
35, Bien.—Var. des éd. ant.: d’vn iugement bien seur et ouuert.
6, Guienne.—A Bordeaux.
19, Lire.—Les Eléments de mathématiques d’Euclide furent pour Pascal ce qu’avaient été pour Montaigne les Métamorphoses d’Ovide.
23, Lancelot du Lac.—Un des principaux chevaliers de la Table Ronde (ordre de chevalerie fabuleux, institué, suivant les légendes de la Grande-Bretagne, à la fin du Ve siècle); ses exploits ont été chantés au moyen âge, dans un roman de ce nom.
23, Amadis.—Amadis des Gaules, poème espagnol de chevalerie du moyen âge, écrit par divers auteurs, traduit en français par ordre de François Ier.
23, Bordeaux.—Huon de Bordeaux, chanson de geste, autrement dit de faits héroïques du XIIe siècle.
25, Discipline.—C.-à-d. le soing qu’on auoit à mon institution (qu’on apportait à mon éducation), comme le portent les éditions antérieures.
29, Conniuer.—Qui eut le bon esprit d’être de connivence, d’accord avec moi, en ayant l’air de ne pas s’en apercevoir.
30, L’Æneide.—Poème épique, l’un des chefs-d’œuvre de Virgile, ayant pour héros Énée, un des chefs de Troie, venu en Italie pour s’y établir, après la ruine de cette ville, et auquel les Romains faisaient remonter leur origine.
2, Parties.—Acception tirée de l’anglais, signifie ici: qualités, talents, moyens intellectuels.
7, Fainéantise.—Var. des éd. ant.: Stupidité.
27, Cognoissait.—«Sous ses airs d’indolence, l’esprit de Montaigne n’en était pas moins, en effet, plein de hardiesse, couvant bien des audaces.» Sainte-Beuve.
5, Deformabat.—Montaigne s’élève ici contre la réprobation qui, à cette époque et longtemps encore après, pesait sur les comédiens. De nos jours ils sont estimés à juste titre à l’égal des autres suivant la conduite privée de chacun, bien qu’on puisse leur reprocher à tous en général que la réclame à outrance qui se fait autour de leurs noms et qu’excusent les nécessités du métier, les porte trop à en prendre les exagérations pour des réalités, à quoi il faut ajouter qu’une différence existe entre eux plus accentuée que dans n’importe quelle autre carrière. Les artistes de second ordre (acteurs et chanteurs) qui vont pérégrinant de ville en ville, peinant à l’extrême pour arriver à jouer presque chaque jour des pièces différentes, gagnent peu, sont parfois obligés pour vivre à des compromissions que le besoin excuse, et leur considération s’en ressent. Combien autre est l’existence des coryphées de la profession, jouant cent fois de suite et plus la même pièce! Ils ont des loisirs que les précédents ne connaissent pas et en outre réalisent des bénéfices qui leur permettent la vie la plus large; à cela rien à dire. Seulement il y en a parmi eux qui oublient trop que le monde dépense sans compter pour ses plaisirs, alors qu’il est le plus regardant pour ce qui est de première nécessité, et ils jaugent leur valeur d’après l’argent dont on les comble et deviennent encombrants, s’estimant sans vergogne au-dessus de ceux-là mêmes dont ils interprètent les œuvres, ne se disant pas que dans Molière, dont ils s’honorent, c’est l’observateur, le moraliste, l’écrivain incomparables qu’on admire, et pas du tout l’acteur depuis longtemps ignoré de beaucoup.
8, Valent.—Qui méritent d’y être admis.
17, Spectacles.—Le premier édifice moderne, complètement clos, spécialement destiné à cet usage, a été élevé, vers 1500, par le Bramante, dans le Vatican, à Rome; ce n’est qu’à partir du XVIIe siècle, qu’il a été construit en France des salles permanentes de théâtre.—Tout récemment, on a cherché à faire revivre dans le midi, à Béziers, à Orange, le théâtre en plein air, et cela a réussi surtout par l’originalité, la rareté du fait; mais ces immenses scènes antiques à ciel ouvert conviennent bien mieux aux jeux du cirque, aux combats de gladiateurs, aux courses de taureaux, qu’à des représentations littéraires.
17, Diuertissement.—Diversions, qui servent à détourner les gens de se livrer en secret, à l’écart, à des actions qui ne sont pas à louer.
17, Occultes.—Tout ce passage est en contradiction avec ce qu’a écrit plus tard J.-J. Rousseau sur ce même sujet des spectacles; et ce que Montaigne en dit est incontestablement plus vrai, plus solide et mieux pensé que les sophismes éloquents du philosophe de Genève.
22, Espouser.—Ce chapitre, qui ne saurait être ni trop loué, ni trop lu, ni trop médité, fait autorité en matière d’éducation; la partie de l’Émile où J.-J. Rousseau traite cette question, n’en est qu’un commentaire. Ce sont les mêmes vues, les mêmes idées plus ou moins étendues ou resserrées, mais présentées d’une manière moins piquante, moins originale, avec une éloquence plus imposante sans doute, mais moins persuasive, parce qu’elle est moins naturelle. Il est à observer que les seuls préceptes véritablement utiles et pratiques sur l’éducation des enfants qu’on remarque dans le livre de Rousseau sont précisément ceux qu’il doit à Montaigne: pour peu qu’il s’écarte de son guide, il ne dit guère que des lieux communs, ou bien s’égare et se perd dans un dédale d’idées vagues, incohérentes, chimériques.
CHAPITRE XXVI.
Ce chapitre est numéroté XXVII dans les éd. ant. et l’ex. de Bordeaux.
23, Suffisance.—Rien n’est plus vrai du fait même de notre raison dont la conception est des plus limitées, qui ne peut en outre juger que par déduction et est bien loin de voir les choses comme elles sont et en ignore toujours les causes premières, et plus encore par les influences des milieux ambiants qu’elle subit jusqu’à complet anéantissement.
Cet effet est particulièrement manifeste quand on considère à quelle omnipotence atteignent les croyances les plus contraires à la raison: «Credo quia absurdum, je crois par cela même que c’est absurde», aphorisme émis par Tertullien en matière de foi, est un axiome d’application constante.
De fait, une croyance ne dépend pas de la part de vérité ou d’erreur qu’elle peut contenir, mais uniquement des sentiments qu’elle fait naître et des sentiments qu’elle inspire. Impérative au suprême degré, elle n’admet ni analyse ni discussion et par elle les erreurs les plus évidentes se transforment en vérités éclatantes; chez les convaincus, l’intelligence la plus haute est impuissante contre l’entraînement de la foi; l’apôtre ne doute de rien, aucune difficulté ne l’embarrasse.
En dépit de tout raisonnement, les croyances communes constituent une force qui donne à un peuple une cohésion, une énergie qui contribuent dans la plus large mesure à sa sauvegarde; et l’un de nos plus grands dangers à l’époque actuelle est bien certainement de n’avoir plus guère de croyances communes (G. Lebon).
290,
29, Saturúsque.—Le texte latin porte satiate; saturus mis pour satur constitue un barbarisme. Le Clerc.
292,
1, Iuger.—Add. des éd. ant.: des choses.
2, Nature.—Les éd. ant. port.: Dieu.
12, Rien trop.—Maxime philosophique célèbre attribuée par Aristote à Bias; Pline en fait honneur à Chilon; Diogène Laerce pareillement, mais ensuite il en dote Solon; on l’a attribuée à d’autres encore.—Elle a été émise à maintes reprises; on en retrouve le sens dans Homère; Térence, dans son Andrienne, la met dans la bouche d’un esclave: «Je pense, dit-il, que beaucoup est chose utile dans la vie, pourvu que beaucoup ne soit pas trop.» Horace, dans sa satire I, la développe en deux vers souvent cités: «En toutes choses, il est certain tempérament, il y a des limites déterminées et le bien ne se trouve ni en deçà ni au delà.» Abstemius l’exprime de la sorte: «Nul immodéré ne dure longtemps.» «Trop, c’est trop,» a dit Rivarol. «Surtout, Messieurs, pas de zèle,» répétait Talleyrand à ses diplomates. «L’excès en tout est un défaut,» est un aphorisme des plus usités. On dit encore: «De peu on jouit, de trop on pâtit.» Dans le Paradis perdu de Milton, Adam demande à l’ange Gabriel s’il vivra longtemps: «Oui, dit l’ange, si tu observes la règle: Rien de trop.» La Fontaine en a fait le titre d’une de ses fables et a dit d’elle avec vérité:
Enfin, on peut en dire aussi qu’elle était la maxime favorite de Montaigne, qui aurait pu la prendre pour devise au même titre que «Que sçay-ie», car dans ses jugements en toutes choses, comme dans tous les actes de sa vie politique et privée, il en a fait une application constante.
15, Moquer.—En 1385. Froissart, III, 17, dit que la rapidité avec laquelle la nouvelle en parvint du Portugal en France, au comte de Foix, fut attribuée à ce que celui-ci avait à son service un malin esprit qui lui rapportait la nuit les nouvelles de ce qui, présentant de l’intérêt pour lui, s’était passé la veille dans le monde entier.
25, Perdue.—En 93. Antonius Saturninus, qui commandait deux légions dans la Germanie supérieure, s’était soulevé et avait été battu par le lieutenant de l’empereur en Gaule. La distance du lieu du combat à Rome, évaluée par Plutarque, Paul Émile, à 20.000 stades (le stade valant 150 pas environ), ce qui ferait 500 lieues, est en réalité de 250. La nouvelle s’en répandit dans la capitale de l’empire, le jour même où le fait se produisit, et Domitien, parti nonobstant à la tête d’une armée pour le combattre, rencontra, chemin faisant, le courrier qui lui était envoyé pour lui annoncer sa défaite.
26, L’accident.—Guerre civile, III, 36.
35, Nature.—Il est exact que Pline présente comme vrais, nombre de faits qui depuis ont été controuvés, mais c’est inévitable, et dans le domaine de la science bien des vérités du jour au lendemain perdent cette qualité; c’est ainsi qu’il n’existe plus de gaz permanents, alors qu’il n’y a pas un demi-siècle, on en comptait cinq. Par contre, certaines autres de ses assertions que nous tenons comme invraisemblables, ne le sont sans doute que parce que nous ne les avons pas encore vérifiées: telle cette propriété qu’il relate de l’huile maintenant le calme dans une certaine mesure parmi les flots d’une mer agitée, ce que longtemps on a considéré comme une fable, jusqu’à ce qu’assez récemment le hasard l’ait confirmé. Pline, qui manquait des moyens d’investigation si nombreux aujourd’hui, a composé son Histoire naturelle, comme Buffon a écrit la sienne qui, sous le rapport de l’exactitude, laisse aussi fort à désirer, ce dont ce dernier est peut-être moins excusable, vu la différence des temps et une plus grande facilité de contrôle; il n’en est pas moins un auteur éminemment précieux qui a conservé à la postérité beaucoup d’indications, de procédés que nous avons utilisés et qui, sans lui, ne seraient pas parvenus jusqu’à nous.
38, Impudence.—L’édition de 1588 porte: imprudence.
39, Tesmoigne.—De Civitate Dei, XXII.—Les corps de ces deux frères, martyrisés au Ier siècle, découverts, d’après une tradition, en 380, par saint Ambroise, sur l’indication qu’eux-mêmes, dans une apparition, lui avaient donnée du lieu où ils avaient été ensevelis, furent transférés par ses soins dans la cathédrale qu’il faisait construire à Milan; et c’est dans le cours de cette translation, qu’un aveugle qui avait touché le brancard portant ces reliques avait recouvré la vue.
12, Recors.—Témoins; du verbe latin recordari, se souvenir. D’où cette appellation donnée couramment à ceux qui assistent un huissier pour lui servir de témoins et lui prêter main-forte en cas de besoin.
16, Frangerent.—On s’étonne de voir Montaigne, surtout après avoir décliné la croyance aux miracles attribués à saint Hilaire, se faire le défenseur si zélé de ceux que rapporte saint Augustin, parmi lesquels se trouvent quelques cas de résurrection. La vertu et la piété des témoins ne sont pas en pareille matière d’importance primordiale, elles peuvent même porter à se défier de témoignages de personnes dont la foi a pu sur ce point troubler le jugement et faire préférer ceux de profanes moins portés à céder à semblable entraînement.—Il y a du reste un point qui, en fait de guérisons miraculeuses, donne à réfléchir: Pourquoi tous les miracles de cette nature, des temps anciens comme de nos jours, prêtent-ils tous à être expliqués par la science à laquelle il arrive de résoudre elle-même des cas semblables? Que n’a-t-on vu une fois, une seule fois, une impossibilité indiscutable se réaliser, quelqu’un amputé d’un membre, par exemple, ne serait-ce que d’un petit doigt, le recouvrer soudainement et en user, comme avant l’accident survenu; ce serait là un miracle indéniable que seraient obligés de reconnaître les plus incrédules.
26, Creance.—C’est ce triage entre les choses à croire et celles à ne pas croire qui dans l’Église a donné naissance à la plupart des hérésies et des schismes, ce qu’indique l’étymologie même du mot hérésie, αἵρησις;, qui signifie proprement choix; quant au schisme, de σχίσμα, division, il n’en est que la conséquence.
34, Obeissance.—C’est le principe même de la religion catholique et, de fait, une religion ne saurait être une sans cela; seulement l’application de cette autorité souveraine est chose délicate: l’obligation de ne pas empiéter sur ce qui n’est pas de son domaine, de s’adapter, dans chaque pays, à ses mœurs et à ses lois, de n’être ni oppressive ni opprimée, est de bien grande difficulté, d’autant que toute erreur, toute maladresse préjudicie, à tort mais d’une façon effective, à la religion elle-même, surtout en des temps comme les nôtres de libre discussion et d’indifférence religieuse.
39, Sçauans.—Add. des éd. ant.: et bien fondez.
CHAPITRE XXVII.
Ce chapitre est numéroté XXVIII dans les éd. ant. et l’ex. de Bordeaux.
8, Amitié.—Shakespeare s’est souvenu de ce chapitre dans Hamlet, où il en a transporté des passages entiers et nombreux.
10, L’ensuiure.—Le suivre des yeux, le regarder travailler, voir comment il s’y prend.
12, Suffisance.—Élaboré, travaillé avec tout le soin dont il est capable.
24, Ignoré.—Qui ne savaient pas qu’il était déjà désigné sous ce titre.
24, Contre-vn.—Le Contre-un, ou Discours sur la servitude volontaire (Contre-un veut dire: contre le gouvernement d’un seul, la monarchie), opuscule d’une trentaine de pages in-octavo, est un pamphlet qui s’élève contre les abus du despotisme. Inspiré par les troubles de l’époque, il n’a pourtant pas trait aux événements d’alors, et de plus, il ne conclut pas.—Montaigne dans les éditions antérieures indique que La Boétie l’a composé à l’âge de dix-huit ans, et en fin de ce chapitre il dit seize, probablement pour mieux faire valoir la précocité d’esprit de son ami, car il ne se pique guère en général d’exactitude. Ce serait, d’après cela, vers 1548 que ce discours aurait été écrit; mais il témoigne d’une maturité de talent qui donne à penser à certains qu’il pourrait bien dater de 1554, alors que l’auteur avait vingt-quatre ans, ou tout au moins qu’il a été retouché à ce moment; ils s’appuyent pour cela sur ce qu’il y est fait mention de du Bellay qui n’avait rien publié avant 1549, de la Franciade de Ronsard et d’autres poètes de la Pléiade, dont les poésies commençaient seulement à se répandre.—Ce n’est que dix ans environ après la mort de l’auteur, en 1574, que cet écrit fut publié pour la première fois à Bâle, et encore en latin et par extraits; il ne l’a été intégralement et en français qu’en 1576, à Genève, inséré, comme du reste en 1574, dans un recueil comprenant d’autres pièces s’inspirant de la même idée. Du reste, il produisit peu d’effet sur le moment et n’a réellement acquis de la vogue qu’aux époques révolutionnaires, en 1789, 1852, où on le remit en lumière, adapté aux besoins du moment. Par lui, on a fait de La Boétie un précurseur des révolutions modernes: de telles idées étaient bien loin de son caractère, et ce discours a été de sa part un morceau purement littéraire où les sentiments généreux et la fougue de la jeunesse se sont donné carrière, plutôt qu’une œuvre politique réfléchie. Bonnefon. V. I, 318.
25, Ieunesse.—Les éd. ant. aj.: N’ayant pas atteint le dix-huitiesme an de son aage.
38, Gentil.—A ici le sens de généreux qui se retrouve dans «gentilhomme», mais dans lequel il n’est plus guère employé aujourd’hui, sauf dans quelques rares localités, avec tendance à disparaître complètement.
6, Ciuiles.—L’édit de janvier 1562, sous le règne de Charles IX encore mineur. Cet édit accordait aux Huguenots l’exercice public de leur religion. Le parlement refusa d’abord de l’enregistrer, en disant: «Nec possumus, nec debemus (nous ne pouvons et ne devons)», et finit par s’exécuter après deux lettres de jussion. Il y a dans cet édit une sorte de règle de conduite pour les Protestants; il y est dit qu’«ils n’avanceront rien de contraire au concile de Nicée, au Symbole des Apôtres, ni à l’Ancien et au Nouveau Testament».
7, Place.—Le mémoire de La Boétie sur cet édit, si jamais il a été imprimé, n’existe plus. On ignore dans quel sens il était écrit; il est à supposer toutefois, étant donné le caractère de l’auteur et l’opposition que cet édit rencontrait, qu’il devait en approuver la teneur et constituer un plaidoyer en faveur de la tolérance religieuse.
10, Lumiere.—A Paris, en 1571.—Les œuvres de La Boétie se composent: d’une traduction de l’Économique de Xénophon, parue sous le titre de Mesnagerie; de celle de deux petits traités de Plutarque, de fragments du Dante; pièces de vers latins, de vers français, du Discours sur la servitude volontaire et de Mémoires sur nos troubles résultant de l’édit de janvier 1562. Ces deux derniers opuscules, Montaigne ne les publia pas, craignant qu’ils ne devinssent une arme pour les fauteurs de désordre de l’époque; la note ci-dessus, I, 296, Contre-vn, indique ce qui advint du premier. V. N. I, 320: Main.
19, Siecles.—A l’appui de sa thèse, Montaigne aurait pu indiquer ceux qui, dans l’antiquité, ont eu des liaisons de cette nature: Hercule et Philoctète, Thésée et Pirithoüs, Oreste et Pylade, Pythias et Damon, Épaminondas et Pélopidas, Alexandre et Héphestion, Scipion et Lelius, et pour clore par un mot de Phèdre: «Rien de plus commun que le nom, de plus rare que la chose.»
20, Aristote.—Morale à Nicomaque, VIII, 1.
5, Enfans.—L’infanticide est commun en Chine; il y a nombre de gens, même à leur aise qui ne gardent pas plus de deux ou trois enfants. Annales de la propagation de la Foi.
7, L’aultre.—Les éd. ant. aj.: L’amitié n’en vient iamais là.
8, Aristippus.—Diogène Laerce, II.
11, Plutarque.—De l’amitié fraternelle.
14, Dilection.—Tendresse, affection, du latin dilectio, qui a même signification.
15, Alliance.—Ce terme de «frère» était souvent employé à cette époque pour marquer les relations d’affection entre personnes que n’unissait aucun lien du sang. C’est dans ce même ordre d’idées que Montaigne appelait Mademoiselle de Gournay sa fille d’alliance; ne dit-on pas dans le même sens des «frères d’armes» et «frères» et «sœurs» dans les communautés religieuses. Cette appellation est d’usage courant chez les peuples sémitiques, c’est à elle qu’est probablement due cette assertion de Renan, dans la Vie de Jésus, cette si charmante idylle, que Notre-Seigneur avait des frères.
18, Fraternelle.—Allusion probable au droit d’aînesse qui subsistait alors, d’après lequel l’aîné avait des privilèges et était favorisé, souvent de la façon la plus abusive, dans la succession des parents, et qui n’était pas sans avantage au point de vue de la société. Il maintenait la famille en lui donnant un chef et à ce chef une situation qu’il devait utiliser pour aider tous autres à se tirer d’affaire. Ce droit, aujourd’hui aboli en France, survit encore dans quelques majorats, immeubles ou dotations inaliénables attachés à la possession d’un titre de noblesse et permettant au titulaire de garder son rang. L’idée essentielle sur laquelle reposait le droit d’aînesse était d’empêcher la noblesse de péricliter, l’idée de la famille n’en était qu’une résultante; c’est au contraire exclusivement cette dernière qui a donné naissance à la pensée récemment émise de permettre de constituer des biens familiaux destinés à parer à la désagrégation de la famille, amenée par les exigences de l’existence et les facilités de se répandre au loin; biens de valeur restreinte, mais qui, bénéficiant de certaines immunités, demeureraient, quoi qu’il arrive, un centre à l’abri de toute éventualité.
20, Souuent.—«Rara concordia fratrum (la concorde, chose rare chez des frères)», est une maxime de jurisconsultes.
28, Amitié.—«Le sort fait les parents, le choix fait les amis» (Delille).
15, Vsage.—L’abbé Sagette estime trop au-dessus de tout autre sentiment cette amitié bien éthérée pour de simples mortels, et que son culte pour la mémoire de son ami emporte l’auteur des Essais au delà de l’humaine nature, incapable d’un sentiment platonique si pur et si désintéressé.
25, Fins.—L’éd. de 80 aj.: comme de la generation, alliances, richesses.
31, Durable.—Mais inversement. Les femmes haïssent mortellement pour des sujets très légers. Mme de Genlis.
37, Reietté.—Contre cette opinion qui regarde les femmes comme peu propres à l’amitié, Thomas, littérateur français du XVIIIe siècle, dans son Essai sur les femmes, 1773, dit: «Rien ne leur échappe, elles devinent l’amitié qui se tait, encouragent l’amitié qui souffre»; les rapports de Mme Récamier (1778 à 1849) avec de Chateaubriand et Ballanche témoignent de la vérité de cette appréciation; en amour, Thomas leur accorde les mêmes délicatesses.
38, Grecque.—Passage des plus curieux où est fort bien expliqué ce que c’était que cet amour des Grecs pour les jeunes gens, dont on a tant et si diversement parlé.
33, Achilles.—Achille, roi des Myrmidons, peuple de Thessalie (anc. Grèce); le plus fameux des héros grecs qui prirent part à la guerre de Troie et immortalisé par Homère dans l’Iliade; célèbre en particulier par sa liaison avec Patrocle, tué par Hector qu’Achille tue à son tour pour venger la mort de son ami, et tué lui-même par Pâris d’une flèche au talon, seule partie de son être qui fût vulnérable (XIIIe siècle). Son nom, dans toutes les langues, est synonyme de bravoure et d’intrépidité.
7, Aristogiton.—Aristogiton était l’amant de Harmodius. Hipparque, qui gouvernait Athènes, conjointement avec son frère Hippias, cherchant à s’imposer à Harmodius, celui-ci et Aristogiton le tuèrent. D’autres disent qu’Hipparque, insulté par Harmodius, s’en vengea en insultant la sœur de ce dernier, qui avec l’aide de son ami tua l’insulteur. Ce faisant, Harmodius tomba lui-même sous les coups des gardes de son ennemi, tandis qu’Aristogiton, arrêté, périssait peu après dans les tortures. Leur mort fut le point de départ d’un mouvement populaire qui délivra Athènes du joug de la tyrannie, 509.
14, Equable.—C.-à-d. «d’une espèce d’amitié plus juste et plus égale» que celle dont il vient d’être parlé.
19, Parle.—Ce qui suit est une peinture des plus touchantes de l’amitié, condensée en quelques lignes.
25, Fatale.
33, L’autre.—Il y a dans saint Ambroise pleurant la mort de son frère, et répandant sur sa tombe les fleurs de son éloquence, des mots d’une tendresse charmante, des pensées d’un raffinement de sensibilité bien rare, que rappellent certaines pensées et certaines expressions de Montaigne. Payen.—Il en est de même dans les lettres de saint Jérôme à l’occasion de la mort de Népotien.—Quant à ce passage même des Essais, on en retrouve l’imitation suivante dans Lamartine:
34, Publiée.—Dans le recueil déjà cité plus haut, Paris, 1574; et plus récemment.
36, Durer.—Montaigne et La Boétie avaient lié connaissance en 1559; leurs relations durèrent donc quatre ans, ainsi du reste qu’il est dit un peu plus loin; lorsqu’ils se connurent, La Boétie avait 29 ans et Montaigne en avait 26.
11, Pareille.—C.-à-d. avec un désir et un empressement égaux de part et d’autre.
15, Intelligence.—Tiberius Gracchus avait obtenu le vote d’une loi agraire qui distribuait aux citoyens pauvres les richesses qu’Attale, roi de Pergame, avait laissées au peuple romain; devant la résistance qu’y fit le sénat, un mouvement populaire se produisit dont les adversaires de Tiberius, qui redoutaient son influence, profitèrent pour le faire assassiner au milieu de ses partisans, contre lesquels, lui mort, des poursuites furent exercées, 133. Cicéron, De l’Amitié, 11; Plutarque, Vie des Gracques, 5; Valère Maxime, IV, 7.
20, Lælius.—A semblables questions insidieuses, que dans leur ardeur judiciaire les accusateurs publics sont trop souvent portés à adresser, une seule réponse est à faire, c’est celle que fit Monseigneur Turinaz, évêque de Nancy, poursuivi en justice à l’occasion de faits amenés en France par la loi de séparation de l’Église et de l’État. Le Président du tribunal lui disant à un moment donné: «Et qu’auriez-vous fait, si vous n’aviez été évêque?»—«La question ne se pose pas, répondit le prélat, puisque je suis évêque.»
24, Gracchus.—Les éd. ant. aj.: de laquelle il se pouuoit respondre comme de la sienne.—A la suite de cet événement, Blosius, qui ne fut pas autrement inquiété, quitta Rome pour retourner en Asie; mais peu après, il se donna la mort.
29, Commis.—Abandonné, confié; du latin committere, s’en remettre.
36, Plus.—C.-à-d. n’est pas plus déplacée que ne le serait la mienne.
13, Deffier.—«L’adversité est la pierre de touche de l’amitié.» Maxime indienne.—«Les faux amis sont comme les hirondelles, qui paraissent dans la belle saison, et disparaissent dans la mauvaise.» Cicéron.—«Le faux ami ressemble à l’ombre d’un cadran qui se montre quand le soleil brille et disparaît quand les nuages le voilent.»—Réflexion d’Ovide exilé, que Ponsard traduit ainsi:
15, L’aymer.—Aulu-Gelle, I, 3, qui attribue cette maxime à Chilon. Elle l’est à Bias, par Aristote, Diogène Laërce et Cicéron; elle l’a été à Thalès; elle se retrouve dans l’Ajax de Sophocle.—Elle a donné lieu à bien des controverses: les anciens, en général, abondent dans ce sens: «Je blâme l’homme qui, en exerçant l’hospitalité, fait d’excessives démonstrations d’amitié, comme aussi celui qui traite mal son visiteur; toutes choses sont mieux qui demeurent dans la mesure convenable.» Homère, Odyssée.—«Les leçons d’une longue expérience nous ont appris que les mortels devraient nouer leurs amitiés par des attaches légères, faciles à rompre ou à serrer, et qui ne pénètrent pas jusqu’à l’âme (mot à mot: jusqu’à la pire moelle de l’âme). D’une affection trop tendre qui trouble la vie, naissent, dit-on, plus de tourments que de charmes; aussi, je préfère en tout la modération à l’excès et j’aurai pour moi l’opinion des sages.» Euripide, Hippolyte.—Cicéron, dans son dialogue sur l’amitié, est du même avis.—Marc-Aurèle disait avoir appris de son père à «éviter les fureurs dans les attachements, même les plus purs».—Les vers suivants sont la contrepartie de cette même thèse:
—De Sacy l’a aussi combattue dans son traité De l’Amitié.—De Joubert enfin est cette pensée, commentaire en quelque sorte de celle qui nous occupe: «Il n’y a plus aujourd’hui d’inimitiés irréconciliables, parce qu’il n’y a plus de sentiments désintéressés; c’est un bien né d’un mal.»
En somme cette maxime, appliquée à la vie privée, est très discutable; elle l’est beaucoup moins dans la vie publique et doit être de règle absolue dans les relations de peuple à peuple; ce n’est pas, comme dit La Bruyère, un principe moral, c’est un axiome politique.—C’est ce qui fait que l’Angleterre, malgré l’entente cordiale que présentement on s’efforce d’établir entre elle et nous, et les grands avantages économiques qu’elle en retirerait, se refuse obstinément et à bien juste raison à laisser construire le tunnel sous la Manche. Ne sachant ce que sera demain, elle ne veut pas mettre une chance contre elle, une chance d’invasion, si faible soit-elle, alors que de par sa position insulaire elle est inexpugnable. (Ce tunnel projeté de Sangatte (Pas-de-Calais) à Douvres aurait une longueur de 24 milles (44 kil. ½) sous la mer et 30 milles (55 kil. ½) avec les raccordements à fleur du sol; la dépense est évaluée approximativement à 400 millions).—C’est en vertu de ce même principe que notre attitude boudeuse et hargneuse depuis 1870-71 est si inepte; nous aurions dû accepter de bonne grâce les conditions que nous avons signées à Francfort, jusqu’au moment où nous nous serions crus en mesure de le rompre et résolus à le faire; c’était ce à quoi nous invitait Gambetta quand à propos de la revanche il disait qu’il fallait y penser sans cesse et n’en parler jamais; c’est du reste sous cette réserve que sont conclus tous les traités de paix quels qu’ils soient. Nous avons fait et continuons à faire tout le contraire; sans y penser, c’est-à-dire alors que nous sommes pour la paix à tout prix, que si la guerre survient c’est qu’elle nous sera imposée, qu’il nous sera impossible de nous y dérober, nous en parlons toujours, d’où une situation constamment tendue, et nous nous étonnons de trouver l’Allemagne, que par surcroît notre presse est sans cesse à exciter, en travers de toutes nos intentions. Une semblable attitude, peu digne, n’a que des inconvénients, celui entre autres de nous mettre à la remorque de quiconque a intérêt à attiser notre rancune.
19, Amy.—Diogène Laerce, V, 21.—Dans Don Quichotte se trouve ce proverbe espagnol: «Il n’y a point d’ami; pour ami, les cannes deviennent des lances.»—Autre proverbe: «Il faut se dire beaucoup d’amis et s’en croire peu.»
29, Eux.—«Tout est commun entre nous, l’amitié est commerce d’égalité.» Maxime pythagoricienne.
32, Aristote.—Diogène Laerce, V, 20.