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Essais de Montaigne (self-édition) - Volume IV

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CHAPITRE XX.

Nous ne goûtons rien qui ne soit sans mélange, II, 537.—Les hommes ne sauraient goûter de plaisirs sans mélange; toujours quelque amertume se joint à la volupté; il semble que, sans cet ingrédient, on ne saurait la supporter (Ariston, Pyrrhon, Épicharme, Socrate, Métrodore, Attale), 537.—Au moral, il en est de même; point de bonheur sans quelque teinte de vice, point de justice sans quelque mélange d’injustice (Platon), 541.—Dans la société même, les esprits les plus parfaits ne sont pas les plus propres aux affaires; tel homme du plus grand sens ne sait pas conduire sa maison, tel qui connaît l’économie publique laisse glisser en ses mains toute une fortune (Simonide et le roi Hiéron), 541.

CHAPITRE XXI.

Contre la fainéantise, II, 543.—C’est un devoir pour un prince de mourir debout, c’est-à-dire sans cesse occupé des affaires de l’État; pourquoi des sujets se sacrifieraient-ils au service et aux intérêts d’un souverain dont l’âme est avilie par l’oisiveté (les empereurs Vespasien et Adrien)? 543.—Il est naturel qu’un prince commande ses armées; les succès qu’il remporte sont plus complets et sa gloire plus justifiée (Sélim I, Bajazet II, Amurat III et Charles V; les rois de Castille et de Portugal), 545.—A l’activité les princes doivent joindre la sobriété (l’empereur Julien, la jeunesse lacédémonienne et la jeunesse persane, les anciens Romains), 545.—Le désir de mourir bravement et utilement est très louable, mais cela n’est pas toujours en notre pouvoir (les légions romaines de M. Fabius, quelques soldats indiens, Philistus), 547.—Bel exemple de vertus guerrières donné par Mouley-Moluch, roi de Fez, dans un combat où il expire vainqueur des Portugais, 547.—Tranquillité d’âme de Caton, résolu à la mort et sur le point de se la donner, 551.

CHAPITRE XXII.

Des postes, II, 551.—Montaigne, petit et trapu, courait volontiers la poste dans sa jeunesse, 551.—L’usage de disposer à demeure des chevaux de relais, de distance en distance, a été établi par Cyrus, roi de Perse; les Romains ont agi de même (Vibullius Rufus, César, Tiberius Néron, Sempronius Gracchus), 553.—Emploi d’hirondelles, de pigeons pour faire parvenir rapidement des nouvelles (Cecina, D. Brutus), 553.—Au Pérou, c’était avec des porteurs que se courait la poste; mesure prise en Turquie pour assurer le service des courriers, 553.

CHAPITRE XXIII.

Des mauvais moyens employés à bonne fin, II, 553.—Les états politiques sont sujets aux mêmes vicissitudes et accidents que le corps humain; lorsque leur population s’accroît outre mesure, on recourt aux émigrations, à la guerre, etc. (les anciens Francs, les Gaulois et Brennus, les Goths, les Vandales, les Turcs, les Romains, Édouard III roi d’Angleterre, Philippe de Valois), 553.—La faiblesse de notre condition nous réduit à recourir parfois, dans un bon but, à de mauvais moyens (Lycurgue, condamnés a mort livrés vivants au scalpel des médecins), 557.—Les spectacles de gladiateurs avaient été inventés pour inspirer au peuple romain le mépris de la mort (l’empereur Théodose), 557.

CHAPITRE XXIV.

De la grandeur romaine, II, 559.—Montaigne ne veut dire qu’un mot de la grandeur des Romains, à laquelle il ne trouve rien de comparable. N’étant encore que simple citoyen romain, César donne, vend, propose des trônes (César et Cicéron, M. Furius, le roi Déjotarus et un gentilhomme de Pergame, le roi Ptolémée), 559.—Une lettre du sénat romain suffit pour faire abandonner ses conquêtes à un roi puissant (Popilius et le roi Antiochus), 561.—Les Romains rendaient leurs royaumes aux rois qu’ils avaient vaincus, pour faire de ceux-ci des instruments de servitude (Auguste, le roi breton Cogidunus, Soliman), 562.

CHAPITRE XXV.

Se garder de contrefaire le malade, II, 563.—Exemples de personnes devenues soit goutteuses, soit borgnes après avoir feint de l’être pendant quelque temps (Celius, un homme cité par Appien), 563.—Réflexion de Montaigne sur un vœu formé par quelques gentilshommes anglais, 565.—Il faut empêcher les enfants de contrefaire les défauts physiques qu’ils aperçoivent chez les autres, de peur qu’ils ne les contractent eux-mêmes, 565.—Exemple d’un homme devenu aveugle en dormant, 565.—Une folle habitant la maison de Sénèque, devenue aveugle, croyait que c’était la maison qui était devenue obscure; réflexion de ce philosophe sur ce que les hommes ressemblent à cette folle, attribuant toujours leurs vices à d’autres causes qu’à eux-mêmes, 565.

CHAPITRE XXVI.

Du pouce, II, 567.—Usage chez certains rois barbares de cimenter leurs alliances en entrelaçant leurs pouces, les piquant, et suçant le sang l’un de l’autre, 567.—Étymologie du mot pouce, 567.—Coutume des Romains d’abaisser ou d’élever le pouce pour applaudir ou pour ordonner la mort des gladiateurs, 567.—La mutilation du pouce chez les anciens dispensait du service militaire (les Romains, Auguste, C. Vatienus, Philoclès, les Athéniens et les Éginètes, les Lacédémoniens), 569.

CHAPITRE XXVII.

La poltronnerie est mère de la cruauté, II, 569.—Vérité de l’adage qui fait le titre de ce chapitre; le vrai brave pardonne à l’ennemi qu’il a vaincu, le lâche l’injurie et le frappe même lorsqu’il est réduit à l’impuissance (Alexandre tyran de Phères), 569.—Tuer son ennemi quand il est abattu, c’est se priver de la vengeance; mieux vaudrait le conserver à la vie, pour jouir de sa honte. Celui qui succombe n’est pas du reste le plus à plaindre; le repos lui est acquis, tandis que le survivant est obligé de fuir, de se cacher (Bias, Lysiscus, coutume du royaume de Narsingue), 571.—Une chose inexcusable c’est d’attendre la mort d’un ennemi pour publier des invectives contre lui (Asinius Pollion et Plancus, Aristote), 573.—Les duels dérivent d’un sentiment de lâcheté, de la crainte que notre adversaire ne renouvelle ses offenses; l’usage de s’y faire accompagner de tenants dans les querelles particulières part de ce même sentiment, la peur de se voir abandonné à soi-même devant le danger; devoirs des tenants en pareille occurrence (le duc d’Orléans et le roi Henry d’Angleterre, les Argiens et les Lacédémoniens, les Horaces et les Curiaces, un frère de Montaigne), 573.—S’il est vrai que, seul, le courage doive être honoré, l’art de l’escrime est à flétrir, puisqu’il ne procure la victoire qu’à force de feintes et de ruses; de plus, il porte à violer les lois (le consul P. Rutilius, César à Pharsale), 577.—D’ailleurs, à la guerre, cet art est inutile et parfois dangereux (Philopœmen, Platon), 579.—Les gens sanguinaires et cruels sont généralement lâches, et un premier acte de cruauté en amène nécessairement d’autres (l’empereur Maurice et Phocas; Philippe roi de Macédoine, Théoxène et Poris), 581.—Les tyrans s’ingénient à prolonger les tourments de leurs victimes; mais leur intention est souvent trompée, les tortures violentes tuant, et celles qui sont tolérables ne suffisant pas à leur rage, 583.—Dans les exécutions ordinaires de la justice tout ce qui outrepasse la mort simple, est cruauté (Juifs crucifiés), 583.—Détails de quelques supplices atroces; Montaigne pense que les plus hideux à voir, ne sont pas toujours ceux qui causent le plus de douleur aux malheureux qui ont à les subir (l’empereur Mechmet en Épire, Crésus; Georges Séchel, chef des paysans polonais révoltés), 585.

CHAPITRE XXVIII.

Chaque chose en son temps, II, 587.—Ce furent deux grands hommes que Caton le Censeur et Caton d’Utique; mais celui-ci l’emporte de beaucoup sur le premier, 587.—Dans sa vieillesse, Caton le Censeur s’avisa d’apprendre le grec; c’est un ridicule, toutes choses doivent être faites en leur temps (Q. Flaminius, Eudémonidas et Xénocrate, Philopœmen et le roi Ptolémée), 587.—Nos désirs devraient être amortis par l’âge, mais nos goûts et nos passions survivent à la perte de nos facultés; quant à lui, Montaigne, il ne pense qu’à sa fin et ne forme pas de projets dont l’exécution nécessiterait plus d’une année, 589.—Sans doute un vieillard peut encore étudier, mais ses études doivent être conformes à son âge, elles doivent lui servir à quitter le monde avec moins de regrets (Caton d’Utique), 589.

CHAPITRE XXIX.

De la vertu, II, 591.—Par le mot vertu, il faut entendre ici la force d’âme. Ce n’est pas en des élans impétueux mais passagers que consiste ce genre de vertu; elle demande de la persévérance, un caractère solide et constant, et se rencontre rarement, 591.—Bien qu’il la possédât à un haut degré, Pyrrhon essaya vainement de toujours mettre sa vie en conformité avec sa doctrine; c’est que ce n’est pas tout de témoigner de la fermeté d’âme dans une circonstance donnée, le difficile est de se montrer tel dans toutes ses actions, 591.—Traits de courage amenés par une soudaine résolution (un paysan et un gentilhomme du pays de Montaigne, une femme de Bergerac), 593.—Autres exemples, ceux-là suite de déterminations, de projets arrêtés longtemps à l’avance; ces actions fortes et courageuses longuement préméditées sont, en général, le fruit de préjugés absurdes ou de fausses doctrines (les femmes hindoues, les gymnosophistes, Calanus), 595.—Le dogme de la fatalité, souvent mis en avant mais facile à réfuter, est fréquemment exploité pour surexciter les esprits; c’est lui qui inspire tant d’audace aux Turcs (les Bédouins, deux moines de Florence, un jeune Turc, Henry de Navarre), 597.—Quant aux assassins, la plupart du temps ce sont les passions religieuses ou politiques qui arment leur bras (les assassins du prince d’Orange et du duc de Guise, la secte des Assassins), 601.

CHAPITRE XXX.

A propos d’un enfant monstrueux, II, 605.—Description d’un enfant et d’un pâtre monstrueux; ce qui nous paraît tel, ne l’est pas pour la nature, 605.

CHAPITRE XXXI.

De la colère, II, 607.—Il vaut mieux confier les enfants au gouvernement qu’à leurs propres parents (les institutions de Lacédémone et de Crète), 607.—Ceux-ci les châtient quelquefois dans des transports de colère, ils les accablent de coups, les estropient; ce n’est pas correction, c’est vengeance, 607.—La colère nous fait le plus souvent envisager les choses sous un aspect trompeur; les fautes qui nous irritent ne sont pas telles qu’elles nous paraissent. Combien hideux sont les signes extérieurs de la colère (César et Rabirius), 609.—Il ne faut pas juger de la vérité ou de la fausseté des croyances et des opinions des hommes par leur conduite habituelle (Eudaminondas, Cléomène, Cicéron et Brutus, Cicéron et Sénèque, les éphores de Sparte), 611.—Modération de quelques grands hommes sous l’empire de la colère (Plutarque et un de ses esclaves, Archytas de Tarente, Platon, le lacédémonien Charylle et un ilote), 611.—Nous cherchons toujours à trouver et à faire trouver notre colère juste et raisonnable (Cneius Pison), 613.—Les femmes naturellement emportées, deviennent furieuses par la contradiction; le silence et la froideur les calment (l’orateur Celius, Phocion), 615.—Pour cacher sa colère, il faut des efforts inouïs; elle est moins terrible quand elle éclate librement (les hommes de guerre, Diogène et Démosthène), 615.—Attentions à avoir quand, dans son intérieur, on a sujet de se mettre en colère, 617.—Caractère du courroux de Montaigne; il feint parfois d’être plus en colère qu’il ne l’est réellement, 617.—Il ne croit pas que la colère puisse jamais avoir de bons effets, même quand il s’agit de forcer les autres à pratiquer la vertu; c’est une arme dangereuse; elle nous tient, nous ne la tenons pas (Aristote), 619.

CHAPITRE XXXII.

Défense de Sénèque et de Plutarque, II, 621.—Combien est fausse la comparaison que l’on a voulu établir entre Sénèque et le cardinal de Lorraine, en s’appuyant sur le portrait injurieux que l’historien Dion trace du premier; il est plus rationnel de croire ce qu’en disent Tacite et quelques autres qui en parlent d’une manière très honorable, 621.—Quant à Plutarque, il a été accusé par Bodin, d’ignorance, d’excessive crédulité et de partialité; réfutation de ces accusations. Sur le reproche d’ignorance, Montaigne n’a pas le savoir nécessaire pour en juger, 623.—Nombreux exemples témoignant que les faits avancés par Plutarque et qualifiés d’incroyables par son critique, n’ont rien d’impossible (un enfant de Lacédémone, Pyrrhus, les jeunes Spartiates, Ammien Marcellin et les Égyptiens, un paysan espagnol et L. Pison, Epicharis, de simples villageois du temps de Montaigne), 623.—C’est un tort de vouloir juger du possible et de l’impossible par ce dont nous sommes nous-mêmes capables (Agésilas), 629.—La partialité de Plutarque en faveur des Grecs et au détriment des Romains n’est pas mieux fondée, d’autant qu’il ne prétend pas que les grands hommes de ces deux peuples qu’il met en parallèle, ont même valeur; il ne porte pas sur eux d’appréciation d’ensemble, il ne compare que des points de détail en des situations déterminées, 629.

CHAPITRE XXXIII.

Histoire de Spurina, II, 633.—Nous apprendre à commander à nos passions, tel est le but de la philosophie. Mais il en est d’une violence extrême; et, des appétits qu’elles font naître en nous, ceux que l’amour occasionne semblent les plus excessifs; peut-être est-ce parce qu’ils intéressent à la fois le corps et l’âme, 633.—De combien de moyens ne s’est-on pas servi pour les amortir: les mutilations, les cilices, les réfrigérants de toutes espèces (un prince français, Xénocrate), 633.—Chez quelques-uns, l’ambition est plus indomptable que l’amour; Jules César, qui était d’une incontinence excessive, a toujours su réprimer la fougue de cette passion quand il s’agissait de grands intérêts (César, Mahomet II), 635.—D’autres, au contraire, ont fait céder l’ambition à l’amour (Ladislas roi de Naples), 637.—César ne sacrifiait jamais à ses plaisirs une heure de son temps quand les affaires l’exigeaient tout entier; il était à la fois le plus actif et le plus éloquent de son époque; il était aussi très sobre (César et Caton), 639.—Sa douceur et sa clémence ont paru douteuses; mille exemples prouvent qu’il avait ces qualités (les capitaines de Pompée, César à Pharsale, C. Memmius, C. Calvius, Catulle, C. Oppius), 641.—Mais son ambition effrénée l’a amené à renverser la république la plus florissante qui ait jamais existé, ce dont rien, d’après Montaigne, ne saurait l’absoudre (Marc Antoine), 643.—Exemple extraordinaire d’un jeune Toscan, Spurina, qui, extrêmement beau, se cicatrisa tout le visage pour se soustraire aux passions qu’il inspirait, 645.—Une telle action ne se peut approuver; il est plus noble de lutter que de se dérober aux devoirs que la société nous impose, autrement c’est mourir pour s’épargner la peine de bien vivre (Scipion et Diogène), 645.

CHAPITRE XXXIV.

Observations sur les moyens que Jules César employait à la guerre, II, 647.—Dans le chapitre précédent, Montaigne a examiné les vices et les qualités de César, il s’occupe ici de ses hauts faits et de ses talents militaires; selon lui, ses commentaires devraient être le bréviaire de tout homme de guerre, 647.—Pour rassurer ses troupes alarmées de la supériorité numérique de l’ennemi, il leur exagérait lui-même cette supériorité; il accoutumait ses soldats à lui obéir sans les laisser commenter ses desseins; très ménager du temps, il savait amuser l’ennemi pour le surprendre avec plus d’avantage (le roi Juba, Cyrus, les Suisses), 647.—Il n’exigeait guère de ses soldats que la vaillance et la discipline, parfois il leur donnait toute licence; il aimait qu’ils fussent richement armés, les honorait du nom de «Compagnons», ce qui n’empêchait pas qu’il ne les traitât, le cas échéant, avec beaucoup de sévérité, 649.—Il se complaisait aux travaux de campagne, 651.—Il aimait à haranguer ses troupes avant le combat, et ses harangues sont des modèles d’éloquence militaire, 651.—Rapidité de César dans ses mouvements; aperçu de ses guerres nombreuses en divers pays, 653.—Il voulait tout voir par lui-même; préférait obtenir le succès en négociant, plutôt que par la force des armes; il était plus circonspect qu’Alexandre dans ses entreprises, et donnait hardiment de sa personne chaque fois que la nécessité le comportait (bataille de Tournai, siège d’Avaricum, guerre contre Afranius et Petreius, César à Dyrrachium, César franchissant l’Hellespont), 653.—Sa confiance et sa ténacité au siège d’Alésia; deux particularités dignes de remarque à propos de ce siège (Lucullus, Vercingétorix), 657.—Avec le temps, César devint plus retenu dans ses entreprises. Quoique peu scrupuleux, il n’approuvait cependant pas qu’on se servît de toutes sortes de moyens à la guerre pour obtenir le succès (Arioviste), 659.—Il savait très bien nager et aimait à aller à pied, 659.—Ses soldats et ses partisans avaient pour lui une extrême affection et lui étaient tout dévoués (l’amiral de Chatillon, Sceva soldat de César, Granius Petronius, le siège de Salone), 661.

CHAPITRE XXXV.

Trois bonnes femmes, II, 663.—Quelques épigrammes de Montaigne contre les femmes qui font parade de leur affection pour leurs maris seulement quand ils sont morts (la veuve d’un prince français), 663.—Cependant, dans l’antiquité, il en relève trois qui voulurent partager le sort de leurs époux se donnant la mort. La première, une italienne, citée par Pline le Jeune, était de naissance commune; son dévouement, 665.—Les deux autres sont nobles; l’une est Arria, femme de Cecina Pætus; son énergie, 667.—L’autre est Paulina Pompeia, femme de Sénèque; son histoire, 671.—Singulière preuve d’amour que, de son côté, Sénèque, renonçant pour elle à mourir, avait donnée à sa femme, 675.


TROISIÈME VOLUME.

CHAPITRE XXXVI.

Quels hommes occupent le premier rang entre tous, III, 11.—Trois hommes des temps passés occupent, selon Montaigne, le premier rang entre tous. Le premier, c’est Homère, le prince, le modèle de tous les poètes; estime que l’on en a fait dans tous les temps (Aristote, Varron, Virgile, Alexandre le Grand, Cléomène, Plutarque, Alcibiade, Hiéron, Platon et Panetius, Mahomet II et le pape Pie II), 11.—Le second est Alexandre le Grand: ses belles actions pendant sa vie si courte; il est préférable à César qui pourtant lui est supérieur sous certains rapports (Annibal, les Mahométans), 15.—Le troisième et le meilleur de tous, c’est Épaminondas; il l’emporte sur Alexandre et César, mais son théâtre d’action a été beaucoup plus restreint. Les Grecs l’ont nommé le premier d’entre eux; il réunissait toutes les qualités que l’on trouve éparses chez les autres, et chez lui elles atteignaient la perfection, 19.—Scipion Émilien pourrait lui être comparé, s’il eût eu une fin aussi glorieuse. Ce qu’on peut dire d’Alcibiade, 21.—Bonté, douceur, équité et humanité d’Épaminondas (Pélopidas, les Béotiens), 21.

CHAPITRE XXXVII.

De la ressemblance des enfants avec leurs pères, III, 23.—Comment Montaigne a fait son livre: il n’y travaillait que lorsqu’il avait des loisirs; un valet lui a emporté une partie de son manuscrit, il le regrette peu, 23.—Il y a sept ou huit ans qu’il a commencé à l’écrire, et depuis dix-huit mois il souffre d’un mal qu’il avait toujours redouté, de coliques néphrétiques, 23.—Combien les hommes sont attachés à la vie! Pour lui, il est bien plus sensible aux maux physiques qu’aux douleurs morales, et cependant il commence à s’habituer à sa cruelle maladie qui lui offre cet avantage de le mieux familiariser avec la mort (Mécène, Tamerlan et les lépreux, Antisthène et Diogène), 23.—Il n’est point de ceux qui réprouvent que l’on témoigne par des plaintes et des cris les souffrances que l’on ressent, quoiqu’il arrive à assez bien se contenir, et que, même dans les plus grandes douleurs, il conserve sa lucidité d’esprit, s’observe et se juge, 27.—Ce qui l’étonne et qu’il ne peut s’expliquer, ce sont ces transmissions physiques et morales, directes et indirectes, des pères, des aïeux, des bisaïeuls aux enfants (la famille des Lépides à Rome, une famille de Thèbes), 31.—Il pense tenir de son père ce mal de la pierre dont il est affecté, comme aussi il a hérité de lui de son antipathie pour la médecine, 31.—Motif du peu d’estime en laquelle il tient cette science, elle fait plus de malades qu’elle n’en guérit, 35.—La plupart des peuples, les Romains entre autres, ont longtemps existé sans connaître la médecine (les Romains, Caton le Censeur, les Arcadiens, les Libyens, nos villageois), 39.—L’utilité des purgations imaginées par la médecine n’est rien moins que prouvée; sait-on du reste jamais si un remède agit en bien ou en mal et s’il n’eût pas mieux valu laisser faire la nature (un Lacédémonien, l’empereur Adrien, un lutteur et Diogène, Nicoclès), 39.—Les médecins se targuent de toutes les améliorations qu’éprouve le malade et trouvent toujours à excuser le mauvais succès de leurs ordonnances (Platon, Ésope), 41.—Loi des Égyptiens obligeant les médecins à répondre de l’efficacité du traitement de leurs malades (Esculape), 43.—Le mystère sied à la médecine; le charlatanisme qu’apportent les médecins dans la désignation et le mode d’emploi de leurs drogues, leur attitude compassée près de leurs malades en imposent; ils devraient toujours discuter à huis clos et se garder de traiter à plusieurs un même malade, ils éviteraient ainsi de déceler les contradictions qui règnent entre eux, 45.—Sur la cause même des maladies, que d’opinions diverses! 47.—Quand la médecine a commencé à être en crédit; fluctuations que, depuis cette époque, ont subies les principes sur lesquels elle repose (Hippocrate, Chrysippe, Érasistrate, Hiérophile, Asclépiade, Thémisson, Musa, Vectius Valens, Thessalus, Crinas de Marseille, Charinus, Pline l’Ancien, Paracelse, Fioraventi, Argentarius), 47.—Rien de moins certain que les médicaments qui ne font pas de bien ne font pas de mal; en outre, les méprises sont fréquentes; la chirurgie offre une bien plus grande certitude, 49.—Comment ajouter foi à des médicaments complexes, composés en vue d’effets différents, souvent contraires, devant se produire simultanément sur divers de nos organes? 53.—Chaque maladie devrait être traitée par un médecin distinct qui s’en serait spécialement occupé (les Égyptiens), 55.—Faiblesse et incertitude des raisonnements sur lesquels est fondé l’art de la médecine: l’un condamne ce que l’autre approuve, 55.—Quoique Montaigne n’ait confiance en aucun remède, il reconnaît que les bains sont utiles, peut-être aussi les eaux thermales; diversité dans les modes d’emploi de ces eaux (sources minérales en France, en Allemagne, en Italie), 57.—Conte assez plaisant contre les gens de loi et les médecins (les habitants du pays de Lahontan), 61.—Autre conte sur la médecine (un bouc nourri d’herbes apéritives et de vin blanc), 63.—Ce n’est que leur science que Montaigne attaque chez les médecins et non eux, pour lesquels il a la même estime que pour les gens de n’importe quelle autre profession; limite dans laquelle il se confie à eux; combien au surplus ne font pas, pour eux-mêmes, usage des drogues qu’ils prescrivent à autrui (Lycurgue, un gentilhomme gascon), 65.—C’est la crainte de la douleur, de la mort, qui fait qu’on se livre communément aux médecins (les Babyloniens, les Égyptiens), 67.—Sur quoi, du reste, la connaissance que les médecins prétendent avoir de l’efficacité de leurs remèdes est-elle fondée (Galien)? 69.—Insertion d’une lettre de Montaigne à Madame de Duras. Elle lui a entendu exposer ses idées sur la médecine, elle les retrouvera dans son ouvrage où il se peint tel qu’il est, ne voulant pas paraître après lui autre qu’il n’était de son vivant, se souciant peu de ce que, lui mort, on en pourra penser (Tibère), 71.—S’il a parlé si mal de la médecine, ce n’a été qu’à l’exemple de Pline et de Celse, les seuls médecins de Rome ancienne qui aient écrit sur leur art, 75.—Il se peut que lui-même en arrive à se remettre entre les mains des médecins; c’est qu’alors, comme tant d’autres, il sera gravement atteint et ne sera plus en possession de la plénitude de ses facultés; au surplus, sur ce sujet comme sur toutes autres choses, Montaigne admet fort bien que tout le monde ne soit pas de son avis (Périclès), 75.


LIVRE TROISIÈME.

CHAPITRE I.

De ce qui est utile et de ce qui est honnête, III, 79.—La perfidie est si odieuse que les hommes les plus méchants ont parfois refusé de l’employer, même quand ils y avaient intérêt (Tibère et Arminius), 79.—L’imperfection de la nature humaine est si grande que des vices et des passions très blâmables, sont souvent nécessaires à l’existence de la société; c’est ainsi que la justice recourt quelquefois et bien à tort à de fausses promesses, pour obtenir des aveux, 79.—Dans le peu d’affaires politiques auxquelles Montaigne a été mêlé, il a toujours cru devoir se montrer franc et consciencieux (Hypéride et les Athéniens, Atticus), 81.—Quelque danger qu’il y ait à prendre parti dans les troubles intérieurs, il n’est ni beau, ni honnête de rester neutre (Gélon tyran de Syracuse, Morvillers évêque d’Orléans), 85.—Quel que soit le parti que l’on embrasse, la modération est à observer à l’égard des uns comme vis-à-vis des autres, 87.—Il est des gens qui servent les deux partis à la fois; ils sont à utiliser, tout en se gardant du mal qu’ils peuvent vous faire, 87.—Quant à Montaigne, il disait à tous les choses telles qu’il les pensait, et se contentait de ce qu’on lui communiquait sans chercher à pénétrer les secrets de personne, ne voulant du reste être l’homme lige de qui que ce fût (Philippide et Lysimaque), 87.—Cette manière de faire n’est pas celle que l’on pratique d’ordinaire, mais il était peu apte aux affaires publiques qui exigent souvent une dissimulation qui n’est pas dans son caractère, 89.—Il y a une justice naturelle, bien plus parfaite que les justices spéciales à chaque nation, que chacune a créées à son usage et qui autorisent parfois des actes condamnables lorsque le résultat doit en être utile (l’indien Dendamis), 91.—La trahison, par exemple, est utile dans quelques cas, elle n’en est pas plus honnête; ceux qui s’y prêtent en sont flétris et on ne saurait vous imposer d’en commettre (deux compétiteurs au royaume de Thrace, l’empereur Tibère et Pomponius Flaccus, les Lacédémoniens et Antipater, les rois d’Égypte et leurs juges), 93.—Si elle est excusable, ce n’est qu’opposée à une autre trahison sans que pour cela le traître cesse d’être méprisé; parfois il est puni par ceux-là mêmes qu’il a servis (Fabricius et le médecin de Pyrrhus, Jarolepc duc de Russie, Antigone et les soldats d’Eumène, l’esclave de Sulpitius, Clovis, Mahomet II, la fille de Séjan), 95.—Ceux qui consentent à être les bourreaux de leurs parents et de leurs compagnons encourent la réprobation publique (Witolde, prince de Lithuanie), 99.—Les princes sont quelquefois dans la nécessité de manquer à leur parole; ils ne sont excusables que s’ils se sont trouvés dans l’impossibilité absolue d’assurer autrement les intérêts publics dont ils ont charge, 99.—Comment le Sénat de Corinthe s’en remit à la Fortune, du jugement qu’il avait à porter sur Timoléon qui venait de tuer son propre frère, 101.—Acte inexcusable du Sénat romain revenant sur un traité qu’il avait ratifié, revirement fréquent dans les guerres civiles, 101.—L’intérêt privé ne doit jamais prévaloir sur la foi donnée; ce n’est que si on s’est engagé à quelque chose d’inique ou de criminel, que l’on peut manquer à sa parole, 103.—Chez Épaminondas, l’esprit de justice et la délicatesse de sentiments ont toujours été prédominants; son exemple montre qu’ils sont compatibles avec les rigueurs de la guerre et qu’il est des actes qu’un homme ne peut se permettre même pour le service de son roi, non plus que pour le bien de son pays (Pompée, César, Marius, un soldat de Pompée, un autre à une époque un peu postérieure), 103.—En résumé, l’utilité d’une action ne la rend pas honorable, 107.

CHAPITRE II.

Du repentir, III, 107.—Avant d’entrer en matière, Montaigne jette un regard sur lui-même et expose que, si la peinture qu’il fait de lui dans son ouvrage ne le représente pas constamment avec les mêmes idées, c’est qu’il se peint au jour le jour et que rien n’est stable en ce monde; il change, parce que tout change (Demade), 107.—Quoique sa vie n’offre rien de particulier, l’étude qu’il en fait, n’en a pas moins son utilité, étant donné que c’est un homme qu’il dépeint, et non un grammairien, un poète ou un jurisconsulte; que jamais auteur n’a traité un sujet qu’il possédait mieux, et qu’il ne veut que raconter et non enseigner, 109.—Tout vice laisse dans l’âme une plaie qui tourmente sans cesse; une bonne conscience procure, au contraire, une satisfaction durable; c’est ce qui fait que Montaigne se félicite de n’avoir, malgré la contagion de son siècle, causé ni la ruine ni l’affliction de personne, de n’avoir pas attenté publiquement aux lois, ni manqué à sa parole, 111.—Chacun devrait être son propre juge, les autres n’ont qu’une fausse mesure de nous-mêmes; ce n’est pas nous qu’ils voient, mais ce qu’ils croient deviner de nous sous le masque dont nous nous couvrons, 113.—Le repentir est, dit-on, la suite inévitable d’une faute; cela n’est pas exact pour les vices enracinés en nous, 115.—La vie extérieure d’un homme n’est pas sa vie réelle, il n’est lui-même que dans sa vie privée; aussi combien peu font l’admiration de ceux qui vivent constamment dans leur intérieur et même dans leur voisinage immédiat. C’est surtout chez les hommes de condition sociale peu élevée, que la grandeur d’âme se manifeste (Bias, Livius Drusus, Agésilas, Montaigne, Aristote, Alexandre et Socrate, Tamerlan, Érasme), 115.—Les inclinations naturelles, les longues habitudes se développent, mais ne se modifient ni ne se surmontent par l’éducation; aussi ceux qui entreprennent de réformer les mœurs, se trompent-ils en croyant y arriver: ils n’en changent que l’apparence, 121.—Les hommes en général, même dans leur repentir, ne s’amendent pas réellement; s’ils cherchent à être autres, c’est parce qu’ils espèrent s’en trouver mieux; pour lui, son jugement a toujours dirigé sa conscience (un paysan de l’Armagnac), 121.—Aussi ne se repent-il aucunement de sa vie passée; dans la gestion de ses propres affaires, il a pu commettre des erreurs importantes: c’est à la fortune, et non à son jugement, qu’il en impute la faute, 125.—Les conseils sont indépendants des événements; lui-même en demandait peu et n’en tenait guère compte; d’autre part, il en donnait rarement. Une fois une affaire finie, il se tourmentait peu de la tournure qu’elle avait prise, lors même qu’elle était contraire à ses désirs ou à ses prévisions (Phocion), 129.—On ne saurait appeler repentir les changements que l’âge apporte dans notre manière de voir et par suite dans notre conduite; la sagesse des vieillards n’est que de l’impuissance; ils raisonnent autrement, et peut-être moins sensément que dans la vigueur de l’âge (Antisthène), 131.—Il faut donc s’observer dans la vieillesse pour éviter, autant que possible, les imperfections qu’elle apporte avec elle (Socrate), 133.

CHAPITRE III.

De la société des hommes, des femmes et de celle des livres, III, 137.—La diversité des occupations est un des caractères principaux de l’âme humaine; le commerce des livres est de ceux qui la distraient (Caton l’Ancien), 137.—Pour Montaigne, son occupation favorite était de méditer sur lui-même; par la lecture, il ajoutait à ses sujets de méditation; il se plaisait aussi aux conversations sérieuses, sans bannir toutefois les sujets ayant de la grâce et de la beauté; les entretiens frivoles n’étaient pour lui d’aucun intérêt (Aristote), 137.—Peu porté à se lier, il apportait beaucoup de circonspection dans ces amitiés de rencontre qu’engendre la vie journalière; cette réserve, commandée aussi par le mauvais esprit du temps, n’a pas été sans indisposer beaucoup de personnes contre lui; par contre, assoiffé d’amitié vraie, il se livrait sans restriction s’il venait à se rencontrer avec quelqu’un répondant à son idéal (Socrate, Plutarque), 139.—Il est utile de savoir s’entretenir familièrement avec toutes sortes de gens et il faut se mettre au niveau de ceux avec lesquels on converse; aussi n’aime-t-il pas les personnes au langage prétentieux (Platon, les Lacédémoniens), 141.—Cette sorte de langage est un défaut fréquent chez les savants et qui lui fait fuir les femmes savantes; que la femme ne se contente-t-elle de ses dons naturels; si, cependant, elle veut étudier, qu’elle cultive la poésie, l’histoire et ce qui, en fait de philosophie, peut l’aider à supporter les peines de la vie, 143.—Montaigne, de caractère ouvert et exubérant, s’isolait volontiers autant par la pensée au milieu des foules, à la cour par exemple, que d’une manière effective, chez lui, où on était affranchi de toutes les contraintes superflues qu’impose la civilité, 145.—Dans le monde, il recherchait la société des gens à l’esprit juste et sage, lesquels sont bien plus rares qu’on ne croit; nature des conversations qu’il avait avec eux. C’est là ce que finalement il appelle son premier commerce (Hippomachus), 147.—Le commerce avec les femmes vient en second lieu; il a sa douceur, mais aussi ses dangers; les sens y jouent un grand rôle; Montaigne voudrait que de part et d’autre on y apportât de la sincérité, à cet égard l’homme est au-dessous de la brute (les filles des Brahmanes), 149.—Idée qu’il donne de ses amours; les grâces du corps, en pareil cas, l’emportent sur celles de l’esprit bien que celles-ci y aient aussi leur prix (l’empereur Tibère, la courtisane Flora), 153.—Un troisième commerce dont l’homme a la disposition, est celui des livres; c’est le plus sûr, le seul qui ne dépende pas d’autrui; les livres consolent Montaigne dans sa vieillesse et dans la solitude (Jacques roi de Naples et de Sicile), 153.—Sa bibliothèque est son lieu de retraite de prédilection; description qu’il en donne, 155.—Les Muses sont le délassement de l’esprit. Dans sa jeunesse, Montaigne étudiait pour briller; dans l’âge mûr, pour devenir plus sage; devenu vieux, il étudie pour se distraire, 159.—Mais le commerce des livres a, lui aussi, des inconvénients; il n’exerce pas le corps: de ce fait, dans la vieillesse, il est préjudiciable à la santé, 159.

CHAPITRE IV.

De la diversion, III, 159.—C’est par la diversion qu’on parvient à calmer les douleurs vives. On console mal par le raisonnement; il faut distraire l’esprit, appeler son attention sur d’autres objets, mais l’effet en est de courte durée (Cléanthe, les Péripatéticiens, Chrysippe, Épicure, Cicéron), 159.—A la guerre, la diversion se pratique utilement pour éloigner d’un pays un ennemi qui l’a envahi, pour gagner du temps (Périclès, le sieur d’Himbercourt, Atalante et Hippomène), 161.—C’est aussi un excellent remède dans les maladies de l’âme, par elle on rend moins amers nos derniers moments; Socrate est le seul qui, dans l’attente de la mort, sans cesser de s’en entretenir, ait constamment, durant un long espace de temps, gardé la plus parfaite sérénité (les disciples d’Hégésias et le roi Ptolémée), 165.—Chez les condamnés à mort, la dévotion devient une diversion à leur terreur, 165.—Fermeté, lors de son exécution, de Subrius Flavius condamné à mort, 167.—Sur un champ de bataille, dans un duel, l’idée de la mort est absente de la pensée des combattants (L. Silanus), 167.—Dans les plus cruelles calamités, nombre de considérations rendent notre situation moins pénible; sommes-nous menacés d’une mort prochaine, l’espérance d’une vie meilleure, le succès de nos enfants, la gloire future de notre nom, l’espoir que nous serons vengés, etc., tout se présente à notre esprit, l’occupe et le distrait (Didon, Ariane, Xénophon, Épicure, Épaminondas, Zénon), 167.—Moyen de dissiper un ardent désir de vengeance, 169.—C’est encore par la diversion qu’on se guérit de l’amour, comme de toute autre passion malheureuse; par elle, le temps, qui calme tout, exerce son action, 169.—De même en détournant l’attention, on fait tomber un bruit public qui vous offense (Alcibiade), 171.—Un rien suffit pour attirer et détourner notre esprit; en présence même de la mort, les objets les plus frivoles entretiennent en nous le regret de la vie (Plutarque, la robe de César, Tibère), 173.—L’orateur et le comédien en arrivent souvent à ressentir en réalité les sentiments qu’ils expriment dans le plaidoyer qu’ils débitent ou le rôle qu’ils jouent (les pleureuses, le convoi de M. de Grammont, Quintilien), 175.—Singulier moyen que nous mettons en œuvre pour faire diversion à la douleur que nos deuils peuvent nous causer, 177.—Nous nous laissons souvent influencer par de purs effets d’imagination; parfois, il n’en faut pas davantage pour nous porter aux pires résolutions (Cambyse, Aristodème, Midas, Prométhée), 177.

CHAPITRE V.

A propos de quelques vers de Virgile, III, 179.—La vieillesse est si naturellement portée vers les idées tristes et sérieuses que, pour se distraire, elle a besoin de se livrer quelquefois à des actes de gaîté; à l’âge où il est parvenu, Montaigne se défend de la tempérance comme il se défendait autrefois de la volupté, 179.—Aussi saisit-il avidement toutes les occasions de goûter quelque plaisir et pense qu’il vaut mieux être moins longtemps vieux, que vieux avant de l’être (Platon), 181.—Ce qu’il y a de pire, dans la vieillesse, c’est que l’esprit se ressent des souffrances et de l’affaiblissement du corps, 185.—La santé, la vigueur physique font éclore les grandes conceptions de l’esprit; la sagesse n’a que faire d’une trop grande austérité de mœurs, elle est par essence gaie et sociable (Platon, Socrate, Crassus), 185.—Ceux qui se blessent de la licence des écrits de Montaigne devraient bien plutôt blâmer celle de leurs pensées. Pour lui, il ose dire tout ce qu’il ose faire et regrette que tout ce qu’il pense ne puisse de même être publié; il est du reste à présumer que la confession qu’il fait de ses fautes, aura peu d’imitateurs (Thalès, Origène, Ariston), 187.—Ce que les hommes craignent le plus, c’est qu’une occasion quelconque mette leurs mœurs à découvert; et pourtant, comment un homme peut-il être satisfait d’être estimé, honoré, lorsqu’il sait qu’il ne mérite ni l’estime, ni la vénération? Montaigne, qui va maintenant entrer dans le vif de son sujet, appréhende que ce chapitre des Essais ne fasse passer son livre du salon de ces dames dans leur boudoir (Archélaüs, Socrate), 191.—Comment se fait-il que l’acte par lequel se perpétue le genre humain, paraisse si honteux qu’on n’ose le nommer? Il est vrai que si on tait son nom, il n’en est pas moins connu de tout sexe (Aristote, Plutarque, Lucrèce), 193.—Pourquoi avoir voulu brouiller les Muses avec Vénus? Rien n’inspire plus les poètes que l’amour, et rien ne peint mieux ses transports que la poésie; pour s’en convaincre, il ne faut que lire les vers où Virgile décrit avec tant de chaleur une entrevue amoureuse de Vénus avec Vulcain, 193.—Le mariage diffère de l’amour; c’est un marché grave, dicté par la raison, que l’on contracte en vue de la postérité; les extravagances amoureuses doivent en être bannies; au surplus, les mariages auxquels l’amour a seul présidé, ont, plus que tous autres, tendance à mal tourner (Aristote), 195.—L’amour ne fait pas partie intégrante du mariage, pas plus que la vertu n’est d’une façon absolue liée à la noblesse. Digression sur le rang en lequel sont tenus les nobles dans le royaume de Calicut (Antigone), 195.—Un bon mariage, s’il en existe, est une union faite d’amitié et de confiance, qui impose des devoirs et des obligations mutuelles; il n’est pas d’état plus heureux dans la société humaine (Socrate), 199.—Montaigne répugnait beaucoup à se marier, cependant il s’est laissé assujettir par l’exemple et les usages à ce commun devoir; et, tout licencieux qu’on le croit, il a mieux observé les lois du mariage qu’il ne l’avait promis et espéré. Ceux-là ont grand tort qui s’y engagent sans être résolus à s’y comporter de même, 201.—Différence entre le mariage et l’amour; une femme peut céder à un homme, dont elle ne voudrait pas pour mari (Virgile, Isocrate, Lycurgue, Platon), 203.—Nos lois sont trop sévères envers les femmes, on voit qu’elles ont été faites par les hommes. Nous voulons qu’elles maîtrisent leurs désirs plus ardents encore que les nôtres, que nous n’essayons même pas de modérer (Isocrate, Tirésias, Proculus et Messaline, une femme de Catalogne et la reine d’Aragon, Solon), 205.—Il n’y a pas de passion plus impérieuse, et nous nous opposons à ce qu’elles en tempèrent les effets ou reçoivent entière satisfaction; épousent-elles un jeune homme, cela ne l’empêche pas d’avoir des maîtresses; un vieillard, c’est comme si elles restaient vierges (le philosophe Polémon, la vestale Clodia Læta, Boleslas roi de Pologne et Kinge sa femme), 209.—L’éducation qu’on donne aux jeunes filles, tout opposée à ce qu’on exige d’elles, éveille constamment en elles ce sentiment: elles n’entendent parler que d’amour; ce qu’on leur en cache, souvent maladroitement, elles le devinent; aussi, leur imagination aidant, en savent-elles plus que nous qui prétendons les instruire, et Boccace et l’Arétin n’ont rien à leur apprendre (la fille de Montaigne), 209.—Du reste c’est l’amour, c’est l’union des sexes qui sont la grande affaire de ce monde; aussi ne faut-il pas s’étonner si les plus grands philosophes ont écrit sur ce sujet (Socrate, Zénon, Straton, Théophraste, Aristippe, Platon, Démétrius de Phalère, Héraclide du Pont, Antisthène, Ariston, Cléanthe, Sphereus, Chrysippe, l’école d’Épicure), 211.—Dans l’antiquité, les organes de la génération étaient déifiés; aujourd’hui, comme alors, tout du fait de l’homme comme de celui de la nature, rappelle constamment l’amour aux yeux de tous (à Babylone, dans l’île de Chypre, à Héliopolis, les Égyptiennes, les matrones de Rome, la chaussure des Suisses, les costumes des hommes et des femmes chez nous et ailleurs, un pape), 213.—Mieux vaudrait renseigner de bonne heure la femme sur les choses de l’amour, que de lui en faire mystère et de laisser son imagination travailler, ce qui la porte notamment à des exagérations qui aboutissent à des déconvenues lorsqu’elle est en présence de la réalité; en somme, dans toutes les règles qu’il a édictées, l’homme n’a eu que lui-même en vue (Platon, les femmes de l’Inde, Livie, les Lacédémoniennes, S. Augustin), 215.—Il est bien difficile, dans l’état actuel de nos mœurs, qu’une femme demeure toujours chaste et fidèle (S. Jérôme), 217.—Elles n’en ont que plus de mérite, lorsqu’elles parviennent à se maintenir sages; mais ce n’est pas en se montrant prudes et revêches qu’elles feront croire à leur vertu. Ce à quoi elles doivent s’appliquer, c’est à conserver leur réputation, ou, si elles l’ont perdue, à la rétablir. L’indiscrétion des hommes est un grand tourment pour elles, 219.—La jalousie est une passion inique dont elles ont également à souffrir, etc.; le préjugé qui nous fait considérer comme une honte l’infidélité de la femme n’est pas plus raisonnable. Que de grands hommes se sont consolés de cet accident; les dieux du paganisme, Vulcain entre autres, ne s’en alarmaient pas. Chez la femme, la jalousie est encore plus terrible que chez l’homme; elle pervertit en elle tout ce qu’il y a de bon et de beau et la rend susceptible des pires méfaits (le berger Chratis, Lucullus, César, Pompée, Antoine, Caton, Lépide, Vulcain et Vénus, Octave et Paulia Posthumia), 223.—La chasteté est-elle chez la femme une question de volonté? Pour réussir auprès d’elle, tout dépend des occasions et il faut savoir oser (Montaigne était de ceux qui n’osent guère); celles qui se prétendent sûres d’elles-mêmes, ou n’ont pas été exposées à la tentation, ou se vantent; du reste ce que nous entendons leur interdire à cet égard, est mal défini et peut se produire parfois inconsciemment (les femmes Scythes, Fatua femme de Faustus, la femme de Hiéron), 227.—C’est d’après l’intention qu’il faut juger si la femme manque, ou non, à son devoir; qu’a-t-on à blâmer chez celle qui se prostitue pour sauver son mari? à celle qui a été livrée au libertinage avant l’âge d’avoir pleine connaissance? et puis, quel profit retirons-nous de prendre trop de souci de la sagesse de nos femmes (Phaulius d’Argos et le roi Philippe, Galba et Mécène, les femmes de l’Inde, le philosophe Phédon, Solon)? 231.—Il vaut mieux ignorer que connaître leur mauvaise conduite; un honnête homme n’en est pas moins estimé parce que sa femme le trompe. C’est là un mal qu’il faut garder secret, mais c’est là un conseil qu’une femme jalouse ne saurait admettre, tant cette passion, qui l’amène à rendre la vie intolérable à son mari, la domine une fois qu’elle s’est emparée d’elle (Pittacus, le sénat de Marseille), 233.—Un mari ne gagne rien à user de trop de contrainte envers sa femme; toute gêne aiguise les désirs de la femme et ceux de ses poursuivants (un hôte de Flaminius, Messaline et Claude), 237.—Lucrèce a peint les amours de Vénus et de Mars avec des couleurs plus naturelles que Virgile décrivant les rapports matrimoniaux de Vénus et de Vulcain; quelle vigueur dans ces deux tableaux si expressifs! Caractère de la véritable éloquence; enrichir et perfectionner leur langue est le propre des bons écrivains; quelle différence entre ceux des temps anciens et ceux du siècle de Montaigne (Virgile, Lucrèce, Gallus, Horace, Plutarque, Ronsard et la Pléiade), 239.—La langue française, en l’état, se prête mal, parce qu’on ne sait pas en user, à rendre les idées dont l’expression comporte de l’originalité et de la vigueur; ce qui fait qu’on a souvent recours à l’aide du latin et du grec, alors qu’on en pourrait tirer davantage. On apporte également trop d’art dans le langage employé dans les questions de science (Léon l’Hébreu, Ficin, Aristote, Bambo, Équicola), 243.—Montaigne aimait, quand il écrivait, à s’isoler et à se passer de livres pour ne pas se laisser influencer par les conseils et par ses lectures; il ne faisait exception que pour Plutarque (un peintre, le musicien Antigenide), 245.—Il a grande tendance à imiter les écrivains dont il lit les ouvrages, aussi traite-t-il de préférence des sujets qui ne l’ont pas encore été; n’importe lequel, un rien lui suffit (des singes et Alexandre, Socrate, Zénon et Pythagore), 247.—Les idées les plus profondes, comme les plus folles, lui viennent à l’improviste, surtout lorsqu’il est à cheval; le souvenir qu’il en conserve est des plus fugitifs, 249.—Revenant à son sujet principal, Montaigne estime que l’amour n’est autre que le désir d’une jouissance physique; et, considérant ce que l’acte lui-même a de ridicule, il est tenté de croire que les dieux ont voulu par là apparier les sages et les fous, les hommes et les bêtes (Socrate, Platon, Alexandre), 249.—D’autre part, pourquoi regarder comme honteuse une action si utile, commandée par la nature? On se cache et on se confine pour construire un homme; pour le détruire, on recherche le grand jour et de vastes espaces (les Esséniens, les Athéniens), 251.—N’y a-t-il pas des hommes, et même des peuples, qui se cachent pour manger? chez les Turcs, des fanatiques qui se défigurent? un peu partout des hommes qui s’isolent de l’humanité? On abandonne les lois de la nature, pour suivre celles plus ou moins fantasques des préjugés, 253.—Parler discrètement de l’amour, comme l’ont fait Virgile et Lucrèce, c’est lui donner plus de piquant; ainsi font les femmes qui cachent leurs appâts pour les rendre plus attrayants; et les prêtres, leurs dieux pour leur donner plus de lustre (Virgile, Lucrèce, Ovide, Martial), 255.—L’amour, tel que le pratiquent les Espagnols et les Italiens, plus respectueux et plus timide que chez les Français, plaît à Montaigne; il en aime les préambules; celui qui ne trouve de jouissance que dans la jouissance n’est pas de son école. Le pouvoir de la femme prend fin, dès l’instant qu’elle est à nous (Thrasonide), 257.—La coutume d’embrasser les femmes lorsqu’on les salue, lui déplaît, c’est profaner le baiser; les hommes eux-mêmes n’y gagnent pas: pour trois belles qu’ils embrassent il leur en faut embrasser cinquante laides (Socrate), 259.—Il approuve que, même avec des courtisanes, on cherche à gagner leur affection afin de ne pas avoir que leur corps seulement (les Italiens, la Vénus de Praxitèle, un Égyptien, Périandre, la Lune et Endymion), 259.—Les femmes sont plus belles, les hommes ont plus d’esprit en Italie qu’en France; mais nous avons autant de femmes d’exquise beauté et d’hommes supérieurs que les Italiens. La femme mariée est, chez eux, trop étroitement tenue, ce qui est d’aussi fâcheuse conséquence que de leur laisser trop de licence, 261.—Il est de l’intérêt de la femme d’être modeste et d’avoir de la retenue; même n’étant pas sages, elles sauvegardent de la sorte leur réputation; la nature d’ailleurs les a faites pour se refuser, du moins en apparence, car elles sont toujours prêtes; par ces refus, elles excitent beaucoup plus l’homme (les Sarmates, Aristippe, Thalestris et Alexandre), 265.—Il y a de l’injustice à blâmer l’inconstance de la femme; rien de violent ne peut durer et, par essence, l’amour est violent; d’autre part, c’est une passion qui n’est jamais assouvie, il ne faut donc pas leur savoir mauvais gré si, après nous avoir acceptés, s’apercevant que nos facultés, notre mérite ne sont pas ce qu’elles attendaient de nous, elles se pourvoient ailleurs (la reine Jeanne de Naples, Platon), 265.—Quand l’âge nous atteint, ne nous abusons pas sur ce dont nous sommes encore capables, et ne nous exposons pas à être dédaignés, 267.—Montaigne reconnaît la licence de son style, mais il tient à ce que son livre soit une peinture exacte de lui-même; et, bien qu’aimant la modestie, il est obligé par les mœurs de son temps à une grande liberté de langage qu’il est le premier à regretter (Théodore de Bèze, Saint-Gelais), 269.—Il est injuste d’abuser du pouvoir que les femmes nous donnent sur elles en nous cédant; à cet égard, il n’a rien à se reprocher: il tenait religieusement les engagements pris avec elles, en observait toutes les conditions, souvent au delà et plus même qu’elles n’eussent voulu, 273.—Même dans ses plus vifs transports, il conservait sa raison. Il estime qu’en pareille matière, la modération doit être de règle; tant qu’on reste maître de soi et que ses forces ne sont point altérées, on peut s’abandonner à l’amour; quand viennent les ans, l’imagination, substituée à la réalité, nous ranime encore (le philosophe Panetius, Agésilas, Anacréon, Socrate), 275.—Dans l’usage des plaisirs, l’esprit et le corps doivent s’entendre et s’entr’aider pour que chacun y participe dans la mesure où cela lui est possible, comme il arrive de la douleur, 279.—L’amour chez le vieillard que n’a pas encore atteint la décrépitude, ranimerait le corps, obligerait à en prendre plus de soin, ragaillardirait l’esprit, ferait diversion aux tristesses et aux chagrins de toutes sortes qui l’assaillent; mais il ne saurait exiger un amour réciproque; surtout qu’il ne s’adresse pas à des femmes hors d’âge. A dire vrai, l’amour sans limites ne convient qu’à la première jeunesse (Bion, Cyrus, Ménon, l’empereur Galba, Ovide, Emonès de Chio et le philosophe Arcésilas, Horace, Homère, Platon, la reine Marguerite de Navarre, Saint Jérôme), 281.—On voit souvent les femmes sembler faire de l’amour une question de sentiment et dédaigner la satisfaction que les sens peuvent y trouver, 285.—En somme, hommes et femmes ont été pétris dans le même moule, et un sexe n’est guère en droit de critiquer l’autre (Platon, Antisthène), 287.

CHAPITRE VI.

Des coches, III, 287.—Différence des opinions des philosophes sur les causes et les origines de divers usages et accidents, par exemple sur l’habitude de dire: «Dieu vous bénisse!» à qui éternue, sur le mal de mer; digression sur la peur (Plutarque, Montaigne, Socrate, Épicure), 287.—Variété d’emploi des chars à la guerre; usage qui en a été fait pendant la paix, par nos premiers rois, par divers empereurs romains (les Hongrois et les Turcs, les rois fainéants, Marc-Antoine, Héliogabale, l’empereur Firmus), 293.—En général, les souverains ont grand tort de se livrer à des dépenses de luxe pour se montrer avec plus d’apparat, donner des fêtes au lieu d’employer leurs trésors à élever des monuments et des établissements utiles; ces prodigalités sont mal vues des peuples qui estiment, avec raison, qu’elles sont faites à leurs dépens (Isocrate, Démosthène, Théophraste, Aristote, le pape Grégoire XIII, la reine Catherine, l’empereur Galba), 295.—Un roi, en effet, ne possède rien, ou ne doit rien posséder en propre et il se doit tout entier à son peuple; une sage économie et la justice doivent présider à ses libéralités d’autant que, quoi qu’il fasse, il lui sera toujours impossible de satisfaire l’avidité de ses sujets (Denys le Tyran, Cyrus et Crésus), 297.—On pouvait à Rome excuser la pompe des spectacles, tant que ce furent des particuliers qui en faisaient les frais, mais non quand ce furent les empereurs, parce que c’était alors les deniers publics qui en supportaient la dépense (Philippe père d’Alexandre), 301.—Description de ces magnifiques et étranges spectacles; ce que l’on en doit le plus admirer, c’est moins leur magnificence que l’invention et les moyens d’exécution; nous y voyons combien les arts, que nous croyons arrivés chez nous à la perfection, sont moins avancés que chez les anciens; l’artillerie et l’imprimerie qui viennent d’apparaître chez nous, étaient connues depuis mille ans en Chine (l’empereur Probus, Solon et les prêtres égyptiens), 301.—Un nouveau monde vient d’être découvert; ses habitants sont gens simples, moins corrompus que nous, ayant du bon sens; des arts leur sont absolument inconnus, d’autres, à en juger par certaines de leurs œuvres, ne le cèdent en rien à ce que nous-mêmes pouvons produire, 307.—Pour ce qui est de leur courage, il n’est pas douteux que, s’ils ont succombé, c’est beaucoup plus par ruse et par surprise que du fait de la valeur de leurs ennemis, 309.—Tout autre eût été le sort de ces peuples s’ils étaient tombés entre les mains de conquérants plus humains et policés comme étaient les anciens Grecs et Romains; les réponses que firent certains d’entre eux à leurs envahisseurs se présentant pour pénétrer chez eux, témoignent de leur mansuétude et de leur bon sens, 311.—Mauvaise foi et barbarie des Espagnols à l’égard des derniers rois du Pérou et de Mexico; horrible autodafé qu’ils firent un jour de leurs prisonniers de guerre, conduite odieuse que la Providence n’a pas laissée impunie, 313.—L’or, par lui-même, n’est pas une richesse, il ne le devient que s’il est mis en circulation, 317.—Les Mexicains croyaient à cinq âges du monde, et pensaient se trouver dans le dernier quand les Espagnols vinrent les exterminer, 319.—La route de Quito à Cusco, au Pérou, surpasse sous tous rapports n’importe quel ouvrage qui ait été exécuté en Grèce, à Rome et en Égypte, 319.—Pour en revenir aux coches, ils étaient inconnus dans le Nouveau Monde; le dernier roi du Pérou était, au milieu de la mêlée, porté sur une chaise d’or élevée sur des brancards d’or, lorsqu’il fut fait prisonnier par les Espagnols, 321.

CHAPITRE VII.

Des inconvénients des grandeurs, III, 321.—Qui connaît les grandeurs et leurs incommodités, peut les fuir sans beaucoup d’efforts ni grand mérite, 321.—Montaigne n’a jamais souhaité des postes très élevés; bien différent de César, il préférait être le deuxième ou le troisième dans sa ville, que le premier à Paris; une vie douce et tranquille lui convient bien mieux qu’une vie agitée et glorieuse; il ne voudrait ni commander ni obéir, si ce n’est aux lois (Thorius Baldus et Regulus, Otanez), 323.—Il est très porté à excuser les fautes des rois, parce que leur métier est des plus difficiles; leur toute-puissance est une prérogative dangereuse; on leur cède en tout, ils n’ont jamais la satisfaction de la difficulté vaincue (deux auteurs écossais, Brisson et Alexandre, Carnéade, Homère et Vénus), 325.—Leurs talents et leurs vertus ne peuvent se manifester, parce que ceux qui les entourent se sont fait une règle de louer indifféremment toutes leurs actions et qu’ils leur cachent leurs défauts de crainte de les offenser. Comment dans ces conditions s’étonner qu’ils commettent tant de fautes; ce sont leurs flatteurs, cause de ce mal, qui seraient à punir (Tibère et le Sénat Romain; les courtisans d’Alexandre, de Denys, de Mithridate, le philosophe Favorinus et l’empereur Adrien, Pollion et Auguste; Philoxène, Platon et Denys), 329.

CHAPITRE VIII.

Sur l’art de la conversation, III, 331.—En punissant les coupables, la justice ne saurait avoir qu’un but: empêcher les autres hommes de commettre les mêmes fautes; c’est ainsi que l’aveu que Montaigne fait de ses erreurs, doit servir à corriger les autres (Platon, Caton, un joueur de lyre), 331.—Mais où l’esprit se forme le plus c’est, selon notre moraliste, dans la conversation; cet exercice lui paraît plus instructif encore que l’étude dans les livres, 333.—On y apprend à supporter la sottise, la contradiction et la critique. Sur le premier point, Montaigne connaissant la faiblesse de l’esprit humain, écoutait patiemment les propositions les plus absurdes, les opinions les plus folles, 335.—La contradiction éveille l’esprit et aide parfois à la découverte de la vérité, mais il faut qu’elle ait lieu en termes courtois. La critique est susceptible de nous corriger, mais il faut être de bonne foi et savoir l’accepter, ce qui n’est pas donné à tout le monde (Socrate, Antisthène), 335.—Dans les conversations, la subtilité et la force des arguments importent moins que l’ordre; le vulgaire en met souvent dans ses discussions plus que les philosophes et les savants; les conversations sans méthode, sans ordre, dégénèrent vite en dispute; et, pour ce qui est de discuter avec un sot, il ne faut absolument pas s’y prêter, 339.—Les disputes devraient être interdites; quand on en arrive là, chacun, sous l’empire de l’irritation, y perd la notion de ce qui est raisonnable; on se quitte ennemis, sans avoir fait faire un pas à la question (Platon), 341.—L’attitude des gens de science, l’usage qu’ils en font, laissent souvent à désirer; suivant qui la possède, c’est un sceptre ou la marotte d’un fou, 341.—C’est l’ordre et la méthode qui donnent du prix aux conversations; la forme y importe autant que le fond; il en est de même dans notre vie familiale, où nous supportons plus aisément les fautes de nos domestiques que les mauvaises excuses que, par bêtise, ils s’entêtent à nous présenter pour les pallier (Démocrite, Alcibiade), 343.—C’est un grand défaut de ne pouvoir souffrir les sottises des autres; ne se trompe-t-on pas soi-même en les croyant des sottises; sommes-nous donc si sûrs de notre propre jugement? que de fois ce que nous reprochons aux autres, existe chez nous-mêmes (Héraclite, Myson, Platon, Socrate)! 347.—Ce qui frappe nos sens a une grande influence sur nos jugements: la gravité d’un personnage, son costume, sa situation, etc., tout cela donne du poids aux sottises qu’il débite, 349.—Parfois aussi les grands paraissent plus sots qu’ils ne sont, parce qu’en raison de leur position on attend plus d’eux que du commun des mortels; le plus souvent leur intérêt est de garder le silence, de la sorte leur ignorance ressort moins (Mégabyse et Apelle), 351.—Et pourquoi les grands seraient-ils plus éclairés que les autres? c’est le hasard qui, la plupart du temps, distribue les rangs, donne les places et il ne saurait guère en être autrement, 353.—Le succès obtenu dans les grandes affaires n’est pas une preuve d’habileté; souvent il est dû au hasard qui intervient dans toutes les actions humaines (les Carthaginois, les Romains, le persan Syramnez, Thucydide), 355.—Pour juger des grands, voyez ceux que la fortune fait tomber de leur rang élevé; comme ils paraissent au-dessous du médiocre, lorsqu’ils ne sont plus entourés d’un éclat imposant (Mélanthe et Denys, Antisthène, les Mexicains), 357.—Montaigne est porté à se défier de l’habileté d’un homme, dès lors que cet homme a une haute situation ou jouit de la faveur populaire, 359.—Il n’accepte qu’avec réserve les mots heureux de ses interlocuteurs, qui peuvent les avoir empruntés et ne pas se rendre compte eux-mêmes de leur valeur, 361.—Il se méfie également de ceux qui, dans leurs reparties, se renferment dans des généralités; il faut les amener à préciser pour savoir au juste ce qu’ils valent, 361.—Souvent les sots émettent des idées justes, mais elles ne sont pas d’eux; hors d’état d’en faire une judicieuse application, il n’y a qu’à les laisser aller, ils ne tardent pas à s’embourber (Hégésias, Cyrus), 363.—Reprendre un sot, avec l’espérance de rectifier son jugement, c’est peine perdue, 365.—Ce qu’il y a de plus déplaisant chez un sot, c’est qu’il admire toujours tout ce qu’il dit, 365.—Les causeries familières, à bâtons rompus, où on fait assaut d’esprit, ont aussi leurs charmes; les propos vifs et hardis qui s’y échangent, forment le caractère et peuvent parfois nous éclairer sur nos défauts, 367.—Les jeux de main sont à proscrire; ils dégénèrent trop souvent en voies de fait (deux princes de la famille royale), 367.—Comment Montaigne s’y prenait pour juger d’une œuvre littéraire sur laquelle l’auteur le consultait; sur les siennes, sur ses Essais, il était toujours hésitant, bien plus que lorsqu’il s’agissait de celles des autres, 367.—Un point sur lequel il faut se montrer très réservé, c’est lorsqu’on rencontre des idées qui peuvent ne pas appartenir en propre à l’auteur, sans qu’on ait de certitude à cet égard (Philippe de Commines, Tacite, Sénèque, Cicéron), 369.—Digression sur Tacite. Cet historien a relégué au second plan les faits de guerre et s’est plutôt attaché aux événements intérieurs, qu’il juge plus qu’il ne les raconte, 371.—Sa sincérité ne fait pas doute, il est du parti de l’ordre; néanmoins, il semble avoir jugé Pompée avec trop de sévérité; à propos de Tibère, Montaigne a quelque doute sur l’impeccabilité de son jugement, 371.—C’est à tort qu’il s’excuse d’avoir parlé de lui-même dans son histoire; Montaigne, lui, non seulement ne craint pas de parler de lui-même dans ses Essais, mais il ne parle que de lui et en observateur désintéressé, 373.—Caractère de Tacite à en juger par ses écrits; on ne saurait que le louer, lui et tous les historiens qui ont agi de même, d’avoir recueilli et consigné tous les faits extraordinaires et les bruits populaires (Vespasien), 375.

CHAPITRE IX.

De la vanité, III, 377.—Montaigne plaisante sur la manie qu’il a d’enregistrer toutes les idées qui lui passent par la tête; c’est là une occupation qu’il pourrait prolonger, tant qu’il y aura au monde de l’encre et du papier (un gentilhomme, Diomède, Galba), 377.—On devrait faire des lois contre les écrivains ineptes et inutiles; il y en a tant que pendant qu’on sévirait contre les plus dangereux, il aurait, lui, le temps de s’amender (le médecin Philotinus), 379.—Comment les politiques amusent le peuple, alors qu’ils le maltraitent le plus (les Spartiates), 379.—Tout différent des autres, Montaigne se sent plus porté à devenir meilleur dans la bonne que dans la mauvaise fortune (Xénophon), 381.—Il aimait le changement et, comme conséquence, les voyages, qu’il affectionnait aussi parce qu’ils le sortaient de chez lui et que, s’il est agréable de commander chez soi, si modeste que soit son domaine, la situation a ses ennuis, 381.—Peu fait à la gestion de ses biens, ce qu’il considère du reste comme chose aisée, elle lui était d’autant plus à charge, que ce qu’il possédait lui suffisait et qu’il n’avait nulle envie d’accroître son patrimoine, 383.—Les voyages ont l’inconvénient de coûter cher, mais cela ne l’arrêtait pas; il s’arrangeait seulement à y subvenir sans entamer son capital qu’il estimait devoir suffire à son unique héritier, puisqu’il lui avait suffi à lui-même (Phocion, Cratès), 385.—Si peu qu’il s’occupât de son intérieur, ce pourquoi il avait peu d’aptitude, il y trouvait mille sujets de contrariété qui, si légers qu’ils fussent, constamment répétés, ne laissaient pas de le blesser souvent davantage que de bien plus grands maux; aussi préférait-il la vie hors de chez lui (Diogène), 385.—Nullement sensible au plaisir de bâtir, s’il a fait quelques changements dans sa maison, cela a été pour se conformer à l’intention qu’en avait eue son père. Il n’aime non plus ni la chasse, ni le jardinage, et, si profitable que ce soit, il n’est pas porté à s’occuper des affaires publiques; jouir de l’existence, lui suffit (Platon), 387.—Il souhaiterait pouvoir abandonner la gestion de ses biens à quelque ami honnête, à un gendre par exemple, auquel il en céderait les revenus et qui lui assurerait le bien-être jusqu’à la fin de ses jours, 391.—Il se fiait à ses domestiques, évitant de se renseigner sur eux pour ne pas être obligé de les avoir en défiance, 391.—Sa répugnance à s’instruire de ses propres affaires était telle, qu’il n’a jamais pu prendre sur lui de lire un titre, un contrat (Cratès), 393.—Chez lui, la moindre chose qu’il voit le préoccupe; que n’a-t-il au moins pour l’assister dans la direction de son intérieur un second, sur lequel il puisse se reposer; obligé de veiller à tout, sa manière de recevoir les étrangers s’en ressent, chose contraire à son tempérament beaucoup plus porté à dépenser qu’à thésauriser (Platon), 395.—Une autre raison qui le portait à voyager, c’est la situation morale et politique de son pays, dont il souffre, moins par intérêt pour la chose publique, tout finissant par s’arranger, que pour lui-même qui n’a pas le courage de voir tant de corruption et de déloyauté (le roi Philippe), 397.—Toutes les discussions, les disputes sur la meilleure forme de gouvernement, sont parfaitement inutiles; le monde existe: si on peut le redresser, on ne saurait lui faire perdre un pli qui est déjà pris. Pour chaque nation, le meilleur gouvernement est celui auquel elle est accoutumée (Solon, Varron, de Pibrac et Monsieur de Foix), 399.—Rien n’est plus dangereux pour un état qu’un changement radical; il faut s’appliquer à améliorer, mais non à renverser (les meurtriers de César), 401.—Les réformes elles-mêmes sont souvent difficiles; un gouvernement même vicieux peut se maintenir malgré ses abus, sans compter que, parfois, si on regardait chez ses voisins, on y trouverait pire (Pacuvius Caluvius, Solon), 401.—L’empire romain est un exemple qu’une domination étendue ne témoigne pas qu’à l’intérieur tout soit pour le mieux, et montre que, si miné que soit un état, il peut se soutenir longtemps par la force même des choses (Isocrate), 405.—De la corruption générale des états de l’Europe, Montaigne conclut que la France peut se relever de son état actuel; toutefois, il redoute qu’elle ne se désagrège, 405.—Montaigne craint de parfois se répéter dans ses Essais; il le regretterait, mais sa mémoire va lui faisant de plus en plus défaut (Lynceste), 407.—S’il a à prononcer un discours qu’il ait préparé, la crainte de perdre le fil de ses idées le paralyse; aussi, comme le lire c’est se lier les mains et qu’il n’est pas capable d’improviser, il a pris la résolution de s’en abstenir désormais (l’orateur Curion), 409.—Il fait volontiers des additions à son livre, mais ne corrige pas; ce serait faire tort aux acheteurs des éditions précédentes; et puis, il a vieilli sans s’assagir et les changements qu’il pourrait y introduire ne vaudraient peut-être pas ce qui y est (Antiochus), 411.—Il s’en rapporte uniquement à ses éditeurs pour l’orthographe et la ponctuation; des fautes d’autre nature peuvent être relevées dans le texte, il ne s’en préoccupe pas; qu’elles proviennent de la copie ou de l’impression, le lecteur, qui connaît ses idées, saura les rectifier, 413.—Vivant au foyer des guerres civiles, il est exposé aux insultes de tous les partis; il souffre beaucoup dans ses intérêts de cet état de choses, bien que, jusqu’ici, il ait échappé au pillage, ce qu’il attribue à ce qu’il n’a pas mis sa maison en état de défense, à l’estime dont il jouit dans le pays, aux services qu’il rend à ses voisins et à sa bonne fortune; il regrette que les lois soient impuissantes à le protéger et d’en avoir obligation à d’autres (Lycurgue d’Athènes), 415.—Il se considère comme absolument obligé par ses engagements et ses promesses; mais il est tellement ennemi de toute contrainte, qu’il lui répugne même d’être lié par les devoirs de la reconnaissance et tient pour avantageux de se trouver délivré, par leurs mauvais procédés à son égard, de son attachement à certaines personnes, 417.—Il ne doit rien aux grands et ne leur demande que de ne pas s’occuper de lui; il s’applique à tout supporter et à se passer de tout; il aime à obliger ses amis, mais ils l’importunent s’ils lui demandent d’intervenir en leur faveur auprès de tiers; en tout cas, s’il lui faut contracter des obligations envers autrui, il souhaite que ce soit pour tout autre chose qu’obtenir protection contre les fureurs de la guerre civile (Hippias d’Élis, Bajazet et Tamerlan, l’empereur Soliman et l’empereur de Calicut, Cyrus, le premier des Scipions), 419.—Il vit dans des transes continues; ces désordres étaient, du reste, un mal depuis longtemps à l’état latent, et peut-être est-il préférable de le voir passé à l’état aigu; c’est encore là une des causes qui font qu’il voyage tant, bien qu’il ne soit pas assuré de trouver mieux, 425.—Quoique les troubles qui la déchirent le dégoûtent de la France, il aime Paris; il n’est français que par cette capitale; puisse-t-elle demeurer à l’abri de dissensions intestines, ce serait sa ruine, 429.—Au surplus, il regarde tous les hommes, à quelque nation qu’ils appartiennent, comme ses compatriotes; le monde entier est pour lui une patrie, aussi ne redouterait-il pas la peine de l’exil (les rois de Perse, Socrate), 429.—Avantages que Montaigne trouve à voyager; il demeure sans peine huit à dix heures consécutives à cheval et, sauf les chaleurs excessives (il voyage alors de nuit), ne redoute aucunes intempéries (les anciens Romains, les Perses dans l’antiquité, les Espagnols), 431.—On le blâme de ce que, vieux et marié, il quitte sa maison pour voyager; mais il y laisse une gardienne fidèle qui y maintient l’ordre. La science du ménage est la plus utile, la plus honorable chez une mère de famille; il est vrai que bien des femmes ne pensent qu’à leur toilette et vivent dans l’oisiveté, la sienne n’est pas telle, 433.—On objecte que c’est témoigner peu d’affection à sa femme que de s’en éloigner; mais l’absence momentanée aiguise, au contraire, le désir de se revoir; il se connaît en amitié, et affirme qu’on n’aime pas moins son ami absent que présent (les ensorcelés de Kareinty), 433.—Pourquoi craindre de voyager quand on est vieux? C’est alors que les voyages sont le plus utiles; il peut mourir en route, dira-t-on, qu’importe; c’est une éventualité dont il ne se préoccupe pas quand il se met en route (les Stoïciens), 437.—Quoiqu’il lui soit indifférent de mourir là ou ailleurs, il préférerait que la mort le surprit à cheval et hors de chez lui; il serait plus en paix et sentirait moins de peine et de regrets autour de lui, 439.—Quelle fâcheuse habitude que notre entourage s’apitoie sur nos maux, cela nous énerve; voir auprès de nous moins de mines impressionnées nous disposerait plus favorablement, 441.—A publier cette étude sur lui-même, Montaigne trouve qu’elle a ce grand avantage de lui servir de règle de conduite et que les critiques seront moins portés à dénaturer ses qualités, sa confession devant les désarmer en partie; il reconnaît, du reste, avoir toujours été traité au-dessus de ses mérites (Antigone et le philosophe Bion), 443.—Peut-être aussi sa lecture fera-t-elle que quelqu’un lui convenant, sera désireux d’entrer en rapport d’amitié avec lui: Oh! un ami! que ne donnerait-il pas pour en avoir un, 445.—C’est finir par devenir à charge aux nôtres que de les occuper constamment de nos maux. Viendrait-il à tomber malade dans un coin perdu, il a de quoi se suffire avec ce qu’il porte avec lui; et puis, dès qu’il se sent malade, il a toujours soin de mettre en ordre ses affaires de conscience et autres, ce qui fait qu’il est toujours prêt (les Indiens), 447.—Son livre ne lui survivra que peu d’années, d’autant que notre langue se transforme continuellement; il n’en constitue pas moins une précaution pour qu’après lui, on ne le juge pas autre qu’il n’est, 449.—Genre de mort dont Montaigne s’accommoderait le mieux; toujours est-il qu’il a cette satisfaction que la sienne ne sera pour les siens, dont les intérêts sont assurés, un sujet ni de plaisir, ni de déplaisir (les commourants d’Antoine et de Cléopâtre, Pétrone, Tigellinus, le philosophe Théophraste), 451.—Il ne recherche pas ses aises en voyage; il va au jour le jour, sans itinéraire fixe; aussi est-il toujours satisfait, même s’il ne trouve pas dans un pays ce qu’il venait y voir, il apprend du moins que la curiosité signalée n’existe pas, 453.—Il sait s’accommoder de tout et se plie à tous les usages du pays où il se trouve, rien ne lui paraît étrange; aussi blâme-t-il fort la sotte tendance qu’ont les Français à l’étranger de tout y dénigrer, et ne se joignait-il pas à leurs sociétés quand il en rencontrait, 455.—Tout ce qu’il demanderait, ce serait d’avoir un compagnon de voyage de même humeur que lui, car il aime à communiquer ses idées (Sénèque, Cicéron, Archytas, Aristippe), 457.—La situation qu’il a, le bien-être dont il jouit, devraient, ce semble, le détourner de sa passion des voyages; mais il y trouve l’indépendance, et elle lui est si chère qu’il rejette les commodités de la vie par crainte d’en être asservi, 457.—C’est là, dira-t-on, de la vanité, mais où n’y en a-t-il pas? Les plus belles maximes philosophiques, les plus beaux règlements de vie sont vains; et ceux-là mêmes qui les émettent ne les suivent pas. Ne voit-on pas journellement un juge prononcer une condamnation pour un fait que lui-même a commis ou va commettre? La faute en est aux lois, qui exigent de nous plus que nous ne pouvons (Ariston, Xénophon, Solon, Antisthène, Diogène, la courtisane Laïs), 461.—On peut encore, à la rigueur, admettre que dire et faire soient dissemblables chez les gens qui professent la morale; mais lui, parlant de lui-même, est tenu à être plus conséquent. L’homme public doit compter avec les vices de son temps; Montaigne a reconnu par lui-même que les affaires publiques ne se traitent pas d’après les mêmes principes que les affaires privées, son caractère ne se prête pas à semblable compromission; au surplus, il est fréquent de ne pas trouver réunies chez un même homme les qualités nécessaires à ces deux genres d’affaires (Caton, un roi de France, Platon, Socrate, Saturninus), 465.—Une vertu naïve et sincère ne peut être employée à la conduite d’un état corrompu; du reste, sa notion s’altère dans un milieu dépravé; quoi qu’il en soit, on doit toujours obéissance à ceux qui ont charge d’appliquer les lois, si indignes qu’ils soient (Sénèque, Agésilas), 469.—Si Montaigne sort aussi fréquemment de son sujet, c’est qu’il s’abandonne au flux de ses idées qui, en y regardant de près, ne sont cependant pas aussi décousues qu’elles en ont l’air; et puis, il oblige ainsi le lecteur à plus d’attention, ce qui déjà l’a porté à donner à ses chapitres plus d’extension qu’au début (Platon, Térence, Plutarque), 471.—Affection particulière de Montaigne pour la ville de Rome, due au souvenir des grands hommes qu’elle a produits; lui, qui a le culte du passé, ne voit ses ruines qu’avec émotion et respect; aujourd’hui encore, n’est-elle pas la métropole de la chrétienté, la ville universelle, la seule au monde qui ait ce caractère (Arcésilas et Ctesibius)? 475.—Il doit beaucoup à la fortune pour l’avoir ménagé jusqu’ici. Il est vrai que l’avenir est inquiétant, mais que lui importe ce qui adviendra quand il ne sera plus? il n’a pas d’enfant mâle qui continuera son nom; et puis, même ne pas avoir d’enfants du tout ne lui semble pas chose bien regrettable, 477.—Il laissera après lui son patrimoine tel qu’il l’a reçu, la fortune ne lui ayant jamais octroyé que de légères faveurs sans consistance, 479.—De ces faveurs, il n’y en a pas à laquelle il ait été plus sensible qu’au titre de citoyen romain qui lui a été accordé quand il était à Rome, titre dont il reproduit textuellement la teneur, pour ceux que cela intéresse et aussi un peu par vanité, 479.—C’est qu’en effet l’homme est tout vanité; et c’est parce que nous sommes déçus par ce que nous voyons quand nous venons à nous observer, que nous reportons constamment nos regards partout ailleurs que sur nous-mêmes, 483.

CHAPITRE X.

Il faut contenir sa volonté, III, 485.—Montaigne ne se passionnait pour rien; il se gardait de prendre des engagements, résistant même à ce à quoi le poussaient ses propres affections, parce qu’une fois entraîné, on ne sait plus où l’on va; si, nonobstant, on parvenait à l’intéresser à des affaires autres que les siennes, il promettait de s’en charger, mais modérément, ayant bien assez de celles-ci pour l’occuper, 485.—Beaucoup se font les esclaves des autres, se prodiguant pour s’employer à ce qui ne les regarde pas; cela devient une nécessité chez eux; il ne manque cependant pas sur notre propre route de mauvais pas dont nous avons assez à faire de nous garder, 487.—Élu maire de Bordeaux, Montaigne n’accepta qu’à son corps défendant cette charge à laquelle il fut réélu à l’expiration de son mandat. Portrait qu’il fit de lui à Messieurs de Bordeaux, leur faisant connaître qu’ils ne devaient pas compter qu’il s’emploierait tout entier à leurs affaires, comme avait fait son père qui avait également occupé ces fonctions, 489.—Son père était imbu de ce principe si généralement enseigné et que des sages ont eux-mêmes prêché il y a longtemps, que nous devons nous oublier pour ne travailler que pour le bien public; est-ce raisonnable? Le vrai sage qui sait bien ce qu’il se doit, trouve par là même ce qu’il doit aux autres, 491.—Il faut se dévouer aux fonctions que l’on occupe, mais ce ne doit être qu’un prêt temporaire et accidentel de sa personne; il ne faut pas qu’elles nous absorbent entièrement ni qu’elles nous passionnent, ce qui nous entraînerait à manquer de prudence et d’équité, 493.—Excellent caractère d’un prince du temps de Montaigne, qui était supérieur aux accidents de la fortune. Même au jeu, il faut être modéré; nous le serions plus, si nous savions exactement combien peu nous est nécessaire (Socrate, Métrodore, Épicure, Cléanthe), 495.—Bien que les besoins que nous tenons de la nature soient faciles à satisfaire, nos habitudes, notre position dans le monde, notre âge nous portent à en étendre le cercle; c’est dans ces limites que nous devons les contenir; les multiplier, c’est offrir à l’adversité plus de chance encore de nous atteindre (calendrier Grégorien), 497.—C’est folie de s’enorgueillir de l’emploi que l’on occupe et de ne pas s’apercevoir que la plupart du temps, c’est la robe du magistrat que l’on salue et non sa personne; notre personnalité doit toujours demeurer indépendante de la fonction que nous remplissons (Montaigne), 501.—Si l’on se jette dans un parti, ce n’est pas une raison pour qu’on en excuse toutes les injustices, toutes les fureurs, tous les entêtements ridicules; la raison veut qu’on reconnaisse ce qui est mal dans le parti qu’on a embrassé et ce qui est bien dans le parti contraire (Marcus Manlius), 501.—Facilité extraordinaire des peuples à se laisser mener par les chefs de parti (Apollonius, Mahomet), 505.—Différence entre la guerre que se faisaient César et Pompée et celle qui eut lieu entre Marius et Sylla; avertissement à en tirer, 505.—Du danger qu’il y a à être l’esclave de ses affections (Diogène), 505.—Il faut s’efforcer de prévenir ce qui, dans l’avenir, peut nous attirer peines et difficultés; c’est ainsi que Montaigne évitait d’avoir des intérêts communs, surtout avec des parents; il fuyait les discussions et les gens de caractère difficile (le roi Cotys), 507.—Quelques âmes fortement trempées affrontent les tentations; il est plus prudent à celles qui s’élèvent peu au-dessus du commun, de ne point s’y exposer et de s’efforcer de maîtriser ses passions dès le début; ce qui se passe dans le cas de la volupté et du plaisir de se venger en témoigne; il est trop tard de leur fermer la porte, lorsque déjà elles ont pénétré (Caton, Zénon et Chrémonyde, Socrate, Cyrus et Panthée, le S.-Esprit), 509.—Montaigne fuyait les procès, alors même que ses intérêts devaient en souffrir; il n’en a jamais eu, non plus que de duels; et, jamais une épithète malsonnante n’a été associée à son nom, 511.—Les plus grands troubles ont le plus souvent des causes futiles; dans toutes les affaires, et particulièrement dans nos querelles, il faut réfléchir avant d’agir; mais une fois lancé, il faut aller, dût-on périr à la peine; le manque de prudence conduit au manque de cœur (le dernier duc de Bourgogne, la chute de Rome républicaine, la guerre de Troie, Plutarque, Bias), 513.—La plupart des réconciliations qui suivent nos querelles sont honteuses; quand on ne le fait pas de son plein gré, démentir ce qu’on a fait ou dit est une lâcheté, 515.—Jugement que l’on a porté sur la manière dont Montaigne s’est acquitté de sa mairie de Bordeaux et appréciation qu’il en porte lui-même. Diversité des jugements des hommes sur ceux qui les administrent. Il avoue que ceux qui lui reprochent de n’avoir pas apporté dans ces fonctions une ardeur excessive, sont dans le vrai; mais, de fait, la population n’a pas dû être trop mécontente de son administration puisqu’elle l’a réélu. Il faisait ce qu’il fallait; n’aimait ni le bruit, ni l’ostentation; et, en fin de compte, il a maintenu l’ordre et la paix, 517.—Il n’est pas de ceux qui ont de l’ambition, laquelle n’est pas de mise quand les questions que l’on a à traiter sont affaires courantes dont il ne faut pas exagérer l’importance, 521.—La renommée ne s’attache pas qu’à des actes qui sortent de l’ordinaire; elle vient d’elle-même, nos sollicitations n’y font rien, 523.—En somme, il n’avait qu’à maintenir l’état de choses existant; il l’a fait, y donnant de lui-même plus qu’il ne s’y était engagé; il n’a offensé personne, ne s’est attiré aucune haine; et, quant à être regretté, il ne l’a jamais souhaité, 525.

CHAPITRE XI.

Des boiteux, III, 527.—Critique des changements opérés dans le calendrier par la réforme grégorienne; depuis tant de siècles que le monde existe, nous ne sommes pas encore arrivés à nous entendre sur la forme à donner à l’année, 527.—Vanité des recherches de l’esprit humain; on veut découvrir les causes d’un fait, avant d’être assuré que ce fait est certain, 527.—Comment de prétendus miracles s’accréditent par notre propension à vouloir persuader les autres de ce que nous croyons nous-mêmes, et par l’autorité que prend sur nous toute croyance qui a de nombreux adeptes et est éclose depuis un certain temps déjà; que ne va-t-on au fond des choses (un prince goutteux et un prêtre)? 529.—La plupart d’entre eux reposent sur des riens, et on se perd à leur chercher des causes sérieuses; le seul miracle que Montaigne ait constaté, c’est lui-même: il a beau s’étudier, il ne parvient pas à s’expliquer, 533.—Histoire d’un miracle bien près d’être accrédité, qui ne reposait que sur de simples plaisanteries, 533.—Tous les préjugés de ce monde viennent de notre présomption et de notre ignorance, nous ne voulons pas douter; pourtant il est une ignorance qu’il ne faudrait jamais craindre d’avouer (Iris [l’arc en ciel] et Thaumantis, Corras, l’Aréopage), 535.—De ce que les livres sacrés relatent des miracles, il ne faut pas en conclure qu’il doive s’en opérer de nouveaux de notre temps, 537.—Montaigne n’admet pas qu’on maltraite ceux d’opinions contraires aux nôtres, 537.—Oter la vie aux sorciers pour se défendre contre leurs prétendus actes surnaturels, c’est faire peu de cas de l’existence humaine; la plupart du temps les accusations portées contre eux sont sans fondement; et puis, on n’est pas obligé de croire à un miracle qui se peut démasquer ou expliquer, 539.—Montaigne est très porté à croire que ces gens, et il en a observé plusieurs, ont l’imagination malade et sont fous plutôt que criminels; il ne prétend pas d’ailleurs qu’on se range de son avis (Prestantius), 539.—Réflexions sur un proverbe italien qui attribue aux boiteux des deux sexes plus d’ardeur aux plaisirs de l’amour, et explications qu’on en donne (la reine des Amazones, les boiteux, les tisserandes), 543.—L’esprit humain admet comme raisons les choses les plus chimériques, et souvent on explique un même effet par des causes opposées (le Tasse, les Français et les Italiens, Antigone et un philosophe cynique), 543.—C’est ce qui a amené les Académiciens à poser en principe de douter de tout, ne tenant rien pour absolument vrai, non plus que pour absolument faux (Clitomaque, Carnéade, Ésope), 545.

CHAPITRE XII.

De la physionomie, III, 547.—Presque toutes nos opinions ne se forment que par l’autorité d’autrui. Nous admirons Socrate sans le connaître, parce qu’il est l’objet de l’approbation universelle. Il est vrai qu’il n’en impose pas comme Caton, et s’il vivait à notre époque, peu d’hommes feraient cas d’un enseignement donné sous la forme simple et naïve qu’il emploie, 547.—Notre bonne fortune a voulu que sa vie et ses enseignements nous aient été transmis par des témoins très fidèles et compétents. Quel immense service n’a-t-il pas rendu à l’homme en lui montrant, dans un langage à la portée de tous, ce qu’il peut par lui-même, 549.—L’homme est incapable de modération, même dans sa passion d’apprendre; la science d’une utilité discutable, qui ne nous conduit seulement pas à affronter la mort avec plus de fermeté qu’un paysan, n’est même pas sans danger. Ce qui nous est vraiment utile est naturellement en nous, mais il faut le découvrir et c’est ce que Socrate enseignait (la mère d’Agricola, les Tusculanes), 549.—Sénèque et Plutarque ont traité de la préparation à la mort; le premier s’en montre très préoccupé, le second beaucoup moins. L’indifférence et la résignation avec lesquelles les pauvres gens la supportent, elle et les autres accidents de la vie, sont plus instructives que les enseignements de la science à ce même propos, 553.—C’est au milieu des désordres de la guerre civile que Montaigne écrit ce passage de son livre; excès qui se commettent, indiscipline des troupes; les meilleurs, en ces circonstances, finissent par se gâter (les armées romaines et les armées turques), 555.—Quels que soient les abus d’un gouvernement, s’armer contre lui sous prétexte d’y porter remède, n’est pas excusable: il faut laisser faire la Providence (Favonius, Platon), 559.—Le peuple se trouve ruiné pour de longues années par les déprédations qui se commirent alors; lui-même eut de plus à souffrir des suspicions de tous les partis, aggravées par le peu de souplesse de son caractère, 561.—Dans son infortune, Montaigne, ne voyant pas d’amis à qui s’adresser, prend le parti de ne compter que sur lui-même et de lutter sans se préoccuper de ce qu’il avait perdu, pour ne songer qu’à conserver ce qui lui reste; et, dès lors, il agit comme s’il devait en être réduit aux pires extrémités. D’autre part, se désintéressant complètement de ce qui ne le touche pas directement, il se prend à considérer uniquement comme un sujet d’étude l’effondrement auquel il assiste et en suit les progrès presque avec intérêt; il avoue, à sa honte, en être arrivé de la sorte à n’être pas troublé dans son repos et sa tranquillité d’esprit, 563.—Pour comble de malheur, la peste survint; il dut, avec sa famille, pour laquelle il redoutait la contagion, errer à l’aventure pendant six mois; le fléau avait fait de grands ravages et pendant longtemps la main-d’œuvre fit défaut pour la culture, 567.—Résignation des gens du peuple dans ce désastre général (les Néorites, nos paysans, les soldats romains après la défaite de Cannes), 569.—De combien peu de secours nous sont les enseignements de la science dans les grands événements de la vie! ils ne font que porter atteinte à la force de résistance que la nature a placée en nous; à quoi bon appeler notre attention sur les maux auxquels nous sommes exposés, ne vaut-il pas mieux les ignorer jusqu’au moment où ils nous frappent (Sénèque)? 571.—L’expérience qu’elle prétend nous donner est déjà un tourment; apprendre à souffrir et à mourir, c’est souffrir et mourir avant le temps; la science ne nous prépare pas à la mort, mais aux approches de la mort; laissons faire la nature, elle se charge au moment voulu de suppléer à tout ce que nous ne savons pas et, par elle, nous serons en meilleures dispositions que n’était Aristote (César), 573.—Socrate, par ses discours et ses exemples, nous enseigne à suivre purement la nature. Sa défense devant ses juges: «Il ne sait ce que c’est que la mort; si c’est une transmigration des âmes, n’ayant rien à se reprocher, il ne s’effraie pas d’aller rejoindre tant de grands personnages qui ne sont plus. Que ses juges décident suivant leur conscience; s’il a un conseil à leur donner, c’est de récompenser sa vie passée à prêcher le bien, en le nourrissant le restant de ses jours, en raison de sa pauvreté, aux frais du trésor public. Il ne les implore pas, non par dédain, mais parce que ce serait se démentir, leur faire injure et douter des dieux», 577.—Quelle naïveté et, à la fois, quelle hauteur de sentiments dans ce plaidoyer si digne de lui; aussi en quel honneur le tient, à si juste raison, la postérité, tandis que ses accusateurs, accablés par le mépris public, de désespoir en sont venus à se pendre (Socrate et l’orateur Lysias), 581.—Socrate y parle de la mort comme d’un incident naturel de la vie, et il est dans le vrai; ce n’est pas la mort que les âmes simples redoutent, mais la douleur qui l’accompagne; la nature ne saurait en effet nous faire prendre en horreur ce passage de vie à trépas indispensable à l’accomplissement de son œuvre; par la simplicité de sa vie et celle avec laquelle il rend ses idées, Socrate est admirable (les chevaux, les cygnes, les éléphants), 581.—Bien qu’il vienne de dire que nous ne vivons pas assez sur notre propre fond, Montaigne a, lui aussi, introduit quantité de citations dans son ouvrage; ce n’était pas dans son idée première, mais il s’est laissé entraîner par le goût de son époque et le besoin d’occuper ses loisirs; il n’indique pas d’où il les tire, parfois il les transforme ou les détourne de leur vrai sens, et cela pour ne pas faire étalage d’une science qui n’est pas en lui (Socrate et Euthydème, un président), 583.—Il est dangereux de se mettre à écrire sur le tard, l’esprit a perdu sa verdeur; lui-même eût dû s’y prendre plus tôt, mais il ne se propose pas tant de montrer ce qu’il sait que ce qu’il ne sait pas; et, voulant peindre sa vie, il a dû attendre le moment où elle se déroulait tout entière à ses yeux, 585.—A propos de physionomie, Montaigne revient à Socrate: il est fâché qu’une si belle âme se soit trouvée dans un corps si disgracié, il pense qu’il y a une certaine relation et conformité entre le corps et l’esprit (La Boétie), 587.—Comme Platon et la plupart des anciens philosophes, il estime singulièrement la beauté; toutefois, une physionomie avantageuse n’est pas toujours fondée sur la régularité des traits du visage, et on ne peut pas toujours faire fond sur la physionomie pour porter un jugement sur un individu (Phryné, Cyrus, Alexandre, César, Scipion), 589.—En principe, il faut suivre les indications de la nature; les lois et la religion, au lieu de servir de régulateurs à nos devoirs, nous les dictent; et on en arrive à s’imaginer, bien à tort, que les observances religieuses, sans de bonnes mœurs, suffisent au salut d’un état, 591.—Physionomie de Montaigne; son air naïf lui attirait la confiance. Récit de deux aventures où le bon effet qu’il produisait à première vue et sa franchise lui ont été très avantageux, 593.—La simplicité de ses intentions, qu’on lisait dans son regard et dans sa voix, empêchaient qu’on ne prît en mauvaise part la liberté de ses discours; dans la répression des crimes, il n’était pas pour trop de sévérité (Aristote, Charille), 597.

CHAPITRE XIII.

De l’expérience, III, 599.—L’expérience n’est pas un moyen sûr de parvenir à la vérité, parce qu’il n’y a pas d’événements, il n’est point d’objets absolument semblables; on ne peut, par suite, juger sainement par analogie, 599.—Par cette même raison, la multiplicité des lois est fort inutile; jamais les législateurs ne peuvent embrasser tous les cas; les meilleures lois sont les moins nombreuses, les plus simples, n’embrassant que les cas généraux, 601.—Celles de la nature nous procurent plus de félicité que celles que nous nous donnons, et les juges les plus équitables seraient peut-être les premiers venus, jugeant uniquement d’après les inspirations de leur raison (quelques républiques italiennes, Ferdinand le Catholique, Platon), 603.—Pour vouloir être trop précis, les textes de lois sont conçus en termes si obscurs, dont l’obscurité est encore accrue par les gloses et commentaires qui se sont greffés sur eux (ce qui est du reste le propre de toutes les interprétations), que, si bien qu’on s’exprime dans la vie ordinaire, on n’arrive pas dans les contrats et testaments à formuler ses idées d’une façon indiscutable; à quoi s’ajoute que, sur chaque chose, il y a autant d’opinions que d’hommes, et que souvent le même homme pense différemment en des temps différents, parfois à des heures différentes de la même journée (Ulpian, Bartholdus, Baldus, Aristote, les chiens d’Ésope, Cratès et Héraclite), 603.—Si les interprétations se multiplient à ce point, la cause en est à la faiblesse de notre esprit qui, en outre, ne sait se fixer. En nos siècles, on ne compose plus, on commente; comprendre un auteur est devenu notre seule science; nos opinions ne se forment plus elles-mêmes, elles se entent les unes sur les autres. Les Essais de Montaigne reviennent souvent à parler d’eux-mêmes; on y trouvera peut-être à dire, son excuse c’est que lui-même en est le sujet, 607.—Ce qu’il y a de singulier, c’est que les discussions, les disputes ne roulent guère que sur des questions de mots. Si on ne trouve nulle part de similitude absolue, la dissemblance ne l’est pas davantage, et dans les choses dissemblables se trouve toujours quelque joint qui fait que chacun les interprète à sa façon (Luther, Socrate et Ménon), 609.—Imperfection des lois; exemples d’actes d’inhumanité et de forfaits judiciaires auxquels elles conduisent; refus d’assistance à des malheureux en péril; exécution d’innocents, victimes de ce que leurs condamnations n’étaient entachées d’aucun vice de forme. Combien de condamnations sont prononcées, qui sont plus criminelles que les crimes qui les motivent (des paysans du pays de Montaigne, des juges de la même contrée, Philippe de Macédoine)! 611.—Montaigne partage l’opinion des anciens, qu’il est prudent, qu’on soit accusé à tort ou non, de ne pas se mettre entre les mains de la justice. Puisqu’il y a des juges pour punir, il devrait y en avoir pour récompenser (Alcibiade, les Chinois), 613.—Il n’a jamais eu de démêlés avec la justice, et il est si épris de liberté, qu’il irait n’importe où, s’il se sentait menacé dans son indépendance, 615.—Les lois n’ont autorité que parce qu’elles sont les lois et non parce qu’elles sont justes. Comment le seraient-elles, étant le plus souvent l’œuvre de sots, ou de gens qui, en haine de l’égalité, manquent à l’équité; pour lui, il a renoncé à leur étude; c’est lui seul qu’il étudie, et, pour le reste, il s’en remet simplement à la nature, 615.—Que ne prêtons-nous plus d’attention à cette voix qui est en nous et qui suffit pour nous guider? Quand nous constatons que nous nous sommes trompés en une circonstance, à moins d’être un sot, nous devrions être à tout jamais en défiance de nous dans toutes les circonstances analogues; c’est ce qui lui arrive pour sa mémoire; aussi devons-nous nous étudier constamment pour que nos passions ne viennent pas pervertir notre jugement, 617.—«Se connaître soi-même» est la science capitale; ceux-là seuls qui la pratiquent savent combien peu nous savons; celui qui sait, hésite et est modeste; l’ignorant est affirmatif, querelleur, opiniâtre, ce résultat est le fait de l’école du monde; c’était aussi ce qu’en pensait Socrate (Socrate et Euthydème, Aristarque, Antée, Antisthène et Socrate), 621.—Montaigne étudiait sans cesse les autres, pour se mieux connaître; il en était arrivé à les juger avec assez de discernement; toutefois, il était très hésitant pour se prononcer, rien n’étant difficile comme de déterminer dans quelle catégorie doit prendre place telle ou telle de nos actions. En général, l’homme est mal équilibré; quel service on rend à qui sait l’entendre, de lui dire avec franchise ce qu’on pense de lui (Persée roi de Macédoine, Montaigne)! 623.—Montaigne estime qu’il n’est propre à rien, sauf à parler librement à un maître auprès duquel il eût été placé, lui dire ses vérités et faire qu’il se connaisse lui-même. Pareil censeur bénévole et discret qui, sans paraître censurer leur conduite, leur en ferait apercevoir les conséquences, les tiendrait au courant de ce que le peuple pense d’eux, serait chose précieuse pour les rois, sur lesquels cette engeance maudite des flatteurs a un effet si pernicieux (Montaigne, Alexandre), 625.—Ses Essais sont une sorte de cours expérimental, fait sur lui-même, d’idées afférentes à la santé de l’âme et du corps. Pour ce qui est de l’âme, on y apprend moins ce qui est à faire que ce qui n’est pas à faire; quant au corps, on peut en déduire que chacun qui s’observe, est à lui-même son meilleur médecin. Exposé du régime qu’il a suivi toute sa vie durant (Tibère, Socrate, Platon), 627.—Montaigne conservait le même genre de vie, qu’il fût malade ou bien portant; il fuyait la chaleur émanant directement du foyer (mode de chauffage usité à Augsbourg, Evenus), 631.—Les coutumes d’un pays sont parfois le contraire de celles de quelque autre nation; tendance que nous avons à aller chercher ailleurs, dans l’antiquité notamment, des arguments que notre époque nous fournirait amplement, 633.—Exemples de singularités résultant de l’habitude: Andron l’argien traversant sans se désaltérer les déserts de la Libye, gentilhomme passant des mois et même une année entière sans boire; savant qui aimait à travailler au milieu du bruit; Socrate dans son intérieur; Sénèque ne mangeant rien de ce qui avait eu vie (Sextius, Attale), 633.—Nos goûts se transforment par l’effet de l’habitude; il faut faire en sorte, surtout quand on est jeune, de n’en avoir aucun dont nous soyons les esclaves et contre lequel nous ne puissions aller à un moment donné (Pythagore, Philopœmen), 635.—Habitudes qu’avait contractées Montaigne dans sa vieillesse; passer la nuit au grand air l’incommodait, faiblesse contre laquelle la jeunesse doit se prémunir; soin qu’il avait de se tenir le ventre libre (Marius, César), 637.—Ce que les malades ont de mieux à faire, c’est de ne rien changer à leur mode d’existence; lui-même, malade ou bien portant, ne s’est jamais abstenu de ce qui lui faisait envie; il en a été de même des plaisirs de l’amour qu’il a commencé si jeune à connaître, que ses souvenirs ne remontent pas jusque-là (Quartilla), 641.—L’incertitude de la médecine autorise toutes nos envies, 645.—Montaigne avait un timbre de voix élevé, ce qui faisait qu’il fatiguait en parlant; dans la vie courante, l’intonation de notre voix est à régler suivant l’idée qu’on veut rendre (Carnéade), 645.—Les maladies, comme tout ce qui a vie, ont leurs évolutions dont il faut attendre patiemment la fin; laissons faire la nature, nous luttons en vain. Dès notre naissance, nous sommes voués à la souffrance et, arrivés à la vieillesse, l’effondrement est forcé; les médecins n’y peuvent rien, sinon nous troubler par leurs pronostics (Crantor, les Mexicains, Ctésiphon), 647.—Dans ses maux, Montaigne aimait à flatter son imagination: atteint de gravelle, il s’applaudit que ce soit sous cette forme qu’il ait à payer son tribut inévitable à l’âge; c’est une maladie bien portée; peut-être comme tant d’autres finira-t-elle avant lui; en tout cas, elle ne le prive pas de tenir sa place en société et, par les souffrances qu’elle lui fait endurer, le prépare insensiblement à la mort, 649.—Passant habituellement par les mêmes phases, on sait au moins avec elle à quoi s’en tenir; et si les crises en sont particulièrement pénibles, quelle ineffable sensation quand, d’un instant à l’autre, le bien-être succède à la douleur (les Stoïciens, Socrate), 655.—La gravelle a encore l’avantage sur bien d’autres maladies, de ne pas entraîner d’autres maux à sa suite, de laisser au patient l’usage de ses facultés, la possibilité de vaquer à ses occupations et à ses plaisirs; elle n’altère pas sa tranquillité d’esprit, s’il ne prête pas l’oreille à ce que lui en diraient les médecins, 657.—Montaigne était grand dormeur, ce qui est préjudiciable à la santé; cependant en cela, comme en toutes choses, il savait s’accommoder aux circonstances. Sa petite taille lui faisait préférer aller à cheval qu’à pied dans les rues et quand il y avait de la boue (Platon, Scipion), 661.—Le métier des armes est de toutes les occupations la plus noble et la plus agréable, 663.—Montaigne était d’excellente constitution; touchant à la soixantaine, il est encore vigoureux pour cet âge; chez lui, les maux du corps n’avaient que peu de prise sur l’âme, 665.—Ses préoccupations n’ont pas souvent troublé son sommeil, et ses songes étaient rarement tristes (Platon, Socrate, Xénophon, Aristote, les Atlantes, Pythagore, le philosophe Théon, le valet de Périclès), 667.—Il était peu délicat sous le rapport de la nourriture; la délicatesse est le fait de quiconque affecte une préférence trop marquée pour quoi que ce soit (Favorinus), 669.—Dès le berceau, Montaigne avait été habitué à vivre comme les gens de la plus basse classe et à se mêler à eux; cette fréquentation l’a rendu sympathique au sort des malheureux (la reine Chélonis, Flaminius, Pyrrhus), 671.—Il n’aimait pas rester longtemps à table; les anciens Grecs et Romains entendaient beaucoup mieux que nous cette jouissance (Auguste), 673.—Indifférent à ce qu’on lui servait, il se laissait aller à manger de tout ce qui paraissait sur la table, 673.—C’est une grâce que Dieu nous fait quand la mort nous gagne peu à peu, ce qui est l’effet de la vieillesse; le moment fatal doit alors nous moins affecter, puisque ce n’est plus qu’une fraction de nous-mêmes qu’elle atteint; du reste la mort est indissolublement liée à la vie, on en constate en nous la présence et les progrès dans tout le cours de notre existence (Solon), 675.—Montaigne n’a jamais acquis la certitude que certains mets lui fussent nuisibles; il en est dont il s’accommodait parfaitement, dont ensuite il s’est mal trouvé et que, plus tard, il a très bien supportés, 677.—Il lui est arrivé parfois de se passer de prendre un repas, quand il voulait se ménager pour mieux manger le lendemain, avoir l’esprit dégagé, ou quand il n’avait pas une société qui lui convint. Il est bon de manger doucement, fréquemment plutôt que beaucoup à la fois. Tout régime trop longtemps suivi, cesse d’être efficace (Épicure, Chilon), 677.—Il ne sert de rien non plus de se trop couvrir, on s’y habitue et cela n’a plus d’effet, 679.—Nos occupations et nos plaisirs nous portent à donner plus d’importance au souper qu’au dîner; l’estomac, d’après Montaigne, s’accommode mieux du contraire. Il buvait peu, seulement aux repas et uniquement du vin coupé d’eau (Auguste, Démocrite, Cranaüs roi d’Athènes), 679.—Il n’aimait pas l’air confiné; était plus sensible au froid qu’au chaud; avait bonne vue, mais elle se fatiguait aisément; sa démarche était vive, il ne pouvait tenir en place; à table, il mangeait avec trop d’avidité (la servante de Chrysippe, Diogène), 681.—Des convives agréables, des mets délicats, une table bien servie, sont essentiels pour un bon repas; il est des gens qui dédaignent ce genre de plaisir qui est cependant de ceux que la nature nous offre elle-même, ce dédain est le fait d’un esprit maladif et chagrin (Alcibiade, Varron, Xerxès), 683.—Les plaisirs de l’âme sont peut-être supérieurs à ceux du corps; les plus appréciables sont ceux auxquels l’une et l’autre participent simultanément (les philosophes Cyrénaïques, Aristippe, Zénon, Pythagore, Socrate, Platon), 685.—Tout ce qui est de nécessité la nature l’a rendu agréable, et le sage use des voluptés comme de toutes autres choses; bien vivre et imprimer une bonne direction à sa vie, est la seule et véritable fin de l’homme (Brutus, les deux Caton), 687.—Les délassements siéent aux âmes fortes et généreuses comme aux autres, ainsi qu’il ressort des exemples d’Épaminondas, de Scipion et de Socrate, 689.—La grandeur d’âme consiste surtout à régler sa conduite et à la circonscrire dans de justes limites; elle ne doit pas fuir les plaisirs que lui offre la nature, mais les goûter avec modération et montrer une égale fermeté dans la volupté comme dans la douleur (Eudoxus, Platon), 693.—Pour lui, Montaigne, bien qu’au déclin de sa vie et prêt à la quitter sans regret parce que c’est dans l’ordre naturel des choses, il ne se contente pas de passer le temps; et, quand il ne souffre pas, il le savoure, jouissant du calme qui s’est fait en lui, sans préoccupation de l’avenir, ce poison de l’existence humaine (Alexandre), 695.—La vie est à accepter telle que Dieu nous l’a faite; tout ce qui vient de lui est bon; c’est se montrer ingrat à son égard que de repousser les satisfactions dont il l’a dotée (Épiménide), 697.—Vivons suivant la nature, ce guide si doux autant que prudent et judicieux; chez la plupart des gens dont les idées vont s’élevant au-dessus du ciel, les mœurs sont plus bas que terre (Socrate), 699.—En somme, dans tous les états de la vie, il faut jouir loyalement de ce que l’on est, et c’est folie de vouloir s’élever au-dessus de soi-même (Socrate, Platon, Alexandre et Philotas, les Athéniens et Pompée), 703.


FASCICULE C

TABLE DES CITATIONS
ET INDEX DES AUTEURS D’OU ELLES SONT TIRÉES.

Cette table des citations, établie par ordre alphabétique, donne, en regard de chacune d’elles, l’indication de l’auteur d’où elle est tirée.

Elle a surtout pour objet d’aider à la collation des diverses éditions, étant le plus sûr moyen de trouver aisément dans l’une un passage relevé dans une autre, par la détermination et la recherche de la citation qui la précède ou de celle qui la suit.

Ces citations, réparties entre 96 auteurs, sont au nombre de 1.308, y compris cinq qui ne figurent que dans l’exemplaire de Bordeaux et trois qui ne se trouvent que dans les éditions antérieures à 1595, dans lesquelles on en relève en outre deux qui y sont reproduites deux fois chacune.

Une annexe donnant la liste alphabétique des auteurs ainsi mis à contribution, suit avec indication du chiffre de leur apport; parmi eux, Cicéron, Lucrèce, Horace, Virgile et Sénèque y occupent de ce fait, et de beaucoup, le premier rang.

Montaigne n’indique jamais la source de ses citations; bien plus, il en change très souvent un ou plusieurs mots, soit pour la mieux approprier à sa pensée, soit encore, mais rarement, par pudeur. Souvent aussi, il y ajoute un membre de phrase de son crû, ou amalgame deux fragments d’un même auteur ou d’auteurs différents; aussi les recherches, auxquelles se sont particulièrement livrés Mademoiselle de Gournay, Coste, Le Clerc et autres pour adapter à chacune le nom de qui elles émanent, ont-elles dû présenter une certaine difficulté; dans le nombre, trente-six demeurent encore d’origine inconnue.—A noter aussi que Montaigne les détourne très fréquemment du sens qu’elles ont dans le texte d’où il les tire, ou les applique à des sujets tout différents, ce qui, à la vérité, est un procédé en usage de temps immémorial.

A ces mêmes auteurs et à quelques autres, Montaigne a fait bien d’autres emprunts, dont partie sont signalés dans les notes, mais il n’est question ici que des citations proprement dites.

Dans la table, les mots en égyptienne italique sont les premiers de chaque citation; les deux nombres qui suivent indiquent le volume et la page; les astérisques, quand il y en a, marquent qu’elles ont donné lieu à une note; le nom qui vient après, en PETITES MAJUSCULES, est celui de l’auteur; puis, en italiques et généralement en abrégé, celui de l’ouvrage; les nombres qui terminent en indiquent suivant sa nature: le livre, le volume ou l’acte; le chapitre ou la scène; enfin l’alinéa ou le vers selon qu’il y a lieu.

Dans l’annexe, le nombre qui suit le nom de chaque auteur est celui des citations extraites de lui; les autres indiquent l’époque où il a vécu, les dates de sa naissance et de sa mort, date suivie de av., si elle est antérieure à l’ère chrétienne.

Ex. de Bord. signifie: Exemplaire de Bordeaux.

Ed. de 80, 88, ant. signifient: Édition de 1580, 1588, antérieures à 1595.


ESSAIS DE MONTAIGNE.

TABLE DES CITATIONS.
(INDICATIONS REPORTANT A L’ÉDITION dite «SELF-ÉDITION»).


A   B   C   D   E   F   G   H   I   J   L   M   N   O   P   Q   R   S   T   U   V   Z 


A

A demain.I, 656.—Plutarque, de l’Esprit familier de Socrate.

A multis.II, 194.—Sénèque, Epist. 124.

A natura.III, 182.—Sénèque, Epist. 99.

A quo ceu.III, 12.—Ovide, Amor., III, 9, 25.

A sole.I, 516.—Cicéron, Tusc., V, 17.

Abducendus.III, 164.—Cicéron, Tusc., IV, 35.

Ablatum.III, 366.—Ovide, Trist., I, 6, 29.

Ac veluti.II, 652.—Virgile, Enéide, XII, 684.

Ad deos.I, 180.—Tite-Live, X, 6.

Ad hæc.I, 516.—Juvénal, Sat., X, 137.

Ad ictus.I, 536.—Tite-Live, XXXVIII, 5.

Ad nos.II, 458.—Virgile, En., VII, 646.

Ad nullum.III, 184.—Pseudo-Gallus, I, 125.

Ad primum.III, 636.—Juvénal, VI, 576.

Ad quamcumque.II, 232.—Cicéron, Acad., II, 3.

Ad summum.II, 204.—Horace, Epist., I, 1, 106.

Ad unum.III, 268.—Horace, Ep., XII, 15.

Adde heliconiadum.III, 12.—Lucrèce, III, 1050.

Adeo minimis.II, 288.—Tite-Live, XXVII, 23.

Adeo nihil.I, 178.—Tite-Live, XXXIV, 54.

Adeo pavor.I, 100.—Quinte-Curce, III, 11.

Adhuc ardens.III, 204.—Juvénal, Sat., VI, 128.

Aditum.I, 184.—Sénèque, Œdipe, III, 686.

Æque pauperibus.I, 264.—Horace, Epist., I, 1. 25.

Age! si hæc.III, 348.—Térence, Andr., IV, 11. 9.

Agnosco veteris.III, 194.—Virgile, En., IV. 23.

Agros divisere.II, 480.—Lucrèce, V, 1109.

Ah! tum.III, 222.—Catulle, Carm., XV. 17.

Ainsi voit-on.III, 606.—La Boétie.

Alcon hesterno*.III, 60.—Ausone, Epigr., 74.

Aliquis.I, 638.—Sénèque, Epist. 13.

Alloquar.I, 318.—Catulle, LXV, 9.

Alter ab.I, 286.—Virgile, Eglog., VIII, 39.

Alter remus aquas, alter mihi.III, 460.—Properce, III, 3, 23.

Alter remus aquas, alter tibi.II, 490.—Properce, III, 2, 23.

Alter ridebat.I, 556.—Juvénal, Sat., X, 28.

Amor ordinem*.III, 286.—S. Jérôme, Lettre à Chromatius.

Amorem conatum.I, 306.—Cicéron, Tusc., IV, 34.

An poterunt.II, 392.—Lucrèce, IV. 487.

An quidquam.II, 452.—Cicéron, Tusc., V, 36.

An vivere*.III, 640.—Pseudo-Gallus, Eleg., I, 155, 247.

Animus multo.—(III, 510).—Serait de Sénèque. (Ne se trouve que dans l’ex. de Bord.).

Animus quod.III, 180.—Pétrone, Satyr., c. 128.

Ante oculos*.III, 434.—Ovide, Trist., III, 4, 57.

Apud alios.I, 210.—Cicéron, Tusc., V, 36.

Ἀριστα χωλός*.III, 542.—Théocrite, Idylle, IV, 62.

Ἀριστον μέτρον*.III, 674.—Diogène Laerce, I, 93.

Aristoni tragico.I, 288.—Tite-Live, XXIV, 24.

Arma acri.III, 224.—Virgile, En., VIII, 441.

Arma enim.II, 56.—Cicéron, Tusc., II, 16.

Arma proferri.I, 532.—César, de Bello gall., VII, 11.

Arma rogo.III, 224.—Virgile, En., VIII, 383.

Armati terram.III, 396.—Virgile, Enéid., VII, 748.

Arripe dilatam.II, 556.—Prudence, Cont. Symm., II, 643.

Ἀσώτους ex.I, 218.—Cicéron, de Nat. deor., III, 31.

At tibi nil.I, 548.—Martial, Epigr., II, 58, 11.

At tu Catulle.III, 466.—Catulle, Carm., VIII, 19.

Athenis tenue*.II, 366.—Cicéron, de Fato, 4.

Atque adeo.II, 128.—Manilius, IV, 907.

Atque aliquis.III, 222.—Ovide, Métam., IV. 187.

Atque idem.I, 54.—Virgile, En., X, 732.

Atque illum.II, 222.—Cicéron, trad. du Timée, 2.

Atque in se.I, 128.—Virgile, Georg., II, 402.

Attonitus novitate.II, 370.—Ovide, Métam., XI, 128.

Audit iter.I, 112.—Claudien, in Ruf., II, 137.

Auferimur.II, 400.—Ovide, de Rem. Amor., I, 343.

Auro quoque*.III, 304.—Calpurnius, Eclog., VII, 53.

Aut bibat.II, 218.—Cicéron, Tusc., V, 4.

Aut fuit*.I, 452.—La Boétie.Ovide, Ep. d’Ariadne.

Aut nimiis.III, 382.—Lucrèce, V, 216.

Aut qui non.I, 276.—Quintil., VIII, 3.

Aut verberatæ.III, 383.—Horace, Od., III, 1, 29.

Aves quasdam.I, 72.—Cicéron, de Nat. deor., II, 64.

Avida est.I, 454.—Sénèque, de Prov., 4.

Ayme l’estat.III, 398.—De Pibracq, Quatrains.

B

Balteus.III, 302.—Calpurnius, Eclog., VIII, 47.

Basti*.I, 92.—Properce, II, 1, 43, trad. italienne.

Belli.III, 238.—Lucrèce, I, 33.

Belluæ.II, 106.—Cicéron, de Nat. deor., I, 36.

Bellum.II, 378.—Virgile, En., III, 539.

Beneficia.III, 368.—Tacite, Ann., IV, 18.

Bina.II, 406.—Lucrèce, IV, 451.

Bona iam.III, 478.—Source inconnue.

Bouha.I, 210.—Dicton gascon.

Brevis esse.II, 476.—Horace, Art. poét., 25.

Brevis est*.II, 118.—Quintilien, XII, 11.

C

Chercher par Q les citations qui ne se trouveraient pas ici.

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